On s’lève, on s’casse, on en a marre, on s’laisse plus faire par ces tocards !
Ou plutôt non : on se lève et on ne se casse plus. On se lève et on prend la rue. On se lève et on lutte. On prend la place, on prend l’espace, parce qu’il est temps d’en finir avec le sexisme et les violences faites aux femmes.
Les cortèges Rosies ont commencé après la vague #Metoo à l’international, après le #BalanceTonPorc à la française, après les grandes marches contre les violences faites aux femmes en 2019, et juste avant le mouvement #FrenchMeToo initié par Adèle Haenel aux César de la honte, amplifié par la tribune de Virginie Despentes.
C’est dans ce contexte de libération de la parole et des colères, c’est parce que cette domination patriarcale nous la vivons, nous l’expérimentons, nous la subissons au travail et dans la chair, que les Rosies ont connu un tel succès comme mouvement d’expression féministe au-delà de la question sociale.
Cette domination est parfaitement incarnée en France par un Président de la République, plus haut personnage de l’État, qui se fait constamment le complice et le parapluie des hommes accusés de violences sexistes ou sexuelles. Le masculiniste en chef qui se permet d’innocenter les agresseurs après avoir parlé « d’homme à homme » avec eux, les soutenant publiquement en piétinant au passage la « grande cause du quinquennat ». Décourageant toutes les victimes qui ont osé témoigner, et celles qui imagineraient le faire. Le parfait exemple du cynisme de ce « en même temps » si cher à Emmanuel Macron, qui vante la parole libérée tout en la décrédibilisant.
Fin 2023, en véritable porte-flingue du patriarcat et de la culture du viol, Emmanuel Macron a arbitré et décidé que la France ne souhaitait pas une définition européenne du viol assise sur la notion de consentement. Puis il a franchi un point de non-retour en apportant son soutien à Gérard Depardieu, mis en examen pour viols et agressions sexuelles. En affirmant même qu’il était la fierté de la France, devant des millions de téléspectateur·ices. Joyeuses fêtes les sorcières ! Peu lui importe les nombreuses expressions d’institutions et de personnalités, faisant notamment autorité et dont la légitimité est reconnue en matière de féminisme, ou encore les nombreux témoignages accablants qui s’accumulent contre l’acteur : « ça lui en touche une sans faire bouger l’autre » pour reprendre une de ses expressions raffinées et pas du tout virilistes.
Emmanuel Macron est pleinement conscient de son capital symbolique et de la portée de ses propos qui ont des conséquences terribles pour la cause et la parole des femmes. Soutenir un agresseur au nom de la présomption d’innocence, alors que seuls 0,6 % des viols sont condamnés, c’est créer un climat qui expose encore plus les femmes à des violences sexistes et sexuelles et à leur impunité. Au-delà de la question judiciaire, Emmanuel Macron a choisi son camp dans la bataille culturelle. Il se rallie aux rangs de ceux qui veulent neutraliser la vague « On te croit », ceux des forces réactionnaires.
Alors que la présomption de sincérité et de véracité est cruciale dans la manifestation de la vérité pour la cause des femmes, comme pour la cause des victimes de discriminations et celle des enfants victimes de violences. Emmanuel Macron a cru pouvoir miser sur un ras le bol de l’opinion publique vis-à-vis de la vague féministe post-MeToo, un retour de bâton, un backlash. Mais c’est bien un contre-backlash auquel on a assisté et qui a emporté la manche, à travers des réactions fortes dénonçant les positions scandaleuses du chef de l’État. Ce nouveau round du #FrenchMeToo pourrait bien mettre K. O. Macron et son monde d’une époque révolue. Nous ne laisserons pas passer ces discours de domination du corps des femmes au service du système productiviste patriarcal.
Les Rosies vs les VSS
Alors les Rosies là-dedans ? L’aventure Rosies est d’abord une aventure féministe. L’objectif est de s’emparer des maux du patriarcat en mobilisant nos corps et nos voix. En dénonçant collectivement et publiquement, en occupant l’espace, en prenant la place. Sur Paris, les cortèges des Rosies de la première réforme des retraites en 2020 étaient d’ailleurs non mixtes. Le but ? Rassembler des femmes dans un espace qui leur est propre et « safe », et avoir un impact visuel avec ce bloc bleu de femmes aux poings jaunes levés. Le recours à la non-mixité a évolué : par exemple en 2023, lors des mobilisations contre la réforme des retraites, même si les femmes étaient encore une fois les plus sévèrement impactées, il s’agissait d’inclure dans les cortèges tout un pan de la population subissant de plein fouet le report de l’âge de départ à la retraite : précaires, ouvrier·es, carrières longues…
Très vite les thèmes de la lutte contre le patriarcat, contre les violences sexistes et sexuelles ont infusé dans nos chansons. En février 2020, les Rosies ont participé à la manifestation spontanée devant la salle Pleyel et sur les Champs Élysées en réaction à la nomination de Roman Polanski à la cérémonie des César. Il fallait les voir nos corbeaux (marionnettes géantes en forme de corbeau sur lesquels étaient écrits les noms de Polanski, Darmanin…) au milieu des strass, des paillettes…une belle bouse dont nous sommes fières (Et féministes ! Et radicales ! Et en colère !) sur leur tapis rouge !
En juillet 2020, nous avons répondu présentes à la cérémonie d’enterrement de la grande cause du (premier) quinquennat de Macron à l’Église de la Madeleine, organisée par #NousToutes, alors que Gérald Darmanin vient d’être nommé ministre de l’Intérieur, et Eric Dupont-Moretti ministre de la Justice. Sur Paris, le rassemblement à l’Hôtel de ville a réuni des milliers de personnes scandant à l’unisson « Un violeur à l’intérieur ! Un complice à la justice ! » et « La culture du viol est en marche ! ».
Le 8 mars 2021, les Rosies dénoncent l’impunité des hommes accusés de viol en mettant en scène les portraits géants de Dominique Strauss-Kahn, Olivier Duhamel, Patrick Poivre d’Arvor, Richard Berry, Roman Polanski, Gérald Darmanin, et Gérard Depardieu. Devant le palais de justice de Paris nous les avons symboliquement mis derrière les barreaux avec une façade de prison que nous avions fabriquée.
On ne rate pas une occasion de rappeler le caractère structurel des violences sexistes et sexuelles qui touchent une femme sur deux, dont la presque totalité des auteurs sont des hommes et qui sont très mal prises en compte par le système judiciaire dans notre pays. Et d’ailleurs, en août 2021, lorsque nous avons animé l’atelier sur les Rosies à l’Université des Mouvements Sociaux et des Solidarités à Nantes, au moment de choisir le thème féministe du tube que nous allions composer ensemble, le thème des violences faites aux femmes s’est imposé naturellement. Chacune y apportant un peu de son vécu, de son expérience (les statistiques dramatiques aidant…). C’est ainsi qu’est née, en une seule journée, la chanson Respecte-moi ! qui dénonce les injonctions et oppressions subies par les femmes dans la sphère publique comme privée.
Les Rosies, c’est d’abord créer un espace de ralliement féministe. Si les revendications sont à la base sociales, il faut comprendre le contexte dans lequel les Rosies ont déboulé. Comment d’une revendication féministe liée au travail on en arrive à parler de violences sexistes et sexuelles ? Après le temps des grandes arnaques (« grande cause du quinquennat », « grandes gagnantes »…tu parles !), la vague #Metoo a aussi frappé la France.
Cette vague comprise et intégrée par le mouvement social féministe, et par une majorité de la population (coucou Macron !), a produit des effets qui continuent de transformer profondément la société à chaque nouveau scandale de violences faites aux femmes. Elle s’exprime notamment au travers de mobilisations qui, au premier abord, ne semblent pas concerner les questions féministes. Le mouvement des femmes dans les manifestations retraites, auquel les Rosies ont contribué, en est une illustration : il a eu une importance significative, et s’il a « surfé » sur la vague #MeToo, c’était sans opportunisme : par exaspération et indignation. La cause des femmes reléguées au second plan, c’est terminé !
Il est plus que jamais nécessaire d’imposer le lien entre les revendications portant sur le travail, les retraites, les inégalités femmes/hommes, avec les revendications féministes. Si le travail des femmes est si peu valorisé et que leurs carrières sont mauvaises (et qu’elles ont donc des retraites de m…biiiip !) c’est parce que nous vivons dans une société patriarcale qui n’accorde ni la place ni la valeur dues aux femmes. Une société patriarcale qui considère les femmes comme un produit consommable dont on peut disposer librement. Disposer librement de leur corps, de leur temps, de leur énergie, en les exploitant pour la gestion du foyer, de la famille, de l’entourage. Les exploiter au travail, les maltraiter et les violenter dans leur chair. Les discriminations et les inégalités au travail (rémunéré ou non) sont liées aux violences sexistes et sexuelles, et c’est ce lien que font depuis le départ les Rosies, essentielles mais premières de corvée !
Repères
- 1 femme sur 2 a déjà subi une violence sexuelle en France
Plus d’une femme sur deux en France (53%) et plus de six jeunes femmes sur dix (63%) ont déjà été victimes de harcèlement ou d’agression sexuelle au moins une fois dans leur vie.
- 213 000 femmes victimes de violences physiques ou sexuelles de la part de leur conjoint ou ex-conjoint chaque année
En moyenne chaque année sur la période 2011-2018, 213 000 femmes âgées de 18 à 75 ans déclarent avoir été victimes de violences physiques ou sexuelles de la part d’un conjoint (concubin, pacsé, petit ami) ou d’un ex-conjoint.
- 94 000 femmes sont victimes de viol ou tentatives de viol chaque année
En moyenne chaque année sur la période 2011-2018, 94 000 femmes âgées de 18 à 75 ans déclarent avoir été victimes d’un viol ou d’une tentative de viol. Parmi ces femmes victimes, 32 % sont âgées de 18 à 29 ans et dans 45 % des cas décrits l’auteur est un conjoint ou un ex-conjoint.
- Moins de 10 % des victimes de violences sexuelles commises hors du cadre familial portent plainte
D’après une étude de 2022 du ministère de l’Intérieur, moins de 10 % des victimes de violences sexuelles commises hors du cadre familial portent plainte. On peut imaginer que ce chiffre est encore plus faible en ce qui concerne les violences sexuelles dans le cadre familial.
- Moins de 1% de violeurs condamnés
0,6 % des viols ou tentatives de viol ont donné lieu à une condamnation en 2020
- 20 % d’augmentation des féminicides entre 2020 et 2021
L’étude 2022 du ministère de l’intérieur consacrée aux féminicides dans le couple révèle que ces meurtres ont augmenté de 20 % entre 2020 et 2021.
À lire :
Note d’Attac (mars 2024) : Violences sexistes et sexuelles, violences sociales : pourquoi le 25 novembre et le 8 mars sont-ils les deux faces d’une même médaille ?