Qu’elles portent sur les stratégies d’évitement de l’impôt de riches particuliers ou de celles de grandes entreprises, ces affaires ont les mêmes ressorts : l’insuffisance patente des moyens de combattre la délinquance en col blanc, la complicité active et/ou passive de nombreux États et l’ampleur des sommes qui échappent aux recettes publiques, c’est-à-dire aux services publics, à la redistribution, à la réduction des inégalités ou encore au financement de la transition écologique.
L’affaire Pandora Papers ne fait malheureusement que confirmer ce constat déjà solidement établi… L’enquête du consortium de journalistes porte sur une période récente, elle met clairement en cause des territoires, y compris des États des États-Unis, comme le Dakota du Sud, qui ont profité de l’affaiblissement de certains « paradis fiscaux » pour en devenir un eux-même ! Ils offrent la possibilité de dissimuler des sommes qui donnent le tournis.
On retrouve dans ce scandale des stratégies connues de longue date, tels les trusts (des sociétés écrans qui gèrent un patrimoine pour le compte d’un bénéficiaire effectif qui n’est pas identifié) ou encore des opérations immobilières douteuses et, une fois de plus, des personnalités influentes qui profitent de cette industrie de l’évasion fiscale et de la délinquance financière.
Les mêmes recettes pour les mêmes résultats, voilà qui a de quoi interroger les déclarations politiques de ces dernières années qui vantaient l’efficacité des mesures prises depuis une dizaine d’années...
Surtout quand on voit que parmi les personnalités épinglées dans les Pandora Papers figurent de nombreux responsables politiques : "comment espérer que nos dirigeants politiques mettent fin à l’évasion fiscale quand tant d’entre eux utilisent eux-mêmes les paradis fiscaux pour dissimuler leurs avoirs ?", interroge Raphaël Pradeau, porte-parole d’Attac France.
L’association Attac s’est créée en 1998 pour défendre l’idée d’une taxation des transactions financières. Dés ses premiers travaux, elle a dénoncé le rôle des paradis fiscaux et l’absence manifeste de réelle volonté politique pour en finir avec l’évasion fiscale. Cette même année, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) publiait un rapport sur la concurrence fiscale dommageable. 23 ans après, malgré quelques mesures timides et tardives, nous en sommes à déplorer une énième affaire d’évasion fiscale. Et ce alors que, depuis 23 ans, grâce aux travaux et à l’action de nombreuses personnalités, ONG et économistes, lanceurs d’alerte et journalistes, l’ampleur, les mécanismes et les conséquences de l’évasion fiscale sont documentés et connus.
Rappelons les enjeux. La fraude aux prélèvements obligatoires, ce qui manque tous les ans aux recettes publiques, serait comprise entre 860 et 1000 milliards d’euros dans l’Union européenne et à plus de 100 milliards d’euros en France soit, concrètement, entre 80 et 100 milliards d’euros de fraude fiscale et environ 20 milliards d’euros de fraude aux cotisations sociales dûe essentiellement au travail non déclaré (n’en déplaise aux néolibéraux de tout poil, la fraude aux prestations sociales est extrêmement minoritaire : en matière de fraude le véritable enjeu est ailleurs).
Malgré ces travaux et les déclarations de responsables politiques toutes plus volontaristes les unes que les autres, le constat que l’on peut dresser aujourd’hui est sidérant : l’évasion fiscale fait toujours système. La responsabilité des personnes et entités qui la pratiquent, l’encouragent ou la couvrent est accablante. C’est pourquoi Attac vient de lancer une grande campagne de désobéissance civile en allant "prélever à la source" des multinationales pratiquant l’évasion fiscale, et appelle à multiplier ces actions au cours des prochaines semaines. [1]
Certes des mesures ont été prises mais elles sont insuffisantes, et chaque mesure intéressante est combattue par les représentants d’intérêts particuliers : la préoccupante extension du secret des affaires est là pour le rappeler. Les solutions à mettre en œuvre sont pourtant connues. Face aux enjeux sociaux, écologiques et économiques de la période, le discours et les actes doivent être cohérents : on ne transige plus avec l’évasion et la fraude fiscales, il faut en finir avec la stratégie de « petits pas » qui laisse toujours plusieurs temps d’avance à l’évitement de l’impôt et prendre d’urgence un ensemble de mesures.
C’est ce qu’Attac ne cesse de porter, en revendiquant notamment :
- une réforme du système fiscal visant à le rendre tout à la fois plus juste mais aussi plus difficilement contournable (une revue des « niches fiscales » et des régimes dérogatoires visant à en réduire drastiquement le nombre et le coût le permettrait),
- la mise en œuvre d’une taxation unitaire des multinationales au plan mondial,
- la création d’un cadastre financier mondial (à tout le moins européen), une véritable transparence fiscale (notamment avec le reporting public pays par pays),
- une sanction efficace de la fraude, c’est-à-dire des fraudeurs et de leurs complices,
- une véritable protection des lanceurs d’alerte,
- ou encore le renforcement des moyens législatifs, techniques et humains des services spécialisées (notamment ceux des administrations fiscales et douanières ou encore de la justice) et de la coopération internationale.