Note sur l’impôt universel sur la citoyenneté et les alternatives possibles

jeudi 18 avril 2019, par Vincent Drezet

Le débat sur l’impôt universel fait appel à deux notions : l’impôt payé par tous (il concerne notamment l’impôt sur le revenu auquel sont assujettis environ 45 % des foyers fiscaux) et l’impôt fondé sur la citoyenneté.

Compte tenu de l’actualité, c’est cette dernière qui sera retenue ici malgré la légitimité et le complexité du premier point. Le projet d’un impôt sur le revenu universel, autrement dit fondé sur la citoyenneté et non sur la résidence, a en effet été mis en débat lors de la campagne présidentielle de 2017. Début 2019, une mission d’information de l’Assemblée nationale a été créée pour procéder à une analyse de ce projet et formuler le cas échéant des recommandations.

La présente note revient sur les systèmes en vigueur (1), les principaux arguments avancés par les partisans et les détracteurs de cette proposition (2), les avantages et les difficultés qu’elle rencontre (3) et les solutions alternatives possibles (4).

1/ Citoyenneté VS résidence : rapide comparatif

L’impôt sur le revenu fondé sur la citoyenneté s’applique aux États-Unis tandis que, dans les autres pays, c’est le concept de résidence qui est pris en compte. Ces deux systèmes, très opposés philosophiquement, connaissent néanmoins des adaptations.

Situation aux États-Unis

En matière d’impôt sur le revenu, les États-Unis se différencient des autres pays : c’est en effet le concept de citoyenneté qui prévaut. Les citoyens américains, qu’ils vivent sur le territoire national ou à l’étranger, sont assujettis à l’impôt sur le revenu fédéral. Les revenus imposables comprennent ainsi tous les revenus perçus sous la forme d’argent, de marchandises, de biens et services, même s’ils sont de source étrangère.

Trois dispositifs leur permettent d’alléger leur contribution : la réduction de l’assiette imposable par la déduction des revenus du travail d’origine étrangère ; le crédit d’impôt compensant les impôts payés à l’étranger et la réduction de l’assiette imposable par la déduction des impôts payés à l’étranger. Ces dispositifs, précisés dans les conventions fiscales afin d‘éviter les situations de double imposition, ne sont pas cumulables. Pour procéder au contrôle des obligations fiscales de leurs citoyens, les États-Unis ont instauré le dispositif Fatca qui oblige les institutions financières et les particuliers à transmettre les informations bancaires à l’administration américaine sous peine de sanction financière.

Situation en France et dans les autres pays

La situation est différente dans les autres pays puisque l’impôt sur le revenu se fonde sur la résidence. Est alors redevable de l’impôt sur le revenu d’un État tout personne ayant sa résidence dans cette État, indépendamment de sa citoyenneté. Des critères (durée de séjour, centre des intérêts personnels et professionnels) précisent la notion de résidence. Les conventions fiscales bilatérales sont aussi chargées de régler les potentielles situations de double imposition : chaque États prélève en effet un impôt sur les non-résidents sur les revenus perçus sur son sol. En France, ces dispositions sont définies dans le code général des impôts (articles 4A à 8 quinquies).

Notons ici une spécificité de l’impôt sur le revenu allemand : en cas de transfert du domicile d’un résident allemand vers un pays à faible imposition, la loi fiscale relative aux relations avec l’étranger (« Aussensteuergesetz ») prévoit l’application d’une obligation fiscale illimitée pendant une période de dix ans à partir du transfert du domicile. C’est en quelque sorte une extension du concept de résidence fiscale. Depuis 1972 en effet, la loi fiscale relative aux opérations avec l’étranger prévoit que certains expatriés sont astreints à l’obligation fiscale limitée étendue, sous conditions : être de nationalité allemande et avoir résidé en Allemagne pendant au moins cinq ans dans les dix années qui ont précédé leur expatriation ; percevoir des revenus annuels de source allemande supérieurs à certains seuils, disposer « d’importants intérêts économiques » en Allemagne et être installé dans un pays « à faible imposition » (déterminé par des critères fixés par la loi). L’obligation fiscale limitée étendue s’applique l’année où le transfert de domicile a lieu ainsi que les dix années suivantes.

2/ Les arguments en présence

Si l’ensemble des départs à l’étranger obéissent également à d’autres motivations, pour ses partisans, un impôt sur le revenu universel fondé sur la citoyenneté permettrait de neutraliser les comportements opportunistes visant à quitter le territoire national pour des raisons fiscales. Ces départs, évalués récemment dans un rapport de la Direction générale des finances publiques (DGFiP, rapport disponible sur le site « études fiscales internationales »), provoquent un manque à gagner budgétaire et alimentent le sentiment d’une fiscalité à deux vitesses.

Au surplus, ils sont d’autant plus mal vécus que, pour certains des contribuables concernés, ils interviennent alors que l’environnement économique et social national leur a permis de créer des richesses : près de 4000 foyers fiscaux au revenu fiscal de référence moyen de 239 000 euros sont ainsi partis à l’étranger en 2016. Pour empêcher ces comportements, il est donc proposé d’instaurer un impôt fondé sur la citoyenneté. Ce qui n’empêcherait pas d’imposer également les résidents étrangers comme le font les États-Unis. Les conventions fiscales viendraient ensuite régler les situations de double-imposition.

Dans ce débat, certains proposent de refonder le concept de solidarité nationale autour de deux mécanismes mis en œuvre simultanément : un revenu citoyen universel versé sous la forme d’un crédit d’impôt de 6 000 euros par an (versé mensuellement aux 45,5 millions de Français majeurs disposant d’une carte d’électeur, ce revenu universel remplacerait les minima sociaux, la prime d’activité, les allocations logement et les niches fiscales) et, parallèlement, remplacer l’impôt sur le revenu par un impôt citoyen universel payé dès le premier euro gagné, au taux minimal de 25 % jusqu’à 35 % au maximum.

Pour d’autres au contraire, un changement de la conception historique de l’impôt sur le revenu n’est ni justifié, ni faisable. Pour ses opposants, la citoyenneté n’est en effet pas un bon critère car, outre que son principe fondateur contrarie la liberté de circulation, il faudrait également tenir compte du coût de la vie dans le pays de résidence, le niveau des salaires, etc. Par ailleurs, ils doutent de sa faisabilité même et de son efficacité en matière de rendement budgétaire et de capacité d’identifier et de contrôler l’ensemble des citoyens français installés à l’étranger.

3/ Avantages et inconvénients d’un impôt universel citoyenneté

Le projet soulève deux enjeux : la conception philosophique de l’impôt sur le revenu et la faisabilité de la réforme. C’est sur ce dernier point que nous nous concentrerons.

Le cadre juridique global

Un impôt fondé sur la citoyenneté ne remettrait pas en cause les grands principes de consentement à l’impôt et d’égalité devant l’impôt. De la même manière, s’agissant du cadre européen, il ne heurte pas le principe de non discrimination (les ressortissants européens résidents en France seraient redevable du même impôt) ni de libre circulation (même si ce point mérite une expertise au regard des débats chaotiques sur « l’exit-tax »). Et ce d’autant plus que, dans l’éventualité d’une mise en place d’un impôt fondé sur la citoyenneté, les ressortissants nationaux bénéficieraient de dispositions prévues dans les conventions fiscales pour ne pas subir de double imposition. Au surplus, les traités ne prévoient pas d’harmonisation fiscale en matière d’impôts directs (qui restent de la compétence exclusive des États-membres) en dehors du respect des grands principes évoqués ci-dessus.

L’impact sur les conventions fiscales

Cela étant dit, il est vrai qu’un changement aussi profond que celui-ci nécessiterait une révision de l’ensemble des conventions fiscales bilatérales dont la France est signataire (128 signés en avril 2019). Changer de système supposerait donc de longues discussions avec les autres États. Il est également possible de mener des discussions au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), laquelle a déjà mis en place un cadre multilatéral dans son plan dit « BEPS » visant à combattre l’érosion des bases imposables en matière de fiscalité des entreprises.

Selon l’OCDE, cette convention multilatérale est conçue « de manière à mettre rapidement en œuvre une série de mesures relatives aux conventions fiscales pour actualiser les règles fiscales internationales et réduire les possibilités d’évasion fiscale par les entreprises multinationale ». Elle peut ainsi inspirer la même approche en matière de fiscalité des particuliers avec un modèle prévoyant les dispositions à mettre en œuvre en présence de systèmes fiscaux différents (nationalité d’un côté, résidence de l’autre, concept étendu de résidence fiscale). Les dispositions applicables entre les États-Unis et les autres États peuvent y aider.

L’identification des contribuables nationaux

Environ 1,82 million de français sont installés à l’étranger selon les autorités françaises. Parmi eux, 179 597 vivent en Suisse, 157 849 aux États-Unis, 140 224 en Grande-Bretagne, 124 978 en Allemagne et 118 331 en Belgique. 40 % des expatriés vivent donc dans 5 pays. 61 % y sont installés depuis plus de 5 ans. Lors d’un départ à l’étranger, le contribuable est tenu de signaler sa nouvelle adresse à son dernier centre des finances publiques ainsi que toute modification de son adresse (ce centre continuant de gérer le dossier fiscal jusqu’à l’année qui suit celle du départ). Par ailleurs, l’administration peut obtenir des renseignements de l’état civil. Pour l’administration, il est donc techniquement possible de procéder à l’identification des citoyens qui seraient concernés par un dispositif assis sur la citoyenneté.

Le contrôle fiscal

Le contrôle fiscal est la contre-partie du système déclaratif, il veille au respect des obligations fiscales. Dans le cadre actuel, parmi ses nombreuses missions, il veille notamment à débusquer les situations de « fausses expatriations » : plusieurs dizaines de cas font ainsi l’objet de rappels d’impôt chaque année. Mais les situations de « fausses expatriations » (environ 200 identifiées chaque année et faisant l’objet d’un rappel d’impôt assorti de sanctions fiscales) sont sans aucun doute, malheureusement, beaucoup plus élevées.

Avec un impôt sur le revenu fondé sur la citoyenneté, le rôle du contrôle fiscal demeurerait indispensable pour vérifier que les contribuables assujettis au nouvel impôt respectent leurs obligations fiscales. De ce point de vue, sous réserve de vérification de l’efficacité de ce dispositif, l’échange automatique d’informations récemment mis en place (par deux vagues d’environ 50 pays fin 2017 et fin 2018) peut l’y aider.

4/ Des solutions alternatives ?

Exit tax

L’exit tax est due par les contribuables qui transfèrent leur domicile fiscal hors de France. Ils sont alors imposables, sous certaines conditions, à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux au titre de leurs plus-values latentes, de leurs créances trouvant leur origine dans une clause de complément de prix et de leurs plus-values de cession ou d’échange placées sous un régime de report d’imposition. Sont ainsi concernés ceux qui ont été résidents fiscaux français pendant au moins six ans au cours des dix années précédant le transfert du domicile à l’étranger et si ces contribuables détiennent des droits sociaux, titres ou droits atteignant une valeur globale d’au moins 800 000 € ou représentant au moins 50 % des bénéfices sociaux d’une société. Des sursis de paiement et un dégrèvement sont cependant prévus.

Quel que soit le système en vigueur, le renforcement de l’exit-tax est possible, même si sa base est plus étroite qu’un impôt citoyen qui s’appliquerait aux ressortissants expatriés, puisqu’elle ne concerne que certains revenus. A tout le moins, dans la probable perspective d’un rejet du projet d’impôt sur la citoyenneté, compte tenu des polémiques qui ont entouré son rendement, il est indispensable de connaître la base globale de ce dispositif afin d’en mesurer l’efficacité.

Renforcement du contrôle

Quel que soit le système en place, le renforcement du contrôle est une priorité. Au-delà des différentes et nombreuses formes d’évitements illégaux de l’impôt, contrôler les fausses délocalisations ou, dans un nouveau système, les autres formes de fraude, est impératif. Dans le système actuel, la détection des « fausses expatriations » et des situations complexes qu’elles comportent tant en matière de revenus que de patirmoine est d’autant plus nécessaire que les mouvements de personnes et de capitaux se sont développés.

Une extension du concept de résidence fiscale ?

Un alignement sur les règles allemandes mériterait d’être analysé : étendre en effet le concept de résidence fiscale aux dix ans postérieurs au départ à l’étranger (sous des conditions similaires) pourrait neutraliser la plupart des « expatriations fiscales », en particulier vers des pays à fiscalité privilégiée. Cette extension nécessiterait également des avenants aux conventions fiscales bilatérales même si, de ce point de vue, le précédent allemand pourrait inspirer ces avenants.

L’impôt différentiel sur la citoyenneté, une alternative consensuelle ?

Un impôt différentiel, basé sur la citoyenneté et calculé par différence entre l’impôt sur le revenu français (maintenu en tant que tel) et l’impôt sur le revenu du pays de résidence d’un ressortissant pourrait permettre d’éviter ou de limiter certains écueils tout en atteignant la plupart des objectifs assignés à un impôt dit « universel ».

Cette contribution citoyenne serait égale à la différence entre l’impôt sur le revenu dans son État de résidence et l’impôt sur le revenu français. Entreraient dans le périmètre de calcul comparatif l’ensemble des revenus, plus-values comprises, et des impôts d’État afférents. Les destinations concernées seraient alors les pays qui offrent une fiscalité faible. Il resterait alors à les définir en prenant soin de n’exclure aucun pays, y compris ceux situés au sein de l’Union européenne. Entrerait dans les termes de comparaison tout système fiscal offrant une imposition des revenus, et pourquoi pas du patrimoine, inférieur au système fiscal français.

Une telle contribution additionnelle dans certains cas, ne bousculerait pas le système fiscal national. Elle pourrait d’ailleurs prendre la forme d’une forme « d’exit tax » élargie ou, à tout le moins, refondre celle-ci en imposant les plus-values en cas d’expatriation. Elle nécessiterait nécessairement un avenant aux conventions fiscales existantes et non une réécriture de dispositions pré-existantes. Elle peut également être versée au débat au sein de l’OCDE pour élaborer un modèle multilatéral comme cela a été le cas pour l’impôt sur les sociétés.

Compte-tenu de son objectif (combattre les comportements opportunistes en cas de départ vers un pays à fiscalité privilégiée) et de sa structure, son rendement serait nécessairement positif puisqu’il ne serait pas prévu de mécanisme de type « crédit d’impôt » si l’impôt sur le revenu du pays de résidence était plus élevé que l’impôt français. Dans une estimation « basse », au moins 400 à 500 millions d’euros de rendement annuel supplémentaire à l’impôt sur le revenu sont possibles (calcul effectué sur la base des revenus « déclarés » au titre de l’exit-tax en appliquant les taux effectifs d’imposition actuels). S’y ajouterait un rendement supplémentaire au titre des prélèvements sociaux et, si la même mécanique était étendue à d’autres impôts, au titre des droits de donation et succession ou encore de l’impôt sur la fortune immobilière.

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