La conférence organisée par Emmanuel Macron à Paris le 13 juin 2025 est présentée comme une « consultation de la société civile », en amont d’une conférence co-présidée avec l’Arabie saoudite à l’ONU, à New York, sur la paix en Palestine le 17.
Nous dénonçons une opération de façade et relayons la voix de la société civile palestinienne unie dans sa dénonciation de la faiblesse de cette initiative qui défend
un programme sans envergure en faveur de la solution à deux États, incapable de répondre aux réalités de la fragmentation, du siège et du génocide sous un régime de colonialisme de peuplement [...] Pendant des décennies, les approches internationales ont occulté les asymétries de pouvoir, mis sur un pied d’égalité colonisateurs et colonisés, et canalisé les ressources diplomatiques et économiques vers des processus et des approches qui protègent Israël de toute responsabilité.
Il est urgent d’imposer des sanctions afin de débloquer la situation. Cela fait 20 ans que le mouvement de la société civile palestinienne « Boycott, Désinvestissement, Sanctions » indique le chemin à suivre pour une résolution pacifique.
Une conférence pour sauver les apparences
Lancée à l’initiative d’un gouvernement français qui refuse de qualifier de génocide la catastrophe en cours à Gaza, qui s’oppose à l’embargo militaire contre Israël et qui réprime les mobilisations en faveur des droits palestiniens, la conférence de Paris n’est pas un espace de dialogue réel. Elle est un écran de fumée.
La société civile palestinienne, en Palestine comme en exil, ne s’y est pas trompée. Elle dénonce une initiative conçue pour détourner l’attention du droit international et des responsabilités concrètes, notamment celle des États tiers comme la France. Plusieurs coalitions palestiniennes appellent à boycotter la conférence, estimant qu’elle sert à blanchir les crimes d’Israël sous couvert de diplomatie.
Alors que Gaza est ravagée par les bombardements, que sa population meurt de faim, que la Cisjordanie vit au rythme des incursions militaires, la France livre des pièces militaires, du carburant d’aviation et des technologies de surveillance à Israël.
En Cisjordanie, les colons ont un statut supérieur aux Palestinien·nes et la colonisation s’intensifie, par le vol de terres et de ressources naturelles, la bétonisation, la destruction et l’expulsion de dizaines de milliers de personnes, avec des descentes armées de colons et de soldats israéliens dans des villages palestiniens que les habitant·es ont dû fuir.
Malgré cela, malgré plus de 10 000 prisonnier·es palestiniens dont plus de 3 500 « prisonniers administratifs » - c’est-à-dire détenus par Israël en dehors de toute procédure légale transparente, la France maintient ses liens avec les institutions israéliennes. Institutions qui aujourd’hui promeuvent on ne peut plus clairement cette politique ouverte d’ expansion, colonisation, nettoyage ethnique et génocide.
Un État ne suffit pas : ce qu’il faut, c’est la fin de l’impunité
Cette initiative « pour la paix » voulue par Macron vise plus à redorer l’image de la France qu’à être réellement utile au peuple palestinien et à une paix juste et durable. Se contenter de réclamer un État palestinien est une mascarade. Certes, le gouvernement israélien actuel est violemment contre. Mais cela ne suffit pas à en faire un but utile.
Un État palestinien viable ne peut pas exister ni protéger ses citoyen.nes s’il ne dispose de la souveraineté réelle que sur 18% du territoire, (Zone A), sans compter que l’Autorité Palestinienne est depuis des dizaines d’années sous contrôle financier d’Israël, et qu’elle a collaboré sur le plan sécuritaire avec Israël.
La société civile palestinienne appelle plutôt à
soutenir les efforts palestiniens visant à reconstruire un leadership palestinien unifié et démocratique, représentant le peuple palestinien en Palestine et en exil, en mettant fin à la délégitimation des partis politiques palestiniens et en favorisant la réconciliation nationale sans conditions imposées ; y compris en faisant pression sur Israël pour qu’il libère tous les prisonniers politiques palestiniens.
Outre un embargo militaire, incluant la suspension des licences d’exportations, la fermeture des ports au transport d’armes vers Israël, l’arrêt de l’achat de matériel israélien, l’exclusion d’Israël des salons militaires comme le Bourget, la France aurait déjà dû prendre une grande quantité de sanctions diplomatiques, économiques et financières pour s’aligner sur le droit international :
- Avec des justifications hypocrites, la France a accordé une immunité indue aux responsables israéliens visés par un mandat d’arrêt de la Cour Pénale Internationale (CPI) pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, comme en témoigne l’autorisation du survol du territoire français en avril 2025 pour Benyamin Netanyahou. A contrario, le Royaume-Uni, aux côtés de l’Australie, du Canada, de la Nouvelle-Zélande et de la Norvège vient a minima d’appliquer des sanctions (interdiction du territoire et gel des avoirs) contre deux des ministres israéliens les plus virulents. Alors que des sanctions diplomatiques, commerciales et financières ont été appliquées rapidement contre la Russie, on attend toujours le moindre mouvement contre l’État Israélien et ses responsables.
- Alors qu’une date butoir de septembre 2025 a été fixée l’année dernière par l’Assemblée générale de l’ONU, dans une résolution votée par la France, pour qu’Israël mette fin sans délai à sa présence illicite dans le Territoire palestinien occupé, la France n’a toujours pas demandé aux acteurs privés et publics français de se mettre en conformité, ni n’a fait pression au sein de l’Union européenne. Il s’agit notamment :
- d’enjoindre aux acteurs économiques, financiers, d’empêcher toute activité et investissement, toute relations économique ou commerciale avec Israël qui seraient de nature à renforcer sa présence illicite dans le territoire palestinien occupé ; c’est en vertu de cette application du droit international qu’Attac avec AFPS et BDS France a lancé la campagne « banques complices ».
Plusieurs institutions financières importantes dans le monde ont déjà désinvesti de banques israéliennes (qui financent la colonisation) ou d’autres acteurs économiques impliqués dans l’économie militaire ou la colonisation israélienne, la France est en retard sur ce point. Une autre campagne en cours sur ce point est celle de la rupture de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël : la France a soutenu une révision de cet accord, mais n’a pas fermement proposé de le suspendre (toujours le « en même temps » et les mesures dilatoires) ; - d’interdire l’importation de tout produit issus des colonies israéliennes en Cisjordanie occupée ;
- d’interdire toute exportation d’armes ou de matériels connexes en direction d’Israël ;
- d’enjoindre aux colons franco-israéliens de quitter leur résidence dans les colonies ;
- de prendre des mesures contre les militaires franco-israéliens qui interviennent dans le territoire palestinien occupé.
Les questions de député·es demandant au gouvernement pourquoi la France n’a toujours pris, depuis septembre 2024, aucune mesure de sanction ou de directive envers les secteurs publics et privés, n’ont toujours reçu aucune réponse ; qu’il s’agisse de questions sur la résolution votée par la France à l’ONU l’année dernière (1, 2 ou 3) ou sur la participation d’Israël aux ventes d’armement permises par le Salon du Bourget. Cette dernière est autorisée malgré un recours à la justice par des associations dont Attac, car il s’agit d’une décision qui ne peut être prise que par le gouvernement français, selon la justice.
Pour le moment, il n’y a que quelques États, autour de l’Afrique du Sud, qui ont annoncé mettre en œuvre des mesures concrètes contre l’approvisionnement en armement de l’armée israélienne, en indiquant leur adhésion au groupe de la Haye. Sans l’intervention déterminée et solidaire des dockers Marseille de la CGT qui ont bloqué des cargaisons de matériels militaires - révélée notamment par l’enquête de Disclose - la complicité de la France serait donc encore plus grave.
Un gouvernement français qui réprime la solidarité
Par ailleurs, la France ne devrait pas pouvoir se dire « médiatrice » alors qu’elle alimente la guerre et musèle les voix qui dénoncent cette complicité. Surtout qu’une « médiation » n’est plus à l’ordre du jour, c’est l’heure des sanctions. Quand le gouvernement israélien respectera le droit international et les droits des Palestinien.nes, il sera temps de négocier.
Depuis octobre 2023, le gouvernement français mène une véritable campagne de répression contre les mouvements de soutien au peuple palestinien. Manifestations interdites par dizaines, interpellations massives, dissolutions arbitraires d’associations comme Urgence Palestine ou Collectif Palestine Vaincra, campagnes de surveillance et de censure dans les universités : tout est mis en œuvre pour faire taire la solidarité.
Des étudiant·es sont évacué·es manu militari des campus. Des militant·es, des élu·es, des enseignant·es, sont poursuivi·es pour leur simple engagement. L’ombre de l’« apologie du terrorisme » plane sur toute prise de parole critique. La justice est instrumentalisée, les préfets appliquent des consignes de bâillonnement, et les médias dominants relaient la rhétorique de l’ennemi intérieur.
Le procureur de la Cour pénale internationale a demandé des mandats d’arrêt contre Benjamin Netanyahou, Premier ministre d’Israël, et Yoav Gallant, son ministre de la Défense, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Et pourtant, c’est une flottille humanitaire pour la paix, qui n’a rien commis d’illégal, que les élu·es du parti présidentiel et de la droite critiquent. Netanyahou, lui, est accueilli les bras ouverts dans l’Union européenne, notamment par Viktor Orbán, sans que personne ne s’en indigne.
La France se prétend garante du droit et de la paix, tout en instaurant un climat de peur pour celles et ceux qui défendent les droits humains. Est-ce cela, « consulter la société civile » ? Faire taire la solidarité ici, pendant que l’on prétend tendre la main là-bas ? Cette hypocrisie doit cesser. On ne peut pas criminaliser la solidarité ici, et prétendre soutenir la paix là-bas.
Nous refusons cette mascarade
Nous appelons nos concitoyen·nes, les journalistes, les responsables associatifs et les élu·es à ne pas se rendre complices d’une conférence illégitime, et à écouter la parole des premier·es concerné·es : les Palestinien·nes.
Leur demande est claire, constante, fondée sur le droit : mettre fin au génocide et à l’occupation, démanteler le régime colonial et d’apartheid, et garantir les droits des Palestinien·nes— à la restitution des terres, bien immobiliers et avoirs ; le droit au retour des Palestinien·nes déplacé·es durant l’occupation ; la réparation du préjudice ; la cessation de toute entrave au droit à l’autodétermination.
Ce n’est pas une « paix » imposée par ceux qui vendent les armes et ferment les frontières qu’il faut construire. C’est une paix juste, qui commence par la fin de l’impunité d’un état coupable de crimes de guerre et contre l’humanité, et de ses complices.
Nos exigences sont celles de la société civile palestinienne
Nous résumons ici en précisant ce qui s’applique particulièrement pour le cas français. Envers le gouvernement français, il s’agit de demander :
- Prendre des sanctions concrètes contre l’État d’Israël et ses dirigeants pour leurs crimes ;
- Mettre fin de la coopération militaire, commerciale, économique et diplomatique complice entre la France et Israël, et notamment un embargo militaire dans les deux sens, qui peut inclure le fait de rejoindre le groupe de la Haye, et doit inclure l’exclusion des entreprises israéliennes des salons de vente d’armement en France ainsi que le refus de laisser transiter du matériel militaire et à double usage, du carburant ou des marchandises soutenant l’occupation, le génocide, l’apartheid ou les colonies illégales d’Israël ;
- Cesser tout financement public aux institutions et entreprises israéliennes ou autres impliquées dans l’occupation et le business du génocide y compris via des programmes de recherche ou d’échange universitaire français ;
- Adopter une législation nationale empêchant les entreprises relevant de la juridiction française d’investir dans l’occupation illégale par Israël ou son maintien – notamment par le fait de poursuivre des opérations, d’entretenir des relations commerciales et de participer au projet de colonisation ; et obligeant les entreprises, organisations et institutions financières relevant de leur juridiction se défassent de tout actif détenu par des entreprises et sociétés israéliennes et des sociétés complices impliquées dans des crimes de droit international ;
- Rompre l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël ;
- Enquêter et poursuivre leurs ressortissants impliqués dans des crimes contre les Palestiniens, y compris les citoyens binationaux enrôlés dans l’armée israélienne, et publier des directives décourageant l’enrôlement ;
- Activer la compétence universelle pour poursuivre les auteurs de crimes de droit international contre les Palestiniens devant les tribunaux nationaux ;
- Soutenir par tous les moyens possibles les instances internationales (CPI, CIJ) pour juger les responsables ;
- Avoir une parole diplomatique qui reconnaisse réellement et efficacement le droit international : bien évidemment le devoir de prendre des mesures de prévention et répression d’un génocide ; et au-delà, le droit des Palestinien·nes à l’autodétermination, retour, réparation ; exiger que l’Assemblée générale des Nations unies reconstitue le Comité spécial des Nations unies contre l’apartheid et le Centre des Nations unies contre l’apartheid, et qu’elle suspende l’adhésion d’Israël pour violation de ses conditions d’adhésion, notamment le non-respect de la résolution 194 – la situation étant aggravée par ses violations systématiques et ses attaques contre les principes et les institutions des Nations unies ; soutenir le mandat de la Commission internationale indépendante d’enquête sur les territoires palestiniens occupés et Israël, notamment en faisant pression sur Israël pour qu’il permette l’accès à la Palestine pour la conduite d’enquêtes indépendantes ;
- Réhabiliter les mouvements de solidarité en France ;
- Libérer George Ibrahim Abdallah.
Nous appelons à soutenir toutes les actions possibles de boycott, désinvestissement, sanctions, et initiatives diplomatiques sincères, et tous les moyens de lutte pacifiques, des manifestations à la grève et au blocus, pour faire pression sur notre gouvernement.