L’évasion fiscale, c’est quoi ?
Chaque année, ce sont 1000 milliards d’euros qui échappent à l’impôt au sein de l’Union Européenne, selon une commission d’enquête du Parlement européen. À titre de comparaison, ces montants représentent l’équivalent des dépenses de santé des 27 États membres. Ces milliards d’euros non perçus enrichissent les grandes entreprises et riches particuliers qui maîtrisent la pratique de l’évasion fiscale. Ils sont autant de trous dans les budgets publics, au détriment du financement des services essentiels ou de la protection sociale, de la bifurcation écologique.
L’évasion fiscale, c’est quoi au juste ? Il n’existe pas de définition juridique précise de ce terme, qui recouvre différentes pratiques permettant d’échapper à l’impôt. L’évasion fiscale peut prendre la forme de la fraude fiscale, c’est-à-dire du détournement illégal du système fiscal. C’est le cas par exemple, lorsqu’un particulier ouvre un compte en Suisse pour échapper à l’impôt sur la fortune. C’est aussi le cas lorsqu’une grande entreprise fraude la TVA ou déclare ses revenus à l’étranger afin de se soustraire à l’impôt.
L’évasion fiscale peut, selon d’autres définitions, relever de l’optimisation fiscale. Cette pratique consiste à utiliser légalement les mesures qui existent, comme les « niches fiscales », ces avantages fiscaux dont certains contribuables peuvent bénéficier, lorsqu’ils remplissent certaines conditions, pour réduire l’impôt. On parle d’« optimisation fiscale agressive » pour des pratiques à la limite de la légalité qui dissimulent des abus de droit et donc une fraude. Nous employons le terme général d’évasion fiscale pour désigner la fraude ainsi que l’optimisation fiscale « agressive ». Le terme d’évasion fiscale permet de mettre en lumière des pratiques qui sont souvent à la limite de la légalité.
L’évasion fiscale est pratiquée couramment par les multinationales. Un des moyens de pratiquer l’évasion fiscale consiste à localiser les profits dans des pays où les taux d’impôts sur les sociétés sont faibles (par exemple, l’Irlande ou le Luxembourg) ou à localiser les charges là où les taux d’imposition sont plus élevés par le biais d’opérations entre filiales d’un même groupe.
Amazon, champion de l’évasion fiscale 2.0
Comme de nombreuses autres multinationales, les géants du numérique ont recours à des schémas financiers complexes de contournement pour réduire drastiquement leurs impôts. Apple en est l’exemple type. Par un jeu de facturation de services entre ses filiales, Apple rapatrie une large part de ses bénéfices mondiaux en Irlande, où la fiscalité est très avantageuse.
Ainsi, Apple a délocalisé artificiellement ses profits en Irlande pendant des années, quand la législation y exonérait d’impôts le revenu de filiales irlandaises se trouvant en dehors de l’État irlandais (le « double irlandais »). C’est d’ailleurs cette pratique qui a valu à l’entreprise d’être condamnée cette année par la Cour de justice européenne à rembourser 13 milliards d’euros à l’Irlande. Pour des pratiques similaires, d’autres géants du numérique ont également été poursuivis comme Google (en 2015 en France), Facebook (en 2020) ou Netflix plus récemment, mais cela n’a pas mis fin au scandale de l’évasion fiscale pour autant.
Quant à Amazon, sa filiale pour l’Europe, basée au Luxembourg, n’a tout simplement pas payé d’impôts en 2021, malgré des ventes en forte hausse. Alors même qu’elle a enregistré un chiffre d’affaires record de 51,3 milliards d’euros ! Amazon aurait même bénéficié d’un milliard de crédits d’impôt cumulés dans différents pays européens, selon le média financier Bloomberg.
Comment cela est-il possible ? Depuis l’origine, Jeff Bezos a organisé son groupe de telle sorte qu’il est très difficile de chiffrer l’étendue réelle de son activité pays par pays et l’évasion fiscale est en quelque sorte dans l’ADN de la multinationale. En 2019, nous avions démontré que la firme de Seattle dissimulait 57% de son chiffre d’affaires réalisé en France. Cette estimation n’a depuis jamais été contestée par l’entreprise.
Par des opérations entre ses filiales européennes et sa filiale luxembourgeoise (paiement de redevances), les bénéfices sont en grande partie déplacés vers des paradis fiscaux tel que le Delaware, grâce à la complaisance du Luxembourg. Les filiales dans les différents pays (comme Amazon France) enregistrent ainsi un bénéfice avant impôt faible, nul ou négatif, ce qui leur permet parfois de bénéficier... de crédits d’impôts !
Les conséquences de l’évasion fiscale
L’évasion fiscale a un coût économique et démocratique majeur. Elle soustrait annuellement des sommes colossales des budgets publics (État, collectivités, sécurité sociale). Elle contribue au creusement des inégalités économiques, constaté en France depuis plusieurs décennies. Elle contribue également à l’accroissement de la dette publique, donnant prétexte à des politiques d’austérité de plus en plus dures, des coupes budgétaires toujours plus nombreuses dans les services publics et des réductions progressives du montant des prestations sociales.
Ce manque à gagner considérable représente des milliards d’euros de ressources manquantes pour les services publics comme les écoles, les hôpitaux, les transports en commun ou pour la transition écologique. En 2024 en France, la seule fraude fiscale est estimée à un montant de 80 à 100 milliards d’euros par an par le syndicat Solidaires Finances Publiques.
A titre de comparaison, en 2024, le budget de l’éducation nationale sera de 63,3 milliards d’euros, soit un montant inférieur à la seule évasion fiscale, celui de la fonction publique hospitalière de 102,5 milliards d’euros. Or ces services publics sont au fondement de notre système social et leur financement par l’impôt devrait permettre une redistribution des richesses. Recouvrir les recettes fiscales manquantes permettrait non seulement de réparer et d’améliorer les services publics abîmés par des années d’austérité budgétaire, mais aussi de dégager des marges de manœuvre nécessaires pour financer la bifurcation écologique et sociale
Une mesure emblématique : la taxation unitaire
Une solution existe pour en finir avec les pratiques d’évasion fiscale des multinationales et des géants du numérique : c’est la taxation unitaire des entreprises transnationales. Le principe de la taxation unitaire est simple : imposer les multinationales dans les pays où elles réalisent véritablement leurs activités et leurs bénéfices.
Il s’agit de considérer chaque entreprise multinationale, non pas comme une somme d’entités juridiques séparées (ce qu’on appelle les filiales), mais comme une entité unique, d’où l’expression de « taxation unitaire ». Les bénéfices réalisés à l’échelle mondiale sont répartis entre les pays où le groupe réalise son activité, sur la base de trois facteurs (le travail, mesuré par les effectifs salariés ou la masse salariale, les actifs, les ventes ou le chiffre d’affaires).
Une véritable taxation unitaire dégagerait un rendement substantiel. À titre d’exemple, en 2022, les profits des grands groupes s’élevaient à 142 milliards d’euros. Selon le Medef, 78% de ces profits ont été réalisés à l’étranger. Or, ce sont ces profits offshore qui sont le moins imposés. Le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), estimait que « les profits manquants en France atteignent 36 milliards d’euros en 2015, soit 1,6 % du PIB. La taxation unitaire conduirait ainsi un groupe comme Total à s’acquitter, pour l’année 2017, d’un montant d’impôt 30 fois supérieur au montant effectivement payé, dont une partie aux pays en développement où sont réalisés les profits [1].
Ces profits non déclarés en France viennent éroder l’assiette de l’impôt sur les sociétés (IS) : au taux d’imposition légal, cela correspond à une perte de recettes fiscales de l’ordre de 14 milliards d’euros, soit 29 % des recettes de l’IS en 2015 [2] ». Rapportée à l’année 2022, au cours de laquelle le rendement de l’impôt sur les sociétés (IS) s’est élevé à 62,1 milliards d’euros, une taxation unitaire permettrait de dégager 18 milliards d’euros de recettes supplémentaires.
La taxation unitaire représente une alternative bien plus ambitieuse que l’imposition minimale de 15% sur les multinationales adoptée dans le cadre d’un accord de l’Organisation de coopération et du développement économiques (OCDE), qui s’avère non seulement insuffisant mais d’ores et déjà décevant par rapport aux prévisions [3].
C’est pourquoi, à l’occasion du Black Friday, Attac lance une grande mobilisation pour obtenir une taxation unitaire des multinationales comme Amazon, avec notamment une pétition que vous pouvez signer ici.
Signer la pétition pour la mise en place d’une taxation unitaire des multinationales
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