Les mots manquent pour qualifier l’inqualifiable. Emmanuel Macron a donc finalement décidé de renommer Sébastien Lecornu premier ministre et de faire passer un budget dans la continuité des précédents. Que ce gouvernement reste quelques jours ou quelques mois ne change plus rien au constat que l’on peut dresser de cette énième séquence hallucinante dans laquelle s’affiche toujours un brutalisme constitutionnel autoritaire.
Un entêtement antidémocratique
Un fait s’impose : Emmanuel Macron nourrit activement une crise tout à la fois politique, démocratique et de régime et contribue tout aussi activement à la montée de l’extrême droite et à l’extrême droitisation de la vie politique à l’œuvre et qui voit la mise en place d’un arc passant par le RN, LR et une partie du patronat notamment, rassemblés pour faire barrage au progrès social et écologique. Leur seule préoccupation est la préservation des intérêts des plus riches et des plus grandes entreprises.
Quant au président, il oublie les circonstances dans lesquelles il a été élu et réélu. Il méprise des institutions qu’il est censé et qu’il prétend défendre.
M. Macron a été élu en 2017 face à la candidate du RN. Une large partie de l’électorat n’adhérait pas à son programme mais l’avait choisi face au péril que représentait déjà l’extrême droite. En 2022, malgré des choix politiques injustes et inefficaces largement contestés, il a été réélu, par défaut, face au même péril alors que le RN progressait sur fond de colère sociale.
Refusant alors d’en tirer les conséquences, il a poursuivi la même politique, avec les mêmes conséquences. La réforme des retraites et les budgets passés en force par une utilisation abusive de l’article 49-3 montraient déjà que le pouvoir n’avait cure des aspirations de la population et qu’il se moquait des conséquences politiques, sociales, environnementales et économiques de ses choix.
En 2024, il a choisi de dissoudre l’Assemblée nationale mais d’ignorer, une fois de plus, le résultat du vote. Si celui-ci débouchait sur une absence de majorité absolue, il montrait cependant que le Nouveau Front Populaire était arrivé en tête.
Aujourd’hui le gouvernement Lecornu 2 démontre que, sur fond de positionnements personnels, c’est bien la continuité de la politique d’Emmanuel Macron qui est à l’œuvre. Avec les annonces de projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2026, la trajectoire reste la même : affaiblir tant les services publics que la protection sociale et ne pas revenir sur la politique fiscale à l’œuvre depuis 2017. La priorité à la baisse des déficits publics et la baisse des dépenses publiques est réaffirmée.
Les dépenses publiques une fois de plus sous forte contrainte
La « modération » de la hausse de la dépense publique est une mesure qui se trouve être une réelle baisse au regard de l’inflation : 10 milliards d’euros seraient ciblés sur l’État et ses opérateurs (avec plus de 3 000 suppressions d’emplois), 5,3 milliards sur les collectivités et le reste sur la Sécurité sociale.
La protection sociale serait ainsi touchée par le gel de nombreuses prestations, la sous-indexation des pensions de retraites ou encore une pression sur les dépenses de santé. Il s’agit bien ici d’un prélèvement sur le pouvoir d’achat des assuré
es et, plus largement, d’un nouvel affaiblissement de la Sécurité sociale.Enfin, les collectivités locales seraient contraintes de faire un effort sur leurs dépenses et ce, alors qu’elles réalisent la majorité des investissements publics et qu’elles assurent des missions de proximité très importantes. Les finances locales dépendant en effet aujourd’hui largement de l’État (au travers des concours financiers, de compensation, etc), elles sont désormais largement captives des choix du gouvernement.
Les recettes, entre cosmétique et injuste continuité
Plusieurs mesures sont vantées par le pouvoir, comme la « taxe sur le patrimoine financier » des holdings familiales patrimoniales. Celle-ci relève du cosmétique : elle devrait rapporter entre 1 et 1,5 milliard d’euros, loin derrière les 15 à 25 milliards d’euros que rapporterait la taxe Zucman (un impôt plancher sur la fortune des ultrariches). Cette mesure est d’autant plus symbolique que les entreprises devraient bénéficier d’une baisse de 1,1 milliard d’euro de leur cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et que celle-ci pourrait être supprimée plus rapidement que prévu. Rappelons que la baisse de 50 % de la CVAE intervenue en 2021 a bénéficié, pour 66 % du coût budgétaire, à moins de 10 000 entreprises, essentiellement aux plus grandes, c’est-à-dire celles qui, par le versement de dividendes (d’un montant record depuis plusieurs années), accentuent la concentration des richesses, notamment au profit de celles détenues dans les holdings.
Le gouvernement annonce par ailleurs le « maintien » de la contribution différentielle sur les hauts revenus, créée en 2025, qui ne constitue en réalité non pas une réelle taxe, mais un dispositif prévoyant une imposition minimale de 20 % pour les plus hauts revenus. Ce dispositif, contourné, est simplement maintenu, sans surprise. Le texte prévoit par ailleurs la baisse de moitié de la contribution « exceptionnelle » de 2025 sur les profits des grandes entreprises, après des années de superprofits.
Au final, la contribution des plus grandes entreprises baisserait par rapport au projet de budget de François Bayrou...
L’absence d’indexation du barème de l’impôt sur le revenu sur l’inflation augmenterait pour sa part l’impôt sur le revenu des 19 millions de foyers fiscaux déjà imposables. Il rendrait par ailleurs imposables plusieurs centaines de milliers de foyers fiscaux (entre 400 000 et 500 000). Les ménages situés au niveau de vie médian perdraient jusqu’à 100 euros sur cette seule mesure.
Le cas de la contribution sociale généralisée (CSG) est plus complexe. Chaque année, les seuils en deçà desquels il est possible, pour certains contribuables, d’être exonérés de CSG (en dessous de 12 817 euros pour un célibataire en 2025) ou de bénéficier d’un taux réduit pour certains retraités (pour un revenu compris entre 12 818 et 16 755 euros, le taux de la CSG est de 3,8 %), sont déterminés par rapport au revenu fiscal de référence. Ces seuils seront gelés en 2026, ce qui signifie que certains contribuables pauvres qui connaissent une hausse, même légère, de leur revenu pourraient payer davantage de CSG.
Les particuliers seront également, et diversement, mis à contribution avec le relèvement des franchises ainsi qu’avec la hausse des taxes sur les cigarettes électroniques et sur certains colis importés. Dans un clin d’œil appuyé à l’extrême droite, le texte prévoit également une hausse des droits applicables aux titres de séjour et aux demandes de nationalité…
Enfin, l’instauration d’un abattement forfaitaire sur les pensions de retraite fera débat. En effet, il se substitue à un abattement de 10 % qui était plafonné à 4 399 euros pour l’imposition des revenus de 2024. L’abattement forfaitaire mettra certes à contribution les retraités les plus aisés, mais également de nombreux retraités percevant une pension de retraite se situant un peu au-dessus de la moyenne. La pension de retraite moyenne s’élevait à 1 545 euros nets par mois en 2025, soit 18 540 euros par an. Pour un retraité percevant 22 000 euros par an, soit 1 833,3 euros par mois, cette mesure le mettra davantage à contribution.
Quant à la réforme des retraites, sa suspension annoncée pour quelques mois ne peut tromper personne. Elle revient de facto, après une nouvelle manœuvre tactique, à confirmer sa mise en œuvre. Comme ses prédécesseurs, ce gouvernement a décidément la main lourde dès qu’il s’agit de retraites, de pouvoir d’achat de la majorité de la population, de services publics ou encore de droits sociaux...
S’opposer au projet de l’extrême droite, et porter un projet de société capable d’en finir avec le néolibéralisme et le productivisme
Le piège que le gouvernement Lecornu 2 tend aux forces se réclamant de la gauche est grossier : ne pas censurer le nouveau gouvernement pour ne pas porter la responsabilité de nouvelles élections et de l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir. Ce piège ne peut tromper personne. A son bilan économique désastreux, au renoncement à la transition écologique et au mépris social s’ajoute désormais une dimension plus profonde : quoiqu’il arrive désormais, Emmanuel Macron est le responsable de la montée de l’extrême droite et de ses idées.
Face à cette crise de régime, le découragement ne doit pas nous gagner. Depuis le mouvement des gilets jaunes jusqu’aux réactions du mouvement social cet été, et aux mobilisations de septembre et octobre, le refus de l’austérité et la demande de justice fiscale et de davantage de démocratie directe ont dominé le débat public. Nous continuons de soutenir la lutte pour faire échouer cette politique en faveur des plus riches et des multinationales. Attac, partie prenante du rassemblement devant l’Assemblée nationale a Paris le jeudi 16 octobre 18h30, appelle plus largement au rassemblement des forces citoyennes et sociales, pour s’opposer au projet de l’extrême droite, et porter un projet de société capable d’en finir avec le néolibéralisme et le productivisme, et qui soit véritablement démocratique, solidaire, altermondialiste, pour la justice sociale et écologique.