Si certaines revendications sont légitimes (comme sur la suppression possible de jours fériés), ce slogan vise les recettes et les dépenses publiques et la redistribution dont ne bénéficierait pas Nicolas, symbole des jeunes diplômés et des gens qui travaillent en payant beaucoup trop pour « les autres ».
Sur certaines images de cette campagne en voie de récupération par l’extrême droite, on voit ainsi « Nicolas », jeune diplômé « de type occidental » en chemise, se prendre la tête dans les mains devant ce qu’on imagine être le poids de la fiscalité face à un Emmanuel Macron hilare et un jeune racisé à casquette, lui aussi tout sourire. Tout est dit dans ce type d’image : Nicolas paie pour le train de vie de l’État et les immigré·es.
Disons-le d’emblée : ce qui est désormais véhiculé, dans une certaine presse notamment, par cette expression et la démarche qu’elle entraîne n’est pas seulement trompeur, cela relève de la manipulation.
Cohérentes avec leur anti-fiscalisme primaire, la fachosphère, les identitaires, les libertariens et leur périphérie sympathisante promeuvent cette expression. Ils soutiennent un appel à se mobiliser le 10 septembre qui circule sur les réseaux sociaux. Les promoteurs de « C’est Nicolas qui paie » tentent ainsi d’instrumentaliser ce qui est en réalité un « ras-le-bol des injustices fiscales et sociales », bien réel et mesuré dans les enquêtes d’opinion.
Leur objectif est clair : ne surtout pas faire contribuer les plus riches et les grandes entreprises et en finir avec la « contribution commune » (les impôts et les recettes sociales). Il s’agit de discréditer et de cliver pour créer les conditions d’une mise en œuvre de leur projet : privatiser, instaurer une société du « chacun pour soi » et conforter la domination politique et économique d’une caste hyper aisée.
Pour ce faire, ils se livrent à une critique permanente et de plus en plus brutale de l’action publique et de la protection sociale, censées bénéficier principalement à ce qu’ils ont toujours combattu et détesté : les solidarités collectives, l’humanisme, l’égalité, les immigrés, les pauvres, les précaires, les chômeurs et chômeuses, etc.
Ces personnes ne s’encombrent pas de la vérité. Fidèles à leurs méthodes et rhétoriques historiques, elles ne cessent d’entretenir les peurs et les idées fausses dans une stratégie bien connue, puisque largement employée par des personnes comme Donald Trump par exemple. Il est donc essentiel de montrer la réalité de cette manipulation.
C’est Nicolas qui reçoit
Pour cela, suivons donc Nicolas au cours de sa vie pour mieux comprendre et saisir les enjeux de la période.
La mère de Nicolas a accouché dans le public sans rien débourser grâce à la Sécurité sociale alors qu’elle aurait dû payer pas loin de 3000 euros dans un système privatisé. Nicolas a même pu être gardé avant d’entrer en maternelle dans un système largement subventionné. Comme plus de 86 % des élèves au début des années 2000 (donnée de 2001, proportion passée à 78,9 % en 2023), Nicolas a passé l’essentiel de sa scolarité dans le système éducatif public, payé par les impôts. Ses parents n’ont donc pas eu à payer sur leurs deniers les frais d’une scolarité privée.
Sans impôt, pas de service public ni même de subvention, il leur aurait en effet fallu débourser chaque année 8000 euros dans le secteur primaire, 10770 euros dans le secteur secondaire) et environ 17000 euros en moyenne dans le supérieur. Sans impôt, il est fort probable que Nicolas ait été empêché de poursuivre ses études. Il serait alors moins diplômé et, probablement, plus exposé à la précarité.
Nicolas et sa sœur ont bénéficié des prestations familiales que leurs parents ont perçues. Elles auront permis de mieux manger, peut-être même de s’inscrire à une activité proposée et subventionnée par la commune, donc par les impôts locaux. Peut-être lui est-il même arrivé de partir en « classe de neige » ou en « classe verte » grâce, là aussi, aux impôts locaux. Et, en allant périodiquement à la piscine, ils ont bénéficié d’un tarif très largement subventionné, lui aussi (tout comme la cantine scolaire). Sans cet argent public, l’enfance aura été probablement moins chouette.
Poursuivons. Comme tout le monde, Nicolas va de temps en temps se faire soigner. Il est donc remboursé d’une très grande partie de ses soins. Dans un système privé, il aurait dû payer son assurance santé et ce qu’il aurait déboursé aurait été plus coûteux que ses cotisations sociales. En effet, les frais de gestion d’une assurance santé privée sont plus élevés : 1 à 4 % selon les branches de la Sécurité sociale actuellement contre 17 à 20 % pour les acteurs privés.
On pourrait multiplier les exemples. Si Nicolas va dans un musée ou un théâtre publics, qu’il fait du sport sur le stade de sa ville, ou lorsqu’il utilise des transports en commun aux tarifs subventionnés ou qu’il emprunte des routes sans péage ou même lorsqu’il se promène dans le parc de sa ville, il bénéficie de l’argent public. De la même manière, s’il est cambriolé, la police ne lui facturera pas le dépôt de plainte. Et s’il travaille dans une entreprise privée qui accède à des marchés publics, il doit en partie à l’argent public son travail et son salaire.
Lorsqu’il aura un enfant, comme ses parents pour lui, il ne devra pas régler les près de 3000 euros de l’accouchement (sans complication). Il recherchera un mode de garde, en crèche collective ou familiale. Certes, les places sont rares et il se plaindra à juste titre qu’il n’y en a pas assez. Et même s’il s’oriente vers une assistante maternelle, il sera aidé financièrement : au final, il ne paiera que le tiers du coût de revient de la garde de son enfant grâce aux aides.
Et, comme ses parents, il n’aura pas à débourser au-delà de ses impôts pour scolariser son ou ses enfants. Il percevra par ailleurs des prestations familiales qui amélioreront sa situation financière et celle de sa famille. Et ça tombe bien, quand on est jeune parent, le revenu est très rarement au maximum de son parcours professionnel. En revanche, les dépenses font un bond. Sans ces prestations, la vie serait plus rude, il y aurait moins de vacances, moins de cadeaux pour les enfants et peut-être même qu’on mangerait moins bien. Par ailleurs, si Nicolas est attaché à la démocratie, il vote à la plupart des scrutins. Des scrutins payés par l’argent public...
Personne ne souhaite de mauvaises choses à Nicolas. Mais, s’il lui arrive un accident, les pompiers ne lui réclameront pas les près de 1200 euros de leur intervention. Et s’il se retrouvait au chômage même après avoir maintes fois traversé la rue, il s’apercevrait que cette situation est très dure, qu’il veut travailler, car il n’est pas fainéant, mais il apprécierait d’être indemnisé pour faire face à ses besoins élémentaires. Il en irait de même si lui ou un·e de ses proches était handicapé·e, ou encore si ses moyens l’empêchaient de se loger correctement. Des aides existent pour cela. Au pire du pire, il pourrait même bénéficier du RSA. Mais objectivement, il ne voit pas comment il pourrait vivre avec si peu.
Lorsqu’il arrivera à la retraite, que Nicolas s’étonnera probablement de la prendre si tard, car il aspirera légitimement à se reposer, s’engager dans une association ou garder ses petits-enfants, il saura à coup sûr qu’il bénéficiera d’une pension de retraite. Il plaidera certainement pour qu’elle soit indexée sur l’inflation évidemment. Dans le système actuel, cette pension a un mérite : sa stabilité, garantie par le système par répartition alors que la retraite par capitalisation (à laquelle la réforme Macron prépare le terrain) est soumise aux aléas des marchés financiers, lesquels peuvent se traduire en un appauvrissement brutal et durable des retraité·es soumis à la capitalisation.
C’est Nicolas qui fait le calcul
Viendra tout de même le moment de faire les comptes. Oui, Nicolas aura cotisé et payé des impôts toute sa vie, mais il aura reçu aussi beaucoup, toute sa vie, directement et indirectement. Et ce, avec des différences fondamentales par rapport à un système privé. Il en va ainsi du coût : contrairement au « privé », la Sécurité sociale, l’État et les collectivités locales ne font pas de profit et leur « coût de gestion » est largement inférieur à celui des entreprises privées. Il en va aussi et surtout de l’accessibilité : dans un système collectif et solidaire, toute la population est assurée d’accéder à des biens communs. Ainsi, lorsqu’on arrive à l’hôpital public, le diagnostic porte sur l’état de santé du patient, pas sur l’état du solde du compte bancaire.
Quant à l’immigration, outre qu’elle rapporte plus à l’économie qu’elle ne lui coûte, Nicolas réalisera au cours de sa vie que de manière générale, la redistribution sociale est gérée dans un cadre légal, avec des objectifs précis, des conditions de ressources ou non (des personnes aisées perçoivent des prestations familiales et des pensions de retraites) qui n’ont rien à voir avec l’origine de leurs bénéficiaires, et que l’aide médicale d’État qui bénéficie aux personnes immigrées lorsqu’elles n’ont pas accès à la Sécurité sociale ne représente que 0,468 % des dépenses de santé. Nicolas peut déjà se dire que c’est pas bézef. Il devrait aussi réaliser que les personnes qui en bénéficient actuellement verraient leur état de santé se dégrader si on supprimait ce dispositif. Sans l’AME, les problèmes de santé s’aggraveraient, et le coût des dépenses de santé avec.
En somme, lorsqu’il en avait besoin, Nicolas a plus reçu, et lorsqu’il en avait davantage les moyens, il a plus contribué. Cela n’est pas une question d’origine, de couleur de peau, d’opinion ou de religion : c’est le vivre ensemble qui permet d’amortir les chocs à différents moments de la vie. Nicolas se dira peut-être qu’il aura eu la garantie qu’une maladie ou une chute de son revenu est plus surmontable dans notre « modèle social » pourtant si imparfait qu’avec un système privé. Surtout, Nicolas se sera senti membre à part entière de la société.
Tout irait donc bien dans le meilleur des mondes ? À l’évidence, non. Certes, aujourd’hui, Nicolas a le droit d’en avoir ras-le-bol, mais il faut prendre garde ; avoir ras-le-bol oui, non pas de l’argent public, mais de la mauvaise répartition de la contribution commune et d’une dette dont il n’est pas responsable puisqu’il ne fait pas partie des gagnants de la politique fiscale de ces dernières années qui ont creusé la dette que le pouvoir et les dominants veulent lui faire payer via un système fiscal injuste.
On le sait, désormais : avec une meilleure répartition de la contribution commune, on peut vivre mieux grâce à l’action publique, être correctement soigné·es, formé·es, etc, on peut mieux réduire les inégalités et la pauvreté, faire face au changement climatique et faire en sorte que chacun·e se sente pleinement citoyen·ne. Entre le ras-le-bol fiscal et le ras-le-bol des injustices fiscales et sociales, il y a donc un monde.
Invoquer le premier terme, c’est faire le choix d’un système coûteux, brutal, injuste et inefficace. Invoquer le second terme, c’est faire le choix d’une société plus juste, d’une société d’avenir permettant à chacune et chacun de mener une vie digne sur une planète habitable. C’est sur cette base que, face aux annonces de François Bayrou sur le budget 2026, et alors que d’autres appels fleurissent, l’association Attac soutiendra les appels qui défendent une réelle justice fiscale, sociale et écologique.
Vincent Gath Drezet