Pourquoi soutenir la résistance ukrainienne

lundi 5 septembre 2022, par Ukraine Solidarité France

La guerre qui se poursuit en Ukraine est un évènement majeur qui nous concerne et doit mobiliser : elle renforce toutes les dimensions de la crise multidimensionnelle qui frappe l’humanité – civilisationnelle, sociale, économique, environnementale.
Dans ce conflit, nous ne nous rangeons derrière aucun « camp » de puissances mondiales – leurs discours et leurs actes, chacun à sa manière, sont trop intéressés dans la poursuite de l’exploitation et des oppressions, trop à géométrie variable derrière les déclarations de bonnes intentions.
Nous devons nous disposer dans une solidarité « par en bas » avec le peuple ukrainien victime d’une tentative de le broyer par l’invasion des forces militaires de Poutine, mais acteur de sa résistance héroïque et de son destin.

Une guerre, hier improbable, aujourd’hui emportée par une trajectoire imprévisible ?

Une guerre hier improbable ?

Oui, à condition d’oublier qu’en fait la guerre perdurait depuis 2014, date à laquelle la Russie s’était saisie de la Crimée et, avec l’aide des « séparatistes » du Donbass, organisés et financés par elle, avait mis la main sur une partie de cette région. Une première phase qui avait fait au moins 15 000 morts ! Oui encore, à condition d’oublier que l’action armée était redevenue, comme de multiples exemples le démontraient, un moyen de faire aboutir des objectifs politiques. Mais oui malgré tout, car le fait de renouer en Europe avec l’invasion d’un pays souverain par une grande puissance – terrible bégaiement de l’Histoire – nous a frappé·es de sidération !

Une guerre qui surprend ?

Alors que la défaite de l’Ukraine en quelques jours constituait la perspective généralement admise, l’offensive russe se solde par l’échec de ce qui était supposé voir, en quelques jours de déploiement militaire massif, l’effondrement du régime de Kyiv (la fuite du président Zelensky) et la mise en place d’un État fantoche voire annexé. Au prix de dizaines de milliers de morts de part et d’autre et de destructions massives de villes et de villages. Un échec certes dû à la somme d’incompétences et aux carences de l’armée russe mais surtout à l’admirable résistance des Ukrainien·nes. Toute une société s’est mobilisée pour défendre l’indépendance du pays contre un État prédateur. D’où le recentrage de Poutine sur l’est et le sud-est de l’Ukraine avec la volonté de conquérir la totalité du Donbass et d’établir un lien pérenne entre ce dernier, la Crimée et toute la côte ukrainienne de la mer Noire.

Un possible retournement ?

L’échec de la guerre éclair russe, l’enlisement ou au moins les difficultés, les pertes beaucoup plus importantes que prévu du côté russe (pas loin de 100 000 hommes hors de combat, d’après les renseignements occidentaux) au prix de pertes très élevées du côté ukrainien, l’existence de réfractaires au sein même de l’armée russe, en sont autant d’éléments majeurs. On les doit, pour l’essentiel, à la qualité de la résistance ukrainienne qui s’appuie sur la force d’une conscience nationale renforcée de manière décisive par l’agression de Poutine, notamment dans les régions supposées les plus « pro-russes » du Donbass, et sur les effets de l’onde longue de la révolution démocratique de Maïdan en 2014. Mais cela signifie-t-il qu’un retournement de situation, sur le plan militaire, soit possible à court terme ?

Un vent nouveau ?

Malgré son rythme insuffisant, l’aide occidentale de plus en plus efficace et l’intelligence stratégique et tactique des Ukrainien·nes sont-ils en train de changer la donne ? Les armes à longue portée (Caesar, Himars) qui permettent à l’Ukraine de frapper loin dans la profondeur (dépôts de munitions, centres de commandement), ajoutées aux difficultés des Russes à recompléter leurs unités, expliquent les revers actuels de l’armée de l’agresseur. Recul significatif sur le front de Kherson et destruction au moins partielle des ponts sur le Dniepr, statu quo sur celui du Donbass, évacuation de l’île aux Serpents, explosions sur une base aérienne et un dépôt de munitions en Crimée... Alors oui, après six mois de guerre, une trajectoire difficile à prévoir.

Quelle guerre ?

Avant et après l’agression, la propagande poutinienne s’est développée en grand pour justifier « l’opération militaire spéciale » en avançant des arguments sur lesquels il n’est pas inutile de revenir malgré leur caractère notoirement fallacieux.

Une guerre préventive ?

L’une des raisons évoquées est que l’Ukraine s’apprêtait à intégrer l’OTAN.Compte tenu de la conception que Poutine se fait de son « étranger proche », cette perspectiv e était inacceptable (à propos de l’extensio n de l’OTAN depuis 1991, voir plus loin). Or, si la question de l’adhé sion à l’Union européenne et à l’OTAN était ouverte depuis 2004 et la « révolution orange », il n’y avait aucune perspective à court terme d’adhésion à l’Alliance atlantique. Peu soucieux d’agiter ce « chiffon rouge », les Occidentaux ne cessaient de repousser à plus tard l’examen de la question. Il ne s’agit là, au fond,que d’une tentative d’inverser la charge et de faire
passer une guerre d’agression pour une guerre défensive.

Une guerre contre un "régime nazi" ?

Un autre argument évoqué par Poutine est que la Russie était confrontée à l’existence à ses portes d’un gouvernement nazi. Mais le recrutement du bataillon Azov, cible essentielle de cette accusation, à l’origine essentiellement constitué d’éléments d’extrême droite, s’était largement diversifié. Quant au poids de l’extrême droite, il a toujours été négligeable (moins de 5 % aux élections). L’argument vise donc en fait à prendre l’opinion russe comme cible en plaçant « l’opération spéciale » sous l’égide et dans la continuité de la « Grande Guerre patriotique » contre le nazisme. Une référence profondément revisitée et devenue un marqueur essentiel du régime de Poutine.

Empêcher un génocide ?

Cette assertion, qui n’est évidemment pas sans lien avec la précédente, vise peut-être d’une part à placer l’agression sous la nécessité de « prévenir » le génocide (Convention sur le génocide des Nations unies, article 1), mais d’autre part, et beaucoup plus sûrement, à faire jouer le ressort de la solidarité ethnique. Or, s’il y avait une guerre entre Ukrainien·nes et « séparatistes » prorusses, d’ailleurs largement instrumentalisé·es par la Russie (à la fois mercenaires du groupe Wagner ainsi que troupes et matériel russes), rien ne vient étayer cette idée d’un génocide dont les Russes ethniques auraient été menacé·es. Il s’agit en fait, là encore, d’une volonté de présenter à l’opinion russe la guerre comme une guerre défensive car préventive.

Derrière ces masques, une grossière guerre d’agression ?

Il paraît difficile de contester que, de manière explicite d’ailleurs, Poutine nie l’existence d’un peuple ukrainien et donc d’une nation ukrainienne distincte. Il n’y a que des Russes. Sans écarter, par ailleurs, la possibilité de motivations économiques (céréales, charbon, fer et minerais rares) qui pourraient animer le régime et les oligarques, il faut rappeler que l’histoire de la Russie s’inscrit dans une tradition impériale – qui serait plus forte que l’idée de nation ? – et que cette histoire impériale et coloniale concerne l’Ukraine en particulier, annexée, colonisée et soumise à une politique de russification intense à l’époque stalinienne.
Russification qui prolongeait en fait celle qui avait été entreprise en « Petite Russie » (la rive gauche du Dniepr, 1654) et, comme colonie de peuplement, en « Nouvelle Russie » (le littoral de la mer Noire, 1795). L’impérialisme russe plonge donc ses racines dans une histoire longue (tsarisme, stalinisme sous couvert de « socialisme ») qui renvoie, aujourd’hui comme hier, à la nature d’une succession de régimes autocratiques.
Cette guerre, artificiellement masquée derrière de misérables paravents, n’est autre qu’une grossière guerre
d’agression impérialiste.

Guerre entre impérialismes ou guerre de libération nationale ?

Certaines voix laissent entendre que nous n’aurions pas à nous en mêler ni à soutenir l’Ukraine dans une guerre qui ne serait autre que l’expression de l’affrontement entre deux impérialismes.

Le soutien des États occidentaux fait-il de cette guerre un conflit entre impérialismes ?

Il faut d’abord rappeler qu’au début de l’invasion leur position était de prendre acte de la conquête de Kyiv et du renversement du président Volodymyr Zelensky (cf. la proposition américaine de l’exfiltrer !). C’est seulement du fait des revers imposés à l’agresseur par la résistance ukrainienne que s’est dessiné ce soutien. Il est vrai que depuis cette aide est allée crescendo et que ce renforcement n’est pas pour rien dans l’évolution du rapport des forces. Mais ce sont les Ukrainien·nes qui se battent et non les Occidentaux.

Une guerre par procuration ?

La déclaration du secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, avançant l’idée que le but était « d’affaiblir la Russie », changerait la nature de cette guerre et donnerait du crédit à cette idée. Il est vrai que dans la perspective d’une lutte à l’échelle mondiale entre puissances impérialistes – Russie et Chine désireuses de mettre fin à une situation favorable à une hégémonie américaine –, les États-Unis ont perçu le parti qu’ils pourraient tirer de la situation. D’où leur soutien massif au gouvernement ukrainien, alors qu’avant la guerre il est resté très limité, contrairement à la propagande poutinienne. Mais il est de plus en plus difficile de considérer que les Ukrainien·nes se battent pour une cause qui n’est pas la leur !
Quant aux livraisons d’armes, elles ne rendent pas plus suspecte la résistance ukrainienne que naguère la résistance française ou celle des combattants de l’Union soviétique qui, aux pires moments de l’invasion nazie, avaient bénéficié d’une aide occidentale considérable. Il faut enfin rappeler que l’agression est le fait de Poutine et non des Occidentaux et qu’elle n’est rien d’autre, au mépris des droits des peuples à disposer d’eux-mêmes, que l’invasion d’un État souverain. Il faut donc refuser toute logique « campiste » renvoyant dos à dos les belligérants au prétexte de l’implication de l’OTAN.

L’OTAN porte-t-elle la responsabilité de cette guerre ?

L’extension de l’OTAN vers l’est après la chute du Mur (1989) et la désintégration de l’Union soviétique (1991) n’a certes pas été un facteur de pacification des relations avec la Russie. La fin de l’URSS, c’est-à-dire l’indépendance de ses républiques non russes, a été « la plus grande catastrophe géopolitique du XX e siècle », selon Poutine, qui dévoile ainsi l’une des sources majeures de son ambition impérialiste : restaurer l’espace impérial de la Russie. Une occasion a été manquée de refonder l’ordre européen sur une dissolution des blocs. Pourquoi ? Parce que les objectifs des uns et les craintes des autres se sont rencontrés. Il s’agit ici du cœur de l’ambiguïté de l’OTAN – à la fois instrument de domination de l’impérialisme états-unien et alliance vécue
comme sécurisante par les peuples d’Europe centrale, orientale et nordique. D’où l’aspiration des peuples de l’Europe jadis dominés par l’Union soviétique à s’abriter sous le parapluie américain, par crainte d’une Russie dont les initiatives – Tchétchénie, Abkhazie, Ossétie du Sud, sans parler de la Syrie et de la Libye – ne laissai ent pas d’inquiéter. Comme le montrent les exemples de la Suède et de la Finlande, c’est du fait de l’agressivité russe que le renforcement de l’OTAN est rendu possible et non l’inverse !

Une guerre de libération nationale ?

L’agression de la Russie de Poutine qui, au mépris du droit international et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, occupe désormais environ un cinquième du terri- toire ukrainien, souligne le caractère essentiel de cette guerre. Adossée à la tradition cosaque de liberté et des grandes révoltes de la paysannerie, à la mémoire d’une indépendance ancienne et des épisodes douloureux (russification et famine du début des années 1930, occupation nazie) mais nourrie aussi des évènements récents, « révolution orange » (2004) et surtout révolution de Maïdan (2014) et agression russe, une nation s’est dressée. Guerre de résistance à une invasion, cette guerre est donc incontestablement une guerre de libération nationale. Mais cette dimension essentielle laisse ouverts deux enjeux – et de multiples guerres au cœur de la guerre : d’une part, les États-Unis comme les autres puissances de l’OTAN ont leurs propres agendas et intérêts géopolitiques et économiques exploitant la guerre derrière des discours hypocrites ; d’autre part, la lutte de libération nationale implique l’adhésion de la grande masse des populations – ce qui sera contradictoire avec des politiques antisociales liées à l’agenda et aux idéologies néolibérales.

Pour affaiblir Poutine, affaiblir la Russie ?

« Opération militaire spéciale » ?

Plusieurs mois après le déclenchement de l’offensive russe contre l’Ukraine, la prétendue « opération militaire spéciale », selon la terminologie poutinienne, ne peut plus tromper personne. C’est bien d’une guerre qu’il s’agit. La résistance de la population ukrainienne et de son armée a bloqué le rouleau compresseur russe, ce qui se voulait être une guerre éclair pour la conquête de Kyiv et l’imposition d’un pouvoir acceptant l’annexion du pays. À l’est, l’armée russe assure sa mainmise sur la plus grande partie du Donbass ; au sud, elle occupe des régions riveraines de la mer Noire, cela au prix de la destruction des villes (dont Marioupol) et du déplacement massif des populations. Mais l’invasion a été enrayée, les lignes de front se sont partiellement fixées... On s’installe dans une guerre longue, où un facteur déterminant est l’épuisement des ressources humaines et matérielles de l’un et l’autre camp (une guerre d’attrition).

Cela signifie-t-il que l’enjeu est devenu, comme les propos de certains dirigeants américains l’ont laissé entendre, l’affaiblissement de la Russie ?

L’affaiblissement de la Russie du fait de la guerre en Ukraine – les pertes subies, les conséquences des sanctions, la place du pays dans les relations internationales... –, est une réalité. Poutine en est le responsable direct. Plus il fait durer cette guerre criminelle,plus il affaiblit la Russie ! Une défaite militaire russe aggraverait cette situation, et serait peut-être un coup mortel porté au régime de Poutine. Mais ce serait une victoire ukrainienne. Ce pourquoi elle est souhaitable. Pourtant il ne faut pas confondre la fin et les moyens. L’objectif n’est pas l’affaiblissement de la Russie, celui-ci ne sera qu’une conséquence d’une victoire de la résistance du peuple ukrainien. Laquelle aurait aussi des bénéfices pour le peuple russe, car le libérant de l’entreprise criminelle où l’entraîne la politique de Poutine. Et lui donnant des possibilités nouvelles d’imposer son exigence de démocratie.

L’Ukraine mène une guerre de résistance sur son sol contre un envahisseur. Elle a un besoin vital des armes que seuls peuvent lui fournir les pays membres de l’OTAN, au premier chef, les États-Unis et plusieurs pays européens (dont le Royaume-Uni et la France). Soutenir ce soutien militaire ne signifie pas un accord avec les intentions, officielles ou cachées, des États concernés. Il s’agit d’une solidarité avec le peuple ukrainien, ses droits nationaux et démocratiques. Ce soutien est indissociable de la solidarité avec les peuples russe et biélorusse que leurs dictateurs embarquent dans une guerre qui n’est pas la leur et dont ils paient la note. Dans ces deux sociétés se manifestent des forces sociales et politiques qui, avec un grand courage, s’opposent à leurs gouvernements et disent leur refus de cette sale guerre. C’est sur elles que repose l’avenir de ces sociétés qui sont appelées à redéfinir leur destin une fois tournée la page tragique ouverte aujourd’hui avec la guerre engagée contre l‘Ukraine. Notre solidarité avec le peuple ukrainien est aussi une solidarité avec les peuples russe et biélorusse.

Soutien à l’Ukraine ! Quel soutien ? Soutien à qui ?

Un soutien, mais quel soutien ?

L’horreur de la guerre, et notamment le fait que les civils en sont une cible privilégiée (bombardements, assassinats, viols massifs, déportation, camps de filtration, exode, etc.), justifient pleinement un fort soutien humanitaire, déjà largement à l’œuvre. Mais notre propos n’est ni celui d’organisations caritatives, ni celui d’institutions voulant gérer « au mieux » l’ordre établi, ni de commentateurs ou commentatrices de l’actualité internationale. Nous agissons dans une perspective émancipatrice et notre internationalisme s’inscrit dans celle-ci. La population ukrainienne est directement touchée par la guerre et ses effroyables conséquences. Disposer des moyens pour résister est, pour elle, une nécessité vitale. Soutenir les millions de personnes condamnées à l’exil en est une autre. Le troisième axe est le soutien (notamment par l’information) à celles et ceux qui, en Russie et aussi au Bélarus, combattent la guerre et le régime de Poutine et ses alliés.

Que disent les militantes et militants des mouvements sociaux et politiques d’Ukraine ?

Syndicalistes, socialistes révolutionnaires, anarchistes, féministes, écologistes, depuis des mois, ils et elles n’ont de cesse de le répéter à qui veut l’entendre : « L’urgence, c’est de soutenir la résistance populaire, ici, en Ukraine ; et les courageuses désobéissances au Bélarus et en Russie. » C’est ce que nous contribuons à faire ; d’abord, en donnant la parole aux résistants et aux résistantes d’Ukraine, de Russie, du Bélarus et à leurs soutiens. Il s’agit aussi de faire parvenir à la population ce qui lui est nécessaire pour vivre, survivre, continuer la résistance à l’agression de l’État russe. C’est l’important travail de collecte financière et matérielle, à partir des besoins exprimés par le peuple ukrainien et pour le peuple ukrainien ; pas question que l’aide disparaisse dans les caisses de profiteurs de guerre : les convois militants vers l’Ukraine garantissent que produits et matériel sont bien remis à celles et ceux qui en ont besoin. Et ils permettent des échanges directs avec les militantes et militants, et plus généralement la population, sur place ; une délégation du Réseau européen de solidarité avec
l’Ukraine (RESU) s’est rendue en Ukraine en mai ; une autre de l’intersyndicale française, représentée par la CGT et
Solidaires, a été organisée fin juin ; des convois du Réseau syndical international de solidarité et de luttes se sont rendus sur place deux fois, fin avril et en septembre. D’autres initiatives sont prévues, sans compter celles prises par des collectifs locaux.

Comment le soutien aux personnes réfugiées d’Ukraine s’inscrit-il dans celui à tous·tes les migrants et migrants ?

Concernant le soutien aux personnes réfugiées venant d’Ukraine, notre activité s’inscrit dans la suite d’engagements anciens aux côtés des populations migrantes, d’où qu’elles viennent. Pas de double discours, au contraire des gouvernements et forces politiques qui organisent la guerre dans le monde depuis des années et font la chasse aux immigré·es. Nous dénonçons les discours et pratiques discriminatoires entre réfugié·es. Ce qui est possible pour certaines doit l’être pour toutes et tous.

Comment soutenir les féministes en Ukraine ou encore en Pologne ?

De nombreuses Ukrainiennes victimes de la guerre sont réfugiées en Pologne, pays frontalier. Elles sont confrontées à l’absence légale de droit à l’avortement. Depuis 2020, il n’est possible, dans ce pays voisin, qu’en cas de viol ou de danger de mort pour la femme. La loi polonaise oblige les femmes violées à apporter la preuve du viol. Cette abominable situation infligée aux femmes polonaises s’applique aux réfugiées ukrainiennes. Face à cette horreur, des mobilisations ont lieu, notre Réseau les fait connaître et les soutient. En Ukraine, les mouvements féministes sont particulièrement actifs : Atelier féministe, Bilkis, Manifeste des féministes ukrainiennes... Notre Réseau participe au soutien et aux échanges internationaux.

Quel soutien aux oppositions, voire aux actions de résistance au Bélarus et en Russie ?

Avec la résistance ukrainienne, l’autre clef de la situation est ce qui se passe en Russie et au Bélarus, notamment les mouvements de contestation et/ou de refus de la guerre, les « interrogations » qui se font jour parmi les soldats. En France, 200 anciens réfractaires à la guerre d’Algérie, objecteurs, insoumis au Service national, membres de comités de soldats, ont lancé l’appel « Nous soutenons les réfractaires à l’armée russe » en avril 2022. Au Bélarus, le pouvoir en place a dissout les syndicats indépendants. Malgré les difficultés dues à la très forte répression exercée par les régimes de Poutine et Loukachenko, nous relayons les informations reçues de militantes et militants sur place et agissons pour qu’un soutien le plus large possible aux forces progressistes fasse entendre sa voix au plan international afin de contenir au maximum les représailles.

Le soutien aux ukrainien·nes signifie-t-il un soutien à la politique d’un gouvernement ultra-libéral ?

Pour les Ukrainiens et les Ukrainiennes, la guerre déclenchée par le régime russe signifie mort·es, blessé·es, viols, infrastructures détruites, pillage de richesses du pays, exode massif ; et aussi le départ vers le front militaire de nombreux travailleur·euses ; c’est également le chômage qui explose et n’est pas reconnu comme tel pour l’indemnisation, les salaires qui baissent et ne sont pas payés parfois durant des mois, l’inspection du travail qui n’intervient plus, les conventions collectives suspendues, etc. Depuis 2019, le pouvoir en place tente de détruire la législation du travail pour répondre aux demandes du patronat. Les syndicats indépendants, la Confédération des syndicats libres d’Ukraine, la Fédération des syndicats ukrainiens n’ont cessé de s’y opposer. Une nouvelle offensive est en cours, facilitée par l’état de guerre qui, légalement, interdit les manifestations publiques et les grèves ; par ailleurs, des milliers de syndicalistes sont, depuis des mois, sur le front et pas dans les entreprises et les villes pour organiser cette lutte. « Pendant la guerre, la lutte des classes continue », disent les camarades d’Ukraine. Ils et elles ne font pas que le dire : mineur·es, livreur·ses, che- minot·es, métallurgistes s’opposent aux patrons, mènent des actions, font parfois grève ; en même temps, ils et elles participent à l’accueil des personnes déplacées, aident les blessé·es, soutiennent leurs camarades qui sont au front. Pour ce qui est de la critique du pouvoir ukrainien, ne faisons pas l’affront aux camarades d’Ukraine de laisser croire qu’ils et elles nous ont attendu pour agir en ce sens ! Notre rôle est de les soutenir, sur ce plan-là aussi.

Les sanctions économiques sont-elles efficaces et justifiées ?

Quels-en sont les enjeux ?

Les sanctions économiques contre l’impérialisme russe sont totalement justifiées. Il s’agit de paralyser la machine militariste et la folie guerrière déclenchée par Poutine contre l’Ukraine. Et qui menace aussi toute l’Europe et le monde, puisque ce despote devenu totalement irresponsable, brandit maintenant le lâche chantage à la famine mondiale et au cataclysme nucléai re. Il faut forcer les armées du Kremlin à évacuer tout le territoire de l’Ukraine, qu’elles occupent depuis 2014 et février 2022. Avec toutes les différences d’époque et de régimes, la gauche d’aujourd’hui doit défendre ce droit de l’Ukraine comme elle l’a fait par le passé lors de la guerre du Vietnam contre l’impérialisme américain (1965-1975) ; ou lors des guerres coloniales menées par l’impérialisme français contre les peuples indochinois (1946-1954) et algérien (1954-1962) ; ou encore lors de la campagne mondiale contre l’invasion de l’Irak par l’impérialisme américain et ses alliés (2003). Bien sûr, nous ne sommes pas dupes du fait que les puissances occidentales qui le prônent aujourd’hui, l’ont refusé et le refusent encore à bien d’autres régimes et classes dirigeantes d’États autocratiques et interventionnistes guerriers. Mais face à cette demande de sanctions et de boycott de l’État agresseur par le peuple victime de cette invasion, comme face à celle du peuple palestinien ou du peuple birman, nous faisons nôtre cette exigence, tout en luttant pour que ces campagnes se fassent dans le plus large débat et contrôle publics, en dialogue avec les forces démocratiques et associatives ukrainiennes et celles de l’opposition démocratique russe qui s’opposent à cette guerre malgré la terrible répression. Car les sanctions, telles qu’appliquées ces derniers mois par les différents gouvernements impérialistes occidentaux, ne sont que très partiellement efficaces, inconséquentes et donc tout à fait insuffisantes.

Quelle efficacité en ce qui concerne les oligarques ?

L’embargo sur les énormes fortunes des oligarques russes – amassées en trente ans de privatisations et pillages en règle de l’économie étatique de l’ex-Union soviétique – n’a été mis en place que de manière marginale. Il n’a touché pour le moment qu’une toute petite partie leur nombre étant estimé à environ un millier, et notamment des 70 plus gros milliardaires. Visiblement,les grands capitalistes des pays de l’Ouest et les gouvernements impérialistes qui les protègent – comme les fortunes françaises du CAC40 – traînent les pieds et exploitent tous les subterfuges juridiques pour éviter ou retarder la confiscation des biens de leurs comparses russes. La raison en est simple : les uns et les autres cachent leurs fortunes dans les mêmes paradis fiscaux à travers le monde et en Europe. Ils se protègent mutuellement. Le principal parmi ces oligarques, Poutine, qui de surcroît contrôle par son pouvoir étatique, policier et militaire tous les autres oligarques, n’a même pas été inquiété. Sa fortune, dont les estimations vont de quelques milliards à des dizaines milliards de dollars, semble bien cachée dans un
labyrinthe de sociétés-écrans, de prête-noms et de paradis fiscaux. Toutes ces fortunes représentent au moins des centaines sinon des milliers de milliards de dollars. Mises sous embargo et confisquées, elles devraient servir à dédommager l’Ukraine pour les terribles destructions et massacres que ce pays a déjà subi à cause de la folie impériale poutinienne.

Et que penser de l’embargo sur les énergies fossiles ?

L‘embargo a été décidé sur le pétrole et le gaz russes, mais sa mise en œuvre est très partielle (pour le pétrole) sinon constamment repoussée (pour le gaz). À tel point que les 27 pays membres de l’UE, après moult hésitations et atermoiements, ont décidé de ne rien décider concernant le gaz russe à la dernière réunion du Conseil européen. Or, en continuant à acheter le gaz et le pétrole au Kremlin, les
gouvernements impérialistes occidentaux contribuent paradoxalement à financer la guerre de Poutine contre
l’Ukraine. Car, c‘est plus d’une centaine de milliards de dollars qui lui ont été payés depuis le début de l’invasion. L’économie russe est un géant sur des pieds d’argile, dépendante de l’export de ses énergies fossiles et des matières premières, pour pouvoir importer des produits et équipements de haute technologie. Un embargo total et conséquent sur le gaz et le pétrole russes serait un moyen efficace et rapide pour obliger Poutine à retirer ses troupes de l’Ukraine. Mais visiblement, dans ce cas aussi, les grands capitalistes occidentaux et les gouvernements qui les protègent n’en veulent pas, car ils tirent de très juteux profits des négoces avec Moscou sur les énergies fossiles. Pourtant, un tel embargo sur les énergies fossiles russes serait à son tour une opportunité historique pour passer des paroles aux actes et accélérer définitivement l’abandon des énergies fossiles. C’est une question centrale aujourd’hui en matière de lutte contre le changement climatique. La guerre menée par Poutine au cœur de l’Europe et la remilitarisation consécutive à l’Ouest approchent dangereusement l’Europe et le monde du bord du précipice. Des rapports et des propositions existent, notamment du côté des scientifiques et des défenseurs de l’environnement dans différents pays. Toutes les forces progressistes – écologistes, sociales, syndicales, démocratiques, associatives, politiques – devraient coaliser leurs forces pour enclencher la sortie des énergies fossiles vers les énergies renouvelables, pour sauver le climat, la planète, la paix. C’est dans ce cadre qu’il faut discuter – et décider ! – des sanctions sur le gaz et le pétrole russes.

Être favorable à la paix interdit-il un soutien à la résistance armée ?

Guerre ou paix ?

La guerre est toujours une défaite de l’humanité, et tout le monde est « pour la paix ». Mais nous ne pouvons pas avancer comme mot d’ordre une « paix négociée, maintenant » qui renverrait dos à dos agresseurs et agressés. Ce serait s’aligner sur la politique de celles et ceux qui, plutôt que d’appeler au soutien des peuples vietnamien et algérien, se limitaient à dire « paix au Vietnam » ou « paix en Algérie », sans revenir à 1939 avec l’invasion de la Pologne ou à la situation en Palestine encore aujourd’hui, en gommant la résistance des peuples vietnamien, algérien, polonais, palestinien... et les occupations américaine, française, allemande, israélienne, en refusant de soutenir celles et ceux qui résistent aux forces d’occupation et de répression. Pour l’heure, il faut soutenir la lutte de la population d’Ukraine contre l’invasion militaire russe pas revendiquer une paix qui entérinerait la situation créée par l’agression impérialiste de l’État russe. Soutenir la résistance ukrainienne,c’est prendre en compte ses demandes, exprimées à partir de ses besoins sur le terrain : en ce sens, il n’est pas acceptable de s’opposer à la livraison d’armes. Le capitalisme du régime du président Volodymyr Zelenskyn’est pas la révolution libertaire de 1936 dans l’État espagnol, et la comparaison à propos du refus de livraison d’armes n’est pas juste, nous dit-on parfois. Prenons un autre exemple : qui oserait dire qu’il ne fallait française ou refuser un armement parce que venu alors pour partie du Royaume-Uni ou des États-Unis ? Pourtant, celle-ci comportait bien des composantes peu progressistes, nationalistes, de droite ... Une autre question concerne les conditions dans lesquelles l’armement est fourni et sous le contrôle de qui : il est clair que, sur ce point, le contrôle populaire et démocratique n’est pas à l’ordre du jour, malgré quelques exigences qui se font jour au sein de certaines unités de volontaires de la Défense territoriale.

Une lutte contre l’impérialisme russe ou contre les impérialismes ?

Tout comme elles ont pour conséquence de renforcer l’OTAN, l’intervention militaire russe en Ukraine et la guerre qui s’ensuit vont, malheureusement, renforcer le camp des militaristes partout dans le monde. Nous ne pouvons pas nous en satisfaire. Il faut retravailler des sujets que trop de milieux militants n’ont guère pris en compte depuis des années : les ventes d’armes, leur fabrication et la reconversion des secteurs concernés, les budgets engloutis dans l’armement, les politiques militaristes, les guerres qui ont lieu ailleurs dans le monde, le droit à l’objection de conscience, la défense civile... Nous refusons l’augmentation des dépenses militaires, de la production et du commerce des armes, qui consomment les ressources dont nous avons besoin pour la transition énergétique et pour lutter contre le changement climatique, la pauvreté,les pandémies, etc. L’exigence historique de dissolution des blocs militaires demeure : nous disions non au Pacte de Varsovie et à l’OTAN. Nous disons non à l’OTAN et à l’OTSC ! Le rôle de l’impérialisme russe dans la guerre menée aujourd’hui en Ukraine (et ailleurs dans le monde auparavant) ne nous fait pas oublier celui d’autres impérialismes, dans d’autres guerres, d’autres attaques envers des peuples. À commencer par l’impérialisme américain , que nous avons dénoncé à de très nombreuses reprises et que nous continuerons de combattre. Mais mener ces combats ne se fait pas au détriment du soutien à la résistance ukrainienne !

Un compromis avec Poutine ?

Une paix impérialiste ?

À mesure que la guerre en Ukraine se prolonge – car Moscou n’arrive pas à vaincre la formidable résistance de
tout un peuple – on entend néanmoins de plus en plus fréquemment des voix demandant « un compromis avec Poutine ». Tant du côté des gouvernements occident aux que, chose plus déplorable, du côté de certains milieux de la gauche. Ce qui est frappant est que ces demandes ne sont assorties d’aucune condition, et notamment de l’exigence qu’il retire d’abord ses armées de l’Ukraine. Ainsi, proposer aujourd’hui « un compromis avec Poutine » sans lui poser de conditions équivaut tout bonnement à proposer que l’Ukraine, elle, accepte de perdre un cinquième de son territoire, c’est-à-d ire les régions que Poutine tente de « russifier » à la hâte. Les promoteurs de ce genre de proposition avancent un argument en soi tout à fait logique, à savoir qu’il faut « mettre fin à la guerre pour instaurer la paix ». Mais toujours sans le retrait des troupes russes. La tumultueuse histoire des guerres et des annexions a donné un nom à ce genre de paix : on appelle ça « une paix des cimetières » ou encore « une paix impérialiste ». Non. Le retour à la paix passe par l’arrêt de l’offensive russe et le retrait de son armée !

Quel jeu Macron joue-t-il ?

Macron, spécialiste des longues conversations téléphoniques avec Poutine pour ne rien obtenir ni rien faire ensuite (en ukrainien, on appelle cela « macroner »...), est même allé plus loin en disant qu’il faut lui permettre de « sauver la face » pour « ne pas humilier la Russie ». Tout le monde a compris que Macron lui disait ainsi qu’il acceptait l’occupation d’un cinquième de l’Ukraine par les armées russes, et qu’il n’allait pas « l’humilier » en exigeant leur retrait. Ces propos ont suscité une saine indignation internationale, en même temps qu’ils ont fini par totalement déconsidérer le président français en Ukraine, dans toute l’Europe centrale et orientale, dans les anciennes républiques soviétiques d’Asie et même en Scandinavie. Autrement dit, dans tous les pays qui savent ce que veulent dire les invasions de l’impérialisme russe – tsariste d’abord, stalinien ensuite, poutinien depuis vingt ans... Cette sortie scandaleuse de Macron – lequel n’est même pas allé à Kyiv pendant les quatre premiers mois de guerre, bien qu’il assurait la présidence tournante de l’UE – est une rhétorique typique des salons desdits « grands de ce monde », où les principales puissances impérialistes marchandent entre elles des concessions mutuelles, notamment territoriales, au-dessus des peuples concernés et sur leur dos. Accepter la réduction du territoire ukrainien en violation totale du droit international, de surcroît par un président qui se réclame de « la France des droits de l’homme », est inacceptable. Et ce serait envoyer un message désastreux aux peuples du monde entier ! Seul le peuple ukrainien est souverain pour décider de l’avenir de l’Ukraine, des concessions éventuellement acceptables et de celles qui ne le sont pas.

Mettre fin a cette guerre... à tout prix ?

Plus la guerre se prolonge, plus s’accumulent les dégâts qu’elle génère, plus les drames humains se multiplient... Plus la lassitude gagne. D’où l’idée que l’impératif est de mettre fin au conflit. À n’importe quel prix !

Ce prix, dans les conditions actuelles, quel serait-il ?

Poutine n’est plus en condition d’imposer une capitulation ouvrant la voie à une annexion de l’Ukraine. Mais en cas d’une résistance ukrainienne en difficulté, et d’une opinion internationale qui cède à la lassitude voire à une indifférence croissante, il pourrait chercher à imposer pour mettre fin aux hostilités ce qu’on appellera alors un « compromis ». Il s’agirait de la reconnaissance que tout ou partie des territoires occupés par l’armée russe – le Donbass, la Crimée, des régions riveraines de la mer Noire – sont annexés à la Fédération de Russie. Poutine est habitué à ce type d’opérations qu’il a pratiquées en Géorgie, en Moldavie, dans le Donbass : au nom de la protection des populations russophones déclarées menacées, la création d’enclaves occupées militairement, « russifiées », et constituant les bases pour brider l’indépendance des pays concernés, voire pré-élargissement ultérieur des limites de la Russie. Ce serait obliger l’Ukraine à subir une amputation de son territoire, lui infliger une humiliation nationale, et la condamner à se préparer à de nouveaux affrontements dans le futur. Rien ne dit que les États qui aujourd’hui soutiennent l’Ukraine ne se rallieront pas demain à une telle solution, au nom de la realpolitik et de la nécessité de ramener la paix dans la région et sur le continent.

Céder à la lâcheté ?

La solidarité avec le peuple ukrainien ne saurait rien céder à de telles lâchetés. La Russie n’a aucun droit sur tout ou partie de l’Ukraine, nation indépendante, dont la résistance à l’agression dont elle est victime est légitime. L’idée que l’Ukraine pour obtenir que cesse la guerre devrait faire des « concessions », en fait, renoncer à une partie de sa souveraineté, est inacceptable. Le peuple ukrainien mène une guerre de résistance, une guerre juste. Il doit rester le seul maître de ses décisions quant à la poursuite de cette guerre, des conditions qui rendraient possible d’y mettre un terme. La solidarité avec son combat interdit de céder à l’indifférence et à la lassitude. La cause qu’il défend est celle de la liberté et de la justice, le droit à l’autodétermination. Elle est celle de tous les peuples qui se veulent libres. À ce titre, elle mérite d’être partagée par toutes et tous. Et cela quoi qu’il en coûte !

Soutenir la lutte du peuple ukrainien, un impératif politique et moral ?

Des enjeux qui dépassent le cas de l’Ukraine ?

Dans la guerre de la Russie contre l’Ukraine, la portée des enjeux va bien au-delà d’un simple conflit limité de type régional. C’est l’ensemble des peuples de l’Europe centrale, baltique et orientale qui se sentent directement concernés par l’agression russe, et en particulier les millions d’hommes et de femmes qui vivent dans les États frontaliers de la Russie et pour lesquel·les celle-ci constitue une menace. Pour ces populations, cette guerre qui s’est installée dans la durée prend l’importance de ce qu’a été la guerre du Vietnam dans d’autres régions du monde pour les générations antérieures. De la part d’une partie des populations déjà agressées de manière très violente par l’armée russe, de la Tchétchénie à la Syrie, la solidarité exprimée avec l’Ukraine n’est pas une surprise.

Comprendre cette guerre dans un contexte plus vaste ?

Ce qui est en cause est un bouleversement du continent et de la situation mondiale marquée par une nouvelle
offensive de l’impérialisme russe, après notamment l’épisode syrien de 2016 – déjà sans que l’OTAN y ait été pour quoi que ce soit – dans un monde multipolaire, dans lequel les pôles majeurs sont à la fois des puissances émergentes et des impérialismes installés de longue date. La Russie, dans une continuité historique – cependant toute relative – avec l’ex-URSS, occupe dans ces pôles majeurs une place particulière, celle d’un impérialisme spécifique. Celui-ci s’articule sur le plan interne à un régime politique sui generis, où se mêlent des éléments de continuité avec le stalinisme mais aussi des éléments faisant penser à un régime mafieux et à un néofascisme (racisme, y compris antisémite, sexisme, homophobie, répression brutale des opposant·es, etc.).

Que faire demain ?

S’opposer aux visées impérialistes et autocratiques de Poutine, être solidaire de la lutte du peuple ukrainien pour sa liberté, l’intégrité de son territoire et l’indépendance nationale du pays, est donc un impératif politique et moral pour toutes les forces européennes, et au-delà attachées à la démocratie. Celle-ci repose sur un ensemble de droits et de libertés, et le droit à l’autodétermination en fait partie. Cette solidarité s’exerce aussi avec les oppositions russes au régime de Poutine et à la guerre. Aujourd’hui , cela implique d’être aux côtés de la résistance ukrainienne. Et demain de s’opposer aux politiques des puissances toujours prêtes à se mettre d’accord sur le dos des peuples (cf. le risque d’ouvrir une boîte de Pandore en préconisant la fausse solution d’une conférence internationale dite « des frontières »), y compris en prétendant calmer le pouvoir russe par l’amputation du territoire de l’Ukraine. Et après-demain, cela signifie rouvrir la réflexion sur la construction européenne que nous voulons, alternative à celle que nous subissons, marquée par le libéralisme et l’absence de réelle démocratie : une Europe solidaire et écologique, une Europe de la démocratie active, ouverte aux peuples qui veulent la rejoindre, sans les soumettre aux mesures de conditionnalité économique visant à les aligner sur les standards capitalistes, la concurrence de tous contre tous, les politiques d’austérité, les reculs sociaux et la généralisation des privatisations. Une Europe qui ne transigera pas sur la démocratie et donc sur les droits et les libertés, le respect et les droits des minorités en général, sur l’exigence du droit des peuples, et des « minorités nationales » au sein des États, à l’auto-détermination.

Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, une boussole ?

Quel fil directeur pour notre action ?

Face à la multiplicité et à la complexité des enjeux, un fil directeur nous guide. Ce fil directeur inclut et va au-delà du soutien de principe à un peuple agressé par une puissance impérialiste. Le principe qui doit nous guider, c’est le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et le respect de ce droit et de celui des minorités. Cette question n’est en rien une question du passé, une « question révolue », c’est aussi une question plus actue lle que jamais. Dans tous les continents et toutes les régions du monde, le processus de mondialisation s’accompagne à la fois de fragmentations, de tensions et de conflits, mais aussi de mobilisations des peuples opprimés ou des « minorités nationales » pour la démocratie et la reconnaissance de leurs droits collectifs. De l’Inde au Brésil en passant par la Birmanie, la Palestine, le Sahara occidental, la Catalogne ou l’Écosse, on retrouve les mêmes aspirations à l’autodétermination.

Qui doit décider de leur sort si ce ne sont les peuples eux-mêmes ?

Et cela vaut pour l’Ukraine, cette « petite nation » – au sens où le disait Lénine – dont le sort a précisément été trop longtemps confisqué par la tutelle impérialiste et menacé par le fascisme. La reconnaissance du droit à l’autodétermination des peuples peut prendre la forme – on l’a vu au moment du process us de décolonisation, événement majeur de l’émancipation humain e, ou encore après la chute du Mur et la dislocation de l’URSS, de la constitution de nouveaux États. Mais ce n’est pas systématique ou obligatoire. Et on peut ajouter deux remarques, qui valent pour le cas de l’Ukraine :

  • quand c’est le cas, indépendance et constitution d’un nouvel État impliquent le respect des frontières et du droit international, et donc la condamnation la plus ferme d’une agression impérialiste contre un jeune État indépendant ;
  • quand c’est le cas, cela ne signifie pas enfermement autarcique dans un cadre national : on le voit avec la volonté massive de la population de s’associer à la construction européenne et cela vaut aussi dans d’autres cas que l’Ukraine en Europe orientale (par ailleurs, cette volonté d’ancrage européen est aussi très forte parmi les « minorités nationales » des grands États d’Europe de l’Ouest).

Sans le respect du droit à l’autodétermination des peuples, comment imaginer possible une paix juste et durable, et un monde à la fois pacifié, plus juste et plus solidaire ?

L’intégration de l’Ukraine à l’Union europénne, solution ou nouveau problème pour le peuple ukrainien ?

Que penser de l’intégration de l’Ukraine dans l’UE ?

La candidature de l’Ukraine pour intégrer l’Union européenne est à présent, avec celle de la Moldavie, officiellement acceptée. Faut-il simplement s’en féliciter ou la question demande-t-elle un examen critique ? Ne serait-ce pas une promesse fallacieuse ? Voire le moyen d’imposer à la société ukrainienne le formatage du néolibéralisme ? Il faut refuser que cela soit le moyen d’imposer à l’Ukraine des critères néolibéraux qui sont actuellement ceux de l’UE, pour, au contraire, favoriser des critères qui permettront à l’Ukraine de se libérer de la corruption et des marques laissées par un passé dominé par le stalinisme, pour s’émanciper et se démocratiser.
Cette candidature n’allai t pas de soi au sein de l’UE : l’Ukraine a obtenu le statut d’État candidat, malgré les réticences de plusieurs États membres, dont l’Allemagne... et la France, soucieuses de conserver un leadership que pourrait contester un bloc Pologne-Ukraine, concurrent éventuel sur le plan économique et pesant lourd sur le plan démographique, contribuant à déplacer le centre de gravité géographique de l’UE vers l’est... Quoi qu’il en soit, ces réticences en disent long sur les ambiguïtés de la position française sur le dossier ukrainien.

Sur quels critères ?

Il faut dissocier très précisément les éléments/critères de conditionnalité que les instances de l’UE vont tenter d’imposer à l’Ukraine pour passer du statut d’État candidat à celui d’État membre. Les critères d’ordre politique à l’adhésion à l’UE peuvent fournir des atouts importants au peuple ukrainien dans la voie de la démocratie et de l’émancipation. Ces critères répondraient à l’une des exigences de la révolution de Maïdan en 2014 ayant contribué à la force propulsive de cette révolution et à l’onde longue qui lui a fait suite jusqu’à la résistance actuelle contre l’armée russe, en particulier dans ses expressions citoyenne, populaire, auto-organisée. Il s’agit des mesures contre la corruption, pour l’installation d’un État de droit et pour le respect des minorités. Il est absolument indispensable de dissocier ces critères politiques des critères économiques que les instances de l’UE vont tenter également d’imposer à l’Ukraine : ces autres éléments/critères impliquent les mesures que nous connaissons bien et qui ont été imposées aux peuples des États qui ont rejoint l’UE via les élargissements successifs issus du Traité de Maastricht : privatisations à tout-va, installation de la concurrence de tous contre tous, recul des droits sociaux, des salaires et des retraites, politiques d’austérité... Il faut dire haut et fort que l’application de telles mesures économiques néo-libérales ferait de l’adhésion de l’Ukraine à l’UE autant un problème qu’une solution. Mais tirons-nous la conclusion que nous serions au final, à cause de ces mesures économiques, hostiles à une telle adhésion de l’Ukraine à l’UE ? Non, et il y a trois bonnes raisons à cela : celle-ci est plébiscitée par la population, c’est à elle seule de décider et à personne d’autre, et en tant qu’internationalistes et altermondialistes, nous ne pouvons refuser l’adhésion de tel ou tel pays à l’UE. Si l’adhésion inclut de tels critères économiques inacceptables, c’est par les mobilisations citoyennes et les luttes sociales menées par le peuple ukrainien, de la solidarité de l’ensemble du mouvement ouvrier européen et ses forces syndicales que se construiront les réponses à la fois alternatives, solidaires et anticapitalistes.

UKRAINE SOLIDARITÉ FRANCE

Réseau européen Solidarité avec l’Ukraine et contre la guerre

Nous, collectifs de mouvements sociaux, syndicats, organisations et partis, d’Europe de l’Est et de l’Ouest, opposé·es (complément de collectifs, donc opposés) à la guerre et à tous les néo-colonialismes dans le monde, voulons construire un réseau par en bas, indépendant de tout gouvernement pour :

  • 1. La défense d’une Ukraine indépendante et démocratique.
  • 2. Le retrait immédiat des troupes russes de tout le territoire ukrainien. L’arrêt de la menace nucléaire que constituent la mise en état d’alerte des armes nucléaires russes et le bombardement des centrales ukrainiennes.
  • 3. Le soutien à la résistance (armée et non armée) du peuple ukrainien dans sa diversité, en défense de son droit à l’autodétermination.
  • 4. L’annulation de la dette extérieure de l’Ukraine.
  • 5. L’accueil sans discrimination de tous les réfugié·es d’Ukraine et d’ailleurs.
  • 6. Le soutien au mouvement anti-guerre et démocratique en Russie et la garantie du statut de réfugié·e politique aux opposant·es à Poutine et aux soldats russes qui désertent.
  • 7. La saisie des biens des membres du gouvernement, des hauts fonctionnaires et des oligarques russes en Europe et dans le monde ; et l’application des sanctions financières et économiques en protégeant les populations défavorisées de leurs effets.

Au-delà, nous luttons aussi, en lien avec les courants qui partagent ces objectifs en
Ukraine et en Russie :

  • 1. Pour un désarmement nucléaire global. Contre l’escalade militaire et la militarisation des esprits.
  • 2. Pour le démantèlement des blocs militaires.
  • 3. Pour que toute aide à l’Ukraine échappe à l’emprise et aux conditions d’austérité du FMI ou de l’UE.
  • 4. Contre le productivisme,le militarisme et la concurrence impérialiste pour la puissance et le profit qui détruisent notre environnement et nos droits sociaux et démocratiques.

À l’issue de la première guerre mondiale, l’Organisation internationale du travail (OIT) a été fondée sur une affirmation de portée universelle : « Une paix universelle et durable ne peut être fondée que sur la justice sociale. » Aujourd’hui, nous devons ajouter la justice environnementale et l’état droit : nous luttons pour la paix et l’égalité, les libertés démocratiques, la justice sociale et climatique, par la coopération et la solidarité entre les peuples.

Les dessins qui illustrent cette brochure sont l’œuvre de Katya Gritseva, jeune artiste révolutionnaire ukrainienne, socialiste, étudiante et poétesse. Née à Marioupol, elle est actuellement réfugiée à Lviv. Nous remercions Katya pour les affiches et dessins qu’elle prête gracieusement au mouvement de solidarité.

www.ukraine-solidarity.eu
Pour nous contacter : [mailto:ukrainesolidaritefrance@gmail.com]

Signataires en France

A manca – Arguments pour la lutte sociale – Assemblée européenne des citoyens – Association pour l’autogestion – Athena 21 – Attac France – Club politique Bastille – Ensemble ! – Éditions Syllepse – Émancipa tion Lyon – Entre les ligne s entre les mots – Europe an alternatives – Fondation Copernic – Fédération syndicale unitaire Allier – Gauche démocratique et sociale – Inprecor – L’insurgé – Les humanités – Mouvement national lycéen – Nouveau Parti anticapitaliste – Pour une écologie populaire et sociale – Rejoignons-nous – Syndicat national unitaire Intérieur, Territoires, Agriculture, Mer FSU – Union syndicale Solidaires –

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