1. Nationalité, nationalisme
1.1 Enquête internationale
Une étude datée de 2003 du Pew research center [1] présentait, à la suite de la guerre conduite par les États-Unis contre l’Irak, des enquêtes menées dans quarante-neuf pays dont on trouvera la liste en page de garde. Plus de 66 000 personnes ont été interrogées.
À l’exception de quelques observations, l’ensemble de l’étude ne sera pas abordé ici. Avant d’examiner le contenu des quelque 25 pages de la fin de l’étude consacrée « au nationalisme, à la souveraineté et aux points de vue relatifs aux institutions internationales », il n’est pas sans intérêt de relever quelques remarques d’ordre général. Après cette guerre contre l’Irak, une tendance générale semble s’établir, à l’exception notable de l’Allemagne et de la France, une part accrue des populations se montre encline aux restrictions à la venue d’étrangers sur le territoire national. Exceptés le Royaume-Uni, Israël et le Canada, on observe une augmentation importante de la part de la population hostile à la politique états-unienne, notamment, une fois encore en Allemagne et en France et, nommément, à l’égard du Président Bush. Contrairement à ce qui a pu souvent être affirmé, sauf aux États-Unis, le soutien populaire à la « lutte contre le terrorisme » est resté fort modéré. À propos de la religion, on notera, dans les pays à forte prégnance de l’islam, une part élevée de la population souhaitant que la religion joue un rôle important dans l’éducation, allant jusqu’à 92 % en Indonésie ; de même, un pourcentage élevé – 52 % au Ghana et 53 % au Nigeria – de cette population, mais pas en Indonésie, ne souhaite pas que les femmes se prononcent sur le port du voile. Sur les questions générales, on se reportera avantageusement au tableau de la page 80 qui, pour 46 des pays évoqués précédemment, indique ce qui, avec la « mondialisation », va mieux et ce qui est pire ; on remarquera que six secteurs sont considérés comme ayant empiré : les emplois, les conditions de travail, la prévalence de la maladie, l’écart riches/pauvres, l’accessibilité aux soins de santé et la retraite. Avec 90 % et 82 % l’Allemagne et la France figurent dans le haut du « palmarès ». On notera que, parmi les choses allant mieux, le ressenti des populations pour l’accès à la nourriture correspond aux analyses chiffrées internationales, en particulier celles de la FAO.
S’agissant de la dernière partie de l’étude, les enquêteurs remarquent, dans une sorte de paradoxe, que si les personnes interrogées se montrent de plus en plus à l’aise avec la mondialisation, beaucoup d’entre elles manifestent une forte attraction pour le nationalisme et vont même jusqu’à affirmer que tout ou partie des pays voisins des leurs leur appartiennent. Les réponses données aux questions relatives à la culture ne laissent pas d’être fort préoccupantes puisque, sur tous les continents, les populations déclarent, majoritairement, leur culture supérieure à celle du voisin. C’est particulièrement vrai en Indonésie et en Corée, où les habitants prétendent leur culture supérieure à toutes les autres à 90 %. En Inde, il s’agit de 85 %. Seule la majorité de la population jordanienne n’estimait pas sa culture supérieure aux autres ! C’est encore le cas, à hauteur de 60 %, aux États-Unis. En revanche, contrairement à certains clichés, il y aurait « seulement » 33 % des Français estimant leur culture meilleure que celle des autres, 37 % des Anglais et 40 % des Allemands.
On verra, sur le tableau reproduit ci-dessous, que le sentiment de devoir se protéger contre le mode de vie des autres est majoritaire dans tous les pays ayant fait l’objet de l’enquête. On notera que ce besoin est fortement ressenti dans les pays africains anciennement colonisés. De la même manière, le besoin de protection « contre » les migrants est très largement répandu ; seuls parmi les pays interrogés, sont en dessous de 20 % le Japon, la Pologne, la Bulgarie, le Liban et la Corée du Sud, qui descend à 7 %.
Comme on peut aisément l’imaginer, les opinions publiques à l’égard de la mondialisation n’apparaissent pas ex nihilo. Il est éclairant d’observer le tableau page 99 qui indique l’appréciation des opinions publiques de 16 pays envers trois organisations internationales très généralement considérées comme constituant le cœur de la mondialisation : l’Organisation mondiale du commerce (OMC), la Banque mondiale (BM) et le Fonds monétaire international (FMI). On observera que pour six d’entre eux, l’opinion considère, à des degrés divers, ces institutions comme mauvaises pour la nation. Les 66 % d’opinions argentines défavorables illustrent parfaitement la réalité en ces débuts des années 2000. Le pays subit alors une lourde crise en raison du poids de sa dette et de la détérioration de ses exportations due en grande partie à la hausse du dollar. Le FMI a alors appliqué brutalement sa recette uniforme inscrite dans le Consensus de Washington, principalement basée sur une sévère austérité qui s’est abattue sur la population, en premier lieu, la moins favorisée. On imagine quels auraient été les résultats de pareille enquête menée, aujourd’hui, en Grèce !
Toutefois on verra dans le tableau de la page 104 reproduit ci-dessous que si le libre marché apparaît comme un instrument de liberté générale, il ne l’est en réalité que pour... les propriétaires du capital, comme on le voit dans la croissance des inégalités qui apparaît clairement sur ce graphique reproduit ci-dessus que l’on retrouve dans Alors, ce machin ?
Incontestablement, les riches, à travers leurs outils de propagande, ont parfaitement su faire croire qu’un libre marché représentait la liberté. Il faut dire que les régimes qui proclamaient mettre fin à « l’exploitation de l’homme par l’homme » ont su, eux, être monstrueux avec les libertés individuelles et collectives. Comment comprendre autrement qu’au Vietnam, qui s’est montré si héroïque dans les guerres contre le colonialisme et l’impérialisme, 95 % de la population estiment que le peuple vit mieux avec le système de libre marché ?
Toutefois on observera sur la tableau figurant en page 105 que de nombreux citoyens à travers le monde attendent que leur pays mette en place, et entretienne, un filet de sécurité sociale. Ils sont ainsi, 58 % aux États-Unis, 61 % au Pakistan, plus de 60 % au Venezuela, Honduras et Guatemala, et au moins 50 % dans 6 des 10 pays africains objet de l’enquête. On verra aussi que dans les quatre pays de l’Union européenne et dans les six pays membres de feu le CAEM (COMECON) interrogés, la volonté de disposer d’un filet de sauvetage public est sensiblement plus faible qu’ailleurs dans le monde ; est-ce parce que les habitants de ces pays ont pris l’habitude de considérer que ce type de protection était une donnée ?
On remarquera aussi, page 108, qu’à l’exception des États-Unis et du Canada, les ressortissants de tous les autres pays considèrent majoritairement que le succès dépend de « forces » qui leur échappent. Peut-être sera-t-on surpris par les résultats présentés page 115 : la majorité des pays, y compris les États-Unis, abritent des populations considérant que le croyance en un dieu est nécessaire. Seuls échappent à cette hégémonie le Canada, les quatre pays de l’Union européenne déjà mentionnés et les pays anciennement communistes, à l’exception de l’Ukraine. Les territoires à majorité musulmane présentent, à l’égard de cette croyance, les pourcentages les plus élevés. C’est aussi là que l’on rencontre les taux de satisfaction les plus bas envers un emploi pour la femme et le mari ou encore l’acceptation de l’homosexualité.
1.2 Réflexions menées au FMI
Depuis les années 2000, le FMI publie un rapport annuel consacré à la diversité. À partir de 2011, celui-ci s’est intitulé Diversity and inclusion, la dernière version est celle de 2015. Il faut refréner son envie d’apprendre des choses sur ce que devient le monde en la matière ; en réalité, il s’agit d’un discours pro domo et documenté sur ce que fait le Fonds pour, en son sein, améliorer les choses. Il s’attache à ouvrir son staff à la diversité, ainsi verra-t-on une femme saoudienne, tout sourire, coiffée d’une châle noir, pour présenter les dizaines de tableaux chiffrés les Examples Of Internal And External Initiatives. Fort bien.
En revanche, en 2016, est publié Sub-saharan migration. On verra sur les deux graphiques reproduits ci-dessous que l’affaire n’est pas anecdotique ; en 2013, l’Afrique subsaharienne a dû accueillir près de 20 millions de personnes dont les deux tiers environ provenant eux-mêmes de cette même Afrique subsaharienne.
Rappelons que l’Afrique subsaharienne, qui compte près d’un milliard d’habitants, dispose d’un revenu annuel par tête de moins de 3 500 dollars, soit moins de 9 % du PIB/h connu dans les pays les plus riches. La Côte d’Ivoire est le pays, avec près de 2,5 millions de personnes, qui compte le plus grand nombre d’émigrés, suivie par l’Afrique du Sud. Le Burkina Faso présente la particularité d’être à la fois un pays d’accueil et d’émigration.
On aura avec la figure 5 reproduite ci-dessous une vue d’ensemble rendant globalement compte du caractère dramatique de la situation face aux réfugiés.
On notera que les cinq conflits du Congo, d’Afrique centrale, de Somalie, du Soudan et du Sud-Soudan sont à l’origine de la part la plus importante de l’émigration subsaharienne. Quand on constate qu’un grand nombre de réfugiés somaliens trouve refuge en Éthiopie, où le PIB/h est de quelque 1 500 dollars annuels ou que ceux du Soudan fuient vers le Sud-Soudan, on mesure le caractère dramatique de ces désastres. Comment, après de tels traumatismes, pourrait-on imaginer que ces populations, si elles évitent la mort, puissent ne pas tenter de trouver un semblant de réconfort dans le premier viatique venu, religion, communauté ou autre ? Malgré la gravité de ces situation, le FMI rappelle que 85 % de la diaspora subsaharienne vit dans les pays de l’OCDE, dont la moitié aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en France. La figure 1.1 reproduite ici montre, sur la période 2000-2014, la croissance du nombre de réfugiés subsahariens en Europe.
Le Fonds indique six raisons majeures poussant les Subsahariens à tenter de venir dans les pays de l’OCDE :
- écart, souvent considérable, entre les PIB/h des pays d’origine et ceux des pays espérés,
- écart entre le nombre d’emplois offerts,
- existence d’une diaspora dans les pays cibles,
- distance entre le pays d’origine et celui qui est visé,
- différence entre les dépenses de santé dans les pays d’origine et ceux de l’OCDE,
- caractéristiques comme la langue, les anciennes relations coloniales, les guerres en Afrique subsaharienne et les enclavements.
En 2016, selon la Banque mondiale, la population subsaharienne était de 1 milliard d’habitants et devrait avoir dépassé 2 milliards en 2050, tandis que le nombre de quelque 500 millions de l’Union européenne d’aujourd’hui ne devrait guère varier. Aussi, convient-il d’observer la figure 11 reproduite ici. On y voit que seule l’Afrique subsaharienne est la zone géographique où la croissance de la population active est continue jusqu’en 2050. Si on considère que l’observation du FMI quant à la possibilité d’emploi de la population active d’ici à 2050 comme facteur d’émigration, est fondée, on conçoit que celle-ci ne va guère diminuer.
Toutes ces observations du Fonds mettent clairement en évidence que les données économiques et leur évolution constituent sans doute le facteur le plus important quant à l’évolution de l’émigration. Aussi, ne peut-on guère que se poser cette question Afrique, avenir de l’humanité ?, quand on observe la graphique reproduit ci-dessous où l’on remarque qu’en 2015 les transferts monétaires, remittances, des émigrés subsahariens vers leur pays d’origine ont été plus élevés que les investissements directs étrangers ou l’aide publique au développement (APD) en faveur de cette zone géographique. C’est d’abord sur leurs compatriotes exploités dans les pays de l’OCDE que les pauvres Africains subsahariens doivent, en premier, compter !
1.3 Fin de la mondialisation ? Peut-être, peut-être pas
Le Fonds monétaire international édite une revue trimestrielle, Finance et Développement (F&D), qu’il publie en plusieurs langues dont le français. Y sont présentées des analyses et études dont le FMI précise qu’elles ne l’engagent pas.
Dans son numéro de septembre 2017, le FMI publie la recension, par Jeffrey D. Sachs, d’un ouvrage de Finbarr Livesey, professeur à l’université de Cambridge intitulé From Global to local [2]. Le professeur à Columbia intitule son article End of Globalization ? Maybe, Maybe Not. Il montre que son auteur estime que plusieurs facteurs entraînent le passage de l’ère de la mondialisation à celle de la localisation : les changements technologiques – la robotique permettrait une production localisée voulue par les consommateurs – qui seraient tout-puissants –, l’environnement – la contrainte pesant sur les émissions de gaz à effet de serre limiterait les transports – et le nationalisme – qui dicterait les politiques fiscales, commerciales et réglementaires.
Les remarques de Livesey présentent l’intérêt de mettre en évidence plusieurs facteurs qui, il est vrai, influencent, et influenceront, les échanges internationaux. Toutefois, il semble qu’il en oublie un qui pourrait bien être l’élément premier : le capitalisme.
Selon les chiffres fournis par l’OMC, et malgré une baisse en 2015 par rapport à 2014, les exportations de marchandises ont plus que doublé en dix ans pour atteindre plus de 16 200 milliards de dollars en 2015, tandis qu’il s’est agi de 4 700 milliards de dollars pour les services, entraînant un quasi-doublement de la valeur du commerce des marchandises et des services en dix ans, passant ainsi de 23 % du PIB mondial à 28 %. Jusqu’alors, les transnationales, ou plus précisément leurs propriétaires, dirigent le monde ; Henderson, qui suit en continu les 1 200 premières de celles-ci, représentant plus de 80 % du chiffre d’affaires mondial, nous indique qu’elles ont distribué 1 154 milliards de dividendes en 2016, soit 1,5 % du PIB mondial, contre 1,1 % en 2009. Henderson classe les compagnies en fonction de leur générosité envers leurs actionnaires. Depuis plusieurs années, celle qui est la première placée sur la scène mondiale se trouve être la société pharmaceutique suisse Novartis – créée en 1996 après fusion de Sandoz avec Ciba-Geigy – elle est fière de communiquer qu’en vingt ans, le dividende a plus que quadruplé pour atteindre, pour le premier versement de 2017, 2,75 francs suisses par action alors que l’inflation mondiale sur la période n’a pas crû à ce niveau.
Sans doute, les caractéristiques proposées par Livesey existent et sont, évidemment, à prendre en considération. Cependant, dans l’état actuel des rapports de force sur la planète, on peut compter sur les propriétaires du capital pour préserver leurs privilèges et même pour tenter de les accroître. Plus fondamentalement, la règle du capitalisme est d’accumuler. Il s’adapte à toutes les vicissitudes et monstruosités de l’histoire ; pas plus le nazisme que les millions de morts des guerres coloniales et impérialistes dans la péninsule indochinoise ne l’on freiné. Vendre du ciment à des groupes terroristes, c’est réaliser un chiffre d’affaires et donc engendrer du profit ; c’est le système. C’est tout. Seule la fin du capitalisme peut arrêter l’accumulation. Voilà que 15 364 scientifiques du monde entier publient dans le très respecté Global Carbon Project (GCP) – qui annonce que 2017 aura enregistré l’émission anthropique de 41 milliards de tonnes de CO2 (multipliée par 2,5 depuis 1960) –, le 14 novembre 2017 la deuxième alerte, après celle de 1992, à l’humanité « Il sera bientôt trop tard pour dévier de notre trajectoire vouée à l’échec, et le temps presse » ! Laissera-t-on, comme Keynes nous l’expliquait, capitalisme et pulsion de mort [3] poursuivre leur liaison mortelle ?
Peut-être, a-t-on tôt fait d’oublier que le racisme ne vient pas ex nihilo. En juillet 2017, dans une ville états-unienne de Virginie, Charlotte, réputée progressiste, le Ku Klux Klan est violemment intervenu, tuant directement et indirectement deux personnes, une blanche et un noir. On n’en finirait pas d’énumérer, aux États-Unis et partout dans le monde, les violences et meurtres racistes. La France, où fut proclamée en 1789 la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, n’est pas épargnée par cette ignominie insane. On lira, dans la belle, mais combien douloureuse, introduction de Christiane Taubira à Codes noirs [4], « ce goût, prégnant dans toutes les diasporas noires, pour la morue séchée et desséchée, pour les salaisons et les extrémités museau, queue et pied de porc, seuls morceaux de viande réservés aux esclaves. L’esprit continue de receler des frayeurs et aversions immémoriales. Cette raideur maniaque devant les gros chiens, vite refrénée mais si soudaine, comme si se poursuivait la course devant les molosses lancés aux trousses des ancêtres nègres marrons. Cette rage qui nous saisit collectivement chaque fois qu’un ’blanc’ donne un coup de pied à un ’nègre’ comme au temps honni des abus impunis après l’abolition. »
Racisme, ou rejet de l’autre, est-ce vraiment étranger au repli identitaire ? La mondialisation capitaliste n’est-elle pas une des causes d’une négation des droits humains ?
1.4 Bien public mondial ou démocratie ?
Un bien public, surtout s’il est mondial et intégralement pris en compte, peut, entre autres, être un puissant instrument de lutte contre le rejet de l’autre qui, souvent, recèle une dimension de non-accès à ce qui devrait être des biens publics, comme l’eau ou l’énergie, mais aussi la santé et l’éducation. Si la littérature portant sur les biens publics mondiaux (BPM) est très importante, on ne les rencontre que fort peu, en tout cas dans leur plénitude, sur la planète. Il faut dire que les propriétaires du capital ne jurent que par le marché, essence même de la négation des BPM. Quand on entend les cris d’orfraie lancés par les groupes de pression, et même des chefs d’État, pour réclamer, avec succès, que tout perdure as usual, on réalise combien il sera difficile que l’humanité obtienne que les sept milliards d’êtres humains vivent correctement. Et même, si on prête attention à l’avertissement qui vient d’être lancé avec angoisse par les plus de 15 000 scientifiques évoqués dans l’article précédent, on peut craindre qu’il ne s’agisse, pour les habitants de notre monde, que de survie.
À propos de ces BPM, la Banque mondiale a publié dans ses Working papers, une étude, datant de 2005, de Vijayendra Rao, un de ses économistes. L’auteur a remarqué que la démarche relative à la propriété commune s’applique, pour l’essentiel, à des biens physiques appelés en anglais GPG (global public goods). Il affirme qu’une action collective peut reposer sur ce qu’il dénomme les SPG (symbolic public goods).
Il étudie deux actions collectives conduites l’une en Inde, l’autre en Indonésie, toutes deux s’appuyant sur les ressorts du nationalisme.
En Indonésie, sous la présidence Soekarno, le programme communautaire engagé pour mettre en œuvre des plans de développement local s’est appuyé sur l’entraide entre les pauvres faisant appel à la pensée profonde des habitants, à leur culture, mais, aussi, à des mesures coercitives.
En Inde, c’est sur l’idéologie de Gandhi que le développement de villages auto-suffisants (panchayat) a été tenté, dans une forme de décentralisation démocratique.
Comparé à ce qui a été observé en Inde, l’Indonésie a pu mettre en place plus rapidement des services publics efficaces. En revanche, les libertés démocratiques et d’expression étaient moindres.
L’auteur estime qu’il fallait, dans les deux pays, non pas réduire les SPG, mais les accroître en faisant en sorte que soient développées l’équité et la démocratie en Indonésie et en donnant des moyens, en particulier fiscaux au panchayat indien.
Vaste programme !
1.5 Questions d’inclusion
En 2013, la Banque mondiale publie sous son propre timbre un document, de près de 300 pages, consacré aux question d’inclusion, Inclusion Matters : The Foundation for Shared Prosperity. Le nationalisme et la nation ne sont pas explicitement abordés, mais ne sont évidemment pas étrangers à chacun des sept chapitres ayant trait à la « prospérité partagée ». Cette étude ne sera pas abordée ici de manière approfondie, seules seront présentées les grandes lignes de chacun des chapitres.
La Banque remarque, en une sorte d’introduction, que les huit Objectifs du millénaire adoptés en 2000 par l’Organisation des Nations unies ne sont pas, tant s’en faut, tous atteints à la fin de 2017, alors qu’ils devaient l’être en 2015. Si des progrès réels ont été réalisés, aucun des huit maux n’a totalement disparu en totalité et, en particulier, l’Afrique est très en retard. En outre, les inégalités ont, partout, explosé, de même que la dégradation des services et la durabilité du développement s’est détériorée [5]. L’agitation socio-économique « massive » des dernières décennies « has catapulted » l’exigence d’inclusion sociale. Par ailleurs, la démographie, l’instabilité économique et les changements dans les équilibres internationaux ont, partout, sensiblement modifié les inclusions existantes.
- Que veut dire inclusion sociale ?
Parce que l’exclusion n’est pas acceptable en soi, mais encore parce ce qu’elle entraîne des coûts élevés, l’inclusion, nous dit la Banque, est indispensable. Individus et groupes doivent participer pleinement à la vie de la société. Toute mise sur la touche ou absence de considération en raison de l’identité des personnes rejetées doit être exclue. Il en va de la dignité des personnes, mais aussi de l’amélioration des capacités de chacun et des opportunités offertes à tous. Les auteurs remarquent que l’exclusion entraîne plusieurs axes de privation, comme la faiblesse des revenus par exemple, mais qu’il est indispensable que les améliorations soient atteintes sur chacun des domaines concernés. Obtenir des résultats positifs sur l’un d’eux est, bien entendu, nécessaire mais insuffisant. Si, entre 1990 et 2003, l’Afrique subsaharienne est parvenue à améliorer de dix points le pourcentage d’adultes alphabétisés qui a alors atteint 61 % des la population adulte de plus de 15 ans, en 2015, le PIB/habitant de cette population était 11 fois moindre que celui des pays à très haut développement humain.
- Qui sont les exclus et pourquoi ?
Si le sexe, la race, l’ethnie et la religion sont sans doute au premier rang des motifs d’exclusion, l’orientation sexuelle, le handicap et la nationalité sont aussi très prégnants. La plupart du temps, les exclus pour ces raisons cumulent tous les handicaps. L’exemple des Rohingya en Birmanie illustre monstrueusement ce qu’est capable d’engendrer l’être humain. Un million de personnes vivent en Birmanie depuis de nombreuses décennies, les intéressés parlent même de siècles. Las, ils ne pratiquent ni la même langue ni la même religion que la majorité de la population ! Ils deviennent alors le bouc émissaire de celle-ci, qui les rend coupables de tous les maux, imaginaires ou bien réels, qu’ils subissent. L’histoire regorge de ces avanies criminelles ; aucun continent ne semble y pouvoir échapper. Tout s’emmêle, chez les inclus comme chez les exclus, les normes sociales et les croyances qui, bien entendu, sont considérées, de part et d’autre, comme universelles. Le Rwanda offre aussi une « parfaite » illustration du processus dément, dans lequel le colonialisme n’est pas innocent, qui a conduit les Hutu à massacrer des centaines de milliers de Tutsi. Là encore, tous les réflexes et engrenages insensés, face au bouc émissaire, se sont enclenchés. Au Cambodge, à la fin des années 1970, on a vu se développer un processus s’appuyant sur un autre ressort soi-disant idéologique. Les Khmers rouges prétendirent changer le peuple en en exterminant sans doute le quart de celui-ci ! Dans son poème de 1953, à la suite des puissantes manifestations ouvrières à Berlin en juin de cette année-là, Bertold Brecht écrivait dans son poème « La Solution » : « ne serait-il pas/ plus simple pour le gouvernement/ de dissoudre le peuple/ et d’en élire un autre ? »
- S’inclure où et par quels canaux ?
Trois domaines sont identifiés comme, à la fois, obstacles et opportunités d’inclusion. En premier lieu celui des marchés – on est à la Banque, quand même– portant sur la terre, le logement, le travail et le crédit qui tous s’entrecroisent tant au niveau individuel qu’à celui des ménages. Les auteurs soulignent que, s’agissant de la terre, l’héritage colonial et la difficulté, voire l’impossibilité, des femmes d’y accéder, accentuent les exclusions. Dans les exemples qui viennent d’être donnés, le Moyen-Orient n’a pas été mentionné, mais il constitue cependant une des régions du monde les plus emblématiques de ces points de vue.
Les services sont le second domaine fertile en facteur d’exclusion, la santé et l’éducation constituent sans doute des sources d’inégalités. Les rapports annuels du PNUD sur le développement humain fournissent une excellente documentation à cet égard ; on y remarquera notamment que plus on descend dans l’examen des quatre regroupements opérés par l’agence des Nations unies, moins l’accès aux services, même les plus élémentaires, est aisé.
Enfin, les espaces physiques présentent un caractère social, politique et culturel qui entraînera de puissants processus d’inclusion ou d’exclusion. En France, par exemple, selon l’administration fiscale, la moyenne de l’impôt 2015 sur le revenu des personnes vivant à Saint-Germain-en-Laye dans les Hauts-de-Seine s’établissait à 6 534 euros, à Pantin en Seine Saint-Denis à 1 148 euros et à Tourcoing dans le Nord à 649 euros. On imagine aisément que les « opportunités » d’exclusion dans chacune de ces trois villes seront fort différentes.
- Transition, transformations et changement de contexte de l’inclusion
On sait que les changements dans les taux de fécondité et de mortalité ne présentent pas seulement d’implications sur la seule démographie. Les changements climatiques provoquent aussi de profondes modifications spatiales et entraînent une vulnérabilité accrue pour les groupes exclus. La COP 23, qui s’est achevée en novembre 2017 à Bonn, n’a arrêté aucune décision pour modifier les engagements pris à Paris par l’ensemble des pays quant à leurs émissions de CO2. Or tous les rapports montrent qu’ils que ces émissions conduiront à une augmentation supérieure à 3° C. L’objectif visé est pourtant de 2° C. Les Fidji sont précisément un des exemples de ce qui est décrit dans le document de 2013, les plus vulnérables pâtiront en premier de l’impéritie capitaliste. Une étude de la Banque mondiale datant pourtant de 2000 mettait déjà en évidence les conséquences du réchauffement pour les îles du Pacifique : augmentation des maladies, du nombre de tempêtes destructrices et graves perturbations des productions agricoles en raison de l’arrivée d’eau salée. L’étude chiffrait alors un dommage pouvant atteindre 52 millions de dollars 1998 ; la situation ne s’est pas arrangée depuis !
Ce sont ces mêmes populations qui outre ces graves atteintes qu’elles subissent doivent encore souffrir de déficits importants, malgré des améliorations, en matière d’éducation qui vont, notamment, les empêcher d’accéder à beaucoup de technologies de l’information.
- Perception de l’inclusion
La Banque affirme qu’au-delà de faits observés, la perception qu’en ont les individus et les groupes concernés, va influer sur l’inclusion ou, au contraire, renforcer l’exclusion.
Par exemple, ont été particulièrement observées les attitudes envers les migrants, les homosexuels, les porteurs du VIH et les femmes. Les attitudes envers ces groupes auront une grande influence de la société à leur égard.
- Changements à l’égard de l’inclusion
Les auteurs tentent de mettre en évidence les facteurs susceptibles d’améliorer les processus d’inclusion et les politiques qui peuvent les favoriser. L’État peut favoriser un environnement favorable ; concevoir des lois, des politiques et des programmes spécifiques ; en assurer la mise en œuvre et l’application du cadre juridique et politique adéquat. Il y faut des institutions d’État solides. Passer de l’exclusion à l’inclusion doit se poursuivre sur le long terme dans le cadre d’un calendrier précis. Deux exemples sont donnés pour appuyer cette vision : celui des pieds bandés des filles en Chine pendant dix siècles, et interdits au vingtième après l’avènement de la République populaire ; et celui de l’extension des services éducatifs aux Jordaniennes, qui a permis à 79 % de celles-ci de parvenir à une éducation secondaire en 2015, progressant ainsi de près de 20 points en une dizaine d’années.
- Promouvoir l’inclusion
Deux actions sont données en exemple comme facteurs de première importance. D’une part, la santé néonatale des mères avec un indicateur à suivre : le taux de mortalité des mères. En Inde, ce taux, en 2014, était de 190 pour 100 000 naissances ; 25 ans plus tôt, il était de 437. En 2009, l’UNICEF publiait un rapport sur la santé maternelle et néonatale. On y lit que l’Afrique subsaharienne, représentant 50 % du total mondial, et l’Asie du Sud, à 35 %, affichent les taux les plus élevés. Le risque de mortalité maternelle sur la vie entière pour une femme d’un des pays les moins avancés est 300 fois plus élevé que pour une femme qui vit dans un pays industrialisé. L’UNICEF note, sans surprise, que la pauvreté est le facteur premier de cet état de fait.
L’autre action est celle de l’attribution au femmes autochtones de titres fonciers pour les terres.
La politique est, selon les auteurs, l’élément essentiel d’une poursuite et d’une réussite de l’inclusion qui est une valeur en soi, mais aussi, qui se révèle être un puissant instrument de justice sociale et de bien-être humain. C’est particulièrement vrai à l’égard des migrants, comme l’a montré la courageuse action de la Chancelière Merkel qui, en 2015, accueillait 800 000 migrants en Allemagne, quelles que soient les arrière-pensées qui ont pu exister. Ils insistent sur le coût social, économique et politique de l’exclusion. Le monde de ce début du XXIe siècle le démontre à l’envi.
Le sentiment d’être inclus et respecté par les autres, ou d’être entendu par l’État, est essentiel pour bâtir l’être humain. La façon dont les États vont répondre à cette exigence déterminera la manière dont les populations s’intégreront, ou non, à la société.
2. Le progrès !
De 1960 à 2016, la quantité de biens et services mise à la disposition de chaque être humain (PIB/habitant), évaluée en dollars constants 2010, n’est pas loin d’avoir triplé. Selon la Banque mondiale, elle est passée de quelque 3 700 dollars à 10 400 dollars par an. La liste des bienfaits apportés par le système n’en finit pas de s’allonger : espérance de vie à la naissance, santé, éducation, etc. Mais, les chantres de ces « progrès » oublient d’indiquer les formidables inégalités – qui inspirent la peur – constatées à travers le monde. Par exemple, le PIB par habitant, qui est pourtant bien loin de présenter une figure fine des inégalités financières, était 14 fois plus élevé pour le 1,3 milliard habitant les pays classés par le PNUD en 2016 comme « à très haut développement humain », que pour les 930 millions survivant, pour la majorité, dans les pays « à faible développement humain ». 89 % des personnes d’au moins 25 ans dans le premier groupe ont acquis, au moins, une formation secondaire, tandis qu’elles ne sont que 20 % dans le deuxième. La mortalité chez les enfants de moins de 5 ans est établie à 6 pour 1 000 habitants dans les pays riches contre 84 chez les pauvres qui, d’ailleurs, se déclarent, à hauteur de plus de 60 %, insatisfaits des soins de santé. Chez les pauvres, le PNUD recense 27 % des enfants, de 4 à 14 ans, contraints de travailler. On pourrait poursuivre cette litanie dramatique tant les données sont nombreuses, et connues de tous, mais devant lesquelles les gouvernants préfèrent, sous la pression des très riches, prétendre que c’est ainsi !
Enfin, nous disent ces messieurs, « vous ne pouvez pas nier que les choses vont s’améliorant ». Les richesses ayant triplé en un demi siècle, comment pourrait-on comprendre qu’il y ait encore autant de crève-la-faim ? Et pourtant !
La FAO a publié, le 15 septembre 2017, L’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde. On verra, dans ce rapport que les vantardises du capitalisme méritent, en effet, d’être examinées. On observera la figure 1 reproduite ici comme une bonne image de la situation mondiale de la faim dans le monde. Le nombre des personnes sous-alimentées avait atteint près d’un milliard au début des années 2000 et n’avait cessé de décroître depuis pour parvenir à 775 millions en 2013. Depuis, la courbe retrouve une pente ascendante plus raide encore qu’au début du XXIe siècle puisque la FAO a compté, en 2016, 40 millions de sous-nutris de plus qu’en 2013 ; ils étaient alors 815 millions. N’allez pas penser que ce pourrait avoir quelque chose à voir avec la croissance des inégalités ! Pour une appréciation de celles-ci, on pourra se reporter, par exemple, aux figures 11 et 18 de Michelin doit être agile ! Comment voudriez-vous, mon pov’ Monsieur que, selon les derniers chiffres publiés par Janus Henderson Global Dividend, les propriétaires du capital puissent s’attribuer, sur une année, près de 450 milliards de dollars ? Ne vous tracassez pas, ça ruissellera !
En attendant, si la prévalence de la sous-alimentation au niveau mondial a augmenté ces trois dernières années pour atteindre 11 %, c’est de presque 34 % qu’il s’agit pour l’Afrique de l’Est. Pour autant, les pays pauvres sont, aussi, assujettis aux conséquences de l’excès pondéral et à l’obésité comme on le voit sur la figure 7 ci-après. Ce sont, évidemment, l’Europe et l’Amérique du Nord, rejointes par l’Australie, et les îles environnantes, qui sont les premières touchées mais, on voit que l’Afrique et l’Asie se sont vu de plus en plus touchées par ce fléau de santé. En effet, l’OMS met clairement en garde contre les risques provoqués par le surpoids et l’obésité, et notamment en raison des maladies cardiovasculaires ou dégénératives et des cancers. Mais, ajoute l’Organisation mondiale de la santé, les pays pauvres doivent faire face aux maladies infectieuses et à la dénutrition mais aussi, parfois pour une même famille, à l’obésité, y compris chez les enfants. À cet égard, on sait aussi le rôle néfaste de l’industrie alimentaire, en particulier pour son usage immodéré du sucre.
On ne sera guère surpris de lire que c’est dans les pays en conflit, avec ses conséquences directes et indirectes, que l’insécurité alimentaire est la plus forte. Au rôle profondément néfaste que joue le négoce transnational dans la formation des prix des matières premières agricoles, s’ajoutent les « émeutes de la faim ». On reproduit ci-dessous le graphique 20 de la page 61 qui illustre la perversion tragique de la guerre. Mais, là encore, on constate que la faim est susceptible de participer au déclenchement de conflits et à leur aggravation. De même, les événements climatiques extrêmes – dont on sait qu’ils vont se multipliant – en particulier les sécheresses, sont susceptibles d’être à l’origine de conflits ou à de leur aggravation. Ce serait 60 % des 815 millions d’êtres humains en insécurité alimentaire qui se retrouvent en zones de conflits ; et près de 80 % pour les enfants. Comme on pourra le voir sur la carte présentée à la page 38 du rapport, l’Afrique paie, là encore, un lourd tribut ; l’examen des cartes présentées page 47 à propos du Soudan du Sud est poignant ! En outre, les conflits et leurs conséquences quant à l’alimentation auraient provoqué, en 2016, le déplacement de 15 millions de personnes.
Les auteurs du rapport ont eu la bonne idée de présenter, dans la figure 22 de la page 77 reproduite ci-dessous, les secteurs qui leur semblent favoriser les adaptations les plus utiles pour les populations face aux crises. Ils ont identifié huit secteurs pour lesquels ils ont mesuré, sur la période 2006-2016, les besoins de financement acquis et ceux qui ne l’ont pas été. On notera que n’ont été recensés que les seuls projets ayant fait appel au système des Nations unies. En 2016, c’est la moitié des besoins en matière d’alimentation qui n’a pu recevoir les financements nécessaires et donc, qui n’ont pu être réalisés, soit quelque 2 milliards. Avouez que ce n’est pas rien, comparés aux 450 milliards de dollars de dividendes versés en 2016 et évoqués plus haut !
3. Développement durable ?
3.1 Des métaux vertueux ?
Le point d’interrogation qui accompagne le titre de cet article ne vise pas à interroger sur la nécessité du caractère durable de toute activité humaine, mais sur la compatibilité entre « développement » et « durable ». Ou, plus exactement, sur les conditions minimales exigées d’un « développement » pour qu’il soit « durable ».
Quand, en 1972, Dennis Meadows et trois autres chercheurs, publient pour le compte du Massachusetts Institute of Technology (MIT), The Limits To Growth, commandé par le Club de Rome, ils ne connaissaient pas encore le retentissement de ce document qui, peu ou prou, allait porter sur les fonts baptismaux la théorie de la croissance zéro. Le Club de Rome, instance strictement privée, avait été créé quatre ans plus tôt, et son premier président en fut un industriel italien. L’idéologie du Club – la fin des Trente Glorieuses n’avait pas encore été prononcée – et son caractère privé allaient susciter de très nombreuses réactions critiques de tous bords. Pourquoi donc vouloir réduire la croissance que le PCF, par exemple, déclarait indispensable à la classe ouvrière et devant laquelle le patronat se prosternait ? Les alertes des dangers de la croissance carbonée étaient pratiquement inexistantes et, en tout cas, parfaitement inaudibles [6].
Près d’un demi-siècle plus tard, les activités humaines responsables essentielles du considérable réchauffement climatique, en raison de l’émission des gaz à effet de serre qu’elles provoquent, sont très bien documentées ; d’ailleurs elles ne sont pratiquement plus contestées. En revanche, le capitalisme défend toujours avec la dernière énergie son modèle destructeur à la fois pour l’environnement et pour une part de plus en plus grande de l’humanité.
Le 18 juillet 2017, la Banque mondiale publiait The Growing Role of Minerals and Metals for a Low Carbon Future. Le sous-titre aurait pu en être « le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions ». L’institution de Washington étudie l’évolution de la demande de minéraux et métaux qui sont indispensables à la fabrication des équipements nécessaires au développement de l’éolien, du solaire et stockage de l’énergie et doivent donc permettre de supprimer ou limiter le recours aux matières premières carbonées. Les lithium et autre cobalt vont-ils devoir être considérés, avec tant d’autres, comme agents de ce modèle destructeur ? On assiste et assistera à une augmentation de la demande d’acier, d’aluminium, d’argent, de cuivre, de plomb, de lithium, de manganèse, de nickel et de zinc, ainsi que de terres rares. Plus la proportion des énergies renouvelables augmentera dans la quantité globale produite, plus le recours à ces métaux ira croissant, en particulier pour le nickel, le cobalt et le lithium. La demande de ce dernier élément est estimée devoir être décuplée d’ici 2050. Or les réserves sont, bien évidemment, finies
Se posent aussi deux autres questions : la localisation de celles-ci et leur mode d’extraction. C’est la Chine qui, de loin, est le premier détenteur de ces minéraux et métaux. Une fois encore, on voit là que de graves difficultés risquent d’apparaître tant que ce type de matières ne sera pas traité comme bien public mondial. À ces risques pour demain s’ajoutent les perversions d’aujourd’hui, profondément accentuées par le capitalisme. Par exemple, 65 % du cobalt proviennent du Congo (Kinshasa) qui exploite dans ses mines une main-d’œuvre enfantine ; plusieurs de ces bambins ont moins de huit ans ! Les protestations n’y font rien. Que voulez-vous, on ne va quand même pas priver le monde de tous ces engins connectés !
Depuis le milieu des années 1970, la population mondiale a, environ, doublé. Selon l’Agence internationale de l’énergie, sa consommation a été multipliée par près de 4. Comme on peut le craindre, cette consommation est très inégalitaire. Selon la Banque mondiale, la consommation d’énergie électrique par habitant était estimée, au niveau mondial en 2014, à plus de 3 100 Kwh/habitant ; cette moyenne couvrait de considérables disparités allant de plus de 13 000 KWh/ par habitant de l’Amérique du Nord à quelque 200 Kwh pour chacun des 950 millions d’êtres humains habitant les pays les moins développés (PMA). Bien sûr, le capitalisme est indéniablement gagnant dans cette course au « progrès », mais quid de l’humanité ? Posant cette question, on risque fort de se heurter à un goguenard, « alors, vous voulez qu’on en revienne à la bougie ? ». Certainement pas, ne serait-ce que parce que la quantité de particules fines émises alors, atteindrait des doses mortelles... Mais le génie humain ne saurait-il trouver d’autre choix que la bougie ou le nucléaire ?
On ne fera pas ici l’analyse des différents rapports 2017 se rapportant à l’énergie dans le monde. Quelques observations, cependant, pour confirmer que les questions relatives à la production d’énergie dans le monde sont lourdes de conséquences. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) a publié le 4 octobre 2017 Renewables 2017. On y notera des informations encourageantes pour les émissions de gaz à effet de serre : en 2016, la puissance nette en photovoltaïque a augmenté de 74 GW (gigawatts), 52 GW pour le vent et 164 GW pour les autres renouvelables. A contrario, le charbon n’aura augmenté que de 57 GW et le gaz de 29 GW. L’Agence donne le tableau reproduit ici, qui indique, pour quatre périodes différentes, dont 2017-2022, la nature des capacités nouvelles installées en renouvelables.
On voit ci-dessous l’évolution sur 20 ans, dont une prévision pour 2016-2022, de la répartition de l’énergie d’origine pour la production d’électricité
On remarque par ailleurs que le prix de revient du photovoltaïque, estimé à 170 dollars/MWh en 2013, devrait descendre à 30 dollars en 2020. L’AIE souligne que, pour la première fois, une seule source, le solaire, est le premier facteur « de croissance de la capacité, nette, de production d’énergie », dont la moitié est due à la Chine. L’Agence précise que « l’électricité renouvelable produite devrait donc atteindre [en 2022] 8 000 TWh à cet horizon, ce qui correspond à la consommation totale actuelle d’électricité de la Chine, de l’Inde et de l’Allemagne ». Ce seront alors 30 % de la production électrique, contre 24 % en 2016. En 2022, le charbon restera la première source d’énergie primaire pour la production d’électricité, à cette époque la croissance annuelle de sa consommation sera encore de 0,8 % contre 3,3 % au début des années 2010. Pour les transports, la part du renouvelable, de l’ordre de 4 % en 2016, devrait peu varier pour atteindre 5 % en 2022, dont la majeure partie relevant des agrocarburants, dont on sait les très graves dangers par ailleurs. Pour la production de chaleur, la part des renouvelables représentait 9 % en 2016 et s’établira à 11 % en 2022.
3.2 Chouettes, les élevages industriels !
Une étude, publiée fin septembre 2017, met en évidence que les quantités de méthane (CH4) produites dans le monde par l’élevage, seraient plus élevées que les estimations du GIEC présentées en 2006.
On sait que le CH4 a une capacité de réchauffement climatique supérieure à celle du CO2 ; fort heureusement, sa durée de vie dans l’atmosphère est d’une douzaine d’années, alors qu’il s’agit de deux siècles pour le gaz carbonique.
Les trois chercheurs, auteurs de l’étude parue dans Carbon Balance and Management, indiquent que la quantité de méthane constatée en 2011 est supérieure de 11 % à celle indiquée par le GIEC en 2006. Le nombre de bovins, en particulier, s’accroît et atteignait en 2013, selon la FAO, près de 15 milliards de têtes contre 13 en 2000. En outre, d’une part, la taille de ces animaux a crû et ils absorbent, en conséquence, une plus grande quantité de nourriture à l’origine de la production de méthane ; d’autre part, le mode de traitement des déjections, elles-mêmes fortement plus élevées, entraîne une production de CH4 plus importante. De plus, si les quantités émises en Europe avaient un peu baissé et avaient progressé moins vite que précédemment en Amérique du Nord, elles avaient très fortement augmenté en Asie, en Amérique du Sud et en Afrique. Or le GIEC indique que les émissions de gaz à effet de serre sont dues au méthane pour 16 %.
Devrait-on véritablement se réjouir en constatant que la consommation annuelle mondiale de viande est passée de quelque 10 kg/habitant au début des années 1960 à près de 33 kg/habitant au milieu des années 2010 ? En n’oubliant pas de remarquer, là encore, que les inégalités sont considérables, puisque, selon l’OCDE, le rapport au milieu des années 2010, serait environ de 1 à près de 7 entre les populations les plus riches et les plus pauvres.
3.3 Tant pis pour les abeilles !
On sait le rôle essentiel des abeilles dans la reproduction des plantes à fleurs et, partant, la place qu’elles tiennent dans la biodiversité. Le 6 octobre 2017, la revue Science publiait Nerve agents in honey dans laquelle les auteurs s’alarmaient des graves dangers que la contamination des abeilles par les néonicotinoïdes faisait peser sur la biodiversité mondiale.
75 % des miels analysés, en provenance d’Alaska, d’Australie, de Madagascar, d’Europe et d’Asie, contiennent au moins une des molécules entrant dans ces néonicotinoïdes. Après avoir consulté quarante études relatives aux doses à partir desquelles ces substances sont nocives, les chercheurs ont établi que l’exposition chronique à de faibles doses – ce qui est le cas – est associée à des troubles dits « sublétaux » qui entraînent des dérèglements cognitifs conduisant, par exemple, les abeilles à ne plus retrouver le chemin de leur ruche et entraînant par ailleurs un effondrement de la capacité des populations à se reproduire.
4. Malade, il suffit de se faire soigner !
En 1969, Sydney Pollack, mettait en scène, dans les États-Unis de la Grande Dépression, l’engouement populaire pour participer à des marathons de danse qui promettaient au couple qui dansera le plus longtemps, d’empocher une belle somme. Pas difficile de trouver, dans la foule au chômage, suffisamment de monde pour s’offrir en spectacle jusqu’à l’épuisement final.
Bien sûr, en France de ce XXIe siècle, on est à l’abri de pareilles horreurs… On pourra lire La France offre les meilleurs soins de santé ? Si toutefois on avait quelque doute sur la solidité et la rectitude de notre économie en particulier notre système de santé, on recommande vivement de lire le compte rendu d’un débat, auquel participait notamment le Professeur Grimaldi, et intitulé Quel est le coût de la souffrance à l’hôpital ?
La Banque mondiale fournit, en matière de santé sur la période 1995-2014, comme dans bien d’autres secteurs, plusieurs données fort utiles pour éclairer le débat.
Calculées en parité de pouvoir d’achat, établies en dollars internationaux constants de 2011, les dépenses de santé, par habitant, s’établissaient en 2014 à 1 271 $ au niveau mondial, alors qu’elle étaient de 481 $ en 1995 ; elles avaient presque triplé. C’est le même ordre de grandeur de croissance pour les PMA à ceci près... qu’elles sont passées de 38 $ à 111 $. Dans les pays membres de l’OCDE, c’était 1 876 $ en 1995 contre 4 701 en 2014. Aux États-Unis, il s’agissait de 3 788 $ et 9 403 $. Pour la France, les chiffres étaient respectivement de 2 102 $ et 4 508 $ c’est-à-dire la moitié des dépenses états-uniennes ! Le gouvernement français, si friand de vanter le dynamisme de notre voisin d’outre-Atlantique, ne doit pas être informé de ce gap qui réserve pourtant une possibilité de croissance si fabuleuse...
Pour se faire soigner, encore faut-il être en vie. Dans les pays les moins développés (PMA), pour 1000 naissances, 84 enfants meurent avant l’âge de cinq ans, alors que, dans les pays les plus riches, il y en a six. Dans ces PMA, sur le total des dépenses de santé en 2014, 60 % étaient à la charge des individus (22 % pour l’Union européenne). La santé des populations dépend évidemment de nombreux facteurs sociaux, environnementaux, sanitaires, etc. Parmi ceux-ci, le revenu en est peut-être un des premiers. Le PIB/habitant est largement insuffisant pour rendre compte des inégalités de revenus, néanmoins il donne une première image des inégalités, comme le montre le tableau ci-dessous pour quelques régions du monde, à partir des données de la Banque mondiale, exprimées en parité de pouvoir d’achat (dollars états-uniens constants 2010). En monnaie constante, on remarque, sur la période, que le PIB/habitant de l’Amérique du Nord a plus que triplé, alors que celui de l’Afrique subsaharienne a tout juste crû de quelque 50 %. Mais cet indicateur n’est d’aucun secours pour mesurer les inégalités internes dans chaque territoire.
1990 | 2016 | |
---|---|---|
Monde | 3689 | 10390 |
Afrique subsaharienne | 1083 | 1631 |
Amérique du Nord | 17096 | 52002 |
Asie du Sud | 312 | 1691 |
OCDE | 11330 | 38311 |
Zone euro | 10807 | 39105 |
Dans son rapport annuel sur le développement, le PNUD calcule pour chaque pays l’index Gini [7], qui allait en 2016 de 0,25 pour la Norvège ou la Slovénie à 0,61 pour Haïti. Mais, comme indiqué, les inégalités à l’intérieur de chacun d’eux ne sont pas mesurés par le PIB/h, il faut avoir recours à d’autres données, par exemple cet index Gini qui mesure, pour chaque part de la population, la fraction de revenu à laquelle elle a droit. Ainsi, on note que l’Angola, doté de ressources pétrolières, présente en 2016, un PIB/h de 6 937 dollars soit quelque 9 fois celui du Congo ; pour autant leurs populations font, l’une et l’autre, partie des plus déshérités et leurs deux pays présentent un index de 0,42 !
On trouvera dans le tableau ci-dessous, pour quelques pays ou régions, les indicateurs tirés des rapports Banque mondiale ou PNUD et rendant compte de l’environnement de la santé dans le monde. Les pourcentages indiqués en 1995 et 2014 représentent la part des dépenses de santé non remboursées.
Zone géographique | 1995 | 2014 | Espérance de vie à la naissance (années) |
---|---|---|---|
Monde | 17,40% | 18,17% | 71,6 |
États-Unis | 14,40% | 11,00% | 79,2 |
Afrique Nord Moyen Orient | 48,30% | 44,30% | 73 |
Afrique S/Saharienne | 35,50% | 34,50% | 58,9 |
PMA | 55 ;90% | 46,70% | 63,6 |
Union européenne | 13,80% | 15,90% | 79,4 |
France | 7,60% | 6,30% | 82,4 |
Afrique du Sud | 17,50% | 6,50% | 57,7 |
Cambodge | 78,60% | 74,20% | 68,8 |
Vietnam | 62,90% | 36,80% | 75,9 |
Égypte | 47,90% | 55,70% | 71,3 |
Russie | 16,90% | 45%,8% | 70,3 |
Inde | 67,50% | 62,40% | 68,3 |
Maroc | 51,90% | 58,40% | 53,1 |
Nigeria | 72,10% | 77,70% | 53,1 |
Royaume-Uni | 10,90% | 9,7% | 80,8 |
Allemagne | 10,00% | 13,20% | 81,1 |
Yémen | 64,70% | 76,40% | 64,1 |
L’espérance de vie à la naissance n’est pas, seule, capable de renseigner pleinement sur l’état de santé de la population considérée, il est simplement indiqué ici pour marquer quelques références.
En revanche, on remarquera que les dépenses de santé non prises en charge ont, sur la période, augmenté au niveau mondial, de même que, pour les zones répertoriées, l’Union européenne, le Maroc, le Nigeria, le Yémen, l’Allemagne sur laquelle nombre de responsables français recommandent de prendre modèle. On mentionnera deux pays, l’Afrique du Sud et la Russie qui, chacun, s’en sont allés dans des directions radicalement opposées. Dans le premier, une fois vaincue l’exploitation raciale, les quelque 80 % de Noirs ont pu accéder à une protection de santé prise en charge au niveau public à un niveau comparable à celui de la France ; à l’inverse, la Russie, une fois jetée dans les bras capitalistes, se place en queue de peloton en matière de prise en charge publique des dépenses de santé.
La santé et l’éducation sont des éléments essentiels de ce qui devrait être considéré comme des services publics mondiaux, ces communs, cesBPM qu’il faut impérativement mettre hors de la portée des marchés, mais à la disposition de tous.
Il y a plus de trois siècles, La Fontaine avertissait que « s’il n’en mouraient pas tous, tous étaient frappés » de la terrible peste. Heureusement, l’un des animaux, un fort, trouva le remède : sacrifier un baudet qui, l’inconscient, avait avoué avoir goûté l’herbe tendre d’un pré. Rien de mieux, en effet, que de pourfendre le plus faible, dont chacun sait pourtant qu’il n’est pour rien dans le drame.
Le 20 septembre 2017, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) publiait un rapport s’inquiétant « d’un grave manque de nouveaux antibiotiques en développement ». Le directeur général de l’OMS souligne la gravité de la situation en affirmant que « la résistance aux antimicrobiens est une urgence sanitaire mondiale qui met sérieusement en péril les progrès de la médecine moderne ». En étudiant 51 nouveaux antibactériens en développement clinique, le rapport souligne, en premier lieu, que huit, seulement, de ces éventuels futurs médicaments se révèlent être « des traitements innovants ». Ce n’est pas la première fois que l’OMS alerte que l’augmentation de « la résistance aux antimicrobiens est une urgence sanitaire mondiale qui met sérieusement en péril les progrès de la médecine moderne ».
Par exemple, la tuberculose qui tue 250 000 personnes par an ne peut être traitée par antibiotiques oraux pourtant indispensables en dehors de l’hôpital. Selon l’OMS, il faut 800 millions de dollars annuels pour mettre au point les médicaments appropriés et leur bon usage.
Plus largement, l’OMS redoute que, d’ici à 2050, le monde doive faire face à 10 millions de morts annuelles dues à des bactéries résistantes aux antibiotiques connus. [8]
5. Alors le ruissellement ?
Encore une pelletée sur la « théorie » du ruissellement ? Le ministre français de l’économie, des finances et de l’industrie affirmait le 9 octobre 2017, ne « pas [y ] croire » ; il poursuivait en affirmant « c’est une ânerie, ça n’existe pas ». Il a raison. En revanche, la liste est longue de ceux qui n’y croient pas mais qui, quand ils sont au pouvoir, en adoptent les principes. Monsieur Le Maire, se qualifiant lui-même d’authentique homme de droite, est de ceux-là.
Le projet de loi de finances 2018 est emblématique à cet égard. On en trouvera une excellente présentation fournie par Solidaires Finances publiques, intitulée avec une pertinence ironique, « Un retournement capital ». C’est lui en effet, le capital ou plutôt ses propriétaires, qu’il s’agit de privilégier. L’impôt sur les société (IS) est un très bon outil pour ce faire (voir L’impôt sur les profits). Ainsi, en trente ans, le taux nominal moyen de l’IS est passé pour les quinze plus anciens pays adhérents de l’UE, de quelque 44 % à 25 % en 2016. Le ruissellement semble bien être une « ânerie » puisque, selon Eurostat, on compte, en mars 2017, près de 20 millions d’hommes et de femmes au chômage et, selon un communiqué d’Eurostat du 17 octobre 2016, le nombre de personnes menacées de pauvreté ou d’exclusion sociale était de 119 millions.
Baisser l’IS – ce qui se pratique largement comme en témoigne la figure 1.17 de l’étude du FMI – est cependant insuffisant pour les gros appétits du CAC 40. Ajoutez-y, au moins une flat tax, comme on dit sur les rives du Potomac et de la Tamise, là où on laisse prospérer ceux qui le « valent bien ». Le gouvernement de Monsieur Macron prévoit donc d’instaurer une taxe forfaitaire de 30 % qui remplacera les prélèvements progressifs allant jusqu’à 45 %, entrant dans l’impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux (17,2 % à partir de janvier 2018). Ce PFU (prélèvement forfaitaire unique) s’appliquera aux intérêts, dividendes – près de 56 milliards [9] d’euros versés par les entreprises du CAC 40 en 2016 – et plus-values.
Enfin, que voudriez-vous qu’il soit encore besoin d’un impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ? Foin de solidarité, puisque ça va ruisseler !
À ce stade, ce seront, en année pleine, quelque 20 milliards d’euros de recettes fiscales en moins, près de 14 % des recettes fiscales 2016, hors TVA. Allez, les riches, il y en aura d’autres et le quinquennat ne fait que commencer !
Une équipe de trois économistes, dont le Français Gabriel Zucman, s’interroge, dans une étude publiée en septembre 2017, sur qui peut bien détenir la richesse cachée dans les paradis fiscaux et se demande si cette « pratique » pourrait être en lien avec l’inégalité mondiale : Who owns the wealth in tax havens ?
Cette richesse était évaluée par le Boston consulting group (BCG), pour l’année 2016 à quelque 165 000 milliards de dollars [10] dont 72 000 milliards de dollars accaparés par seulement quelque de 18 millions d’individus parmi lesquels on remarquait une certaine « inégalité » :
- 10 millions de riches (affluent) possédant chacun entre 250 000 et 1 million de dollars ;
- 5 millions de « petits » (lower) riches possédant chacun entre 1 et 20 millions de dollars ;
- 1,6 million de riches « supérieurs » (upper) possédant chacun entre 20 et 100 millions de dollars ;
- 1,4 million d’ultra-riches possédant chacun plus de 100 millions de dollars.
Les « ultras », comme les désigne élégamment le BCG, ne représentent qu’une infime minorité de la population mondiale, mais possèdent, hors biens immobiliers, plus de 13 000 milliards de dollars. Pour donner des repères de grandeurs, le PIB, en 2016, de l’Afrique subsaharienne était de 10 % environ de ce montant. Avouons que le ruissellement présente quelques pertes en ligne.
L’étude des trois économistes estime que les paradis fiscaux « abritent » des montants équivalents, en moyenne, à 10 % du PIB mondial ; elle précise que, selon les zones géographiques, ce pourcentage est très variable et atteint plus de 70 % pour les Émirats. On notera, dans le tableau reproduit ci-après, que huit pays dépassent les 20 % du PIB mondial. On y voit, entre autres, que « l’aide » apportée à la Grèce par l’Union européenne et le FMI a eu des résultats conformes aux meilleurs canons de la probité et de l’économie !
Les auteurs ont pris le soin d’ajouter à leurs propres calculs deux autres séries, l’une est celle du BCG, l’autre est calculée par la Banque nationale suisse. Le graphique qui est reproduit ci-dessous trace les courbes de 2001 à 2015 pour celle des auteurs et de 2005 à 2015 pour celle du BCG. Chaque point marque, en pourcentage du PIB mondial, en ordonnées, correspondant à l’année considérée, en abscisses. La troisième, de 2001 à 2015, est reprise des données collectées par la Banque nationale suisse et ne porte que sur les comptes offshore ouverts en Suisse. On observera, sur chacune des trois courbes, un décrochage en 2007, au moment de la Grande récession. Les auteurs de l’étude parviennent, en 2015, à une évaluation des sommes présentes dans les paradis fiscaux de près de 12 % ; pour le BCG, ce serait deux points de PIB en plus.
Un autre graphique reproduit lui aussi ci-après (Taxes dues en pourcentage du PIB mondial (ordonnées), distribuées par déciles et centiles), évalue la part du revenu dissimulé dans les paradis fiscaux en fonction de la richesse de « l’investisseur ». Pour les 0,01 % les plus riches, la précision en ordonnée va jusqu’au centile. On voit ainsi que l’ânerie dénoncée par Monsieur Le Maire quant au ruissellement en est une belle, puisque la moitié de la fortune des 0,01 % les plus riches est mise dans ces hauts lieux de l’investissement mondial que sont les paradis fiscaux !
Taxes dues en pourcentage du PIB mondial (ordonnées), distribuées par déciles et centiles
Quand est évoqué ce que font les 0,01 % de riches de leurs avoirs financiers, on peut sans se tromper vraiment répondre qu’ils s’en servent pour spéculer de manière à les augmenter encore. Un bon instrument de spéculation est constitué par les produits dérivés. La Banque des règlements internationaux, BIS en anglais, dresse tous les trois ans, un état de la finance mondiale. Dans la dernière livraison de 2016, on apprend que la moyenne quotidienne extravagante du chiffre d’affaires des ces produits sur devises, over the counter (OTC), est de quelque 2 700 milliards de dollars en 2016. L’encours, lui, était évalué en juin 2016 à plus de 700 000 milliards de dollars (près de dix fois le produit brut mondial 2016) dont 95 %, au moins, seraient d’ordre spéculatif et ne servirait en rien le fonctionnement de l’économie. Sauf à le perturber gravement. L’encours, lui, était évalué en juin 2016 à plus de 700 000 milliards de dollars dont 95 %, au moins, seraient d’ordre spéculatif et ne serviraient en rien le fonctionnement de l’économie. Sauf à le perturber gravement.
On sait que le gouvernement de Monsieur Macron veut baisser les impôts en France ; son Premier ministre, Monsieur Philippe, ne se cachait pas et déclarait, lors de son intronisation, « il se trouve que je suis moi-même un homme de droite ». Aussi pouvait-il, quelques mois plus tard, préciser la politique de son gouvernement, « nous voulons baisser les impôts parce que nous pensons qu’il y une trop grande pression fiscale dans le pays, parce que nous pensons que cette fiscalité nuit à la compétitivité des entreprises et du pays en général ».
Pourtant cette droite, et bien d’autres, se trompent. Sans doute, pourra-t-on lire ici et là que Les Possibles sont de parti pris ; à coup sûr, cette revue s’attache-t-elle à montrer l’inanité, et surtout le caractère dangereux des politiques néolibérales. Mais elle n’est pas seule à emprunter cette voie ; Olivier Blanchard, alors économiste en chef du FMI et un de ses économistes, publiaient un mea culpa indiquant que le multiplicateur budgétaire [11] utilisé par le Fonds qui, jusque là, était de 0,5 était, en fait « probablement supérieur à 1 ». Mais l’institution, qui ne peut guère être considérée comme une officine gauchiste, récidive en juin 2016 en publiant un brûlot démontrant que le néolibéralisme était survendu.
Pour être certain d’avoir bien été compris, le FMI publie l1 octobre 2017 non plus un « simple » working paper mais un Tackling inequality tout à fait officiel. Cette étude de 130 pages est présentée ainsi : « si certaines inégalités sont inéluctables dans un système économique fondé sur le jeu du marché, des inégalités trop fortes peuvent fragiliser la cohésion sociale, créer des clivages politiques et, à terme, freiner la croissance économique [...] Elle [l’étude] s’intéresse à trois questions importantes : les taux d’imposition dans le haut de l’échelle des revenus, l’instauration d’un revenu de base universel et le rôle des dépenses publiques dans l’éducation et la santé ».
Toutes les prescriptions gouvernementales françaises, présentées comme le summum de la modernité, mais qui sont en fait aussi vieilles que le capitalisme, sont réfutées dans l’étude. On ne sera guère surpris de lire qu’une fiscalité progressive plus élevée est un excellent moyen pour réduire les inégalités, mais encore est-il clairement indiqué que, contrairement à ce qui est souvent proclamé dans les cercles des pouvoirs, « il n’existe pas de preuve montrant que cette progressivité serait préjudiciable à la croissance ». En matière d’inégalité, on voit sur la figue 1.2.2, reproduite ici, que la concentration de la richesse, tout particulièrement financière, est bien réelle ! Ce que l’étude montre, face à cette réalité, est que la fiscalité est, à la fois, capable de réduire les inégalités et, ce faisant, n’entrave pas la croissance. Faut-il avertir Monsieur Macron que, quand il affirme « si les gens n’investissent pas plus dans l’économie, ils seront taxés », il ne sait pas ou il est mal informé ? Les ultra-riches – les premiers de cordée – n’investissent pas dans l’économie, ou à peine à la marge. Peut-être sont-ils conscients, eux, qui ne se sont jamais embarrassés de cordes. Les dividendes qui sont versés, chaque année, par les transnationales à leurs propriétaires, influencent fort peu les investissements directs à l’étranger (IDE) recensés par la CNUCED. Entre 2010 et 2015, les premiers, atteignant 1 160 milliards de dollars par an, avait crû de 48 % par rapport à 2010. Sur la même période, il ne s’agissait que de 14 % pour les IDE.