Dans la période, il est difficile de recenser de mettre au regard des propositions initiales du gouvernement l’ensemble des amendements et des votes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Le débat a d’ailleurs parfois pu donner le tournis devant les différentes stratégies et le nombre d’amendements et de déclarations.
Pour autant, sur la base des principales mesures, c’est-à-dire celles qui ont nourri le débat public, plusieurs enseignements s’imposent sur l’évolution du projet de loi de finances (1) et sur les positionnements, notamment ceux de la droite et de l’extrême droite, qui ont impacté son évolution (2).
Un projet de budget malmené et dans l’impasse
Le projet de loi de finances du gouvernement était marqué par la volonté de poursuivre dans la voie tracée par Emmanuel Macron. Dans sa copie initiale, l’effort portait surtout sur la réduction des moyens alloués aux services publics, les quelques mesures concernant les grandes entreprises et les plus riches restant symboliques.
L’Assemblée nationale a largement amendé le texte. Elle a notamment voté une taxe sur les holdings (dont la portée a été cependant réduite par un autre amendement) ainsi qu’un impôt sur la fortune improductive, doublé la taxe sur les services numériques, relevé la contribution exceptionnelle sur les plus grandes entreprises et prolongé la contribution exceptionnelle sur les plus hauts revenus.
Ces mesures sont pourtant loin de répondre aux aspirations de la majorité de la population en matière de justice fiscale. Elles restent très insuffisantes pour financer correctement l’action publique et réduire les inégalités. Elles ont également servi de paravent pour rejeter l’impôt plancher proposé par Gabriel Zucman. Elles ne permettraient pas de faire face aux enjeux climatiques. Mais c’en était déjà trop pour de nombreux parlementaires, qui se sont systématiquement et violemment opposés à la plupart de ces mesures pour maintenir celles prises depuis 2017, alors qu’il a été démontré que celles-ci ont creusé la dette publique et alimenté les inégalités pour un impact économique au mieux marginal.
Au Sénat, le budget ainsi remanié a été méthodiquement détricoté. Celui-ci a en effet rejeté le prolongement de la contribution exceptionnelle demandée aux grandes entreprises, il a sapé la taxe pourtant symbolique, sur les holdings (divisant son produit potentiel par 10), relevé la taxe sur les petits colis (qui serait due par l’immense majorité de la population) et réduit les moyens alloués à l’éducation, à l’écologie, durcit les conditions permettant de bénéficier de l’aide médicale d’État (AME) et voté le principe du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite.
Le projet du gouvernement était déjà injuste, la copie revue par l’Assemblée accordait quelques mesures symboliques, le projet issu du Sénat est profondément réactionnaire.
Une proximité toujours plus grande entre les droites et l’extrême droite
La discussion parlementaire a révélé des différences de stratégies assez claires et publiquement assumées, au sein des groupes parlementaires se réclamant de la gauche. Ces différences ont concerné le projet de loi de financement de la Sécurité sociale et le projet de loi de finances. Sur ce dernier notamment, l’analyse des positions et votes a donné lieu à de nombreux commentaires.
Des commentateurs ont ainsi relevé que certains amendements ont été votés par les groupes de gauche et d’autres, dont le RN. Ils suggèrent par là-même que le RN est finalement un parti « normal » pouvant voter des hausses de certains impôts et oubliant dans le même temps de voir le glissement du débat vers une extrême droitisation.
À ce stade, il est utile de rappeler que le RN s’est frontalement opposé à l’impôt plancher sur la fortune (la « taxe Zucman »), a voté avec les groupes de droite la réduction de l’assiette de la taxe sur les holdings et a défendu ardemment son « contre-budget ». Son projet est largement inspiré par Donald Trump, il vise à réduire drastiquement les dépenses publiques, à réduire le nombre d’opérateurs de l’État, à s’attaquer à l’immigration ou encore à « l’assistanat ».
En réalité, à l’Assemblée nationale, la stratégie du RN a consisté à voter certains amendements symboliques à bien peu de frais puisqu’il savait pertinemment qu’ils ne passeraient pas le Sénat. Il s’agissait pour lui de ne pas se couper d’une partie de l’électorat dont il espère récupérer la colère devant les injustices. Cette stratégie d’enfumage ne peut tromper personne. Un responsable du RN qualifiait ainsi le projet de budget issu de l’Assemblée de « bric et de broc » sans cohérence. En d’autres termes, même si la stratégie des parlementaires du RN s’inscrivait parfois en faux par rapport à celle du président du RN qui a fustigé toute hausse d’impôt quelle qu’elle soit, ce parti n’a cessé du jonglé entre communication sur son vernis social et maintien de son idéologie profonde.
Sur l’immigration, l’orientation des politiques fiscales et budgétaires, les salaires et la protection sociale, le RN n’a en effet jamais changé d’axe. Et c’est même sur cette base que le rapprochement s’opère avec plusieurs responsables et parlementaires de droite. Sur les thèmes chers au RN, le groupe LR notamment, tient un discours similaire sur ces thématiques : il refuse tout rééquilibrage fiscal visant à faire contribuer davantage les plus riches et les grandes entreprises et il privilégie la baisse de la dépense publique (entendue au sens large : dépenses de l’État et de la protection sociale principalement), la remise en cause de l’AME et, plus globalement, de nombreuses prestations sociales (c’est particulièrement notable avec son projet de prestation sociale unique).
Au sein de l’ex-majorité présidentielle, si des nuances apparaissent sur certains sujets (du groupe LIOT à Horizons, ces nuances sont mêmes parfois importantes), la tendance d’une grande partie des parlementaires est également au durcissement. Car la priorité est toujours donnée à la baisse des dépenses publiques et au maintien de l’orientation fiscale néolibérale. Ce rapprochement s’accompagne également d’un intense lobbying du RN auprès des milieux d’affaires que le RN veut également séduire, à l’image de ce qui s’était passé entre les deux tours des élections législatives de juin 2024, à l’occasion desquelles le RN avait reculé sur la réforme des retraites par exemple pour rassurer le Medef.
Pour analyser la stratégie de l’extrême droite, il faut se rappeler d’une part, que les déclarations attrape-tout n’ont qu’une visée électorale mais que son projet ne change pas et d’autre part, qu’il a réussi à mettre la pression sur des partis qui, comme LR, ont fait sauter les digues historiques entre droite et extrême droite, au point d’appeler à voter pour le RN face à des candidats de gauche.

