Après avoir rappelé la situation actuelle, ce texte se propose de montrer que les grandes lignes cadrant ce projet de retraites – limitation des dépenses de retraite, gouvernance, rendement du point - surdéterminent la régression à venir. En particulier, il dément les prétendues avancées pour les femmes et les carrières courtes.
Situation actuelle : moins mauvaise qu’ailleurs mais très insuffisante
Par rapport à d’autres pays, notre système de retraites est plus avantageux car il permet d’assurer en moyenne un niveau de vie des retraité·es équivalent à celui de la population active. Ce qui n’est que normal. Mais d’une part, cette moyenne masque de fortes disparités au sein de la population retraitée ; d’autre part, l’évolution est très défavorable sous l’effet des réformes passées. Celles-ci n’ont cessé de durcir les conditions pour obtenir une pension à taux plein (encadré 1) et de dégrader le niveau des pensions. Ainsi, le taux de remplacement moyen (rapport entre la pension et le salaire) ne cesse de baisser ; l’âge moyen de départ en retraite recule ; la durée de cotisation exigée pour une retraite à taux plein devient de plus en plus irréalisable, compte tenu de la situation du marché du travail, mais aussi de l’usure professionnelle qui survient pour de nombreuses personnes bien avant l’âge de la retraite. Les personnes nées en 1974 devront ainsi réunir 43 annuités de cotisation, mais en moyenne, elles n’ont validé leur première année de cotisation qu’à 23,4 ans1, ce qui porte leur départ en retraite à plus de 65 ans. Il est donc nécessaire de corriger cette évolution. Mais nul besoin de changer de système pour cela, bien au contraire.
Le nouveau système ne peut que faire baisser le niveau des pensions
En dépit de la communication lénifiante affirmant que le nouveau système sera avantageux pour les carrières courtes ou heurtées et pour les femmes, la réalité est différente. Un régime par points2, en prenant en compte toute la carrière au lieu des 25 meilleures années pour le régime général ou des 6 derniers mois pour la fonction publique, ne peut que faire baisser le niveau des pensions : il intègre en effet les plus mauvaises années de la carrière dans le calcul de la pension, alors qu’elles en sont éliminées actuellement.
En plus de cette logique propre au régime par points, le système projeté organise le recul du départ en retraite. C’est l’un des rares points reconnus : « Le système universel incitera au prolongement de l’activité »3. Il laisse en théorie ouverte la possibilité de partir à l’âge légal de 62 ans, mais il instaure un âge dit d’équilibre à 64 ans, avant lequel les pensions subiront un abattement - une décote - de 10 % pour un départ à 62 ans ou de 5 % pour un départ à 63 ans. À l’inverse, il est prévu une surcote pour un départ après 64 ans. Le système serait ainsi « fondé sur la liberté de choix » ! Mais pour de nombreuses personnes, les pensions seront bien trop faibles à 62 ans. Cette prétendue liberté de choisir entre partir ou continuer à travailler pour acquérir des points supplémentaires se réduit à peu de choses lorsqu’on sait que la moitié seulement des personnes du privé sont encore en emploi au moment de liquider leur retraite, et que la fatigue et la morbidité touchent de plus en plus de salariés vieillissants.
L’âge de 64 ans est baptisé âge d’équilibre car c’est celui qui permet d’équilibrer le financement des retraites selon les projections établies pour l’échéance 2025. Mais il augmentera ensuite, ce sera l’un des leviers de pilotage du système, au même titre que la valeur de service du point et celle du point à l’achat (encadré 1). Cet âge est aussi nommé âge du taux plein, ce qui relève de la manipulation ! (voir § 8).
Système actuel : taux de remplacement
C’est le rapport entre la pension et le salaire. À l’âge légal de départ, le système actuel par annuités garantit un taux de remplacement pour une carrière complète définie par un nombre d’années cotisées. Ce taux est de 50 % pour la retraite de base du régime général et régimes alignés (à laquelle s’ajoute la pension complémentaire), et de 75 % pour la fonction publique. Un régime par annuités donne donc une visibilité sur la future pension.
Système actuel : taux plein
Le taux est plein lorsqu’il est maximum dans le calcul de la pension : 50 % ou 75 % selon les cas. On obtient le taux plein de deux manières : il faut soit avoir une carrière complète, soit attendre l’âge dit du taux plein (67 ans). Celui-ci permet d’annuler la décote qui sinon s’applique entre 62 et 67 ans sur les carrières incomplètes : la décote est un abattement de 5 % par année manquante mais attention, elle s’applique sur la pension calculée au prorata de la durée de carrière réalisée par rapport à la durée exigée. C’est donc une double pénalisation. L’âge de 67 ans annule la décote mais pas la proratisation.
Remarque : il est notable que le rapport Delevoye reconnaisse enfin que la décote constitue une « double pénalisation » (page 49) pour les carrières incomplètes, ce que nous dénonçons depuis longtemps mais qui a toujours été nié par les discours officiels. La décote concerne 9 % des femmes et 7 % des hommes.Système par points : ni taux de remplacement, ni taux plein
Dans un régime par points, les cotisations servent à acquérir des points tout au long de la vie active. Au moment du départ en retraite (il reste un âge légal minimum), le montant de la pension est calculé en multipliant le nombre de points acquis par la valeur de service du point (qui est ajustée continuellement). Il n’y a pas de notion de carrière complète, il n’y a pas de taux de remplacement garanti donc pas de taux plein. Et pas de visibilité sur la pension future.
1- Le plafonnement des dépenses programme l’appauvrissement des retraité·es
Il a été décidé de figer les dépenses de retraite à leur valeur actuelle, soit 13,8 % du PIB. On ne peut dès lors qu’anticiper une nouvelle baisse des pensions. Car limiter la part des dépenses de retraites dans la richesse produite alors que la proportion de retraité·es dans la population va augmenter revient à programmer leur appauvrissement par rapport à la population active. En effet, un nombre croissant de retraité·es devra se partager une part fixe de la richesse produite. Ce qui est inacceptable pour un projet censé garantir la cohésion sociale.
2- La part de solidarité maintenue à son niveau actuel ne permet pas de réaliser l’objectif affiché
Le nouveau système est censé « réinventer tous les dispositifs de solidarité » et notamment « réduire l’écart des pensions entre les précaires et les personnes plus aisées, entre les hommes et les femmes ». On ne peut qu’approuver car il y a en effet un fort besoin de rehausser les pensions des plus précaires et de réduire les inégalités entre les femmes et les hommes. Un tiers des retraité·es vivent avec moins de 1000 € bruts de pension (909 € nets) ; les femmes perçoivent une pension inférieure de 25 % à celle des hommes (en 2017). Mais comment imaginer pouvoir réduire ces écarts avec une part de solidarité qui sera plafonnée à son niveau actuel ?
3- Le maintien de la part de solidarité ne concerne pas les pensions de réversion…
Le rapport indique en effet (page 115) - sans y insister - que c’est la part de la solidarité dans les dépenses de retraite de droits directs (c’est-à-dire hors réversion) qui sera maintenue. Ce qui ne doit pas surprendre, car les dépenses de réversion d’un montant non négligeable (36 milliards d’euros) sont une cible de choix pour projeter des économies. Le nouveau système, qui recule sur les droits à la pension de réversion par rapport à aujourd’hui (§ 11), rend possibles ces économies.
4- La solidarité est basculée vers un financement par l’impôt… potentiellement remis en cause chaque année
La solidarité sera prise en charge par un Fonds de solidarité vieillesse universel exclusivement financé par l’impôt. Elle ne fait plus partie du cœur du système et elle sera à la merci de remises en cause lors de l’établissement annuel du budget (voir § 5). Dans le contexte actuel de recherche tous azimuts de baisse des dépenses publiques, il y a là un risque de régression… que Jean-Paul Delevoye reconnaissait d’ailleurs en mars 2019 : « Si je confiais à Bercy la gouvernance du système, je crois qu’il y aurait une lourde inquiétude4 ». Comment croire que la promesse de maintenir le niveau de solidarité actuel engagera les futurs ministres du budget ?
5- La gouvernance donne in fine tout pouvoir au gouvernement
La gouvernance du système sera confiée à une caisse de retraite universelle dont le Conseil d’administration sera composée à égalité de représentants des organisations syndicales représentatives et d’employeurs désignés (page 89). Ce Conseil d’administration « déterminera les conditions de pérennité » du système de retraite, « il pourra se prononcer » sur l’évolution de la valeur du point, de l’âge d’équilibre, la revalorisation des pensions, etc.
Différentes instances sont créées. Une Assemblée générale représentant « l’ensemble des assurés, employeurs et acteurs de la retraite » qui aura pour fonction « d’émettre un avis ». Le Conseil d’orientation des retraites (COR) et le Comité de suivi des retraites (CSR) seront remplacés par un « comité d’expertise indépendant des retraites » qui aura pour fonction d’analyser la situation et, là encore, de formuler des recommandations (page 91). Enfin, « des citoyens directement associés au pilotage du système » constitueront un Conseil citoyen (page 92) qui sera chargé… d’émettre chaque année un avis citoyen. Pléthore d’avis ! Mais au final, « le cadre de pilotage du système sera défini dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale » (page 90). L’objectif sera de respecter « la règle d’or » de l’équilibre financier. Le gouvernement, via l’adoption par le Parlement, pourra faire évoluer les paramètres (âge légal, dispositifs de solidarité comme les droits familiaux, minimum de retraite, etc.). Finie toute velléité de gestion paritaire, place à une réforme paramétrique possible chaque année aux mains du gouvernement via l’établissement du budget.
6- Le système ouvre un peu plus la voie à la capitalisation
Le gouvernement et le Haut commissaire ont beau affirmer que le système maintient le principe de la répartition, le projet élargit la voie de la capitalisation. Sur la tranche de salaire annuel supérieure à 120 000 euros bruts (10 000 euros mensuels), soit 3 fois le plafond de la sécurité sociale, on ne cotisera plus dans le système commun. Le plafond qui existe actuellement est bien plus haut : 324 192 annuels (27 016 euros mensuels), soit 8 fois le plafond de la sécurité sociale (encadré 2). Les hauts revenus pourront souscrire une épargne retraite qui sera favorisée par des avantages fiscaux, payés donc par tous les contribuables. C’est acté dans la loi Pacte adoptée en avril 2019. La capitalisation ayant un pied dans la porte du système, son champ pourra facilement être élargi en abaissant progressivement le seuil de revenu non autorisé à cotiser au régime commun. D’autant plus que la baisse du niveau des pensions, au fil des réformes successives, a déjà poussé de nombreuses personnes – celles qui en ont les moyens – à se constituer une retraite complémentaire auprès d’assurances privées.
Baisser les dépenses publiques de retraite et ouvrir son champ à la capitalisation – tout en maintenant un filet de sécurité assuré par la retraite publique - sont les objectifs des réformes de retraite5.
L’entourloupe du « nouveau plafond, haut niveau de protection »
Le rapport indique (page 16) que le nouveau plafond de 120 000 euros garantira « un haut niveau de protection sociale pour tous ». Comme on peut à juste titre s’interroger, figure en gros la mention « 100 % des Français couverts par le nouveau plafond », illustrée par un schéma qui compare ce nouveau plafond de 120 000 euros au plafond actuel de… la seule retraite de base, qui est de 40 000 euros bruts ! Soit 3 fois plus, comme bien indiqué, ce qui est censé expliquer que 100 % des Français seraient couverts. Il est malhonnête de prendre le plafond de la retraite de base au lieu du plafond réel qui est celui de la retraite complémentaire (324 192 euros annuels). Le nouveau système diminuerait en réalité le nombre des personnes entièrement intégrées au système de retraite : entre 300 000 et 350 000 personnes en moins, selon une estimation figurant dans un document de travail du Haut commissariat lui-même !
7- Un rendement du point encore plus faible que dans les régimes Agirc et Arrco
Les cotisations permettront d’acquérir des points6, le prix d’achat du point est fixé à 10 euros… au démarrage du système. La valeur de service du point, au moment du départ en retraite, sera de 0,55 euro de retraite annuelle. Attention, c’est une valeur estimée aujourd’hui, qui pourra déjà avoir évolué au moment de la bascule vers le nouveau système en 2024 (page 18).
Le rendement du point défini comme le rapport entre le prix de vente (0,55 €) et le prix d’achat du point (10 €) est de 5,5 %. Il est intéressant de le comparer avec le rendement actuel des régimes complémentaires Agirc et Arrco qui fonctionnent par points et dont l’objectif est, de même, d’équilibrer au mieux le financement. Or ce rendement est en 2018 de 5,99 %, sensiblement supérieur donc à ce qui est proposé pour le nouveau système !
Pour donner une idée de l’évolution du rendement des régimes par points, on peut rappeler qu’il ne cessent de baisser : en 2000, il était de 7,15 % pour Agirc et de 7,04 % pour Arrco. La baisse est donc, en 18 ans, de 16 % pour le premier et de 15 % pour le second ! Soit une baisse plus sévère encore que celle du niveau des pensions dans le régime général.
En outre, on peut craindre que la valeur du point lors de la bascule en 2025 soit plus faible que 0,55 €. En effet, elle ne sera fixée « qu’en 2024 en fonction des hypothèses économiques qui prévaudront alors » (page 18). Or, la valeur annoncée de 0,55 € est basée sur une hypothèse de gain de productivité du travail de 1,3 %, ce qui semble optimiste au vu de la tendance de ces dernières années, où il n’a pas dépassé 1% par an.
8- L’entourloupe de la nouvelle définition de l’âge taux plein
Actuellement, l’âge du taux plein, 67 ans, est celui qui permet de percevoir sa pension au taux plein (50 % ou 75 %, encadré 1) : ce taux correspond au taux de remplacement garanti pour une carrière complète. Dans le système projeté, il n’y a aucun taux de remplacement garanti, pas de notion de carrière complète et donc pas de taux plein. Par un tour de passe-passe, c’est l’âge d’équilibre qui devient âge du taux plein selon une nouvelle définition : ce serait l’âge qui « garantit un rendement optimal du système » (page 8). Mais ce ne sera pas le cas. Car partir à l’âge d’équilibre (64 ans au démarrage) fournit un rendement du point de 5,5 %, mais partir un an plus tard fournit un rendement supérieur puisqu’avec la surcote de 5 %, il sera de 5,775 % ; et il sera de 6,05 % pour un départ deux ans plus tard (page 49). Le rendement n’est donc pas le plus élevé à l’âge pourtant nommé âge du taux plein.
De plus, que signifie parler de taux plein sur une valeur appelée à évoluer continuellement (concrètement, à baisser) ?
9- Une augmentation du minimum de retraite bienvenue… mais déjà promise
Le minimum de retraite sera porté à 85 % du SMIC net, soit 1000 euros, pour une carrière complète. Tout d’abord, cette hausse du minimum n’a pas de lien intrinsèque avec le nouveau système envisagé. Elle devrait être une réalité depuis 2008 : car la loi de 2003 fixait déjà l’objectif à atteindre en 2008 d’un minimum de retraite de 85 % du SMIC net pour une carrière complète. Ce qui n’a jamais été réalisé ! Il est actuellement de 82 % pour les retraité·es de la génération 19557 et selon les projections actuelles, ne ferait que baisser. Augmenter ce minimum est donc certes très bienvenu et on peut toujours réitérer cet engagement pour 2025. Mais on est en droit d’attendre qu’il soit respecté dès à présent !
Remarque : ce minimum de retraite correspond à une carrière complète. Pour une carrière incomplète, ce montant est proratisé, ce qui est logique. Mais dans un régime par points, il n’y a plus de notion de carrière complète. Le rapport indique alors que c’est la durée actuelle qui sera reprise : 43 ans pour la génération 1973, durée qui continuera d’augmenter ensuite en fonction de l’espérance de vie.
10- Une avancée majeure pour les femmes, vraiment ?
Le Haut commissaire développe, tout au long du rapport, une argumentation visant à persuader que le nouveau système sera plus avantageux pour les carrières courtes, donc pour les femmes, et que les nouveaux droits familiaux représenteront même « une avancée majeure » pour elles (pages 70 et 71). Le rapport tente par tous les moyens, y compris malhonnêtes, d’en convaincre. Mais, mise à part l’augmentation du minimum de retraite qui est toujours favorable aux femmes car elles sont majoritaires parmi ses bénéficiaires, l’avantage pour les femmes du système projeté reste à démontrer. On peut pointer à l’inverse plusieurs motifs de leur pénalisation.
Les pensions des personnes, femmes et hommes, aux carrières courtes ou heurtées subiront une baisse résultant mécaniquement de la prise en compte de toute la carrière, avec les plus mauvaises années de salaires, alors qu’elles en sont exclues actuellement. Celles-ci fourniront peu de points. De même, chaque période non travaillée, inactivité, années de temps partiel, de chômage non indemnisé, de précarité seront autant de manques à gagner pour la pension.
On peut rappeler l’exemple de la réforme de 1993 qui a constitué une première étape de prise en compte élargie de la carrière. Dans le régime général, elle a fait passer le salaire de référence servant à calculer la pension, de la moyenne des 10 meilleures années à celle des 25 meilleures. Cette mesure a évidemment eu comme conséquence de faire baisser très sensiblement les pensions à la liquidation, et plus fortement encore celles des femmes (encadré 3)
L’impact de la réforme de 1993 (Balladur)
La baisse de pension du régime général résultant de cette réforme a été évaluée à 16 % pour les hommes et 20 % pour les femmes des générations 1965-19748. La réforme comprenait aussi le changement d’indexation des salaires pris en compte dans le calcul de la pension, mesure qui a elle aussi pesé dans la baisse des pensions : la contribution séparée de chacune de ces mesures n’est pas disponible, mais il est avéré que leur impact est sévère.
Des droits familiaux « dès le premier enfant » : une présentation malhonnête
Il est indiqué à plusieurs reprises que le système permettra d’attribuer des droits familiaux « dès le premier enfant », et qu’il s’agit d’une « avancée majeure pour les femmes » (page 70). Comme si ces droits n’existaient pas déjà aujourd’hui ! Le texte et le schéma l’illustrant (page 72) occultent totalement l’existence des majorations de durée d’assurance (MDA) attribuées pour tout enfant. Le système actuel est décrit comme simplement constitué de la majoration de 10 % de la pension pour 3 enfants et plus, ce qui vise à créer l’illusion d’une amélioration de la prise en compte des « droits familiaux ».
Système actuel
La majoration de 10 % de la pension attribuée à chacun des parents de 3 enfants et plus est (unanimement reconnue comme) injuste : du fait qu’elle est proportionnelle à la pension et que celle des hommes est plus élevée en moyenne, elle leur rapporte davantage qu’aux femmes : ils sont ainsi bénéficiaires des deux tiers des 8 milliards de cette majoration, alors que ce sont très majoritairement les femmes qui sont pénalisées par l’éducation des enfants.
En plus de ce dispositif, il existe des majorations de durée d’assurance (MDA) attribuées pour chaque enfant qui représentent dans le régime général 4 trimestres pour les mères, au titre de la maternité, et 4 autres trimestres pour le père ou la mère, au choix du couple, au titre de l’éducation : ce choix doit intervenir avant les 4 ans et demi de l’enfant. Par défaut, les 4 trimestres vont aux mères. Dans la fonction publique, c’est seulement 2 trimestres par enfant9 qui sont attribués à la mère au titre de la maternité, complétés éventuellement par une validation de période d’interruption d’activité de l’un ou l’autre des parents, période qui peut aller jusqu’à 3 ans.
Système projeté
Il est prévu une majoration de pension de 5 % par enfant, qui pourra être attribuée au choix du couple soit totalement à l’un ou l’autre des parents, soit par moitié à chacun des parents. Sans choix exprimé, cette majoration, ira par défaut aux mères. Cette majoration remplace donc à la fois les MDA (jamais mentionnées) et la majoration de 10 % pour 3 enfants et plus. Trois remarques sur cette disposition.
La majoration de 5 % par enfant est-elle avantageuse pour les femmes ?
Les femmes salariées du privé avec un ou deux enfants verraient les 8 trimestres par enfant remplacés par une majoration de 5 %. Est-ce mieux qu’aujourd’hui ? Le rapport ne fournit pas de simulation. Pour les mères de trois enfants, du moins, on peut s’en faire une idée. La majoration serait de 15 % (5 % par enfant) au lieu de 10 % actuellement. Mais cela ne représente pas un gain de 5 % car la MDA disparaît. Or celle-ci est conséquente puisqu’elle attribue, au régime général, 6 annuités pour 3 enfants.
Les trimestres de MDA s’ajoutent en effet à ceux cotisés au titre de l’emploi et ils contribuent à augmenter le montant de la pension. Une évaluation est proposée en annexe 1 pour une femme de la génération 1946, mère de 3 enfants, qui a accompli une carrière moyenne. Pour cette femme, aujourd’hui retraitée, la MDA a représenté une majoration de 18,5 % de sa pension de base, soit 13 % de sa pension totale. Avec le système projeté, elle aurait subi une perte de 8 % de sa pension (13 % de perte due à la disparition de la MDA, moins les 5 % de gain du fait du nouveau calcul). Ce n’est certes qu’une évaluation sommaire pour un cas particulier, mais elle est révélatrice de la perte subie.
La majoration envisagée reproduit le même défaut qu’actuellement
Le fait que la majoration pour enfant soit établie en proportion de la pension et non en forfait par enfant reproduit l’injustice de la majoration de 10 % pour 3 enfants qui bénéficie essentiellement aux hommes. On peut craindre que les couples aient tendance à privilégier l’attribution de la majoration au père du fait qu’il aura à terme, très probablement, la pension la plus élevée : ce sera plus intéressant sur le plan financier au niveau global du couple, mais que se passera-t-il en cas de séparation, ce qui arrive de plus en plus fréquemment ? Il serait plus juste d’attribuer un forfait par enfant, en gardant, faute de mieux, l’option de l’attribution à l’un ou l’autre des conjoints au choix du couple.
Une option qui entérine l’inégalité actuelle des rôles sociaux
L’option de laisser le choix au couple en privilégiant par défaut les mères existe déjà actuellement : elle ne constitue donc pas un progrès contrairement à ce qui est annoncé. Le vrai progrès consisterait à concilier le système de retraite avec l’objectif d’égalité entre les femmes et les hommes. Pour cela, il est indispensable d’agir concrètement pour le partage des tâches parentales dans un couple (notamment via les congés de paternité et parentaux) ce qui permettrait, à terme, un partage égal des droits familiaux entre les parents. Il n’est pas bon que le système de retraites cible explicitement les femmes pour bénéficier de l’attribution future de ces droits, car cela signifie que la société entérine et pérennise les rôles sociaux inégaux.
Remarque : il est cocasse qu’un rapport officiel reconnaisse enfin que « le système actuel de retraite ne fait pas que refléter ces inégalités [professionnelles entre les femmes et les hommes] il les amplifie » (p. 70). C’est ce que nous avons dénoncé systématiquement lors des réformes passées, mais qui a toujours été nié officiellement. Aujourd’hui, bien sûr, il devient utile de critiquer le système actuel pour mieux promouvoir celui qui est projeté !
11- Pension de réversion : recul sur les conditions d’ouverture et pour des personnes aux pensions pourtant modestes
Il y a actuellement une diversité de dispositifs de réversion, avec des taux de pension allant de 50 à 60 %, des conditions différentes sur l’âge d’ouverture du droit, sur la possibilité de remariage et l’existence ou non de conditions de ressources. Il est bienvenu de chercher à les harmoniser, ce qui ne nécessite pas de changer de système. L’harmonisation envisagée acte un recul sur plusieurs points. Rappelons que les femmes représentent 90 % des bénéficiaires.
Tout d’abord, un recul important sur l’âge : le droit à réversion ne sera ouvert qu’à l’âge de 62 ans, alors qu’il est aujourd’hui de 55 ans au régime général et pour la plupart des régimes, de 50 ans pour l’Ircantec et qu’il n’y a pas de seuil d’âge pour la fonction publique. Recul aussi pour les ex-conjoints : le droit à réversion est supprimé pour les personnes divorcées ou remariées (pour les divorces intervenus après 2025). La question des droits à la retraite dans les cas de divorce est renvoyée aux juges des affaires familiales, à qui il appartiendra donc de trouver une solution… Seul point positif, la condition de ressources qui existe dans le seul régime général pour avoir droit à la réversion et qui est restrictive n’est pas reproduite.
Une occasion de progrès a été manquée : il aurait été positif adapter la réversion aux nouvelles formes de conjugalité, en ouvrant le droit à la pension de réversion aux personnes pacsées. Ce qui a été exclu.
Pour ce qui est du montant, le principe retenu est de garantir le niveau de vie de la personne survivante, qui est traduit par l’énoncé suivant : celle-ci devra conserver 70 % des droits à pension (P) cumulés du couple. La pension de réversion sera donc calculée selon la formule : 0,7 x (Ppersonne survivante + Ppersonne décédée) – Ppersonne survivante
Si d’un point de vue théorique, le principe de maintien du niveau de vie est cohérent, en pratique on constate que des personnes – femmes essentiellement donc - avec un niveau modeste de pension seraient perdantes : ainsi par exemple, une veuve touchant une pension de 1000 € (régime général + Arrco), dont le mari décédé touchait une pension comprise entre 1000 et 2000 euros, toucherait une pension de réversion plus faible qu’aujourd’hui (annexe 2). Dans le cas de deux conjoints touchant chacun 1000 euros de pension, la baisse de la réversion serait de 158 euros par mois (400 € au lieu de 558 € actuellement).
En fait, dès qu’un membre du couple gagne plus d’un tiers du revenu total, c’est-à-dire plus de la moitié du revenu de son conjoint (ce seuil est un peu plus élevé pour la fonction publique), sa pension de réversion baisserait. Et ce, quel que soit le niveau de revenu ! La baisse serait d’autant plus importante que les deux conjoints ont des pensions proches. En quelque sorte, le nouveau calcul revient à privilégier les couples « inégaux » (ce qui est déjà le cas de l’impôt sur le revenu avec le dispositif de quotient conjugal). Il serait intéressant d’avoir la simulation du montant des économies réalisées par cette réforme de la réversion… au détriment des femmes.
12- Fonction publique : les primes seront intégrées… s’il y en a
Dans le système par points, la prise en compte de toute la carrière au lieu des six derniers mois entraînera une baisse des retraites qui n’est pas contestée par Jean-Paul Delevoye. Il est donc prévu que les primes soient intégrées dans le calcul de la pension, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Mais rien ne garantit que leur intégration suffise : tout dépend de leur montant. Dans de nombreux métiers, il n’y en a pas ou peu (enseignants notamment). De manière générale, les femmes fonctionnaires perçoivent des primes significativement moins élevées que les hommes10. M. Delevoye reconnaît qu’il y aura des fonctionnaires pénalisés, mais il estime qu’il faudra « profiter de cette opportunité pour éventuellement mettre en place une politique de rémunération11 » ! En attendant, tant pis pour celles et ceux, même avec des revenus modestes, dont la pension baissera ?
Remarque : les règles différentes de calcul de la pension dans le régime général et la fonction publique nourrissent chez certaines personnes un sentiment d’inéquité que le discours officiel ne prend pas assez la peine de démentir. Si la pension moyenne dans la fonction publique est un peu supérieure à celle dans le secteur privé, c’est parce que les fonctionnaires ont en moyenne un meilleur niveau de qualification qui se reflète donc sur leur rémunération. Mais les taux de remplacement sont équivalents entre privé et fonction publique.
En conclusion
Le système projeté organise une régression sociale accentuée par rapport à l’évolution tendancielle d’aujourd’hui. D’une part, c’est la logique d’un régime par points de renforcer la contributivité du système de retraites, c’est-à-dire que la pension reflète au plus près la somme des cotisations (les contributions) versées au cours de la carrière. En contrepartie, la part de solidarité dans la pension est réduite. Les affirmations sur la stabilité de la solidarité n’engagent que celles ou ceux qui y croiront. D’autre part, l’instauration de l’âge d’équilibre avec décote et surcote revient à reculer l’âge de départ de 62 ans à 64 ans, et ouvre la possibilité de le reculer encore sans avoir besoin de passer par une réforme. De fait, la modification des paramètres du système deviendrait possible en continu au nom de « la règle d’or » de l’équilibre financier. Comme il est annoncé que le taux de cotisation serait maintenu à 28,12 % et que la valeur de service du point ne baisserait pas, l’ajustement de l’équilibre se ferait à travers l’augmentation du prix d’achat du point - moins de points, donc moins de pension pour un même montant de cotisation, ce qui entraine une baisse du rendement -, et le recul de l’âge d’équilibre.
En outre, alors que la règle actuelle d’indexation des pensions sur l’inflation13 aboutit à un décrochage croissant du niveau des pensions par rapport aux revenus d’activité moyens (car ceux-ci progressent plus vite que l’inflation), ce qui constitue un sérieux problème, alors que le rapport Delevoye fait état de ce décrochage (page 111), c’est cette même indexation qui est retenue ! Ce choix réduit à néant la prétendue garantie de l’équité entre générations. Il est précisé (page 24) que « les partenaires sociaux auront la possibilité de se prononcer sur une éventuelle revalorisation des retraites en fonction des salaires ». Ouf, on pourra donc continuer à la réclamer, en vain…
Améliorer le système de retraites, réduire les inégalités est possible et nécessaire dans le régime actuel par annuités. Pour accompagner l’augmentation de la part des retraité·es dans la population, il faut renforcer les ressources du système. Cela signifie, outre agir en amont pour lutter contre le chômage, les exonérations de cotisations patronales et les inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes14, agir sur le taux de cotisation : il est possible d’appliquer une hausse modérée de ce taux et d’élargir l’assiette des cotisations aux profits distribués15, ce qui permettrait de rééquilibrer le partage de la richesse produite entre travail et capital : car l’évolution de ces dernières décennies s’est faite au détriment de la part du travail. De toute manière, la hausse des cotisations est appelée à devenir une réalité : si elle n’est pas intégrée dans le système public, elle résultera du fait que les gens se tourneront vers les assurances privées pour compléter une retraite trop incertaine. L’alternative est donc entre une logique collective solidaire et une logique assurantielle individuelle. La retraite est un choix de société.
Annexe 1
Évaluation de l’apport de la MDA dans le système actuel
Cas d’une femme née en 1946, employée, ayant trois enfants
On considère une femme de la génération 1946, car cette dernière étant entièrement à la retraite actuellement, on dispose des statistiques sur la durée moyenne de carrière16
La MDA vaut 6 annuités (2 ans/enfant). La durée moyenne de carrière sans les majorations pour enfants pour une femme née en 1946 est de 32,5 annuités17.
L’apport de la MDA permet donc d’augmenter la durée de carrière de 6/32,5 = 18,5%
Le montant de la pension du régime général est proportionnel à la durée de carrière. La MDA représente dans ce cas une majoration de 18,5 % de la pension de base. (On ne prend pas en compte le gain apporté par cette majoration correspondant à la diminution de la décote).
Pour les niveaux de revenu correspondant aux employés, la pension complémentaire représente environ 30 % de la pension totale, la pension du régime général en représente 70%.
La MDA procure alors une majoration de la pension totale de 13 % (1,185 x 0,7 + 0,3 = 1,13)
Annexe 2
Comparaison des pensions de réversion dans le système actuel et futur
Taux de réversion : 54 % dans le régime général, 60 % dans le régime complémentaire.
Hypothèse : la pension est basée sur une part de 70 % pour la pension du régime général et de 30 % pour la pension complémentaire. C’est la moyenne pour ces niveaux de pension.
Pension de réversion actuelle = (0,54 x 0,7+ 0,6 x 0,3) x pension conjoint décédé
= 0,558 pension conjoint décédé