Le débat sur le projet de loi de finances (PLF) 2025 à l’Assemblée nationale est déjà riche d’enseignements. Il a en effet d’une part, montré la capacité de plusieurs groupes de gauche et centristes de nouer des compromis sur plusieurs mesures fiscales et, d’autre part, mis en lumière l’alliance que les groupes de droite et d’extrême droite ont formée pour empêcher à tout prix que le PLF 2025 intègre ces mesures visant à réintroduire davantage de justice fiscale et à empêcher la mise en œuvre d’une politique d’austérité dévastatrice.
D’une certaine manière, ce débat confirme l’analyse portée dans la tribune unitaire initiée par Attac (publiée en septembre dernier par Libération) et signée par près plus de 80 personnalités et organisations : plus que jamais, le débat sur la répartition des richesses est une question de choix de société.
Politiquement, la clarification s’opère avec d’un côté, les tenants de l’austérité, du repli des services publics, de la régression sociale et de la négation des urgences environnementales et de l’autre, dans une certaine diversité qu’il faut reconnaître, les partisans d’une plus grande justice fiscale, sociale et écologique. Si en leur sein, les groupes ont de réelles divergences de fond, il n’empêche qu’ils ont su s’organiser pour contrer un PLF qui s’annonce tristement historique.
Le débat a montré une capacité de plusieurs forces plus ou moins progressistes à trouver des compromis (1) qui ont suscité des réactions sidérantes de la part de ceux qui n’ont que l’austérité pour vision (2). Le risque d’une nouvelle utilisation de l’article 49-3 est réel (3). De manière générale, alors que la justice fiscale est devenue une question majeure, le mouvement social doit demeurer actif pour démontrer sur un plus long terme que la justice fiscale est une urgence sociale, écologique et démocratique (4).
1/ Du Nouveau Front Populaire aux amendements au PLF : des compromis sans compromission
Lors du débat en commission des finances de l’Assemblée nationale, plusieurs amendements ont été votés avant d’être rejetés par l’alliance « Renaissance, LR, RN ». Si ces amendements ne reprenaient pas les mesures figurant au programme du Nouveau Front Populaire (NFP), ils présentaient le mérite de constituer de véritables compromis qui, s’ils avaient été mis en œuvre, allaient dans le bon sens et auraient constitué un pas en avant en permettant de réintroduire un peu plus de justice fiscale.
Si on ne peut que le déplorer, la composition de l’Assemblée nationale ne laissait toutefois guère de doute : le programme du NFP n’aurait pas recueilli une majorité qui aurait permis de l’appliquer dans son entièreté. Il restait donc aux élu·es du NFP le choix entre présenter des amendements sur la base de leur programme qui n’auraient eu aucune chance d’être votés ou tenter, par des compromis, de faire voter des amendements par la Commission des finances pour mettre le pouvoir au défi du respect du débat parlementaire et nourrir ainsi activement le débat sur la justice fiscale.
Schématiquement, on peut dégager trois enseignements du débat en Commission des finances.
- Certains amendements résultant de compromis entre différents groupes votés par la Commission des finances sont parfois proches des mesures du NFP. Il en va ainsi de la taxation des superprofits, assises sur un barème comportant 3 tranches, du soutien à la taxation unitaire des multinationales, de la taxation des superdividendes, de la taxation des rachats d’actions ou encore du renforcement de la taxe sur les transactions financières.
- Certains sont plus éloignés des positions du NFP mais demeurent bien orientés. Si la suppression du prélèvement forfaitaire unique (PFU) n’a pas donné lieu à compromis, la discussion a cependant débouché sur un amendement visant à rehausser la taxation des dividendes. Il en va également ainsi de la pérennisation de la contribution sur les hauts revenus ou encore de la remise en cause de la niche fiscale relative à l’assurance-vie en matière de droits de succession.
- Enfin, d’autres mesures ne figuraient pas dans ce compromis, comme l’instauration d’un impôt sur la fortune rénové ou la taxation des superhéritages notamment.
Au final, la balance penche toutefois assez nettement du bon côté. Ces amendements ne sont pas seulement révélateurs du besoin d’une plus grande justice fiscale, porté par plusieurs députés, conformément à leur rôle de représentants du peuple. Ils montrent également la capacité du NFP de passer des compromis en l’absence de majorité, tout en gardant le cap qu’il s’est fixé. En d’autres termes, le NFP répond par les actes aux procès d’intention d’Emmanuel Macron (qui a refusé la nomination de Lucie Castets à Matignon) et des divers élu·es de droite.
2/ L’hystérie La crispation antisociale et antifiscale historique des conservateurs en marche
La réaction des opposants à ce compromis fiscal, le bloc « Renaissance-LR-RN », est sidérante et révélatrice de la folie austéritaire, fruit d’une idéologie profondément régressive et conservatrice. De manière générale, les réactions des partis de droite ont consisté à dénoncer les hausses d’impôt, sans préciser que les amendements votés en commission des finances ne concernaient qu’une minorité de contribuables, c’est-à-dire les riches particuliers et les multinationales. Ce faisant, ils ont montré qu’ils étaient prêts à tous les excès (jusqu’à parler de « boucherie fiscale ») pour préserver les intérêts des contribuables potentiellement concernés. Et ce, malgré les attentes d’une large partie de la population et les rapports dressant un bilan éloquent des mesures prises depuis 2017.
La ligne défendue « à droite » consiste en effet à refuser toute hausse d’impôt ou de prélèvements sociaux (le vote contre l’article 6 du Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale remettant en cause une partie des allègements de cotisations sociales l’atteste également) et à privilégier la baisse des dépenses publiques, dans la droite ligne des coupes budgétaires décidées par le précédent gouvernement. Des coupes auxquelles le gouvernement Barnier veut ajouter 40 milliards d’euros d’économies tout en assumant d’affaiblir le patrimoine public en cédant des participations détenues par l’État. L’État, les collectivités locales et la Sécurité sociale sont touchés de plein fouet. En clair, leur ligne est l’austérité durable pour toutes et tous plutôt que l’effort d’une minorité de plus en plus riche des contribuables et des grandes entreprises. Cette ligne est très conservatrice, elle l’a toujours été.
Dans cette approche, toute mesure de justice fiscale ferait fuir les investisseurs, ruinerait la France et créerait de la pauvreté et du chômage. Les arguments employés sont les mêmes que ceux invoqués au 19e siècle et au début du 20e face aux projets de création d’un impôt progressif sur le revenu, de droits de donation et de succession et d’un système de contrôle fiscal. Peu leur importe que leurs propos aient été historiquement démentis dans les faits.
3/ Le PLF 2025 au péril du 49-3
Avec un plan d’austérité inédit et la préservation des acquis fiscaux des plus riches et des grandes entreprises, sur le fond, le PLF 2025 aurait pourtant dû largement satisfaire les différentes forces de droite. Celles-ci ne l’entendent manifestement pas ainsi. Le rejet frontal de propositions, peu nombreuses et souvent temporaires, destinées à envoyer un symbole à l’opinion témoigne de la brutalité de leur idéologie qui se retrouve dans d’autres prises de position. À la pression que ces forces veulent exercer sur l’ensemble des finances publiques s’ajoute désormais la proposition d’augmenter le temps de travail, ce qui serait une première après un mouvement séculaire de baisse du temps de travail.
Au-delà des tactiques politiques, le calcul politique est le suivant : l’avenir étant incertain, il s’agit d’imposer un durcissement des politiques néolibérales pour empêcher ou rendre très difficile leur remise en cause future par un prochain gouvernement véritablement progressiste.
Pour l’heure, entre l’intransigeance des forces de droite et le refus du gouvernement d’accepter des mesures plus justes, l’utilisation de l’article 49-3, qui aggraverait la crise démocratique, semble de plus en plus probable. Elle signerait l’échec d’un gouvernement dont la légitimité est extrêmement faible et qui n’a été mis en place grâce à une alliance de fait entre le bloc macroniste, LR et le RN que pour éviter l’arrivée au pouvoir du NFP. Celui-ci, bien que ne disposant pas de la majorité absolue, a démontré qu’il savait nouer des compromis, tout en gardant son cap. Pour autant, la violence des prises de position du bloc « conservateur » montre aussi que, sur le terrain des idées, la justice fiscale s’est imposée comme un enjeu majeur.
4/ La justice fiscale s’est imposée dans le débat public, le cap est clair
Dans la période, il est indispensable que le mouvement social s’organise. De ce point de vue, les progrès sont notables. Pour Attac, la campagne pour la justice fiscale lancée en février 2024 permet à l’association d’avoir un certain écho. Aux rendez-vous « fiscaux » de la rentrée (lancement du livre sur l’évasion fiscale, débats sur le stand d’Attac et intervention à l’Agora à la fête de l’Humanité, audition à l’assemblée nationale sur l’évasion fiscale, forum sur la justice fiscale) s’est ajouté un travail commun entre Attac, Oxfam et 350.org sur 7 mesures permettant de dégager plus de 60 milliards d’euros, soit le montant recherché par le pouvoir. Au-delà, les contacts avec Oxfam, qui s’est largement exprimé sur la question de la justice fiscale, et les échanges tant au sein de l’Alliance écologique et sociale qu’avec d’autres organisations montrent qu’il est possible et nécessaire de porter de manière unitaire des propositions et d’envisager des initiatives.
Le premier bilan de la période est donc instructif : au sein de plusieurs partis progressistes et du mouvement social, les mêmes enjeux sont identifiés et parfois même, les mêmes mesures sont défendues. Ce travail sera poursuivi et mérite d’être élargi à l’ensemble des enjeux touchant aux finances publiques, en intégrant ces travaux dans le cadre de l’indispensable bifurcation sociale et écologiques défendue par Attac.
S’il faut toujours défendre des mesures de justice fiscale, il faut également montrer l’utilité de la dépense publique. La défense des services publics, de la protection sociale et de l’intervention de l’action publique visant à mettre l’économie au service de l’être humain et de son environnement est en effet indissociable de la justice fiscale. Le moment est venu de relégitimer l’ensemble de l’action publique et ses finances, en montrant par exemple qu’un euro de dépense publique dépensé au service de l’intérêt général n’est pas seulement « juste » mais économiquement pertinent ou encore que toute baisse des recettes et des dépenses publiques se traduit par un repli de l’action publique et, parallèlement, par une montée en puissance du secteur marchand qui voit dans des pans entiers des services publics et de la protection sociale de potentiels futurs débouchés. Ce qui gêne les conservateurs de tous poils n’est pas le coût de telle branche de la Sécurité sociale ou de tel service public, mais le fait que cela échappe au secteur marchand. Le débat n’est donc pas seulement fiscal, il est global et on ne peut plus « politique » au sens noble du terme.
Les termes du débat sur le choix de société sont posés. Face au risque d’une austérité économiquement inefficace, socialement injuste et écologiquement néfaste, portée par les conservateurs, et face au risque de l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite, l’alternative porte un nom : la justice fiscale, sociale et écologique.