Parmi les 650 mesures proposées par la Nupes, il y en a une qui focalise l’hostilité du gouvernement, du patronat et de la plupart des médias : c’est l’âge du départ à la retraite à 60 ans, avec quarante années de cotisations. Pour tous ses détracteurs, c’est impossible et Élisabeth Borne a donné le ton : « Il faudra travailler progressivement un peu plus longtemps » tant les besoins sont importants : santé, éducation, grand âge, etc. Même un économiste de gauche le confirme dans Alternatives économiques : la retraite à 60 ans coûterait 5 % du PIB. C’est exact et, comme par hasard, cela correspond à la part supplémentaire de valeur ajoutée que le capital a volée au travail au cours de la phase néolibérale.
M. Macron, Mme Borne et M. Roux de Bézieux ont raison sur un point : seul le travail est à même de fournir les ressources nécessaires à notre modèle social. Ils avouent ainsi implicitement que seul le travail produit. Or les cotisations sociales payant les pensions ne sont assises que sur le salaire brut. Et si le gouvernement n’est pas enclin à la hausse des salaires, il est très partisan des primes, de la participation et de l’intéressement, sur lesquels ne pèse aucune cotisation. Soumettons alors tous ces salaires déguisés à cotisation.
Pourquoi l’assiette des cotisations est-elle par ailleurs réduite au salaire brut tandis que l’autre partie de la valeur ajoutée, le profit, en est exclue ? L’élargissement de l’assiette des cotisations à l’ensemble de la valeur ajoutée constituerait un supplément de ressources pour le système de retraite.
Les profits distribuables (hors investissement) représentaient 113,5 milliards d’euros avant le Covid. En appliquant un taux de cotisation de 28,1 %, ce sont 31,9 milliards qui s’ajouteraient au montant actuel des cotisations [1]. Cette mesure aurait aussi un autre avantage : celui de diminuer la concurrence exercée par les entreprises très capitalistiques employant peu de main-d’œuvre sur celles ayant beaucoup de salariés, notamment dans les services.
Quels arguments s’opposent à cet élargissement ? Il y en a surtout deux. Le premier est qu’il y aurait un risque de distendre le lien entre la cotisation et le travail. Mais, souvenons-nous : même le Medef avoue que le travail crée toute la valeur ajoutée. Le second argument est que « cela n’ouvrirait pas de droits à pension ». Mais a-t-on jamais opposé cette objection aux cotisations dites patronales qui n’ouvrent non plus aucun droit ? En réalité, ces deux arguments témoignent d’une conception erronée de l’assiette des cotisations, qui est une convention de calcul, et dont les modalités ne changent en rien le fait que c’est toujours la valeur ajoutée nette par le travail qui est la source de tout prélèvement.
Si on considère que la masse salariale doit rester au niveau actuel, rien n’est possible, mais si on bouge le curseur de la répartition de la valeur ajoutée, ça change tout. Et si, à gauche, certains renâclent devant ce choix, c’est que, hélas, ils n’ont pas perdu espoir en la croissance pour tout résoudre.
Par Jean-Marie Harribey Membre du conseil scientifique d’Attac.
- Article de Politis n° 1709, 9 juin 2022 - Retraites, l’« impossible » à portée de main.