Âge légal, pension minimale à 1000 euros, garanties pour les enseignant·e·s et les femmes : ce qui se cache derrière les annonces d’Edouard Philippe

mercredi 11 décembre 2019, par Attac France

Edouard Philippe vient de présenter la réforme des retraites devant le Conseil économique, social et environnemental. Quelques premiers éléments pour comprendre les arrangements qui se cachent derrière ces annonces.

Sur la pension minimale à 1000 euros

"Pour les oubliés du système, ceux qui partent avec des retraites très faibles malgré toute une vie de travail, notamment les agriculteurs, les artisans, les commerçants : nous garantirons une pension minimale de 1 000 euros nets par mois pour une carrière complète au SMIC."

Il est difficile de voir comment "les agriculteurs, les artisans, les commerçants" peuvent se sentir rassuré·e·s par cette promesse, puisqu’ils et elles souffrent de revenus inconstants, parfois (voire souvent) en dessous du SMIC.

Ce minimum sera en plus accordé à l’âge dit "du taux plein", qui serait donc de 64 ans au début de la mise en œuvre du système (et qui ensuite est appelé à augmenter). C’est à dire 2 ans plus tard que la disposition de minimum actuel, qui est ouvert à l’âge légal de départ de 62 ans.

Toute augmentation du minimum de retraite est évidemment bienvenue : mais ce minimum de 85 % du SMIC net pour une carrière complète devrait déjà être une réalité depuis 2008 !

En effet, cet engagement faisait l’objet de l’article 4 de la loi de 2003 (réforme Fillon), il devait être effectif à partir de 2008. Ce qui n’a jamais été respecté, en dépit de la loi votée. Pourquoi alors la répétition de cette promesse serait-elle plus crédible aujourd’hui ? Pas besoin de changer de système pour respecter la loi de 2003 et mettre en œuvre immédiatement cette augmentation de minimum.

Les femmes ont en moyenne des pensions plus faibles que les hommes, elles sont ainsi plus concernées par toute augmentation du minimum, c’est vrai. Ce que la communication gouvernementale traduit en présentant comme un progrès le fait que « davantage de femmes seront rattrapées par ce dispositif » (page 116 du rapport Delevoye). On peut au contraire penser que le progrès serait que davantage de femmes - et d’hommes - puissent se constituer des droits à une pension suffisante qui les situent au-dessus du minimum de pension !

Quelques détails supplémentaires :
- La carrière complète est actuellement définie à 43 annuités à partir de la génération née en 1973. Il est envisagé de continuer à augmenter cette durée en lien avec l’augmentation de l’espérance de vie…
- Pour toutes les personnes dont la carrière est incomplète, le minimum de pension est proratisé. Les femmes ont plus souvent que les hommes des carrières incomplètes. Pour la génération née en 1950, maintenant en retraite, les données établissent que c’est le cas de 40 % des femmes et de 25 % des hommes (Drees 2019).

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Sur la pension des enseignant·e·s

"Pour les enseignants, une application mécanique des nouvelles règles ferait perdre une part significative de leur pension. Il serait inacceptable que les enseignants perdent leur niveau de pension et cela ne se produira pas. Nous inscrirons dans la loi la garantie que le niveau des retraites des enseignants sera comparable à celle des métiers de la fonction publique."

Comme pour les autres fonctionnaires, les retraites des enseignant.e.s diminueraient après la réforme car elles seraient calculées sur toute la carrière et non plus sur les six derniers mois. Les premiers salaires étant moins élevés particulièrement en France où les jeunes enseignants sont très mal payés, et les études s’allongeant, les pensions baisseraient de plusieurs centaines d’euros par mois (3). Le gouvernement explique intégrer désormais les primes au calcul mais celles-ci ne représentent en moyenne que 10 % des rémunérations des enseignants (3), ce qui ne compenserait pas du tout les pertes. Le pouvoir fait exprès de ne pas donner plus de détails pour que l’on ne connaisse pas le montant exact des diminutions, et ainsi tente d’empêcher les oppositions.

Le gouvernement a pris peur jeudi, lorsque 75 % des enseignant.e.s se sont mis en grève. Gérald Darmanin a alors annoncé que le montant total des rémunérations et des primes augmenterait de 500 millions d’euros d’ici 2021. Ramené au nombre d’enseignant.e.s, cela ne représenterait que 30 à 40 euros de plus par mois par personne (1,4), ce qui est ridicule par rapport aux centaines d’euros perdues ! Avec l’inflation, la hausse réelle pourrait même être complètement nulle. Macron avait dit que maintenir les pensions actuelles coûterait 10 milliards d’euros : il faudrait savoir.

Et surtout, comme Emmanuel Macron le disait en octobre dernier, les enseignants pourraient gagner plus mais devraient accepter de travailler plus et de réduire leurs vacances !

Enfin, ça fait maintenant 9 ans que la valeur du point d’indice des fonctionnaires est quasiment gelé (les salaires n’ont pas été augmentés au fur et à mesure qu’augmentaient les prix), soit une très forte diminution de leur salaire réel. Il est donc normal que ces salaires soient revalorisés, mais pas contre une très forte diminution des pensions de retraites !

Pour en savoir plus :
- Communiqué de Sud éducation sur le discours de Macron à Rodez, 9/10
- Tract du Snes-FSU, 5/12
- Communiqué du Snes-FSU, 8/12

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Sur les pensions des femmes

"Les femmes seront les grandes gagnantes du régime universel"

Sur ce sujet, Attac France a déjà longuement exprimé ses inquiétudes, dans cette tribune publié dans le journal Le Monde ou encore cet article de Christiane Marty. Les annonces formulées par Edouard Philippe en ce 11 décembre ne sont pas en mesure de les faire taire.

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Sur le maintien de l’âge légal à 62 ans, et l’allongement de la durée du travail

"L’âge légal restera à 62 ans et avant le 1er janvier 2022 les responsables de la nouvelle gouvernance auront à définir le bon système de bonus-malus pour aller vers [l’âge d’équilibre de 64 ans en 2027]." (...) "les français reprendront confiance en nous si nous leur disons la vérité" (...) "la seule solution c’est de travailler un peu plus longtemps."

En réalité l’instauration d’un âge pivot de départ à la retraite à 64 ans laisse une fausse liberté aux salariés : elles et ils pourront continuer de partir à 62 ans, mais cela impliquera une forte décote sur leurs pensions !

Edouard Philippe nous refait le coup du "il n’y a pas d’alternatives". Or, il est nécessaire d’améliorer le système actuel en remettant en cause la politique de réduction des ressources publiques qui mine les recettes des caisses de retraites.

Plutôt que de ressortir les mêmes recettes libérales injustes et inefficaces, un gouvernement ambitieux et volontariste pourrait impulser la création de centaines de milliers d’emplois dans la reconversion écologique de notre économie et dans des services publics de qualité.

Accompagné d’une augmentation des salaires et de mesures en faveur de l’égalité de salaires femmes / hommes, cela procurerait automatiquement de nouvelles recettes de cotisations pour les caisses de retraite. Et pour dégager d’autres financements ? Alors qu’en France, les entreprises du CAC 40 ont versé un montant record de 57,4 milliards d’euros de dividendes à leurs actionnaires en 2018, on pourrait, par exemple, élargir l’assiette des cotisations sociales aux revenus financiers.

Nous devons avoir pour objectif une société de solidarité intergénérationnelle, où nous ne serions pas obligé·es de travailler jusqu’à n’en plus pouvoir, une société qui en finisse avec le chômage et la précarité. Au contraire, tout au long de son discours, Edouard Philippe a dit souhaiter faire avec ces "nouveaux visages de la précarité". En substance, au lieu de s’attaquer aux causes de la précarité et des inégalités, c’est nos régimes de retraites qui doivent s’adapter... Une certaine idée de la justice sociale donc.

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Sur la logique prétendument solidaire de cette réforme

"Nous refusons l’idée du chacun pour soi et du tant-pis pour les autres" et nous ne voulons pas "confier le soin de nos anciens, la clé de nos #retraites, à l’argent-roi" (...) "c’est un "pacte entre les générations".

Qu’est-ce que la clause du grand-père sinon une logique de "chacun pour soi et tant-pis pour les autres" où on lègue une régression sociale aux générations nées après 1975 (et après 1985 pour les régimes spéciaux) ?

La retraite par points s’appliquera aux générations post-1975 confrontées à : un chômage 2 à 3 fois plus élevé, des emplois beaucoup plus précaires et des CDI plus tardifs. Leur pension sera en moyenne plus faible que celle de leurs parents ! Cette injustice générationnelle touchera durement les plus précaires - et plus nombreux - des générations nées après 1975.

Comment également prétendre refuser la logique de l’argent-roi alors que la réforme est largement inspirée par les fonds de pension comme Black Rock et que Jean-Paul Delevoye a été pris en flagrant délit de conflit d’intérêt avec les assureurs ?

Alors que la loi Pacte, adoptée en avril, ouvrait la voie de l’individualisation du système des retraites en poussant les épargnants à prendre davantage de risques et à capitaliser, la réforme des retraites va assouvir les fantasmes des fonds de pension.

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Sur la clause du grand-père

Les Français nés avant 1975 "ne seront pas concernés" par la réforme

S’il est vrai qu’ils ne seront pas concernés par la retraite par points, les Français nés avant 1975 seront fortement touchés par l’autre partie de la réforme : les économies à court terme.

Toute personne qui partira avant "l’âge pivot" de 64 ans subira une décote, quel que soit son nombre d’annuités. Une personne qui aura commencé à 20 ans et partira à 63 ans subira (d’après le rapport Delevoye), par exemple, 5% de décote contre 0 aujourd’hui. Une personne qui partira à 64 ans aura simplement une retraite à taux plein au lien d’une surcote aujourd’hui. Une perte qui peut se chiffrer en centaine d’euros par mois. Et ce dès les prochaines générations, donc y compris pour les français nés avant 1975.

P.-S.

Photo : Compte Twitter @EPhilippePM

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