PLF 2024 : des enjeux, budgétaires et bien au-delà...

mercredi 25 octobre 2023, par Attac France

Situation internationale, inflation, crise climatique, c’est peu de dire que la discussion sur le projet de loi de finances (PLF) et sur celui du financement de la Sécurité sociale (PLFSS) s’est ouverte dans un contexte tendu et inédit.

Au surplus, au sein de l’Union européenne, la politique monétaire de la Banque centrale européenne et le retour des critères budgétaires (après une suspension temporaire), que le gouvernement français intègre dans ses choix, pèsent lourdement sur les politiques publiques. Face à ces défis, auxquels on ajoutera un vif besoin de services publics et de protection sociale, la politique budgétaire et fiscale devrait jouer un rôle majeur. On en est loin. Alors qu’on reparle des « niches fiscales », le gouvernement a actionné une nouvelle fois le 49-3 alors que le camp de la justice fiscale s’organise.

Les niches fiscales, pour trouver « ses sous » ?

Le débat sur les « niches fiscales » s’est engagé sur l’air de « il va bien falloir trouver des sous ». Pourtant, il ne s’agit toutefois pas simplement de trouver des recettes. Encore faut-il savoir qui paie, ce qui renvoie à la politique fiscale de la période, orientée (hélas) vers le maintien de mesures coûteuses et injustes. Il en va ainsi de la transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune en simple impôt sur la fortune immobilière, de l’instauration du prélèvement forfaitaire unique, deux mesures coûteuses et inefficaces (plus de 4 milliards d’euros) qui auront bénéficié aux ménages aisés. Sur ces mesures, le 4e rapport de France stratégie sur le sujet s’est montré très critique. Il en va également de la baisse des impôts sur les entreprises. Incontestablement, il existe donc des marges de manœuvre pour une réforme pour rétablir davantage de justice fiscale, ce qui renforcerait le consentement à l’impôt.

Que faire des « niches » ? Il est vrai que les 467 « dépenses fiscales » (autrement dit, les « niches fiscales ») rendent le système fiscal complexe, injuste et instable. Dans sa note du 7 juillet intitulée « Piloter et évaluer les niches fiscales », la Cour déplorait ainsi que "depuis dix ans, aucun mécanisme d’encadrement n’a permis d’en améliorer durablement le pilotage et n’a modéré leur augmentation, tant en nombre qu’en montant .(…) Les dispositifs prévus par les lois de programmation des finances publiques successives afin d’en contenir la croissance et de développer leur évaluation se sont révélés inefficaces ou inappliqués" en raison d’un manque de "volonté politique". En 10 ans, le coût des dépenses fiscales a en effet augmenté de 16 % pour atteindre 94,2 milliards d’euros en 2022, soit 3,6 % du PIB. La Cour note que "le niveau élevé de ces dépenses fiscales réduit le rendement des impôts" (jusqu’à 45 % de leurs recettes). Et il faut ajouter à ce coût celui de mesures qui ne sont plus considérées comme des dépenses fiscales, mais comme des modalités de calcul de l’impôt, et qui génèrent un manque à gagner de plusieurs dizaines milliards d’euros [1].

Tous les impôts sont concernés, même si 90 % (en montant) des niches concernent l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les sociétés et la TVA. Elles viennent « miter le rendement des impôts », souligne le premier président de la Cour des comptes pour qui « C’est une voie de facilité » car « Rien ne garantit la qualité ni l’adéquation [des niches] aux objectifs fixés ». Si la Cour des comptes centre son propos sur le rendement budgétaire, précisons que les niches ont également un impact sur la progressivité de l’impôt et sur l’équité fiscale. Leur concentration sur les plus aisés conduit à la situation suivante : en matière d’impôt sur le revenu, le taux d’imposition réel atteint 22,37 % pour les foyers dont le revenu fiscal de référence compris entre 400.000 et 500.000 euros, puis diminue pour passer sous 18 % au-dessus de 6 millions d’euros.

Le gouvernement veut supprimer 21 niches fiscales «  inefficientes ou obsolètes » dans le PLF 2024. Les dispositifs relatifs à l’immobilier (Perissol, Besson neuf, Borloo neuf, Demessine, Censi-Bouvard, Scellier) dont la fin était déjà programmée, sont clos. Si on peut le remarquer en espérant qu’aucune nouvelle « niche immobilière » ne voit le jour, cela reste très insuffisant au regard du nombre et du coût de l’ensemble des « niches ». Or, nettoyer et élargir les assiettes fiscales permettrait de dégager des ressources et de rétablir davantage de justice fiscale. Deux mesures pourraient être prises. Une première, d’application immédiate, consisterait à plafonner le montant maximum d’économie d’impôt permis par les niches fiscales. Plus globalement, il faut engager une « revue des niches fiscales » pour analyser le rapport « coût/efficacité/impact sur la redistribution fiscale ». Au terme de cette « revue », les mesures ne répondant pas aux objectifs seraient supprimées, celles qui peuvent être réorientées seraient réformes et seules celles répondant aux objectifs seraient maintenues.

La justice fiscale au péril du 49-3

Au sein de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, plusieurs amendements au PLF 2024 ont été adoptés. Certains sont intéressants, d’autres sont particulièrement régressifs.

Parmi les amendements intéressants votés en commission des finances, on relèvera les suivants :
• le relèvement de l’imposition des dividendes de 30 à 35 %,
• l’indexation différenciée de l’impôt sur le revenu (IR) visant à surindexer la première tranche à 5,6 %, de conserver une indexation sur l’inflation pour la deuxième et de ne pas indexer du tout les deux autres, et cela pour réintroduire une petite dose de progressivité dans l’IR,
l’impôt universel qui cible les Français partant pour des raisons fiscales vers des pays qui font une fiscalité privilégiée inférieure de 50 % à celle applicable en France,
• le rétablissement du régime initial de l’exit tax, largement assoupli et allégé en 2019,
• et l’étude de faisabilité d’une imposition mondiale minimale sur les personnes physiques.

Parmi les amendements « régressifs », l’un d’entre eux visait à détricoter l’IR et proposait d’appliquer le PFU (prélèvement forfaitaire unique) aux revenus fonciers, alignant ainsi ce type de revenus sur les revenus financiers. Un autre, rédigé par la FNSEA et repris sous différentes formes par des député·e·s de la droite, de l’extrême droite et de la majorité, visait à suspendre les avantages fiscaux à tout organisme faisant appel à la générosité du public au titre des dons, versements et legs lorsque ceux-ci seraient condamnés pour certaines infractions pénales. [2]

Ces amendements n’ont pas été retenus dans le projet du gouvernement, passé en force par la première ministre le 18 octobre avec le 49-3. On pourra se féliciter que les amendements régressifs aient été rejetés, tout en surveillant cependant la suite du débat au Sénat. Il reste que les amendements de « justice fiscale » ont également été retoqués. Une fois de plus, le désir toujours plus fort d’une très grande partie de la population d’une véritable justice fiscale attendra.

De l’espoir dans le combat pour la justice fiscale

Les politiques fiscales néolibérales auraient-elles vécu et ne seraient-elles au fond qu’en sursis ? Il serait bien optimiste de le croire. Plusieurs éléments montrent toutefois que les idées en faveur de la justice fiscale, sociale et écologique progressent.
• Il y a 15 ans, peu de gouvernements prenaient au sérieux la question de l’évasion fiscale et des paradis fiscaux. Si les mesures prises depuis sont insuffisantes, le discours a cependant évolué : personne ne peut plus dire aujourd’hui qu’il n’y a pas de problème d’évitement de l’impôt.
• Depuis plusieurs années, certains rapports, comme ceux de l’Organisation de coopération et du développement économiques (OCDE) [3]et de France stratégie [4], montrent qu’il faut réduire les inégalités en imposant mieux le patrimoine, notamment sa transmission.
• Il y a 6 ans, la théorie du « ruissellement » était le prétexte des réformes fiscales régressives (transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière par exemple). Depuis, Joe Biden lui-même a avoué que le ruissellement « n’a jamais fonctionné » [5]. En France, le ruissellement a été également contesté, les 4 rapports du comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital de France stratégie ont clairement montré que les réformes de 2017 avaient nourri les inégalités et les déficits budgétaires, sans effet sur l’investissement et l’emploi.
• La période récente a également été marquée par un lien de plus en plus étroit, et compris de la population, entre les enjeux sociaux et climatiques. C’est d’ailleurs l’un des enseignements du conflit de début 2023 contre la réforme des systèmes de retraites.
• Récemment, le débat sur la taxation des riches, des superprofits des multinationales et des superdividendes, a pris une réelle ampleur. Une campagne européenne « tax the rich » a ainsi été initiée par plusieurs personnalités : elle vise à déboucher sur une directive relative à l’instauration d’un impôt européen sur la fortune [6].

Au-delà, le raidissement du pouvoir, en France et dans d’autres pays, en témoigne : les politiques néolibérales sont de plus de plus contestées, puisque leur injustice et leur inefficacité est désormais largement démontrée. Mais dans une période de tensions et d’inquiétude et alors que le gouvernement passe désormais ses textes financiers en force en faisant des partis d’opposition de gauche et du mouvement social son principal adversaire, le risque est évident : que la droite extrême et l’extrême droite profitent de ce mécontentement alors qu’elles portent des mesures bien plus injustes et régressives, y compris en matière de libertés publiques.

Pour Attac, qui fête ses 25 ans, et les partisans d’une véritable justice fiscale, sociale et écologique, ce risque ne peut que susciter la plus vive inquiétude, mais il renforce la détermination à mener le combat pour la justice fiscale, sociale et écologique. Il y a de l’espoir puisque de nombreuses thèses et propositions sont désormais reprises dans le débat public. Reste à les faire vivre pour éviter le pire. C’est l’un des grands enjeux de la période.

Notes

[1Notamment les régimes de groupes : sociétés mères et filiales (17,6 milliards d’euros en 2018), intégration fiscale (16,4 milliards en 2018) et taxation au taux zéro des plus-values sur cession de titres (7,02 milliards en 2018).

[2Voir le communiqué de nombreuses organisations dénonçant cet amendement du 17 octobre 2023.

[3Rapport de l’OCDE, « Les impôts sur les successions et les donations pourraient jouer un rôle plus important pour réduire les inégalités et améliorer les finances publiques », 11 mai 2021.

[4Note de France stratégie, « Peut-on éviter une société d’héritiers ? », n° 51, janvier 2017.

[5Discours de Joe Biden du 28 avril 2021 devant le congrès.

[6Voir le site de la campagne pour signer la pétition en ligne.

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