Idylle ou lucidité antiraciste, la commune humanité en question

vendredi 17 juin 2022, par Sophie Wahnich *

Dissoudre la haine dans le bon voisinage ?

1. Une femme blanche crie. L’objectif photographique l’a choisie parmi une foule de femmes qui crient. Celle-ci ouvre grand la bouche, fronce le front, les yeux, le nez, montre les dents. C’est littéralement une bouche qui mord dans un visage qui rugit de haine et de colère. Une coiffure blonde bien arrangée avec des boucles indéfrisables, un petit chemisier en vichy, manches courtes. Elle tient contre elle trois livres que l’on peut reconnaître comme appartenant à une bibliothèque. Ils sont de taille et d’aspect différents, plus ou moins vieux. Lorsque je vois cette photographie alors que je me promène en septembre 2018, dans une exposition intitulée « picturing protest  » au musée d’art de l’université de Princeton, je ne réussis pas à lire les titres des livres. Autour d’elle, les autres femmes sont blondes aussi. Toutes ont le cou tendu par l’effort du cri. La photo est de Flip Shulke et a été vendue à Life magazine. Le 9 septembre 1963, la première étudiante noire débutait ses études à l’université publique de l’Alabama et déclenchait la colère des étudiantes blanches qui se déchaîna en une protestation haineuse le 10 septembre. Une image non pour se souvenir des manifestations en faveur des droits civiques, mais pour se souvenir de la haine à laquelle il fallut alors faire face. Est-ce de l’histoire ?

2. Dans la mini-série de David Simon (2015), intitulée Show me a hero, Mary Dorman, une femme blonde d’une petite cinquantaine d’années, crie, elle aussi. Elle crie pour protester contre l’implantation dans son quartier de logements sociaux qui accueilleront des populations déshéritées de Yonkers, une petite ville du nord de l’État de New York. Une politique urbaine en a ainsi décidé. Il s’agit de mixer des populations riches et pauvres, blanches et noires, en fait des moyennement riches et des pauvres qui espèrent ardemment une autre vie pour eux ou pour les leurs. Mary Dorman appartient à la « middle class » blanche de Yonkers et redoute de voir sa tranquillité chèrement acquise, troublée. Alors elle crie. Lors des séances municipales et dans les manifestations. Elle proteste contre une politique que l’on dit avoir été imposée par des juristes juifs de New York, en fait la justice fédérale. Dans la manifestation, l’un d’eux est pendu en effigie. La haine se répand sur les pauvres et sur ceux qui les défendent.

3. Le leader des blancs hostiles à la mixité, O’Toole, déclare que ces populations noires vivent comme des animaux. Il le dit à Mary Dorman. Ce n’est pas un discours public, mais une sorte de confidence privée, car dans les années1980, ne pas considérer les pauvres, noirs ou latinos comme des êtres humains à part entière, à parts égales ne peut se dire sans voile. Il y a désormais des droits civiques, des droits et des juristes fédéraux qui tentent de les faire respecter. Mary Dorman devait avoir l’âge des étudiantes capturées par l’objectif de Flip Shulke à l’époque de leur conquête. Je ne sais pas ce qu’elle pensait alors, je sais juste qu’elle pourrait être l’une d’elles vingt-cinq ans plus tard, même blondeur, mêmes cris que sur l’image devenue iconique. Mais au moment de l’épopée de Yonkers, elle est malgré tout choquée par cette haine raciste. Elle ne veut pas des implantations de logements, mais ne veut sombrer ni dans l’antisémitisme ni dans le racisme et ne désavoue pas son église catholique d’avoir donné un emplacement pour ces logements. Si la capacité à hiérarchiser et ségréger l’humanité de multiples « O’Toole » est avérée, Mary choisit de s’en détacher.

4. Elle a été choisie pour agir au sein d’une structure de « community organising  » chargée d’accueillir les nouveaux habitants. Ce programme de préparation à l’insertion de ceux qui vont emménager vise en fait à faire accepter aux habitants blancs les plus récalcitrants comme Mary Dorman, la nouvelle situation. Elle devient une figure leader du groupe, y trouve des satisfactions indéniables et inespérées. C’est une bonne voisine des pauvres implantés. La politique fédérale aurait fonctionné et, une alchimie sociale transformé des visages de haine en visages de bons voisins.

5. Homi Bhabha, grand théoricien de la post-colonialité, ne croit pas au bon voisinage (2004). Il pense même que les voisins sont des tueurs en puissance et que les génocides sont toujours l’œuvre des voisins. Ta-Nehisi Coates dans Between the world and me [1], non plus n’y croit pas (2016). Il pense même que ce Rêve de rédemption des hommes blancs empêche de penser la réalité de la situation, la force de la haine de l’Amérique blanche et les corps en danger des citoyens noirs américains. Il évoque ainsi une émission de télévision à laquelle il avait été convié et qui s’était achevée sur une image de petit garçon noir de onze ans serrant dans ses bras un policier blanc. Cette « note d’espoir » selon la présentatrice, l’avait rendu triste. Constater que cette femme intelligente ne voulait pas savoir et comprendre que l’Amérique blanche avait construit sa puissance sur ce pillage des corps noirs, l’avait rendu triste, d’une tristesse ancienne, profonde et confuse. « L’expérience viscérale du racisme est qu’il détruit des cerveaux, empêche de respirer, déchire des muscles, éviscère des organes, fend des os, brise des dents. » (Coates, 28) Quand on a la peau noire aux États-Unis, on a constamment « peur de perdre son corps ». Les premiers autorisés à vous le faire perdre impunément sont aujourd’hui les policiers, ceux qui disposent de la violence de l’État de droit. Le droit et les bons sentiments ne suffiront pas, nous le savons d’expérience quelle que soit la place que nous occupons dans le monde.

6. Une historienne française de la Révolution française analyse quelques productions symboliques actuelles (cinq ans nous séparent de la plus ancienne) qui viennent questionner une sorte d’après-coup de l’histoire de l’esclavage. Ce deuxième coup du trauma se présente sous la figure du racisme ségrégationniste états-unien qui nie la commune humanité et est peu à peu devenu une composante immobile des rapports sociaux ou presque. Malgré la révolution américaine, malgré la guerre de Sécession et malgré la lutte pour les droits civiques. Ces images, textes et films sont très repérés, très visibles et accessibles. Ils composent ainsi un tableau fait de bribes d’un discours social constitué au point de déception incandescent qui caractérise la situation décrite par Ta Nehisi Coates dans Une colère noire. En prenant appui sur ces bribes, il s’agit d’analyser la situation états-unienne, mais avec le prisme spécifique d’un attachement intellectuel et sensible aux discours des Lumières françaises et révolutionnaires. De fait, si l’imaginaire social états-unien et les catégories qui l’habitent font aujourd’hui florès en France, c’est que le commun entre Europe et Amérique du Nord et même entre France et États-Unis produit des résonnances qui aident à voir et à penser d’autres situations présentes par décentrement. Mais il y a aussi des écarts, indéniables : les esclaves, les libres de couleur, ont été des acteurs centraux de leur émancipation dès le XVIIIe siècle et en sont fiers. Cette fierté n’est pas toujours (re)connue, elle est fragile, mais elle demeure. Cette révolte aurait pu avoir lieu pendant la révolution américaine, tous les ingrédients étaient là, mais rien de collectif n’a alors surgi et la perversion du droit est devenue très puissante, elle a produit une universalité factice et ségrégationniste. Il y a donc une question en basse continue : ce que l’on peut comprendre des États-Unis et aux États-Unis, est-il pertinent sans erreur de parallaxe pour l’Europe et plus spécifiquement la France ? Et au revers de se demander si comme historienne de la Révolution française cosmopolitique, il n’y a pas quelque chose à tenter de faire résonner à notre tour en direction de l’Amérique du Nord. Quelle commune humanité sommes-nous encore capable, d’imaginer puis d’inventer au croisement de nos expériences ? Est-ce vraiment devenu impossible ? Voire non souhaitable ? Faire de l’histoire n’est-ce pas toujours tenter de la faire bifurquer au présent ? Au moins lui restituer la puissance conflictuelle qui l’habite.

Le droit et les bons sentiments

7. « La peur de perdre son corps ». Cette expression frappe. Ta-Nehisi Coates la rapporte au fait qu’il ne croit pas en Dieu, qu’il n’a pas été élevé ainsi. « Je croyais et je crois toujours que notre être se résume à notre corps, que notre âme n’est que l’énergie électrique irriguant nos nerfs et nos neurones, et que notre esprit est notre chair. » (Coates, 101) En matérialiste conséquent, il ne craint donc pas de perdre son âme, mais bien son corps, un « vaisseau de chair et d’os ». Or, dans cette crainte résonnent au moins deux histoires. Celle où l’on pouvait vivre en ayant perdu son corps dès la naissance en étant esclave. Celle de la fin de l’esclavage aux États-Unis d’Amérique et de la fin de l’empire colonial en France, qui a vu naître une nouvelle sorte de haine, celle des suprémacistes blancs. La haine comme réplique à l’absence de honte des descendants d’esclavagistes. Cette haine est venue dans des corps où la honte n’a pas surgi. La fin de l’exploitation sans vergogne, exploitation légale et légitimée par l’idéologie raciale, a laissé la place à un sentiment de non-sens haineux. Haine conséquente à une absence de honte.

8. La honte, selon Lévinas, est en effet le sentiment qui surgit lorsqu’on ne peut cacher ce que nous voudrions soustraire au regard, dans le conflit entre un désir irrépressible de se fuir et l’impossibilité de toute évasion (86-87). Avoir honte, c’est être livré à l’impossible à assumer et par là-même en prendre conscience. Cette honte permettrait de sortir de l’impassibilité devant l’horreur, ce que Patrice Loraux appelle redevenir passible après le spectacle de la disparition [2] ou sa mise en œuvre (41-59). J’ajouterai le spectacle de toute cruauté et de sa mise en œuvre, de toute cruauté agie. Car l’action de cruauté conduit à une pétrification de l’affectivité, c’est-à-dire à cette capacité de ne plus ressentir, de ne plus se représenter ce qu’on voit ou ce qu’on est en train de faire. « Vous représentez-vous ce que vous avez fait ou ce que vos aïeux ont fait ou regardé ou subi ? » Il insiste. Une blessure ouverte, dit-il, n’est pas grave si elle fait souffrir, alors que cette impassibilité conduit au pire. « De proche en proche, le trauma diffuse à travers les peuples où sont perpétrés les crimes. Il y a alors une réorganisation étrange du réel telle que tout ce qui serait faille réfractaire est annulé. Tout se fait compact tout se soude » (Loraux, 51). Or dans une telle configuration, la honte pourrait venir faire effraction. Mais pour venir, il faudrait qu’il y ait un savoir précédent qui viendrait à la rescousse, ces fameux bons sentiments à défaut de droit, bref le sentiment qu’on ne peut pas agir ainsi avec des égaux, des humains, des semblables. Il faut le sentiment d’une commune humanité.

9. Il faut donc avoir un savoir sur ce qui nous fait semblables, un savoir intime, profondément ancré. Cela suppose soit du vécu – le bon voisinage, l’alliance, l’expérience partagée entre citoyens juifs et citoyens noirs par exemple (Lapierre), soit des dogmes ce que doit être l’État de droit humain comme rapport légal sans domination. Sans vécu et sans dogme, une haine réplique vient se loger dans l’espace ouvert par la nouveauté de la situation. La légitimité a changé de camp. Mais les esclavagistes rebelles, les colonialistes nostalgiques ne pouvant plus exercer leur pouvoir, répliquent à cette impuissance juridique et morale par la haine. Haine mortelle qui s’incarne dans des bouches hurlantes et dans des armes qui tuent impunément des corps noirs dans les États de droit. En France comme ce sont aussi des corps maghrébins, postcoloniaux, qui peuvent craindre d’être tués impunément, le mot « racisé » est venu prendre la place du mot « Noir » américain. Ce n’est pas la même histoire, mais c’est bien la même peur, la même discrimination raciale, le même sentiment de n’avoir pas droit au chapitre parce qu’on n’appartient ni à la même engeance ni à la même histoire, pas au même camp dans la même histoire. C’est la guerre entre engeances et entre histoires mal partagées. Mais dans cette guerre ce sont les citoyens noirs et les citoyens « racisés » qui continuent à mourir le plus souvent même si les nombres de morts effectives et de blessés ne sont en rien comparables en France et aux États-Unis. Ainsi mourraient les Amérindiens lors de la conquête, les esclaves sur les plantations, et les colonisés enfumés dans les colonies. C’est sans fin, quelles que soient les dénonciations antiracistes, de la marche pour l’égalité en 1983 au comité justice pour Adama Traoré, aujourd’hui en France, des luttes des années1960 aux événements de Charlotteville de 2015, en passant par Black lives matter aux États-Unis. Ceux qui protestent sont entendus, mais ne sont pas écoutés, parfois ils sont même tués à leur tour. Les mêmes donc restent cibles de morts violentes et prématurées.

10. Certains, nombreux aujourd’hui, en déduisent que le droit est un mirage et les bons sentiments, une hypocrisie. Sous prétexte de sauver non pas son âme, mais sa lucidité, cette brûlure [3]sous prétexte de renoncer à l’idylle, il ne resterait que l’impossible lien et la violence des faux rapprochements. La lucidité semble avoir brûlé la croyance dans le droit comme outil, la croyance dans les bons sentiments comme désir de perfectionnisme au-delà du droit. Mais peut-on s’en passer ? Même si ce n’est clairement pas suffisant, peut-on se passer de l’histoire des gains de droit et des gains de normes morales ? Ce sont ces questions qui m’assaillent dans notre présent, moi historienne du XVIIIe siècle et de la période révolutionnaire française, issue d’une histoire de migration depuis l’Europe de l’est d’une part, et du Maroc de l’autre, d’extermination et de décolonisation. Alors l’histoire m’est nécessaire à la manière de Nicole Loraux, comme historienne où seul le présent est embrayeur de questions, mais qui choisit un objet éloigné pour calmer les émotions qui surgissent au présent. Cela est d’autant plus nécessaire quand on semble avoir à faire à du sempiternel. Pour Nicole Loraux, ce genre de situation relève d’un temps non vectorisé de l’histoire qui est aussi celui de l’oubli et du répétitif. Il met à l’œuvre une « mémoire barrée » de la conflictualité politique et le « sourd travail d’une instance désirante. » (Loraux, 138) Temps de l’inconscient et des passions. Cette mémoire barrée de la conflictualité est celle de l’amnistie de fait des acteurs de la cruauté raciste. Nicole Loraux, avait étudié celle de l’amnistie des Trente pour comprendre comment la démocratie pouvait s’oublier elle-même après avoir été victorieuse sur la tyrannie des Trente. J’aimerais tenter de comprendre comment nos sociétés oublient la teneur de la lutte politique antiraciste puis comment les militants antiracistes eux-mêmes finissent par accuser ces luttes de n’avoir produit que des victoires en trompe-l’œil.

Fondements, racines, faire le point

11. L’antiracisme est l’une des formes prises par la résistance à l’oppression. Quand je parle de résistance à l’oppression, je parle de celle théorisée en amont de la Déclaration de 1789 où elle est l’un des droits naturels de l’homme. Je parle de celle de la Déclaration de 1793, où est explicité le lien logique entre l’existence de droits et le droit de résistance à l’oppression pour les individus et les groupes.

« Article 33 : La résistanceà l’oppression est la conséquence des autres droits de l’homme.

Article 34 : Il y a oppression contre le corps social, lorsqu’un seul de ses membres est opprimé. Il y a oppression contre chaque membre lorsque le corps social est opprimé.

Article 35 : Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. »

12. Ladite oppression, celle du racisme, récuse, soit en théorie soit en pratique, plusieurs affirmations, toutes déjà incluses dans ces déclarations du XVIIIe siècle. La première consiste à dire que tous les hommes sont doués d’une même liberté en tant qu’ils disposent tous de la même raison selon une conception où un même principe, a conduit à l’existence de tous les êtres humains. « Tous découlent de la même origine », disait Sieyès [4]. On peut encore discuter à l’infini de cette origine, Dieu ou le Big bang, mais elle est matériellement constatable comme commune. Mêmes cellules, mêmes organes, même cerveau... d’où l’égalité des intelligences défendues par Jacques Rancière et qui sont vouées à se manifester. La seconde consiste à dire qu’en conséquence tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit. Cette liberté est réciproque. C’est l’article 1 de la Déclaration de l’homme et du citoyen de 1789, les enfants y apprenaient à lire en le déchiffrant. Sa prosodie était alors si familière et aimée que l’Assemblée constituante qui fit du droit de vote un droit censitaire renonça à en transformer l’énoncé en 1791 craignant des émotions populaires. Cette assemblée fabriqua un droit contrariant cet article1,mais laissa intacte la Déclaration. Cette assemblée réactionnaire n’osa pas aller plus loin tant l’article1 était devenu un trésor intime, une prière, une caresse. Sur ce point de contradiction, les révolutionnaires allaient trouver l’énergie de continuer la lutte.

La troisième consiste à affirmer l’égale dignité de toutes les manières d’être au monde vécu, pensé, senti. Cela s’énonce comme liberté d’opinion même religieuse. Il y a là l’énoncé d’une pluralité culturelle [5] à respecter pour des groupes, car la religion est fondamentalement une affaire de groupe. Ce respect doit être mutuel. Ainsi est affirmée l’unité du genre humain malgré l’infinité des petites différences entre semblables, égalité comme réciprocité d’une liberté sans domination, respect mutuel des cultures comme gage de leur persistance dans l’égalité. C’est un socle, celui du XVIIIe siècle pétri d’arguments en faveur d’une émancipation humaine qui ont précédé les déclarations et nourri leur rédaction.

13. Ces trois affirmations font tenir ensemble, le sujet libre individuel et sa liberté à fabriquer des groupes sociaux culturels et non pas politiques chez qui les liens de parenté peuvent ou non avoir de l’importance, mais aussi sa liberté à quitter un groupe, étant entendu que l’égalité entre les individus et entre les groupes doit être respectée. Tous semblables, tous différents, l’altérité reste cependant le nœud gordien de la condition humaine. Petites ou grandes différences sont difficiles à vivre. Mais l’argumentaire de Clermont Tonnerre en faveur des juifs sait contourner l’obstacle :
« Ce peuple, dit-on, est insociable, (...) il ne peut s’unir à nous ni par le mariage, ni par les liens de la fréquentation habituelle ; nos mets lui sont interdits, nos tables lui sont interdites ; (...). on exagère leur insociabilité. Existe-t-elle ? Qu’en concluez-vous en principe ? Y a-t-il une loi qui m’oblige à épouser votre fille ? Y a-t-il une loi qui m’oblige à manger du lièvre, et à en manger avec vous ? Certes ces travers religieux disparaîtront ; et quand ils survivraient à la philosophie et au plaisir d’être enfin de vrais citoyens et des hommes sociables, ils ne sont pas des délits que la loi puisse et doivent atteindre. » (756)
L’art de la politique démocratique consiste à vouloir retourner cette difficulté en chance, le tissu social sera d’autant plus chatoyant que la pluralité des individus et des groupes culturels aura été incluse dans la cité sans domination. Ce chatoiement n’est pas un rêve homogénéisateur, car mélanger toutes les couleurs, c’est fabriquer du gris. Non, un tissu chatoyant. Comme résistance à l’oppression, l’antiracisme conséquent est donc nécessairement politique et démocratique. Il doit bannir la domination, viser l’égalité, viser le maintien de la pluralité culturelle.

14. Je vous entends. Vous me dites que ceci est une théorie, une croyance même, une utopie et vous n’aimez que la dure réalité vécue. Le rêve de non-domination selon vous a rendu possible la discrimination la plus violente devenue invisible. Je vous répondrai que cette invisibilité a peut-être été entretenue par le rêve, mais que sans le rêve elle n’aurait pas même été nommée. Nommer n’a jamais été suffisant, mais c’est le premier pas des luttes à construire et à maintenir. Or ce rêve a été élaboré et mis en pratique grâce à des luttes de longue haleine qui se sont déployées depuis la conquête du continent américain par l’Espagne et le Portugal. L’école de droit de Salamanque (Gauthier, 2016) a argumenté pour protéger les Indiens en voie d’extermination totale. Il a fallu nommer et reconnaître comme humains d’égale dignité ceux qui étaient traités en bêtes de somme. L’invention d’un droit cosmopolitique affirma l’unité du genre humain pour tenter de maintenir l’interdit de la cruauté. La critique de l’esclavage n’est pas seulement formelle dans la grande encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Le chevalier de Jaucourt continue à m’impressionner par sa lucidité et sa radicalité :

« L’achat de nègres pour les réduire en esclavage, est un négoce qui viole la religion, la morale, les lois naturelles et tous les droits de la nature humaine. [...] Les hommes et leur liberté ne sont point un objet de commerce, ils ne peuvent être ni vendus ni achetés, ni payés à aucun prix. Il faut conclure de là qu’un homme dont l’esclave prend la fuite ne doit s’en prendre qu’à lui-même puisqu’il avait acquis au prix d’argent une marchandise illicite, et dont l’acquisition lui était interdite par toutes les lois de l’humanité et de l’équité. »

Mais je trouve impressionnants tous ceux qui écrivent contre l’esclavage, la conquête, la cruauté et mettent au goût du jour, l’idée de droits de l’homme et du citoyen comme Lynn Hunt par exemple.

15. Olympes de Gouges écrit, elle aussi, sur le marronnage des pièces de théâtre ; Robespierre, Grégoire défendent dès 1789 avec constance la cause des hommes libres de couleurs et des esclaves. Mais aussi Mirabeau dans ces termes :

« Pourrait-on cacher aux peuples éloignés cette révolution qui est votre gloire ? La proclamation des droits de l’homme et du citoyen retentira-t-elle dans toutes les parties du globe ? [...] Si cet effet plus ou moins éloigné de la Révolution française est inévitable, une multitude d’esclaves resteront-ils seuls témoins immobiles, victimes résignées du privilège exclusif de la liberté ? Ne voudront-ils pas ou la conquérir ou qu’elle leur soit rendue ? Parviendra-t-on à leur voiler le spectacle, à les priver désormais de la raison et de la réflexion comme on les prive de la liberté ? Les blancs [6] suffiront-ils à maintenir par leur seule force le régime que vous avez détruit ? Ou pourront-ils se borner à en faire une parodie insolente ? Transformeront-ils en mystère religieux les usages et les devoirs des hommes libres ? Réserveront-ils la pratique de la liberté pour de certains lieux pour de certains jours ? Non [...] il faut dès cet instant préparer les noirs [7]à la possession d’un bien qu’aucun homme ne tient de son semblable et qui est le domaine universel de l’humanité » (Mirabeau, 125).

16. Ils ont fait avancer sans doute plus que jamais l’affirmation de l’égalité et même s’ils ne gagnent pas facilement la partie, ni pour longtemps, ils laissent les traces d’un possible, monument, que je crois vous avez tort de mépriser. Comment maintenir l’ardeur au combat sans monument et comment lutter contre le racisme sans être combatif et plein de ces grandes idées, idéaux des Lumières. L’homme des Lumières n’est pas abstrait, voyez comme parlent nos amis révolutionnaires, ils parlent de la vie, de l’espoir, de la justice d’hommes et de femmes, d’enfants bien réels naissaient esclaves sur les plantations de Saint-Domingue ou de Virginie. L’homme des droits de l’homme n’a jamais été abstrait, il a toujours été la spécification d’un universel indispensable pour que le combat puisse s’enclencher. Comment réclamer l’inclusion, si la zone des inclus n’a pas été déclarée celle de l’universelle humanité ? Je m’en suis expliquée à plusieurs reprises [8]. Acceptons de nous lire avant de nous écharper. Mais vous avez en partie raison, il ne s’agit pas d’être naïve, ou naïf, car ce beau programme, ces belles affirmations ont été, c’est vrai, constamment déjouées dans l’histoire, les cultures niées et les hommes et les femmes non seulement dominées, mais écrasées.

Idéaux déjoués, histoire rejouée

17. L’histoire de l’occident d’avant et d’après le droit cosmopolitique, d’avant et d’après la Déclaration d’indépendance, d’avant et d’après la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, avec des variations infinies, a mis à mal ce beau programme affirmatif. Mis à mal en amont, par l’imaginaire de la « race » des seigneurs nobles (le sang bleu) et des autres, ignobles. Mis à mal par l’effectivité des guerres de conquête et la conquête coloniale, mis à mal par l’esclavage des conquis et des ignobles, mis à mal par la hiérarchie sociale naturalisée dans l’idée d’une limpieza de sangre, mis à mal par la hiérarchisation des religions acceptables et inacceptables, l’obligation à la conversion des inacceptables par l’église catholique, par l’inquisition, mis à mal par le commerce triangulaire, l’esclavagisme organisé et par l’invention des couleurs de peau, le blanc:le noir et les couleurs du métissage dénombrées à l’infini.

Mis à mal en un mot par la grande difficulté à vaincre la domination dans les sociétés dites d’Ancien régime.

Mais après ? Après 1776 aux États-Unis et après 1789 en France ?

18. Commençons par la France. Après 1789, les seigneurs et « leur folle prétention » à se croire issus d’une race différente sont « renvoyés dans leur forêt de Franconie »

(Sieyès [9], 32). C’en est fini du sang bleu. La liberté de culte est obtenue d’abord pour les protestants puis pour les juifs, toutes les autres religions sont ensuite reconnues comme libres pourvu qu’elles ne troublent pas l’ordre public, cette liberté est défendue avec ardeur aussi bien contre les orthodoxies purificatrices que contre les désirs d’éradiquer le fait religieux. Quant à l’esclavage, le combat contre est difficile, et peu présent au tout début. Notons cependant dans le cahier de doléances de Champagney en Franche Comté du 19 mars 1789 :

« Les habitants et communauté de Champagney ne peuvent penser aux maux que souffrent les nègres dans les colonies, sans avoir le cœur pénétré de la plus vive douleur en se représentant leurs semblables unis encore à eux par le double lien de la religion, être traités plus durement que le sont les bêtes de somme. Ils ne peuvent se persuader qu’on puisse faire usage des productions desdites colonies, si l’on faisait réflexion qu’elles ont été arrosées du sang de leurs semblables, ils craignent avec raison que les générations futures plus éclairées et plus philosophes n’accusent les Français de ce siècle d’avoir été anthropophages ce qui contraste avec le nom de Français et plus encore celui de chrétien. C’est pourquoi leur religion leur dicte de supplier très humblement Sa Majesté de concerter les moyens pour de ces esclaves faire des sujets utiles au Roy et à la patrie. » (Barbe, 1) [10].

La postérité juge et condamne l’histoire. Elle semble obliger ainsi, dès 1789, les acteurs révolutionnaires à prendre les mesures adéquates pour la satisfaire. L’abolition de l’esclavage est ainsi une nécessité pour sauver son nom, son honneur, son humanité. Il faudra six ans cependant pour atteindre l’objectif. Rien ne s’obtient sans conflit. Libres de couleur qui alertent sur leur discrimination dès 1789, révolte des esclaves en 1791, Mirabeau, Grégoire, Robespierre, qui les soutiennent. Ce dernier s’écrit même « périssent les colonies plutôt qu’un principe » [11] pour s’insurger contre le maintien de l’esclavage par la première constitution. Les libres de couleur obtiennent pleine citoyenneté le 4 avril 1792. L’esclavage est aboli dans les colonies dès août 1793 à Saint-Domingue par des commissaires qui, venus pour défendre la pleine citoyenneté des libres de couleurs, font alliance avec des esclaves insurgés, contre l’Angleterre et l’Espagne. Les plantations sont transformées en exploitations autogestionnaires, et en février 1794, un décret abolit l’esclavage à Paris confortant ce qui s’est tramé loin de la métropole.

19. Mais, dès 1795, le colonialisme reprend, Napoléon rétablit l’esclavage, et il faut attendre d’autres révolutions qui résistent à leur tour à l’oppression raciste... 1848 abolit l’esclavage à nouveau... mais oui comme tout combat politique, ce combat est sans fin et sa réussite ou son échec dépend très étroitement des investissements symboliques et effectifs des citoyens à s’en mêler et donc à assumer la condition tragique de l’humanité divisée et pourtant faite de semblables égaux.

Que les hommes et les femmes issues d’histoires différentes se mélangent par des mariages mixtes ou toute autre sociabilité n’est pas nécessaire pour l’égalité, (retour à Clermont Tonnerre), mais qu’ils se reconnaissent comme interlocuteurs politiques égaux est indispensable. Le colonialisme piétine cette égalité politique et hiérarchise entre indigènes et coloniaux. Les luttes sourdes ou ouvertes continuent dans des contradictions, jusqu’à aujourd’hui. Les corps et les esprits sont marqués au fer de l’histoire et l’histoire n’est pas une gangue facile à défaire, c’est une humeur qui irrigue chaque corps, il faut beaucoup rêver pour la déplacer, la transformer. Beaucoup désirer. Avoir la foi en l’impossible [12]. Nous en sommes là.

20. Aux États-Unis, l’idéal est déjoué d’une manière plus radicale encore, car à aucun moment l’espérance d’une véritable égalité n’a pris forme alors que les fondements politiques et émancipateurs étaient analogues dans les deux pays révolutionnaires. Le musée de la Révolution de Philadelphie rappelle désormais que la Déclaration d’indépendance aurait dû conduire à renoncer à l’esclavage, que certains esclaves se sont emparés de cette opportunité devant la justice et ont gagné leur procès : telle Elisabeth Freeman dans le Massachusetts. Mais ces exceptions n’ont pas alors conduit à l’abolition de l’esclavage pour tous les États. Si dans le nord des décrets abolitionnistes se multipliaient, au fur et à mesure du déploiement de la conquête de l’ouest, l’esclavage s’étendait et il n’avait jamais cessé dans les États du sud qui en faisaient le fondement de leur économie de plantation. Les contradictions ont été maintenues avec plus de fermeté encore qu’en France. La constitution fédérale fit plus pour protéger l’esclavage que pour l’éliminer. En acceptant que les esclaves qui ne votaient pas soient cependant représentés par les esclavagistes au prorata de leur nombre (règles des 3/5) la loi fédérale empêchait que le congrès puisse voter l’abolition, les abolitionnistes y seraient toujours minoritaires. Seul le commerce des esclaves fut interdit en 1808, mais l’esclavage se poursuivit avec vigueur. Aucun véritable monument ne peut donner du courage sur ce sol de l’histoire, car aucune structure politique états-unienne n’a radicalement refusé l’esclavage. Même une fois abolie après la guerre de Sécession, la ségrégation est venue maintenir la peur inscrite dans les corps et transmise de génération en génération. Une fois interdite la ségrégation légale, la ségrégation urbaine a séparé encore l’histoire des dominants et des apeurés. Enfin, l’impunité d’une police qui tue avec constance les corps noirs vient chaque jour confirmer que l’histoire incorporée semble toujours plus forte que les idéaux proclamés.

21. Selon Pierre André Taguieff (1988), tout antiracisme est au même titre que le racisme un dispositif à la fois moral et politique. Comme il vise l’égalité, l’antiracisme est une politique de la démocratie. C’est-à-dire qu’elle lutte quelles que soient ses formes contre les forces politiques antidémocratiques. Nulle idylle. Que du conflit, sans cesse, toujours. À ce titre, l’écart effectif entre la France et les États-Unis dans la manière d’envisager ces questions tient davantage aux formes historiques du racisme et de l’antiracisme, qu’à ses fondements. Mais disons que les deux pays partagent l’histoire de mêmes principes contrariés. Contrariés différemment. De ce fait même, les luttes y sont différentes et déterminent différemment la réussite d’une politique démocratique de citoyens égaux et respectueux du pluralisme culturel et religieux, du pluralisme des engeances. Aujourd’hui les signes, les œuvres, les symboles, les arguments, et les personnes circulent. Pierre André Taguieff (1988) s’inquiétait d’une dépolitisation de l’antiracisme. Il appelait de ses vœux un « harcèlement argumentatif » en vue d’un consentement mutuel à sortir d’une simple guerre, par le civisme délibératif. Mais il n’y a pas plus de civisme délibératif que d’agir communicationnel à la Habermas, il y a la démocratie comme stasis, comme guerre civile latente à constamment jouer et déjouer, apaiser, pour que le tort ne soit ni enfoui au fond d’un placard cadenassé, ni cause d’un déchaînement de violence dissolvante de tout lien vivant. Un art non de la juste mesure, mais de l’intelligence politique en situation. Eh oui, cet art a besoin du harcèlement argumentatif, c’est-à-dire de ce qui maintient ouverte la blessure évoquée par Patrice Loraux.

22. Ce harcèlement argumentatif a trouvé un lieu d’élection, celui où rêves et cauchemars sont la matière d’un visible inscrit dans l’image fixe ou projetée sur l’écran. L’humeur de l’histoire, sa dénonciation, sa transformation, sa réalisation, appellent cette matière imagée. Tableaux, photos, séries, films peuplent notre grammaire argumentative, peut-être pour sortir de la guerre, mais surtout pour pouvoir la maintenir contre toute idylle illusoire. Oui l’antiracisme est une guérilla nécessaire, comme la démocratie est stasis. Il ne s’agit pas de réconcilier universalistes et particularistes, encore que [13], mais de comprendre comment leurs partitions s’harmonisent ou entrent en dissonance dans l’art d’élaborer ce qui continue à mettre à mal nos idéaux intimisés. Revenons au présent.

Du passé indissoluble dans le présent

23. Aux États-Unis, l’histoire de l’esclavage et de la ségrégation organisée est supposée appartenir au passé. Mais Ta Nehisi Coates explique que le présent en est plein, car les croyances produites par le racisme sont bien vivantes, comme cette croyance qu’il existe des Noirs et des Blancs et que les Blancs ont un droit inné, naturel de dominer les Noirs. De fait, aux États-Unis, les voisins tueurs ont lynché régulièrement les Noirs, incendié leur maison et stratifié une haine compacte au sein du Ku Klux Klan. Dans Show me a hero, une infirmière noire devenue aveugle ne croit pas que le racisme puisse cesser et elle ne veut plus y être exposée. Ce personnage populaire fait écho à un homme de loi noir, qui, dès le premier épisode, avait expliqué qu’à force de devoir faire face à des Blancs qui ne veulent pas des Noirs, eux non plus, n’ont plus envie de vivre désormais avec les Blancs. Il exprimait sa lassitude et aussi une division quant aux possibles de l’idéal de mixité sociale porté par le juriste juif Newman, désarçonné. Or, dans l’imaginaire des habitants noirs de Yonkers, le Ku KluxKlan qui sévit encore plus au nord de l’État de NewYork produit toujours de l’effroi. Il ne faut pas risquer d’avoir à vivre là, près d’eux. Ce passé indissoluble dans le présent est mis en scène dans le dernier film de Spike Lee, Blackkklansman.

24. Un policier noir, Ron Stallworth a réussi en 1978 à infiltrer le Ku Klux Klan à Colorado Spring. Il a consigné son témoignage dans un livre paru en 2006, Black Klansman que Spike Lee adapte en 2018, un an après les émeutes de Charlotteville du 12 août 2017. Le film est dédié à Heather Heyer, jeune femme de 32 ans morte écrasée par la voiture du suprémaciste blanc qui avait foncé sur les manifestants antiracistes.

Pour parler du présent, il faut faire retour sur les années de luttes victorieuses des années1960 aux années1980, retrouver des monuments, se redonner du courage, car si les victoires restent fragiles comme en témoigne le présent, les manières de raconter l’histoire au cinéma ont une puissance effective. Si l’imaginaire américain est raciste et repose sur une filmographie qui le consolide, il faut faire des films qui renversent cet imaginaire. Spike Lee poursuit cet objectif depuis ses premières années d’étude en cinéma à NYU, au début des années1980. Il avait alors réalisé une réponse à Naissance d’une nation de DW Griffith « The Answer ». Il y mettait en scène un jeune réalisateur noir qui était engagé pour faire un remake de Naissance d’une nation. Or ce film aussi est tiré d’un texte, un roman, The Clansman : A Historical Romance of the Ku Klux Klan, roman de Thomas Dixon Jr. paru en1905. Son discours raciste avait conduit à des controverses, mais son succès avait permis au Ku Klux Klan de se relancer, après avoir été officiellement interdit.

25. Spike Lee raconte qu’à NYU, ses professeurs montraient le film de D.W. Griffith, parlaient de ses innovations cinématographiques comme le montage alterné, sans jamais évoquer les effets de ce film sur la frappe de l’histoire américaine, sans jamais dire que ce film avait été utilisé pour recruter des membres du KKK et en quoi ce film était finalement responsable d’une incroyable recrudescence de lynchages.

Blacklansman, le texte de mémoires du policier est en soit une réponse au roman The Clansman, et le film de Spike Lee peut à son tour être vu comme une sorte de réponse à Naissance d’une nation, cette fois dans l’intention performative recherchée.

C’est pourquoi Blackkklansman est un film d’action, mais aussi d’histoire, de transmission et d’encouragement à agir, à y croire, à poursuivre le combat ouvert par les années1960. Pour retrouver ce courage, il faut avoir du culot et faire cesser la peur évoquée et décrite par Ta Nehisi Coates. Or pour faire cesser la peur, il faut soit jouer aux gangsters, soit être capable de rire, de se moquer, d’ironiser. Il faut savoir changer vite de registre et d’émotions, passer de la tristesse à la fierté, de la blague au sérieux, de l’archive au présent, de l’histoire à la mémoire, de la fiction au réel.

26. Puisque l’histoire est vraie, la fiction a la portion congrue : celle de la mise en scène d’acteurs qui incarnent des personnages historiques. Car les groupes sociaux qui n’existent que par leurs réunions, – publiques du côté afro-américain, ou secrètes du côté du Klan –, sont toujours habités par des personnages historiques. Certes, la dimension ordinaire du réel domine, mais ce sont les figures historiques, le chef du Klan que l’on verra en image d’archives in fine, et les orateurs afro-américains, qui donnent sa véracité au matériau, mi-réels mi-fictifs.Le premier meeting où se rend Ron après avoir quitté son rôle d’archiviste de la police, est organisé par les étudiants afro-américains qui accueillent le leader Black Panther, Stokely Carmichael devenu Kwame Ture. Ron est un exemple, il quitte les archives pour entrer dans le vif de la vie et du combat et nous fait alors visiter les archives vivantes, la mémoire des luttes afro-américaines. « C’est à nous de définir ce qu’est la beauté – that’s black power ! » Quand Flip Shulke cadrait dans la foule blanche féminine et haineuse, Spike Lee cadre des visages somptueux dans la foule assemblée, il cadre la beauté noire qui cherche à s’émanciper, et fabrique à son tour de l’archive. L’usage des archives comme leur production est encore plus explicite quand la présidente du mouvement étudiant noir, Patrice Dumas, organise une réunion avec un témoin du lynchage de Jesse Washington, émasculé, carbonisé et pendu à un arbre, en 1916. Spike Lee fait alors jouer la mémoire vivante en mettant en scène dans le rôle du témoin, le vieux Harry Belafonte, qui a lui-même milité en faveur des droits civiques des acteurs noirs. La mémoire visuelle est celle des photos de l’événement de 1916 qui consonne avec l’ouverture du film qui montre la teneur idéologique d’Autant en emporte le vent et Naissance d’une nation de Griffith qui est alors projetée devant les nouvelles recrues du KKK.

27. Pour Spike Lee, s’il faut raconter comment ce film de 1915 a engendré le meurtre de 1916, c’est pour expliquerque les choix de représentation de l’histoire engendrent les rapports raciaux des États-Unis. Mais plus encore, c’est pour retourner l’affliction en énergie en changeant l’orientation idéologique du cinéma américain, en faisant un cinéma noir qui raconte l’histoire noire pour faire œuvre de mémoire et de combat. L’antiracisme se joue ainsi sur différents registres qui tous visent l’action puissante « again ». Si l’Amérique doit être grande à nouveau, ce soit être dans cette logique d’un véritable combat antiraciste et non à la manière de Trump. Il faut donc montrer un Klan ridiculisé pour croire vraiment à la ligne de couleur, croire vraiment que l’anglais parlé n’est pas le même si on est un être parlant noir ou un être parlant blanc, croire vraiment que les hommes dotés de peau blanche sont plus intelligents, croire vraiment qu’ils sont « Blancs » et qu’il y a des « Noirs ».

Franchir la ligne, la ligne de couleur

28. Cette invention des « Noirs » et des « Blancs » est une affaire tardive dans les colonies françaises : le XVIIIe siècle. Mais une seule goutte de sang noir aux États-Unis fait de vous un Noir. Et cela vous met en danger de mort. Dans le film Les veuves de Steeve McQueen (2018), l’enfant métisse de l’héroïne noire Veronica Rawlings et de son mari blanc Harry Rawlings est abattue à bout portant par la police pour une infraction au code de la route. Le mélange, le métissage n’a jamais résolu le conflit politique structurel et vouloir mener un combat politique par le chemin de l’intime peut se payer cher. Désirer sortir de la cruauté par l’amour est impossible ici. Dans le film Get-Out de Jordan Peel (2017), l’amour mixte est un leurre. Un leurre au sens où l’on utilise ce mot à la chasse, un appât, pour fabriquer un guet-apens. Or, ici, le film n’est pas historique au sens strict, mais organise son récit d’anticipation en tenant compte de l’histoire désespérante. Quand l’histoire donne apparemment le sentiment que ça va mieux entre les Blancs et les Noirs, en fait ça empire sous une forme plus terrible encore.

29. Le film est construit sur une annonce, un jeune homme noir métis traverse un quartier huppé. Il exprime sa peur, une peur transmise et une peur connue, celle de l’expérience. Il se répète qu’il n’aurait pas dû venir à ce rendez-vous, quand une voiture s’approche, il tente de tourner les talons, sent le danger qui rôde, mais c’est trop tard, la voiture le suit, s’arrête, le jeune homme se fait agresser violemment. Un personnage casqué comme au Moyen âge le fait disparaître dans une voiture. Puis une musique qu’on peut dénoter comme relevant de racines africaines accompagne un plan long sur des bois qui défilent. Cette forêt ressemble à celle des climats tempérés. Un paysage entre mythe africain et réalité nord-américaine. On découvre ensuite un couple mixte. Elle ravissante jeune femme aux cheveux châtains et aux yeux bleus, lui beau garçon afro-américain. Il doit partir avec elle faire connaissance de ses parents dans leur maison de campagne. Son copain Rod, agent de sécurité, il faut entendre sa fonction à la lettre, doit garder son petit chien. Il lui déconseille de passer un week-end chez les Blancs, il a plein d’histoires dans la tête plus terribles les unes que les autres, toutes vraies. La plus inquiétante est celle d’une affaire de kidnapping de Noirs pour en faire des esclaves sexuels. Chris Washington n’est pas à l’aise, il demande à sa petite amie Rose Armitage, si elle a prévenu ses parents qu’il était Noir. Elle lui dit que non, mais qu’ils ne sont pas racistes, que si Obama avait pu se présenter une troisième fois, ils auraient voté à nouveau pour lui. Bref, un discours visuel et verbal inscrit le film dans une ère où la ligne de couleur aurait été franchie. Politiquement comme en témoigne l’élection d’Obama, intimement puisqu’ils s’aiment, socialement puisque cet amour est recevable dans une famille blanche. Seul l’ami Rod Williams n’y croit pas.

30. Quand Chris et Rose arrivent, l’accueil est dissonant. D’un côté, les employés noirs témoignent d’une structure de domination immuable, de l’autre, le jeune homme noir est traité apparemment comme un membre de la famille. Quand il s’approche des employés, ceux-ci réagissent avec une grande froideur. Chris Washington ne sait plus bien qui il est dans ce dispositif où il ne peut manifester de sympathie aux autres Noirs sans pour autant se sentir à l’aise avec une famille étrange. Le frère de Rose cherche la bagarre, il cherche à se mesurer à un corps noir réputé costaud, musclé, athlétique, Chris affirme n’aimer ni le sport ni le combat. La mère veut l’hypnotiser pour le faire cesser de fumer, le père neurochirurgien lui montre des photos de son père jeune athlète qui a perdu à la course lors des Jeux olympiques de Munich en 1936, arrivant derrière Jessy Owens, l’athlète noir victorieux et combatif. Le nazisme rode ainsi dès les premiers échanges. Chris ironise et demande si le grand-père s’en est remis, le père répond qu’à peu près, mais en fait non.

31. Tout le film tend à expliciter cette impossibilité à surmonter cet échec chez un grand-père qui de ce fait a inventé une méthode de pseudo immortalité. La fascination pour la puissance noire l’a conduit à imaginer une neurochirurgie capable de transplanter des cerveaux blancs dans de jeunes corps noirs afin de jouir des facultés de ces corps, et ainsi prolonger la vie des vieux blancs, grâce à leur jeunesse. Rose les sélectionne pour leurs qualités physiques comme on achetait un esclave, les séduit, son frère les enlève à l’occasion – c’est la scène d’ouverture, la mère les hypnotise et le père les transplante. Le jeune homme du début du film est devenu le mari d’une amie de la famille, le grand-père et la grand-mère sont maquillés en jardinier et domestique. Mais ce sont tous les amis de la famille qui viennent ainsi tenter au bingo la possibilité de se refaire une santé dans un corps noir. Chacun des hommes ou femmes noirs transplantés y perd son corps qui sert d’enveloppe charnelle à une autre personnalité. On peut vivre en compagnie de corps noirs pourvu qu’ils aient un cerveau blanc. La ligne de couleur ne joue plus dans le visible de la vie sociale, on peut trouver le corps noir magnifique, au sens strict habitable, mais encore une fois pour le spolier de la pire manière. Jouir du corps de l’autre. Rod s’inquiétait d’une jouissance sexuelle, il s’agit d’une jouissance de propriétaire. Chris a été vendu aux enchères à un marchand d’art aveugle qui veut jouir de ses yeux et pourquoi pas de son regard, car une partie neuro-végétative du cerveau noir est maintenue et que Chris est photographe. Ce reste de la vie d’avant ressurgit dans certaines circonstances, ce qui conduit à penser que la souffrance d’être colonisé par un autre cerveau, une autre personnalité n’est pas épargnée aux victimes de la famille Armitage.

32. Ce traitement à proprement parler fantastique et nazi du corps noir fabrique de fait un lien historique entre corps juif et corps noir [14]. Car les expérimentations médicales se faisaient dans les camps nazis sur les corps juifs. Mais c’est aussi l’imaginaire du nazisme chez les leaders noirs français qui a conduit à comparer le traitement des uns avec le traitement des autres. Ainsi lorsque Fanon cite les propos tenus par Césaire en 1945 [15] :

« Quand je tourne le bouton de ma radio, que j’entends qu’en Amérique des nègres sont lynchés, je dis qu’on nous a menti : Hitler n’est pas mort ; quand je tourne le bouton de ma radio, que j’apprends que des Juifs sont insultés, méprisés, pogromisés, je dis qu’on nous a menti : Hitler n’est pas mort ; que je tourne enfin le bouton de ma radio et que j’apprenne qu’en Afrique le travail forcé est institué, légalisé, je dis que véritablement, on nous a menti : Hitler n’est pas mort. (Fanon, 72)

Enfin c’est James Baldwin, écrivain, militant des droits civiques, né à Harlem et vivant à Paris, qui écrit en 1963 un essai intitulé La prochaine fois le feu. Il y évoquait lui aussi la question de l’extermination nazie :

« Le sort des Juifs et l’indifférence du monde à leur égard m’avaient rempli de frayeur. Je ne pouvais m’empêcher de penser [...]que cette indifférence était ce à quoi je pouvais m’attendre le jour où les États-Unis décideraient d’assassiner leurs nègres systématiquement et non petit à petit à l’aveuglette. » (Baldwin, 77).

Le trait fantastique aura permis d’avoir peur comme James Baldwin lui-même, car après tout là aussi c’est (presque) de l’histoire.

33. Le réalisateur a proposé deux issues à cette histoire. Chris réussit à se battre, car il est malin et fort, et le feu engloutit l’horreur qu’il laisse derrière lui, quand Ron qui a tout compris, vient sauver son ami et l’emmène en lui rappelant qu’il l’avait prévenu. Fin de l’histoire, fin de l’espoir. Les personnages sympathiques sont sauvés, mais on ne doit rien attendre de la société américaine, il faut s’en méfier. La deuxième fin est plus tragique encore. Ce n’est plus Rod qui arrive sur les lieux de l’ultime bataille, mais la police américaine. Chris se retrouve en prison pour meurtre et comme la maison a brûlé par les bons soins du père Armitage, il ne peut rien prouver. Il explique à Rod, dans un implicite voulu par le réalisateur, que même s’il est condamné à mort, sa vie comme sa mort ont du sens pour au moins avoir mis fin à « ça ». Lutter contre le racisme se paye de la vie, mais les héros sont des sauveurs indispensables.

C’est la première fin qui est projetée au cinéma, mais la seconde est plus en accord avec l’esprit d’une lutte à reprendre qui me semble celui du moment. Le droit comme les bons sentiments ici encore ne servent à rien. Pourtant le réalisateur noir vit avec une femme blanche, et pour que le film puisse porter, il faut bien sûr dénoter cette histoire de nazisme comme représentation ici de l’essence du mal, savoir qu’une conception de l’humanité rend ces actes monstrueux, c’est-à-dire inhumains, et pouvoir donc à la fois réclamer la fin de l’illusion, mais avec l’idéal comme seul régulateur possible de cette totale abjection. Bref que la portée antiraciste de cette œuvre fantastique suppose des prérequis antiracistes. Ici un personnage noir sauve par anticipation des membres de sa communauté, et sauve une certaine exigence d’humanité par sa lutte et cette capacité à ne pas devenir fou en prison. L’antiracisme est donc toujours une lutte. Peut-être même au sein d’un couple, mais une lutte qui en vaut la peine.

Un couple (trop) idyllique ? Épilogue

34. Du côté français, de fait les films qui posent frontalement la question raciste et postcoloniale font souvent moins d’entrées que les films dont nous venons de parler [16]. Le public commence tout juste à vouloir savoir que rien n’est simple dans les faits historiques. Le dernier en date, Un violent désir de bonheur [17], met en scène un moine obligé de quitter l’habit en 1792 et une jeune femme noire très silencieuse qui décide de rester à ses côtés plutôt que de suivre l’armée qui se retire des lieux et avec laquelle elle était arrivée. On ne sait rien de son histoire, sinon qu’elle a été esclave, elle est belle, et les deux jeunes gens naissent au bonheur dans la violence des corps désirants. Elle ne prend la parole que dans les derniers plans et ce qu’elle déclare est une affirmation d’indépendance, d’intelligence et de désir ardent de liberté et de parler libre. Peut-être cet art de la parole intense que possède aussi le jeune moine désormais émancipé, est ce qui l’avait incitée à rester. Devenir ensemble des êtres non seulement désirant, mais parlant. L’intimité et la politique sont la matière de ce désir violent de bonheur. Nous sommes sur l’envers de l’expérience filmique américaine et c’est en partie une énigme. Sans doute un désir de retour à une racine des possibles émancipateurs. Et ce n’est pas triste, me semble-t-il. Juste un peu fugace et fragile comme l’a été la liberté révolutionnaire.

Ce texte fut publié la première fois dans Alternative Francophone, vol.2.6 (2020) : 28-47, que nous reproduisons avec l’accord de l’auteure et l’autorisation de la direction de cette revue.

Sophie Wahnich est historienne, directrice de recherche au CNRS.

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Blackkklansman. Directed bySpike Lee, Focus Features, 2018.

Django Unchained. Directed by Quentin Tarentino, Columbia Pictures,2012.

GetOut. Directed by Jordan Peele,Universal Pictures,2017.

Inglourious Basterds. Directed by Quentin Tarentino, Universal Pictures,2009.

Les veuves. Directed by Steve McQueen, Regency Enterprises, 2018.

Naissance d’une nation (The Birth of a Nation). Directed by D.W Griffith,Epoch Producing Co.,1915.

Un violent désir de Bonheur. Directed by Clément Schneider,Les films d’argile,2018.

Show Me a Hero. Directed by David Simon,mini-series, HBO, 2015.

The Hateful Eight. Directed bypar Quentin Tarentino, The Weinstein Company,2015.

Expositions

Museum of the American Revolution.Permanent exhibition, Philadelphia,2018.

Picturing protest. September2018, Princeton museum.

Notes

[1Nous le consultons dans sa version de poche traduite en français.

[2Il déploie son argument pour évoquer les conséquences des actes de cruauté de la dictature argentine qui faisaient disparaître les militants politiques de l’opposition.

[3Au sens où René Char dans les affirme dans les Feuillets d’hypnos que « la lucidité est la brulure la plus rapprochée du soleil ».

[4Il y explicite également les fondements de l’intuition morale de la résistance : « Lorsque le fort parvient à opprimer le faible, il produit effet sans produire obligation. Loin d’imposer un devoir nouveau au faible, il ranime en lui le devoir naturel et impérissable de repousser l’oppression. C’est donc une vérité éternelle, et qu’on ne peut trop répéter aux hommes, que l’acte par lequel le fort tient le faible sous son joug, ne peut jamais devenir un droit ; et qu’au contraire l’acte par lequel le faible se soustrait au joug du fort est toujours un droit, que c’est un devoir toujours pressant envers lui-même ». Sieyès, « Reconnaissance et exposition raisonnée des droits de l’homme », comité de constitution, 20 et 21 juillet 1789, Bibliothèque nationale, Le 2971A. Cité dans Sophie Wahnich, L’intelligence politique de la Révolution française, Paris, Textuel, 2012, p.20.

[5Claude Lévi-Strauss, à ce titre, est absolument un héritier des Lumières. Défendre l’égale dignité de toutes les cultures, c’est défendre l’unité du genre humain et la diversité des cultures.

[6Je respecte ici la graphie de Mirabeau.

[7Idem.

[8J’ai en effet repris la question de l’universel en tentant de répondre aux arguments anglo-saxons en tenant compte de la tradition abolitionniste française dans ce rapport à la raison sensible qui m’est chère, contre des positions qui ne voient dans l’universel qu’une abstraction désincarnée. J’ai tenté de le faire à la croisée de la question révolutionnaire française et anglo-saxonne, mais aussi du marxisme et de sa critique, le croisement a eu lieu, car l’article est d’abord paru en français dans Vacarme, puis dans View point magazine en anglais.

[9Cette question a été travaillée dans Sophie Wahnich, L’impossible citoyen, l’étranger dans le discours de la révolution française, Paris, Albin Michel, 1997, pp.201-234.

[10Notons qu’une maison de la Négritude est née dans cette petite bourgade sous le parrainage de Léopold Sédar Senghor dans les années 1970 du fait de cette archive singulière.

[11C’est d’ailleurs le titre du Volume dirigé par Florence Gauthier, Périssent les colonies plutôt qu’un principe, Paris, Société des études robespierristes, Collection Études révolutionnaires, n° 2, 2002.

[12L’expression est d’Edgar Quinet.

[13Il n’est pas certain loin de là que l’universel tel qu’il a été défendu en 1789 puis 1793 écrase les particularités, carla liberté défendue est réciproque pour rester sans domination et l’universel, une mosaïque de réciprocités. L’universel est donc tissé de particularités, mais retrouver cette tradition supposerait la diffusion d’une véritable critique libérale du néolibéralisme contemporain pour pouvoir être audible.

[14C’est également le cas dans les deux premiers films de la trilogie de Quentin Tarentino, Inglorious Bastards et Django unchained, voir mon article « Shoshanna, Django, Siegfried -Quentin Tarantino : une histoire de vengeance ».

[15Ce sont des discours politiques pour la campagne électorale de 1945.

[16Benjamin Stora explique régulièrement par exemple, que contrairement aux idées reçues, il y a beaucoup de films sur la guerre d’Algérie et sur son après coup, mais que les Français vont peu les voir puis les oublient.

[17Film sélectionné par l’ACID pour le festival de Cannes 2018.

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