Mardi 16 juillet, lancement du village... et de la répression
Depuis plusieurs jours, le ministère de l’Intérieur et les préfectures des différents départements font monter la pression. 4 000 forces de l’ordre, plusieurs hélicoptères, des drones sont là pour encadrer, surveiller, contrôler les participant·es au village de l’eau. Les contrôles policiers les plus absurdes se multiplient aux abords du village, avec des fouilles et saisies de divers objets inoffensifs.
Gérald Darmanin avait utilisé la même stratégie de montée de la tension en mars 2023 à Sainte-Soline, et en Maurienne contre les militant·es venu·es manifester contre la nouvelle ligne Lyon-Turin. Mais nous ne tomberons pas dans ce piège.
Le village de l’eau est un moment de rencontres, de débats, d’actions pour mettre fin à l’accaparement de l’eau au profit de quelques intérêts privés et, dans l’immédiat, obtenir un moratoire sur la construction des mégabassines.
Le premier jour du village a donné lieu à une grande assemblée générale de lancement de la campagne contre Bolloré et son monde. Car si l’eau est notre sujet prioritaire, la situation politique actuelle, la lutte contre l’extreme-droitisation de la société est indissociable de nos combats pour le partage solidaire des communs, comme l’eau.
Ce premier jour du village a donné à voir le développement des luttes pour l’eau, en France comme dans d’autres pays. En effet, depuis plusieurs mois se sont multipliés les collectifs Bassines non Merci, dynamisant l’action des associations plus anciennes de défense de l’eau.
Ces collectifs, en lien avec des syndicats paysans comme la Confédération paysanne ou le MODEF, mènent des campagnes d’information et des actions pour sensibiliser les populations à la nécessité du partage et de la solidarité, dans un contexte ou les dérèglements climatiques et la crise écologique imposent un usage raisonné et sobre des ressources, et donc une bifurcation profonde des nos modèles agricoles.
Les appels de la Coordination rurale à venir semer le désordre aux abords du village de l’eau sont d’autant plus graves et déplacés par rapport à des enjeux qui concernent tant les paysans que l’ensemble des usager·es de l’eau. Le même type de problèmes se pose dans de nombreux pays, au Nord comme au Sud, dont des militant·es sont présent·es aujourd’hui.
La question de l’eau se pose de manière particulièrement dramatique dans certaines régions du monde, comme en Palestine, où l’apartheid imposé au peuple palestinien s’appuie sur la captation de l’eau du Jourdain au profit du projet colonial israélien. De telles situations seront abordées dans les ateliers mercredi, car le village de l’eau, c’est aussi le village de la solidarité internationale !
Vincent Gay, secrétaire général d’Attac, explique l’importance des rencontres et des solidarités inter-organisations. Attac est présente au village de l’eau, dans les Deux-Sèvres jusqu’au 21 juillet, avec de nombreuses organisations, syndicats et collectifs.#villagedeleau pic.twitter.com/mUhrB1eraf
— Attac France (@attac_fr) July 17, 2024
Mercredi 17 juillet - Le contrôle de l’eau, outil de domination coloniale
Ce matin, la question palestinienne était au cœur des débats. L’accaparement de l’eau comme enjeu de la colonisation à été abordée ainsi que le rôle de collaboration des États européens dans le génocide en cours.
Convergence des luttes, de l’agriculture à l’écologie. Le gouvernement et les médias instrumentalisent le soit disant clivage entre luttes écologistes et agriculteurs. Cette diabolisation entraîne des appels à la violence, comme ceux de la Coordination Rurale incitant au désordre aux abords du "village de l’eau" et des attaques physiques sur les convois à vélo. Tout l’enjeu est de remettre les paysans au centre de nos relations avec le vivant. Hier après-midi, l’histoire de la FNSEA a été racontée lors d’une conférence. C’est l’histoire de la cogestion au service du productivisme et de l’agro-industrie. Ensuite des ateliers ont permis de penser des alliances inter-espèces et une agriculture à la mesure du changement climatique.
Violence et répressions policières.
Mardi soir, le convoi de Bordeaux a été violemment attaqué : deux personnes sont toujours à l’hôpital suite à une attaque de nuit sur le terrain de la ferme qui les accueillait. Des vélos ont été cassés et volés. Pour continuer leur route, un bus a dû être affrété. À ce jour, les auteurs de l’agression sont toujours inconnus. Alice, porte-parole d’Attac souligne que « le déploiement des forces de l’ordre serait mieux employé pour assurer la protection des personnes qui convergent vers le village. Heureusement, elles le font en masse sans être découragées. Les nombreux barrages empêchent également la circulation libre des habitant·es ».
Agression violente du convoi parti de Bordeaux
Hier soir, un des convois de l’eau a subi une violente agression, alors qu'il campait dans une ferme. Depuis leur départ, les convois font halte dans des fermes solidaires en soutien à la lutte.
Deux personnes ont été blessées 🧶⤵️ pic.twitter.com/Lwdsa6dYlu
— Les Soulèvements de la terre (@lessoulevements) July 17, 2024
Les contrôles policiers toujours aussi nombreux et intrusifs peuvent désormais être filmés. Jusqu’à 40 minutes d’attente hier soir à l’entrée du village pour vider l’intégralité des sacs. Tout matériel de protection (masque, sérum physiologique, bâton de marche...) face aux armes des forces de répression est confisqué, de manière tout à fait illégale.
Joie militante.
Les militant·es d’Attac sont venus de toute la France pour lutter contre l’accaparement de l’eau via les mégabassines. Iels se relaient pour tenir le stand d’Attac et assurer une présence sur le Village de l’eau. Les créneaux de bénévolat, indispensables au bon déroulé du village, se remplissent petit à petit. L’autogestion est à l’honneur. En fin de journée, les militant·es d’Attac se sont toustes retrouvé·es autour d’un apéro pour apprendre à se connaître et partager les expériences de comités locaux et des premiers jours au village.
Jeudi 18 juillet, notre camaraderie et notre détermination contre les méga-bassines et la répression qui les protège
À mesure que nos rangs grossissent, nous sommes plus de 5000, l’arsenal répressif s’intensifie. Un hélicoptère est venu perturber le calme du village en patrouillant toute la journée au-dessus de nos têtes. L’objectif était de rappeler à l’aide d’un mégaphone le caractère interdit des manifestations. Cette intimidation policière et les interdictions préfectorales ne nous empêcheront pas de faire valoir nos libertés fondamentales et notre opposition face aux mégas-bassines. Malgré tout, les activistes sont toujours déterminé·es préparons les manifestations de vendredi et samedi pour réclamer immédiatement un moratoire sur les méga-bassines.
Accords de libre-échange et souveraineté alimentaire
Attac a participé avec la Via Campesina, la Confédération paysanne et le Mouvement des sans terre à la table ronde sur les accords de libre échange et la souveraineté alimentaire. Cette dernière signifie que les populations doivent choisir elles-mêmes ce qui est produit localement. Au contraire, les ALE encouragent la spécialisation, la monoculture et l’exportation au nom de la baisse des prix. Ils s’opposent absolument à un revenu paysan à la hauteur du travail accompli. Malgré la mobilisation, l’Union européenne pousse pour que l’accord avec le Mercosur aboutisse sous le mandat de Lula. Au Brésil comme ailleurs, l’agro-industrie est la seule bénéficiaire de cet outil de la mondialisation néolibérale. Les peuples se mobilisent et résistent en luttant pour une relocalisation écologique et solidaire, dans une perspective altermondialiste.
De 17h à 19h s’est tenue une assemblée des luttes contre le néolibéralisme et le néofascisme, la remise au goût du jour des idées d’extrême droite sous leur nouvel habit acceptable. Cette assemblée a commencé par des prises de paroles de collectifs (notamment la Confédération paysanne, Survie, les Soulèvements de la Terre, la CGT, Solidaires, VISA, Urgence Palestine), qui ont défini ce qu’est le néofascisme. Plusieurs prises de parole ont permis de faire la lumière sur la situation : oui, nous avons échappé au pire. Pour le moment. Nous devons maintenant construire une vraie alternative. Car l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite, après que le gouvernement actuel lui ait ouvert la porte, mènerait à la fois à des violences et à des pertes de liberté. Les intervenant·es ont ensuite présenté les alternatives et les luttes : les collectifs locaux qui naissent et renaissent, et le VISA (Vigilance et Initiative Syndicale Antifasciste) qui lutte depuis le monde syndical contre l’extrême droite. Enfin la campagne contre Bolloré, initiée par les Soulèvements de la Terre a été présentée, et la démarche qui l’accompagne : cibler ce symbole des liens entre capital, colonialisme et extrême droite, partout où cela est possible. La parole a ensuite été donnée à la salle, qui a notamment fait état de l’agression du convoi de Bordeaux, et des propositions de stratégie pour lutter contre cette menace qui se fait de plus en plus pressante.
Cette journée s’est conclue par des prises de paroles des organisateur·rices. Malgré le contexte politique actuel, la répression policière et la montée du fascisme, ils ont tenu à rappeler nos victoires. Sur les 16 mega-bassines qui devraient être déjà construites, une seule est terminée. Les mobilisations fonctionnent. Lawryn, porte-parole d’Attac conclut en rappelant que « ce qu’on est en train de créer, cette camaraderie, ce partage de modes d’action, c’est déjà une victoire en soit ».
Vendredi 19 juillet - on passe à l’action
Au village de l’Eau
Quelques centaines de personnes sont restées ou arrivées au Village de l’Eau à Melle. De nombreux échanges ont eu lieu entre les militant·es pendant que nombre d’entre eux s’activaient pour faire fonctionner le campement sur les diverses missions (entretien des toilettes sèches, cuisine, base soin...)
Douze personnes de la coordination rurale ont tenté dans la matinée de se rendre sur le village « pour discuter ». Le maire de Melle et la préfète, après échange avec les organisateur·ices du village (dont la Confédération paysanne et Attac) leur ont proposé pour la seconde fois, que l’échange ait lieu a la mairie de Melle. Devant leur refus et leur entêtement, les force de l’ordre les ont raccompagnés hors du périmètre pour que leur délégation ne cause pas de troubles.
Le convoi vélo désarme une mégabassine
Le convoi vélo s’est élancé dans la matinée, il a rapidement grossi pour se retrouver fort de 600 personnes. Échappant à la gendarmerie, il s’est faufilé par les chemins, passant de bassine en bassine, et déposant, dans un geste fort, des épouvantails marquant l’opposition au monde de l’agro-industrie et de Pampr’œuf, une ferme-usine d’élevage de quelque 400.000 oiseaux, qui accapare l’eau du Poitou et compte encore étendre son emprise. Nous avons été rejoint·es dans cette action par les Naturalistes des Terres qui ont déployé un cerf-volant cuivré des marais, un papillon menacé par l’assèchement des marais. Ce papillon a largué une boule contenant des lentilles d’eau, pour qu’elles s’installent dans la bassine et l’empêche de nuire. Sur le chemin, nous avons reçu le soutien de la mairesse d’Exoudun, village dans lequel nous avons pique-niqué et dont la fontaine bouillonnante est alimentée par l’un des cours d’eaux capté par la bassine de Sainte Soline… Comme d’autres, le convoi vélo a dû déjouer la stratégie de la tension mise en place par la gendarmerie : hélicos, motocross, caméras et fouille des véhicules
Des milliers de militant·es déjouent le piège tendu des forces de l’ordre
Un autre convoi s’est élancé vers Poitiers en début de matinée. Après un blocage de deux heures sous un soleil ardent sans motif valable, l’interpellation d’un camarade et de multiples négociations, le convoi a pu parvenir au point de rendez vous du Pré Sec à Migné-Auxance. La manifestation fut festive et conviviale mais de courte durée car écourtée par un départ de feu démarré par les munitions des forces de l’ordre dans un champ de blé moissonné. Ne souhaitant pas mettre en danger les manifestant·es ni aller à la confrontation, le cortège a préféré revenir à son point de départ pour terminer en une très joyeuse baignade collective prouvant une nouvelle fois sous ce soleil brûlant que l’eau c’est la vie.
Aujourd’hui, nous avons manifesté pour la liberté de manifestation et d’expression, pour la justice sociale et écologique. Cette journée et cette mobilisation démontre une nouvelle fois de manière édifiante ce que peut faire un état complice de l’agro industrie. Le préfet de la Vienne a en effet délibérément porté atteinte à nos droits fondamentaux de manifestation et d’expression, mis en danger des manifestant.es dans ces conditions météorologiques extrêmes et doit également assumer le départ de feu relaté précédemment.
Aujourd’hui nous avons manifesté, nous avons avons mené à bien cette marche populaire ! C’est bien du côté du peuple, des citoyen·nes, des habitant·es et des agriculteur·rices, que se situe le droit.
Samedi 20 juillet - manifestation à La Rochelle
S’il fallait retenir une image de cette journée du 20 juillet au village de l’eau, c’est cette immense foule de plusieurs milliers de personnes réunies face à la grande scène pour écouter les bilans de ces six jours de lutte pour la défense de l’eau. Les intervenant·es venu·es de différents pays (Allemagne, Espagne, Mexique, Rojava, Inde, Brésil…) ont rappelé à quel point ce qui se passait aujourd’hui dans le Poitou n’était pas une lutte locale, et que la lutte contre les mégabassines et le système agro-industriel qu’elles servent s’inscrivent dans un complexe économique mondialisé, qui a des répercussions et des ramifications aux quatre coins de la planète.
De ce point de vue, manifester à la Rochelle avait un sens particulier. Historiquement, le port de la ville s’est développé au 17e et 18e siècle grâce à l’esclavagisme, la Rochelle devenant le deuxième port après Nantes, en matière de trafic d’esclaves (160 000 esclaves transportés en deux siècles). Il s’est donc agi d’un rouage essentiel dans les premiers âges de la mondialisation coloniale. Aujourd’hui, les accords de libre-échange et la mondialisation capitaliste participent d’un néocolonialisme qui vise à valoriser économiquement les productions des grandes multinationales au détriment des peuples du Sud. Le port de la Pallice est un nœud important des échanges de marchandises, puisqu’il sert pour moitié pour les flux du complexe agro-industriel, l’autre moitié étant destinée à l’industrie pétrolière. Et parmi les entreprises très implantée dans le port, toutes celles qu’on aime : Total, CMA-CGM, Lafarge, Bolloré… Par ailleurs, les entrepôts de céréales qui se trouvent sur le port sont la manifestation concrète de la spéculation réalisée sur les productions agricoles.
La journée a commencé très tôt par un blocage surprise du port et de l’entreprise de négoce en céréale Soufflet par un convoi de paysans et de tracteurs. Puis les partipant·es au village de l’eau ont peu à peu commencé à affluer dans la Rochelle, malgré la multiplication des barrages policiers, des contrôles et des fouilles. Sur la route, on pouvait voir comment les forces de l’ordre sur-armées protégeaient quelques mégabassines ; vraisemblablement, pour le gouvernement, la guerre de l’eau est bien déclarée.
Une fois les manifestant·es rassemblé·es, et bien nourri·es grâce à l’impressionnant travail des cantines du village de l’eau, nous avons formé deux cortèges, l’un partant le long de la côte, l’autre par les rues de la ville. Si dans ce dernier cortège, de la casse inutile a eu lieu, les manifestant·es ont eu à subir les assauts de la police, leurs matraques et leurs gaz lacrymogènes. Cependant, si quelques blessés et arrestations sont à déplorer (et nous irons soutenir les personnes arrêtées aujourd’hui devant le commissariat de la Rochelle), rien à voir avec les événements tragiques de Sainte Soline en mars 2023. Le cortège qui a longé la côte a pu s’approcher du port de la Pallice, et de nombreuses embarcations (kayaks, catamarans…) sont parties pour un blocage en mer, soutenues par des centaines de nageurs qui se sont jetés à l’eau en arrivant à la fin de ce cortège. Puis les deux cortèges se sont retrouvés pour une fin de manifestation rapidement perturbée par les tirs de lacrymogènes.
Gérald Damarnin et les préfectures avaient voulu faire de cette journée le pic des tensions, après plusieurs semaines de propagande mensongère visant à faire peur aux populations et nous faire passer pour de dangereux éco-terroristes.
Ce piège n’a pas fonctionné, et nous nous rappellerons des magnifiques actions menées dans les champs vendredi et de samedi. Nous avons su aussi démontrer par la diversité de ces actions la globalité du complexe agro-industriel, depuis les champs et les sources d’eau jusqu’aux flux de marchandises globalisés, en passant par les nœuds logistiques que sont les grands ports comme celui de la Pallice.
Nous concluons ces six jours de village de l’eau plus déterminé·es que jamais à faire bifurquer ce système, pour un partage sobre, égalitaire et solidaire de nos biens communs !