Réforme des retraites 2022 : ce qui est connu est déjà irrecevable

lundi 30 mai 2022, par Christiane Marty

En 2019, le projet de système universel de retraites par points était présenté au nom de l’équité, les femmes devaient même en être les « grandes gagnantes ». Nous avions largement démontré à quel point tout cet affichage était faux, et expliqué les conséquences négatives pour la majorité des personnes d’un passage à un système par points. Le projet avait provoqué une très forte mobilisation sociale, et la crise du Covid aidant, il a été abandonné. Aujourd’hui, changement de registre, le projet de reculer l’âge légal de la retraite à 65 ans ne promet plus l’équité, il ne met en avant que le (prétendu) besoin d’équilibrer les comptes du système de retraites.

Pour consulter nos derniers articles sur la question du projet de réforme des retraites, voir également :
- « Retraites : le choix de l’injustice » (16/09/22)
- « Derrière la réforme, des retraites au rabais » (22/09/22)
- « Retraites, saison 2022 » (05/10/22)

L’équilibre financier du système de retraites est-il menacé ?

Le système de retraites a certes enregistré en 2020 un déficit [1] un peu supérieur à ce qui avait été projeté un an auparavant, mais cette dégradation est conjoncturelle, comme le souligne le Conseil d’orientation des retraites (COR). Elle est due à la baisse des ressources des caisses de retraite liée à la baisse d’activité économique. Le président du COR expliquait récemment « mieux vaut regarder l’évolution des dépenses de retraite dans le PIB, qui a vraiment du sens, et qui va se stabiliser car les pensions relativement aux salaires vont baisser  ». Et le rapport du COR de juin 2021 indique que « malgré le contexte de la crise sanitaire et le vieillissement progressif de la population, les évolutions de la part des dépenses de retraite dans le produit intérieur brut (PIB) resteraient sur une trajectoire maîtrisée à l’horizon 2070  ». Aucune gravité donc qui justifierait d’imposer une réforme. Le rapport annuel du COR est attendu en juin 2022.

En réalité, l’objectif est moins d’équilibrer les finances des retraites que d’en baisser les dépenses, objectif récurrent des politiques néolibérales. Emmanuel Macron comme récemment Élisabeth Borne le reconnaissent de fait, en déclarant qu’il faut «  dégager des marges de manœuvre  », « des économies  », pour pouvoir engager de nouvelles dépenses, dans la planification écologique, la santé, l’éducation. Comme le Président a exclu d’augmenter les impôts (et que la hausse des cotisations reste un tabou pour la droite et le Medef !), reste la baisse des dépenses. Repousser la retraite à 65 ans apparaît alors comme un moyen efficace pour faire baisser (encore plus) rapidement les dépenses de retraites, – notamment par l’économie des pensions non versées –, et ainsi dégager des excédents pour financer d’autres dépenses.

Le projet, ce qui est connu fin mai 2022

Il s’agit de reculer progressivement l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans, tout en prenant en compte la pénibilité et les carrières longues (ce dernier point néanmoins ne figure pas toujours dans les annonces). Le recul serait de 4 mois par an à partir de la génération née en 1961, avec une mise en œuvre en juillet 2023. A aussi été évoquée l’éventualité de se limiter à 64 ans après un bilan d’étape à réaliser en 2027. Un « geste pour les petites retraites » a également été annoncé, en l’occurrence un minimum de pension de 1 100 euros mensuels pour les personnes ayant une carrière complète.
En parallèle, les pensions doivent être ré-indexées sur l’inflation – mais à quel niveau ? – en juillet 2022. En réalité, ce n’est qu’une mesure de rattrapage, qui concerne seulement le régime général et qui arrive très tardivement. Le pouvoir d’achat des pensions a en effet reculé de plus de 10 % depuis une dizaine d’années du fait que les gouvernements ont allègrement contourné les règles de réévaluation des pensions [2].

Selon le ministre du travail, Olivier Dussopt, le projet de réforme ne serait « remis sur la table qu’à compter de septembre/octobre ». On n’en connait guère plus à cette étape. Mais on peut déjà se poser quelques questions et tenter d’y répondre.

Quelle économie représenterait le projet 2022 ?

Selon l’équipe de Macron, le projet économiserait 9 milliards par an en 2027. Selon l’Institut Montaigne, un think-tank libéral, l’économie est évaluée à 7,7 milliards d’euros en 2027 et plus ensuite. Le montant de cette économie de 7,7 milliards par an correspond par exemple aux coûts supplémentaires que représentera le cumul de la baisse des droits de succession promise par le Président et de la suppression de la redevance audiovisuelle [3] ! Des priorités budgétaires qui ne doivent pas nous surprendre…

Quel serait l’impact du recul de l’âge de départ à 65 ans (ou 64 ans) ?

Un recul de l’âge de départ à la retraite serait injuste pour de nombreuses catégories de salarié·es. [4]. Il ne pèserait guère sur la carrière des cadres, car ayant rarement commencé à travailler avant 22 ans, les 43 ans de cotisations exigés à partir de la génération 1973 les amènent déjà à 65 ans. Mais pour toute personne entrée en emploi avant 22 ans et ayant une carrière complète, il signifie concrètement devoir repousser sa retraite. Actuellement le dispositif de retraite anticipée pour longue carrière ne peut concerner que des personnes ayant commencé à travailler avant 20 ans et satisfaisant à plusieurs conditions restrictives de durée de cotisation. Il faudrait donc savoir concrètement ce qui serait prévu pour améliorer ce dispositif – s’il est prévu quelque chose.

Pour les nombreuses personnes seniors qui attendent l’âge de la retraite dans une situation précaire en étant sans emploi ni retraite – parmi elles, une majorité sont des femmes –, le recul de l’âge de départ signifierait allonger cette période de précarité. Pour donner un exemple, environ un tiers des personnes retraitées nées en 1950 (37 % des femmes et 28 % ds hommes) n’étaient plus en emploi l’année précédant leur retraite.

Les premières années de retraite sont vécues comme les meilleures, alors que, si elles devaient être travaillées, elles deviendraient les plus difficiles de la carrière, avec une santé qui se détériore souvent. Reculer l’âge de la retraite pénaliserait beaucoup plus les catégories les plus modestes dont l‘espérance de vie à 60 ans est bien plus faible (jusqu’à 8 ans de moins) que celle des catégories les plus aisés, de même que celle des ouvriers par rapport à celle des cadres. L’espérance de vie (edv) est en effet une moyenne qui masque de grandes inégalités. Ceci est encore plus vrai pour l’edv en bonne santé.

La durée de vie à la retraite va déjà diminuer pour certaines générations par rapport aux précédentes

S’il est vrai que l’espérance de vie continue de progresser, cette progression est devenue aujourd’hui très faible. Au point que le gain d’espérance de vie devient inférieur, pour certaines générations, à l’allongement de la durée de cotisation exigée. Alors que la réforme Fillon de 2003 prévoyait que les gains d’edv soient consacrés pour les deux tiers à l’augmentation de la période d’activité et pour un tiers à celle de la retraite (règle qui était de toute manière contestable), ce n’est pas du tout ce qui constaté et projeté aujourd’hui, sans même prendre en compte cet éventuel recul à 65 ans ! Le COR [5] indique ainsi que pour toutes les personnes nées entre 1950 et 1975, « les gains d’espérance de vie seraient entièrement consacrés à allonger la durée d’activité après 60 ans », et donc que « la durée de retraite de ces générations diminuerait en conséquence. Ce constat est particulièrement vrai pour les femmes pour qui l’espérance de vie à 60 ans progresserait moins que pour les hommes ». La durée de retraite diminuerait donc encore plus pour ces générations si l’âge de départ était repoussé.

Une meilleure prise en compte de la pénibilité ?

Rappelons que la prise en compte de la pénibilité des métiers, promise lors des précédentes réformes de retraite, n’a toujours pas abouti de manière satisfaisante après des années de concertation entre syndicats et patronat. Actuellement, un compte pénibilité existe qui permet de bénéficier d’un départ anticipé au mieux de deux ans. Les critères de pénibilité qui sont pris en considération sont au nombre de six : ils étaient dix auparavant, mais quatre d’entre eux ont été supprimés en octobre 2017… soit cinq mois seulement après l’arrivée au pouvoir du président Macron. De quoi faire douter d’une réelle volonté d’améliorer ce dossier.

De plus, jusqu’à présent, il existe de nombreux biais sexistes dans la prise en compte des facteurs de risques et de pénibilité du travail. Ceux des femmes sont largement sous-estimés, comme le montrent les enquêtes menées par notamment l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT). [6]. La question de la pénibilité est donc d’autant plus sensible qu’il faudra aussi veiller à corriger ces biais.

Qu’en est-il du minimum de pension annoncé à 1 100 euros mensuels pour les personnes ayant une carrière complète ?

La loi de 2003, article 4, prévoyait déjà que le minimum de pension pour une carrière complète soit égal à 85 % du smic… Ce que le président Macron a négligé de mettre en œuvre durant son quinquennat depuis 2017 ! Compte tenu du smic actuel (1 304 euros nets), ce minimum de pension devrait déjà aujourd’hui être de 1 108 euros !

Il n’y aurait donc pas besoin d’améliorer notre système de retraites actuel ?

Par rapport à beaucoup d’autres pays, notre système de retraites est plus avantageux et plus efficace car il permet d’assurer un niveau de vie moyen des retraité·es équivalent à celui de la population active (il n’est que normal de ne pas subir de perte de niveau de vie en passant à la retraite). Mais, d’une part, ce niveau de vie moyen masque de fortes inégalités au sein de la population retraitée et a déjà commencé à diminuer. Le système actuel de retraites amplifie les inégalités entre femmes et hommes qui existent dans la vie active. [7]. De fortes inégalités existent également, comme présenté plus haut, sur l’espérance de vie à la retraite selon les revenus et selon les catégories socio-professionnelles. D’autre part, l’évolution en cours est très défavorable sous l’effet des réformes passées. La durée de cotisation exigée pour une pension à taux plein s’éloigne de plus en plus de la durée de carrière concrètement réalisée, ce qui aboutit à des pensions liquidées plus faibles.

L’impact des réformes précédentes se traduira – se traduit déjà – par une baisse de la part des dépenses de retraites dans le PIB. Cette baisse est à l’œuvre depuis 2014 (mise à part la hausse ponctuelle de l’année 2020 liée à la crise sanitaire), et elle se poursuivra jusqu’à l’horizon 2070… alors même que la part des retraité·es dans la population va augmenter. Ce qui est ainsi programmé, c’est une paupérisation des retraité·es par rapport à la population active. L’opposé de « la poursuite du progrès social » vantée récemment par la Première ministre.

Il est donc urgent de prendre des mesures pour réduire les inégalités, en finir avec les pensions trop faibles et avec cette dégradation continuelle qui mine la confiance des plus jeunes générations dans notre système par répartition. Des solutions existent, qui tournent le dos aux propositions régressives formulées par le gouvernement. Les retraites sont un choix de société, nous avons fait des propositions [8] qui restent plus que jamais d‘actualité et auxquelles nous renvoyons.

P.-S.

Crédit photo : La photothèque rouge

Notes

[1Le déficit exprimé en % du PIB varie en fonction de scénarios sur la croissance annuelle de la productivité et, surtout, il dépend de la convention comptable retenue : le COR retient trois conventions différentes, qui couplées à chacun des scénarios sur la productivité, donnent des évaluations différentes du solde financier, déficit ou excédent. Dans le rapport 2021, le solde du système de retraite varierait entre un déficit de 2,1 % et un excédent de 0,7 % du PIB en 2070, selon les scénarios et la convention retenus. L’approche par le solde financier ne permet donc pas une analyse robuste de l’opportunité de mettre en oeuvre une réforme.

[2Avant 1987, les pensions et les salaires portés au compte (qui servent pour le calcul de la pension) étaient indexés sur l’évolution des salaires. La réforme Balladur de 1993 a pérennisé une indexation sur les prix et non plus sur les salaires, ce qui est bien moins favorable car les salaires augmentent plus vite que les prix en moyenne sur longue période (la situation actuelle d’une inflation élevée et de salaires stagnants est singulière). Cette règle moins favorable est en outre régulièrement contournée, avec des décisions de « sous indexer » les pensions par rapport à l’inflation, ou bien de reculer dans l’année la date de revalorisation. Un progrès serait d’indexer les pensions sur le plus favorable entre l’inflation et l’évolution des salaires.

[3Cette correspondance est relevée de manière ironique par Xavier Jaravel, professeur à London School of Economics dans une tribune du journal Les Échos.

[4Voir « Retraites : La réforme prévue tourne à nouveau le dos au progrès », par Jean-Marie Harribey, Pierre Khalfa et Christiane Marty, Le Monde du 15 Mars 2022.

[5COR, « L’âge et les conditions de départ à la retraite, la durée de carrière et la durée de retraite », janvier 2022, page 12.

[6En effet, une attention plus grande est portée à la pénibilité du travail masculin associé à des efforts physiques intenses, port de charges lourdes, bruit... En revanche, les métiers majoritairement féminins sont la plupart du temps considérés comme plus faciles et moins dangereux. Notamment, « les femmes encourent plus de risque de troubles musculo-squelettiques TMS (54 %) que les hommes (46 %). Les risques sont trois fois plus importants dans les catégories les plus confrontées à la précarité, employées et ouvrières ». Rapport de 2020 du HCE, Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, Prendre en compte le sexe et le genre, un enjeu de santé publique.

[7Voir « Retraites des femmes, ni réforme par points, ni statu quo mais des progrès indispensables », décembre 2019, https://france.attac.org/se-mobiliser/reforme-des-retraites/article/retraites-des-femmes-ni-reforme-par-points-ni-statu-quo-mais-des-progres

[8Voir notamment Attac-Fondation Copernic, Retraites l’alternative cachée, coord. Jean-Marie Harribey, Christiane Marty, Syllepse 2013. Consultable sur https://www.fondation-copernic.org/retraites-lalternative-cachee/

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