L’écologie sacrifiée par l’austérité budgétaire et les politiques écocides

Le projet de budget présenté par F. Bayrou et poursuivi par S. Lecornu s’inscrit dans une politique écocidaire, où d’un côté on rogne les dépenses sur les services et les investissements nécessaires à la protection des écosystèmes et à une bifurcation écologique, et d’un autre on autorise des projets destructeurs qui vont coûter des milliards d’euros à la collectivité (A69, Canal Seine-Nord) et on favorise des politiques dangereuses, par exemple pour la santé, qui à terme vont largement augmenter les dépenses publiques (pesticides avec la loi Duplomb).

L’austérité pour l’écologie

L’austérité budgétaire pèse sur de nombreux postes de financements publics, parmi lesquels les missions allouées à l’écologie.

La loi de finances pour 2025 avait déjà décidé d’une baisse de plus de 2 milliards d’euros des crédits alloués à la mission écologie, en baisse de 14% par rapport à 2024. Dans les dossiers les plus menacés, les investissements pour la transition écologique dans les collectivités locales étaient passés de 2,5 milliards à 1,15 milliard d’euros. Alors que la nécessité de politiques publiques volontaristes se fait de plus en plus cruciale, que le rôle des collectivités locales dans la transition et l’articulation des différentes échelles dans l’action publique est plus que nécessaire, la vérité des prix est celle-là : empêcher par l’austérité toute politique locale digne de ce nom.

En avril dernier, la présentation des 3,1 milliards d’euros d’économies de « dépenses non essentielles » ciblait particulièrement la mission « écologie, développement et mobilité durable », dont le budget a été amputé de 549 millions d’euros, mais aussi la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » (140 millions).

Dans les 43 milliards d’économies avancées en juillet dernier par l’ancien Premier Ministre, était proposée la réorganisation ou la disparition pure et simple des « agences improductives qui dispersent l’action de l’État ». Dans le viseur : l’agence bio (pour le développement de l’agriculture biologique) et le Conservatoire du littoral (qui acquiert des parcelles du littoral pour en faire des sites restaurés), menacés de disparition.

En septembre a été créée une mission « État Efficace » afin de rationnaliser l’action de l’État pour faire des économies. Sont ainsi supprimées les délégations interministérielles en charge du suivi des conclusions du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique, celle en charge de la forêt et du bois qui était rattachée au ministère en charge de la transition écologique, celle en charge de l’accompagnement des territoires en transition énergétique au 1er octobre 2025. Bref, les quelques missions de l’État en matière d’écologie, aussi modestes soient-elles, disparaissent.

La lutte contre les dérèglements climatiques au point mort

Emmanuel Macon, qui déclarait au début de son premier quinquennat sa volonté de lutter fermement contre les dérèglements climatiques (« Make planet great again »), s’est désormais rangé du côté des économies budgétaires, pas du côté des économies d’énergie.

En juillet dernier, le Citepa [1], chargé de l’inventaire annuel des émissions nationales de gaz à effet de serre, indiquait que le ralentissement des baisses d’émissions de gaz à effet de serre constaté sera encore plus important en 2025 qu’en 2024 (- 0,8 % entre 2024 et 2025, contre - 1,8 % de 2023 à 2024 et - 6,8 % de 2022 à 2023). Or, l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE) [2], montre que les investissements privés et publics ont eux aussi largement régressé, principalement à cause du recul des aides de l’État aux ménages pour l’acquisition d’un véhicule électrique et la rénovation de leurs logements, et de la diminution des investissements pour les infrastructures de transport en commun.

Pour atteindre l’objectif de décarbonation à l’horizon 2030, les financements publics (État et collectivités) devraient passer de 34 milliards d’euros en 2024 à une fourchette comprise entre 52 milliards et 86 milliards à la fin de la décennie, selon qu’on accroît plus ou moins fortement la dépense publique ou celle des ménages et entreprises.

L’augmentation des investissements en 2021-2023, due à l’explosion des prix du gaz et donc de l’électricité avec la crise post-Covid et la guerre contre l’Ukraine, est désormais rangée aux oubliettes. Par la suite, l’augmentation des investissements publics a été due à la seule hausse du coût du soutien aux énergies renouvelables, mais rien n’a été fait pour décarboner l’économie. Ainsi, les financements publics pour les bâtiments et les transports ont baissé de 2,2 milliards entre 2022 et 2025.

Même la Cour des comptes le dit. Dans son récent rapport sur les besoins d’investissements climat [3], la Cour des comptes pointe l’insuffisance des financements actuels en matière d’investissements climatiques : « Atteindre la neutralité carbone en 2050 suppose de doubler les investissements actuels d’ici 2030. Les besoins s’élèvent à plus de 200 Md€ par an, dont environ 100 Md€ supplémentaires pour l’atténuation du changement climatique. » Bref, le constat est sans appel : « le coût de l’inaction est supérieur à celui de la transition. »

Les attaques contre le vivant coûtent cher

La loi Duplomb a mis un frein à la limitation de l’usage des pesticides, au grand bonheur de l’agro-industrie. Si cette décision est un scandale écologique et pour la santé publique, ça l’est également d’un point de vue budgétaire à moyen terme. Du fait des frais de santé, des conséquences sur les organismes vivants, des coûts supplémentaires pour la gestion et la réduction des impacts des pesticides, l’usage de ces derniers pourrait monter à 8 milliards d’euros par an en France, selon un rapport publié en 2022 dans la revue Frontiers in Sustainable Food Systems [4]. Sans compter le coût complet des dégradations des ressources et milieux aquatiques dû aux excédents d’engrais azotés et de pesticides d’origine agricole, qu’un rapport de 2011 du Commissariat général au développement durable estimait à 54 milliards d’euros par an [5].

Une fiscalité anti-écologique

Alors que la fiscalité devrait être un outil non seulement de répartition des richesses et également de réorientation des productions, des usages et de réorganisation écologique des politiques publiques, le nouveau Premier Ministre persiste dans la voie de ses prédécesseurs : ne rien changer pour ne pas s’en prendre aux plus riches et aux entreprises. C’est le cas dans de nombreux domaines bien connus : selon une étude d’Oxfam et de Greenpeace [6], le patrimoine financier de 63 milliardaires français, via leur participation dans des entreprises polluantes françaises émet autant de gaz à effet de serre que celui de 50 % des ménages français.

D’autres cas montrent également l’immobilisme gouvernemental. Ainsi, malgré l’affichage d’un objectif « zéro artificialisation nette » en 2050, l’actuelle fiscalité continue de favoriser la bétonisation. Selon le WWF [7], réformer la fiscalité sur le bâti permettrait de récupérer entre 2 et 5 milliards d’euros par an, tout en freinant l’étalement urbain. De même, le secteur aérien, qui profite aux catégories les plus aisées de la population, échappe à toute mesure fiscale sérieuse : kérosène détaxé, TVA nulle sur les vols internationaux… Selon le Réseau Action Climat (RAC), la « taxe grands voyageurs » pourrait permettre une diminution de 13,1 % d’émissions en moins dans le secteur, et engranger 2,5 milliards d’euros de recettes par an. Cette perspective était partagée par la Convention citoyenne pour le climat, dont la proposition de la taxe de solidarité sur les billets d’avion serait à même de réduire les émissions de 8 % et pour un gain de près de 4 milliards d’euros par an. Une même politique pourrait être menée en modifiant les critères de malus (taxe additionnelle calculée selon le poids et les émissions de CO2 des véhicules) : en abaissant le seuil de déclenchement de ce malus, l’État pourrait contribuer à décourager l’achat de ces véhicules type SUV et à rapporter plusieurs milliards d’euros dans les caisses publiques.

Les premières présentations du plan de loi de finances n’intègrent aucune de ces mesures : aucune mesure de conditionnalité écologique des aides publiques aux entreprises ; niches fiscales aériennes : aucune mesure concernant les niches fiscales du secteur aérien, alors que le gouvernement envisage de diminuer de 80 millions le fonds d’isolation des logements des riverains affectés par les nuisances sonores aériennes ; quant à « MaPrimRénov’ », elle est victime d’un recentrage sur les rénovations prioritaires et « par gestes » ciblant la décarbonation, avec une baise de 500 millions € en crédits de paiement par rapport à 2025 [8].

Bref, traquer les niches fiscales brunes (réductions ou exemptions d’impôts sur les projets qui contribuent aux dérèglements climatiques), évaluées par le RAC à 67 milliards d’euros, devrait être une priorité pour mettre la fiscalité au service du vivant. Mais aucune de ces mesures n’est envisagée par le gouvernement qui préfère continuer à aider les secteurs polluants et à soutenir les projets écocides.

Les finances publiques au service des projets écocides

Il serait long d’énoncer tous les projets destructeurs du vivant en cours ou prévus pour les années à venir qui pèsent lourdement sur les finances publiques :

  • LGV Bordeaux - Dax : 14 milliards d’euros ;
  • LGV Montpellier - Perpignan : 6 milliards d’euros ;
  • canal Seine-Nord Europe : 10 milliards d’euros ;
  • A69 : 480 millions d’euros ;
  • centrale biomasse de Gardanne : 800 millions d’euros de l’État sont donnés à l’entreprise privée GazelEnergie appartenant à un milliardaire tchèque ;
  • six réacteurs EPR : 67,4 milliards d’euros, pour une rentabilité du projet jugée « médiocre » par la Cour des Comptes ;
  • Jeux Olympiques d’hiver : 2 milliards d’euros…

Tous ces projets sont contestés par les associations écologistes, et dans la plupart des cas les budgets globaux sont largement supérieurs à ceux prévus initialement. Mais dans pour de tels projets, l’austérité n’existe plus, l’État et les collectivités locales sont prêtes à débourser les milliards nécessaires pour imposer ce qui ne contribuera qu’à accentuer la destruction de la biodiversité, alors que de tels financements pourraient servir à développer des infrastructures utiles, par exemple pour développer le fret ferroviaire [9] alors que les récentes annonces budgétaires sont insuffisantes pour ouvrir de nouvelles lignes.

Ce ne sont là que quelques exemples qui illustrent des choix austéritaires qui sont aussi des choix anti-écologiques. À quelques semaines du sommet des Nations Unies sur les changements climatiques (COP30) à Belém, nul doute que les représentants français entonneront le couplet de l’urgence climatique. Mais la vérité des prix est là, celle d’un gouvernement qui tourne le dos à toute perspective de justice sociale et de bifurcation écologique.