Après avoir rappelé la situation actuelle, ce texte montre comment les femmes particulièrement seraient touchées (A) et il formule des propositions (B) pour améliorer le système actuel [1].
L’activité professionnelle croissante des femmes depuis les années 1960 a fortement contribué à leur autonomisation… mais aussi au financement des retraites grâce à un apport de cotisations nouvelles. Pourtant, alors que les femmes sont depuis les années 1990 plus diplômées que les hommes, les inégalités de salaire restent importantes (24 % tous temps de travail confondus) et ne se réduisent que très lentement. Les femmes continuent d’assumer l’essentiel des tâches domestiques et parentales, ce sont elles majoritairement qui se retirent, totalement ou partiellement, de leur emploi pour s’occuper des enfants, ce qui explique leurs carrières professionnelles en moyenne plus courtes. Salaires plus faibles et carrières plus courtes aboutissent alors à un écart de pensions entre les femmes et les hommes important : tous régimes de retraite confondus, cet écart est de 42 % pour les pensions de droit direct [2] et de 29 % lorsqu’on y ajoute la pension de réversion.
La retraite reflète et amplifie les inégalités professionnelles
La retraite ne fait donc pas que reproduire les inégalités de salaires, elle les amplifie. Ce constat a toujours été nié par les gouvernements successifs lors des « réformes » passées. Aujourd’hui, il est reconnu dans le rapport du Haut commissaire à la réforme des retraites : « le système actuel [de retraite] ne fait pas que refléter ces inégalités, il les amplifie » [3]. Il est en effet devenu utile de critiquer le système actuel pour mieux promouvoir le nouveau système par points projeté par le gouvernement !
L’inégalité ne porte pas seulement sur le niveau de pension. Les femmes se trouvent contraintes de partir en moyenne un an plus tard à la retraite que les hommes du fait de carrières insuffisantes. Elles subissent plus souvent la décote [4], et avec une intensité plus forte. Leur pension, trop faible, est plus souvent rehaussée par un dispositif de minimum de pension : il concerne ainsi 45 % des femmes retraitées et 14 % des hommes [5]. Malgré l’apport de ces minima, 37 % des femmes retraitées et 15 % des hommes touchent moins de 1000 € de pension brute de droit direct. Le Comité de suivi des retraites attire l’attention sur la réapparition d’un risque de pauvreté chez les retraité·es.
Une situation globale moins mauvaise qu’ailleurs, mais un besoin urgent d’améliorations
Par rapport à d’autres pays, notre système de retraites est plus avantageux car il permet d’assurer un niveau de vie moyen des retraité·es équivalent à celui de la population active. Ce qui n’est que normal. Mais, d’une part cette moyenne masque de fortes inégalités au sein de la population retraitée, particulièrement entre femmes et hommes. D’autre part, l’évolution en cours est très défavorable sous l’effet des réformes passées (durcissement des conditions pour obtenir une pension à taux plein, réduction des droits familiaux, indexation des pensions sur les prix et non plus sur les salaires, etc.). Il est donc urgent de prendre des mesures pour réduire les inégalités et en finir avec les pensions trop faibles. Le gouvernement projette un système universel de retraite par points, présenté comme plus juste, avec un plafonnement des dépenses de retraite à leur niveau actuel. Nous allons voir que ce projet constitue une régression par rapport au système actuel.
A- Le projet de système par points ne peut qu’être défavorable aux femmes
Il ferait baisser le niveau des pensions et augmenter les inégalités entre les sexes
En dépit de la communication du gouvernement qui affirme que le nouveau système sera favorable aux femmes, la réalité est très différente. Car la logique d’un régime de retraite par points vise à ce que la pension d’une personne reflète au plus près la somme des cotisations versées tout au long de sa vie active. Comme l’indique JP. Delevoye : « si vous avez une belle carrière, vous avez une belle retraite, si vous avez une moins belle carrière, vous avez une moins belle retraite ». C’est une logique d’individualisation. En prenant en compte l’ensemble de la carrière, au lieu des 25 meilleures années pour le régime général ou des 6 derniers mois pour la fonction publique, un régime par points ne peut que faire baisser mécaniquement le niveau des pensions des personnes aux carrières courtes ou heurtées, femmes d’abord, de même que celles de très nombreux fonctionnaires : il intègre en effet les plus mauvaises années de la carrière dans le calcul de la pension, alors qu’elles en sont éliminées actuellement. Chaque période non travaillée, année de temps partiel, de congé parental, de chômage, de bas salaires fournirait peu ou pas de points : autant de manque à gagner pour la pension.
On peut rappeler l’exemple de la réforme de 1993 qui a constitué une première étape de prise en compte élargie de la carrière. Dans le régime général, elle a fait passer le salaire de référence servant à calculer la pension, de la moyenne des 10 meilleures années à celle des 25 meilleures. Cette mesure a eu comme conséquence de faire baisser très sensiblement les pensions à la liquidation, et plus fortement encore celles des femmes [6].
Moins de solidarité = pénalisation plus forte des femmes
Dans un système par points, le lien entre la pension et les cotisations versées est plus étroit que dans un système par annuités, donc la part de solidarité dans la pension y est plus faible. On peut le vérifier dans les régimes complémentaires actuels par points (Arrco, Agirc, etc.) : la part de la solidarité dans le montant des pensions versées par ces régimes n’y est que de 6,9 % contre 23,1 % pour les régimes de base par annuités [7].
La plus faible proportion de solidarité dans les régimes par points signifie une plus faible redistribution envers toutes les personnes aux carrières heurtées, les femmes notamment. On le sait, ce sont elles qui bénéficient en majorité des dispositifs de solidarité. Sans surprise donc, on constate que les inégalités de pension entre les femmes et les hommes sont bien plus fortes dans les régimes par points (écart de 59 % à l’Agirc, 39 % à l’Arrco) que dans les régimes par annuités (24 % au régime général).
Fonction publique : intégrer les primes ne peut pas suffire
Dans le système par points projeté, la prise en compte de toute la carrière au lieu des six derniers mois pour la fonction publique entraînera une baisse des retraites, ce qui n’est pas contesté par Jean-Paul Delevoye. Il est donc prévu que les primes des fonctionnaires soient intégrées dans le calcul de la pension, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Mais rien ne garantit que leur intégration suffise : tout dépend de leur montant. Dans de nombreux métiers, enseignant·es notamment, il n’y en a pas ou peu. Le ministre de l’éducation Jean-Michel Blanquer a reconnu que « la réforme peut créer des problèmes pour les enseignants [8] » ! De manière générale, les femmes fonctionnaires perçoivent des primes significativement moins élevées que les hommes [9]. La réponse officielle du Haut commissaire [10] est la suivante : « pour ceux dont le niveau de prime est faible, la construction du système universel de retraite pourra impliquer de revoir les rémunérations. Le Président de la République a ainsi indiqué qu’une réflexion sur la rémunération de fonctionnaires comme les enseignants et les chercheurs devrait être entreprise ». En attendant, tant pis donc pour ces fonctionnaires ? Surtout que ce qu’envisage le gouvernement serait une augmentation des rémunérations sur la base d’une augmentation des indemnités ou des parts variables de rémunération – ce qui ne peut pas convenir pas car ces dispositifs sont défavorables aux femmes du fait de leur temps global plus contraint.
Minimum de pension : une augmentation déjà promise en 2003
Le rapport Delevoye annonce que le minimum de retraite sera porté à 85 % du SMIC net, soit 1000 euros, pour une carrière complète. Tout d’abord, cette hausse du minimum, certes bienvenue en particulier pour les femmes, devrait être une réalité depuis longtemps : car la loi de 2003 fixait déjà ce même objectif, à atteindre en 2008. Ce qui n’a jamais été réalisé. Il est actuellement de 82 % pour les retraité·es de la génération 1955 [11] et selon les projections actuelles, ne fera que baisser. On est en droit d’attendre que cet engagement soit respecté dès à présent !
Ensuite, le bénéfice du minimum entier correspond à une carrière complète, comme actuellement. Pour une carrière incomplète, ce montant est proratisé, ce qui est logique. Mais dans un régime par points, il n’y a - normalement - plus de notion de carrière complète. Le rapport indique c’est la durée actuelle de carrière complète qui sera reprise… et allongée en fonction de l’espérance de vie : tout allongement constitue une contrainte plus sévère pour les femmes. Le rapport Delevoye n’hésite pas à présenter comme un progrès le fait que davantage de femmes seront « rattrapées par ce dispositif » ! Pour nous, le progrès serait au contraire que davantage de femmes réussissent à se constituer des droits à une pension suffisante, et n’aient donc pas à être rattrapées par un minimum retraite.
Droits familiaux : où est l’avancée majeure annoncée ?
Le gouvernement affirme que le nouveau système permettra une « avancée majeure pour les femmes » et attribuera des droits familiaux « dès le premier enfant [12] ». Comme si ces droits n’existaient pas déjà aujourd’hui ! Le système actuel est décrit comme simplement constitué de la majoration de 10 % de la pension pour 3 enfants et plus, les majorations de durée d’assurance attribuées pour tout enfant sont occultées. La question des droits familiaux nécessite de faire le point plus précisément pour comparer ce qui existe et qui est projeté.
Système actuel
Des majorations de durée d’assurance (MDA) sont attribuées pour chaque enfant : elles représentent dans le régime général 4 trimestres pour les mères au titre de la maternité, et 4 autres trimestres pour le père ou la mère, au choix du couple, au titre de l’éducation. Ce choix doit intervenir avant les 4 ans et demi de l’enfant. Par défaut, les 4 trimestres vont aux mères. Dans la fonction publique, c’est seulement 2 trimestres par enfant [13] qui sont attribués à la mère au titre de la maternité, complétés éventuellement par une validation de période d’interruption d’activité de l’un ou l’autre des parents, période qui peut aller jusqu’à 3 ans.
En plus des MDA, une majoration de 10 % de la pension est attribuée à chacun des parents de 3 enfants et plus. Elle est assez unanimement reconnue comme injuste : du fait qu’elle est proportionnelle à la pension et que celle des hommes est plus élevée en moyenne, elle leur rapporte davantage qu’aux femmes : les hommes sont ainsi bénéficiaires des deux tiers des 8 milliards de cette majoration, alors que ce sont très majoritairement les femmes qui sont pénalisées par l’éducation des enfants. Ce dispositif contribue à augmenter les inégalités de pension entre les sexes.
Système projeté
Il est prévu une majoration de pension de 5 % par enfant, qui pourra être attribuée au choix du couple soit totalement à l’un ou l’autre des parents, soit par moitié à chacun des parents. Sans choix exprimé, elle ira par défaut aux mères. Cette majoration remplace donc à la fois la majoration de 10 % pour 3 enfants et plus, et les MDA (jamais mentionnées) qui sont supprimées.
• La majoration envisagée reproduit le même défaut que celle de 10 %
Le fait que cette majoration soit établie en proportion de la pension (5 % par enfant) et non en forfait par enfant reproduit l’injustice de la majoration de 10 % pour 3 enfants qui bénéficie essentiellement aux hommes. Il y fort à craindre en effet que les couples privilégient l’attribution de la majoration au père du fait qu’il aura, très probablement, la pension la plus élevée : ce sera plus intéressant sur le plan financier au niveau global du couple, mais que se passera-t-il en cas de séparation, ce qui arrive de plus en plus fréquemment ?
• La majoration de 5 % par enfant est-elle avantageuse pour les femmes ?
Les femmes salariées du privé ayant un ou deux enfants verraient la majoration de 8 trimestres par enfant remplacés par une majoration de 5 % de leur pension par enfant, (tout au moins si le couple choisit de l’attribuer à la mère). Est-ce plus favorable ? Le rapport ne fournit pas de simulation.
• Les mères de 3 enfants seront perdantes
En tous cas, pour les mères de trois enfants, il est simple de faire une évaluation. Dans le nouveau système, cette majoration serait de 15 % (5 % par enfant) – on prend l’hypothèse où la majoration est attribuée à la mère - au lieu de 10 % actuellement. Mais cela ne représente pas un gain de 5 % de sa pension car la MDA disparaît. Or celle-ci est conséquente puisqu’elle attribue, au régime général, 24 trimestres (soit 6 annuités) pour 3 enfants.
Les trimestres de MDA, en s’ajoutant à ceux cotisés au titre de l’emploi, contribuent à augmenter le montant de la pension. Une évaluation est proposée en annexe pour une femme de la génération 1946, employée, mère de 3 enfants, qui a accompli une carrière moyenne. Pour cette femme, aujourd’hui retraitée, la MDA a représenté une majoration de 13 % de sa pension. Au total, les 3 enfants lui apportent donc une majoration de pension de 10 % + 13 % = 23 %. Avec le système projeté, ils ne lui apportent qu’une majoration de 15 % : sa pension subirait donc une perte de 8 %. Sans oublier que pour le bilan global du couple, il faut ajouter la perte de la majoration de 10 % de la pension pour le père ! Ce n’est certes qu’une évaluation pour un cas particulier, mais elle est révélatrice. Le nouveau système assurerait à n’en pas douter des économies sensibles aux dépens de ces droits familiaux.
Réversion : recul sur les conditions d’ouverture du droit et baisse du montant pour des personnes aux pensions pourtant faibles
Rappelons que les femmes représentent 90 % des bénéficiaires d’une pension de réversion et que celle-ci constitue aujourd’hui en moyenne le quart de la pension des femmes et une part négligeable de celle des hommes.
Actuellement, il existe une treize dispositifs de réversion, avec des taux de pension allant de 50 à 60 %, des conditions différentes sur l’âge d’ouverture du droit, sur la possibilité de remariage et l’existence ou non de conditions de ressources. Il est bienvenu de chercher à les harmoniser mais cela ne nécessite pas de changer de système. L’harmonisation telle qu’envisagée acte un vrai recul sur plusieurs points.
Tout d’abord, un recul important sur l’âge : le droit à réversion ne sera ouvert qu’à l’âge de 62 ans, alors qu’il est aujourd’hui de 55 ans au régime général et pour la plupart des régimes, de 50 ans pour l’Ircantec et qu’il n’y a pas de seuil d’âge pour la fonction publique. Recul aussi pour les ex-conjoints : le droit à réversion est supprimé pour les personnes divorcées ou remariées (pour les divorces intervenus après 2025). La question des droits à la retraite dans les cas de divorce est renvoyée aux juges des affaires familiales, à qui il appartiendra de trouver une solution… Seul point positif, la condition de ressources qui existe dans le (seul) régime général pour avoir droit à la réversion, et qui est restrictive, disparait. Une occasion de progrès a été manquée : il aurait été positif d’adapter la réversion aux nouvelles formes de conjugalité, en ouvrant le droit aux personnes pacsées. Ce qui a été exclu.
Pour ce qui est du montant, le principe retenu est de garantir le niveau de vie de la personne survivante, qui est traduit par l’énoncé suivant : celle-ci devra conserver 70 % des droits à pension (P) cumulés du couple. La pension de réversion sera donc calculée selon la formule :
P réversion = 0,7 x (Ppersonne survivante + P personne décédée) – Ppersonne survivante
Si d’un point de vue théorique, le principe de maintien du niveau de vie est cohérent, en pratique on constate que des personnes avec un niveau modeste de pension – femmes essentiellement - seraient perdantes : ainsi par exemple, une femme touchant une pension de 1000 € (régime général + Arrco), dont le mari décédé touchait une pension comprise entre 1000 et 2000 €, toucherait une pension de réversion plus faible qu’aujourd’hui [14]. Dans le cas d’un couple dont chaque conjoint touche 1000 € de pension, la pension de réversion passerait de 558 € actuellement à 400 €, soit une baisse de 158 € par mois.
En fait, dès qu’un membre du couple gagne plus d’un tiers du revenu total du couple, c’est-à-dire plus de la moitié du revenu de son conjoint (ce seuil vaut pour le régime général et est un peu plus élevé pour la fonction publique), sa pension de réversion baisserait. Et ce, quel que soit le niveau de revenu ! La baisse serait d’autant plus importante que les deux conjoints ont des pensions proches. En quelque sorte, le nouveau calcul revient à privilégier les couples « inégaux » (ce qui est déjà le cas de l’impôt sur le revenu avec le dispositif de quotient conjugal).
Une étude sur l’écart de revenu au sein des couples [15] a établi qu’en moyenne les femmes contribuent à hauteur de 36 % aux revenus du couple. Certes, cette étude concerne l’ensemble des salaires et des pensions, mais elle témoigne que si l’écart de revenus au sein des couples reste une réalité, ces revenus se rapprochent, et la majorité des femmes se trouve dans la situation de gagner plus de la moitié des revenus du couple : elles perdront donc au changement de formule.
Remarque : parmi les femmes des couples « inégaux » qui gagneraient au changement, figurent les femmes au foyer. Ces femmes, qui n’ont donc aucune pension propre de retraite, perçoivent aujourd’hui entre 50 et 60 % de la pension de leur conjoint décédé, et avec le nouveau calcul, ce serait 70 %. Mais il est tout à fait possible d’améliorer la situation de ces femmes – très minoritaires –, en relevant le minimum vieillesse par exemple, sans avoir à retenir un changement de calcul de la réversion qui pénaliserait potentiellement de très nombreuses femmes.
La réversion représente actuellement 36 milliards d’euros. Montant non négligeable et cible de choix pour projeter des économies. Ce qui est implicitement confirmé par le rapport Delevoye qui indique que la part de solidarité dans les dépenses de retraites restera stable… mais sans la réversion ! Il serait intéressant d’avoir la simulation du montant des économies qui seraient réalisées par cette réforme de la réversion… au détriment des femmes.
Faux arguments de la communication officielle
On entend régulièrement des arguments qui, pour mieux faire la promotion du projet de réforme, pointent les défauts du système actuels. Ces défauts sont réels, mais il n’y a pas besoin de passer à un système par points pour les corriger.
Faux argument n°1 – Une femme sur cinq travaille jusqu’à 67 ans pour ne pas subir la décote. Dans le futur, elles pourront partir à 64 ans sans décote.
De nombreuses femmes sont en effet obligées d’attendre l’âge d’annulation de la décote car leurs faibles salaires et/ou leurs périodes de temps partiel leur ouvrent droit à une pension trop faible pour subir en plus une décote. Mais ce type de carrière est précisément celui qui serait le plus pénalisé par un régime par points qui prend en compte l’ensemble de la carrière, en intégrant toutes les mauvaises années : pour un même âge de départ, la pension serait alors plus faible encore qu’actuellement ! La décote est une double pénalisation (voir la note 4) ce qui est reconnu par le rapport Delevoye (page 49). Pourtant, sans craindre de se contredire, il propose de l’instaurer entre 62 et 64 ans ! Il faut impérativement supprimer la décote.
Faux argument n°2 : dans le nouveau système, chaque heure travaillée comptera en apportant des points, alors qu’aujourd’hui il faut avoir travaillé 150 heures au SMIC sur une année pour valider un trimestre. Ce qui pénalise de nombreuses femmes à temps partiel.
Il est nécessaire et tout à fait possible d’améliorer le système actuel et de modifier la règle pour faire en sorte que toute période travaillée puisse être cumulée pour contribuer à valider un trimestre, sous réserve qu’on ne peut valider plus de 4 trimestres par an.
B- Propositions pour améliorer les pensions des femmes et réduire les inégalités
Le projet de système par points n’est pas acceptable. Néanmoins, le système actuel doit être amélioré. Il doit intégrer l’objectif d’égalité de genre et permettre que toute personne se constitue des droits propres à une pension suffisante. Des dispositifs de solidarité doivent compléter les pensions pour les personnes aux carrières accidentées.
Ce texte présente quelques propositions qui privilégient le renforcement des droits propres plutôt que des droits dérivés. Ces propositions permettent de faire progresser le système de retraites dans son ensemble.
Tout d’abord, à partir du moment où la proportion de retraité·es augmente dans la population, il est normal que la part des dépenses de retraite dans la richesse produite augmente. Contrairement donc à ce qui est projeté par le gouvernement, qui souhaite plafonner les dépenses à leur niveau actuel (13,8 % du PIB), ce qui programmerait l’appauvrissement des retraité·es.
Augmentation du minimum de pension à hauteur du SMIC net pour une carrière complète, comme demandé par les syndicats.
Durée de cotisation requise pour une pension à taux plein : il faut mettre fin à l’allongement continu de cette durée qui devient de plus en plus irréalisable compte tenu de la situation de l’emploi et de la pénibilité des métiers. Les personnes nées en 1974 devront réunir 43 annuités de cotisation, mais en moyenne, elles n’ont validé leur première année de cotisation qu’à 23,4 ans [16], ce qui porte leur départ en retraite à plus de 65 ans. Les femmes ont toujours des durées validées plus faibles. Il est donc nécessaire de revenir à une durée réalisable par tous et toutes. Notre conception de l’égalité et du progrès n’est pas d’aligner la durée d’activité des femmes sur celle des hommes, mais de permettre aux femmes comme aux hommes de réduire leur durée de travail sans pénalisation financière et d’arriver à l’âge de la retraite en bonne santé.
Calcul de la pension : la réforme de 1993 a constitué une première étape de prise en compte élargie de la carrière. Dans le régime général, elle a fait passer le salaire de référence servant à calculer la pension, de la moyenne des 10 meilleures années à celle des 25 meilleures. Cette mesure a eu comme conséquence de faire baisser très sensiblement les pensions à la liquidation, et plus fortement encore celles des femmes. Il faut revenir à un calcul de la pension basé sur les 10 meilleures années, cette valeur peut être réduite pour les carrières courtes pour éviter de les discriminer. Par exemple, retenir une durée de référence égale au quart de la durée de carrière réalisée : 10 années pour une carrière de 40 ans, 8 années pour une carrière de 32 ans, etc.
Indexation de la pension [17] sur les salaires et non plus sur les prix : la règle actuelle d’indexation sur l’inflation [18] aboutit à un décrochage croissant du niveau des pensions par rapport aux revenus d’activité moyens (car ceux-ci progressent plus vite que l’inflation). Ce décrochage devient très fort sur des pensions servies pendant 30, 40 ans, et aboutit à une paupérisation des retraité·es les plus âgé·es, principalement des femmes.
Le dilemme des droits familiaux : les majorations accordées au titre des enfants restent indispensables pour atténuer les inégalités, mais leur modalité d’attribution ne doit pas pérenniser l’assignation des femmes aux tâches parentales. Dans la situation actuelle, ce sont encore très majoritairement les mères qui assument l’éducation des enfants et sont pénalisées au niveau de leur salaire puis de leur pension. La difficulté de concevoir des droits familiaux efficaces pour corriger cette pénalisation vient du fait qu’il n’est ni possible ni souhaitable de désigner les femmes comme bénéficiaires de ces droits ; d’une part, cela contrevient aux directives européennes contre les discriminations, d’autre part, cela signifierait que le système de retraite et donc la société entérine et pérennise les rôles sociaux inégalitaires des femmes et des hommes.
La meilleure solution pour réduire l’impact négatif des enfants sur les pensions des femmes est bien sûr d’agir en amont, pour empêcher la formation des inégalités (voir plus loin). Mais en attendant, elles sont une réalité aujourd’hui et il est indispensable de les corriger. L’option actuelle de laisser le couple choisir qui bénéficiera de la majoration pour enfant, en l’attribuant par défaut aux mères si le couple ne s’est pas prononcé, est probablement la moins mauvaise solution à cette étape. Les majorations doivent prendre la forme d’un forfait par enfant et non d’un pourcentage de la pension.
La pension de réversion peut être harmonisée par le haut avec un taux de 60 % et être étendue aux couples pacsés.
Mener une politique volontariste en amont de la retraite :
• en faveur de l’égalité salariale
Selon une étude réalisée par la Caisse nationale d‘assurance vieillesse (CNAV) en 2011 pour évaluer l’impact de l’égalisation par le haut des salaires entre les sexes, le gain annuel pour la seule CNAV (différence entre les ressources supplémentaires en cotisations et les dépenses supplémentaires) serait de 11 milliards d’euros environ lorsque l’égalité est atteinte. Montant loin d’être négligeable.
• en faveur de l’égalité des taux d’activité
Le taux d’activité des femmes est inférieur de 8 points à celui des hommes. La France ne se classe qu’au 16e rang de l’Union européenne en ce qui concerne l’activité féminine. Il existe donc de larges marges de progrès, possibles en agissant pour supprimer les obstacles à l’emploi des femmes. De nombreuses femmes souhaiteraient en effet avoir un emploi, mais y renoncent ou bien se contentent d’un temps partiel par manque de solution pour accueillir leur enfant.
Si le taux d’activité des femmes était égal celui des hommes, l’effectif de la population active serait supérieur d’environ 6 % (2018). L’équilibre financier des retraites qui dépend du ratio actif cotisant par retraité·e en serait, là encore, sensiblement amélioré [19].
• pour la création de places de crèches permettant d’accueillir l’ensemble des enfants des moins de 3 ans,
• pour l’instauration d’une surcotisation patronale sur les emplois à temps partiels imposés,
• pour un congé parental partagé à égalité entre les parents et véritablement rémunéré,
• pour une lutte à tous les niveaux contre les stéréotypes sexués.
La retraite est un choix de société. Le fait d’aborder cette question à partir de la situation des femmes permet de dégager des solutions de progrès pour toutes et tous.
Annexe
Évaluation de l’apport de la majoration de durée d’assurance dans le système actuel.
Cas d’une femme née en 1946, employée, ayant trois enfants.
On considère le cas d’une femme ayant eu une carrière d’employée, de la génération 1946, car cette dernière étant entièrement à la retraite actuellement, on dispose des statistiques sur la durée moyenne de carrière [20].
La MDA vaut 8 trimestres par enfant, soit 24 trimestres, 6 annuités. La durée moyenne de carrière sans les majorations pour enfants pour une femme née en 1946 est de 32,5 annuités .
L’apport de la MDA permet donc d’augmenter la durée de carrière de 6/32,5 = 18,5%
Le montant de la pension du régime général est proportionnel à la durée de carrière. La MDA représente dans ce cas une majoration de 18,5 % de la pension de base. (On ne prend pas en compte le gain potentiel apporté par cette majoration qui correspond à la diminution de la décote : le résultat fournit donc un gain minimal).
Pour les niveaux de revenu correspondant aux employé·es, la pension complémentaire Arrco représente environ 30 % de la pension, la pension du régime général en représente 70 %.
La MDA ne porte que sur le régime général. La majoration de pension due à la MDA représente alors : 0,185 x 0,70 = 0,13 = 13 % de la pension.