Un impôt de survie au Covid-19 immédiat - Pourquoi et comment ?

vendredi 24 avril 2020, par SOMO

Alors que le virus COVID-19 se propage rapidement, les appels à la préservation des populations, de l’économie et du système financier se multiplient également.

Par M. Vander Stichele, Chercheuse principale, SOMO - 26 mars 2020

Les marchés financiers ont été présentés comme des instruments financiers alternatifs aux banques. Mais maintenant que le besoin d’argent se fait pressant, les investisseurs se retirent massivement. Pire encore, leur argent reste souvent inutilisé sous forme de liquidités. Ce n’est qu’après que les banques centrales et les gouvernements se sont engagés à émettre des billions de dollars que certains investisseurs sont revenus sur les marchés financiers (24 mars 2020). Cependant, les marchés financiers ne mettent pas directement de l’argent dans les poches des gens ou des petites entreprises qui en ont le plus besoin. Les banques centrales sont intervenues mais leur efficacité peut être moindre durant cette crise que lors de la crise financière de 2008.

Les gouvernements sont désormais intervenus pour apporter un soutien financier considérable (« relance budgétaire ») à l’économie et à leurs citoyens. Cela contraste avec les arguments avancés au cours des dernières décennies par les entreprises et le secteur financier contre l’intervention de l’État et une réglementation stricte qui aurait permis d’éviter les difficultés actuelles et de renforcer le filet de sécurité sociale. Il existe peu de propositions sur la manière dont les entreprises, le secteur financier et les plus fortunées peuvent contribuer à l’effort actuel après des années de bénéfices records et de marchés boursiers « exubérants », soutenus par une politique monétaire accommodante de la part des banques centrales. Comme l’affirme un groupe de professeurs d’économie et de finance : « Lorsque vous renflouez une grande entreprise, les personnes que vous renflouez sont en fait les actionnaires de cette entreprise ». « Il est tout à fait injuste de renflouer les actionnaires ».

Afin d’éviter que les gouvernements ne s’endettent davantage, les recettes supplémentaires devraient provenir de sources qui disposent de beaucoup d’argent et qui ont bénéficié de la faiblesse actuelle du cadre réglementaire. C’est pourquoi il convient d’introduire rapidement un impôt de survie au Covid-19, comme expliqué ci-dessous. Un tel impôt n’impliquerait pas de changement fondamental du régime fiscal, bien que des impôts progressifs durables devraient être envisagés par la suite pour renforcer la soutenabilité sociale et environnementale des sociétés.

Les réglementations actuelles du marché et du secteur financier permettent à des transactions socialement inutiles d’être encore rentables, comme les paris sur la volatilité ou la baisse des prix des actions. En taxant de tels profits, l’argent pourrait à court terme être mieux alloué aux soins de santé et aux personnes touchées par le virus, aux pays en développement ainsi qu’aux petites entreprises d’utilité sociale et écologique. Les réformes du système financier seront la solution à long terme.

À quoi ressemblerait un impôt sur la fortune coronavirus, que nous pourrions appeler un impôt de survie au Covid-19 ?

Tout d’abord, quelques précisions sur les personnes à imposer. Les banques d’investissement mondiales, les gestionnaires de fortune, les gestionnaires de fonds d’investissement (également appelés gestionnaires d’actifs) et les acteurs des marchés financiers spéculatifs ont réalisé d’énormes bénéfices en contribuant aux investissements à court terme et en servant d’intermédiaire. En outre, leur taux d’imposition était faible et ils déboursaient des sommes importantes pour racheter leurs propres actions. En 2019, les grandes banques du monde entier ont dépensé 325 milliards de dollars en dividendes et en rachats d’actions.

On peut donner quelques exemples :

  • JP Morgan Chase était en 2019 la banque d’investissement la plus rentable, réalisant 36,4 milliards de dollars de bénéfices nets, soit une hausse de 12 %. Son taux d’imposition effectif était de 18,2 % en 2019. Elle avait un programme de rachat d’actions de 29,4 milliards de dollars, entre autres pour les distribuer à ses dirigeants. Le PDG de JPMorgan Chase, Jamie Dimon, a reçu une rémunération totale de 31,5 millions de dollars en 2019. JP Morgan Chase est la plus grande banque mondiale d’importance systémique (G-SIB) en 2019.
  • Le groupe Goldman Sachs a réalisé un bénéfice net de 8,47 milliards de dollars en 2019. « En 2019, l’entreprise a reversé 6,88 milliards de dollars de capital aux actionnaires ordinaires, dont 5,34 milliards de dollars de rachats d’actions et 1,54 milliard de dollars de dividendes sur les actions ordinaires ». « Son taux d’imposition effectif pour 2019 était de 20,0 % »et était de 16,2 % pour l’année complète 2018 ".
  • BlackRock, le plus grand gestionnaire d’actifs avec 7 430 milliards de dollars d’actifs et fournisseur de nombreux fonds d’investissement indiciels à court terme, a réalisé un bénéfice net de 4,48 milliards de dollars à la fin de 2019. Son taux d’imposition effectif était de 22 % en 2019 et de 20 % en 2018. La rémunération totale des dirigeants et des employés s’est élevée à 4,47 milliards de dollars. Le total des dividendes versés a été de 13,2 dollars par action. Le 23 mars, BlackRock a annoncé le versement de 3, 63 dollars par action pour ses bénéfices de 1,92 milliard de dollars réalisés au cours du quatrième trimestre 2019.
  • UBS, la banque suisse qui se concentre sur la gestion du patrimoine des super-riches, a réalisé un bénéfice net de 4,3 milliards de dollars et a racheté 0,8 milliard de dollars d’actions en 2019. Son taux d’imposition effectif en 2019 était de 22,7 %.
  • Flow Traders, un opérateur à haute fréquence et teneur de marché néerlandais pour les fonds négociés en bourse, a réalisé un bénéfice de 53,1 millions d’euros en 2019, contre 160,9 millions d’euros en 2018. Son taux d’imposition était de 18,7 % en 2019. A la mi-mars 2020, le cours de son action a augmenté alors que la plupart des autres actions chutaient comme jamais auparavant.

L’impôt de survie au Covid-19 pourrait donc être une taxe qui élèverait le taux d’imposition effectif moyen à 35 % comparé au taux d’imposition en vigueur en 2019 pour chaque société financière (il semble maintenant se situer en moyenne entre 18 et 22 %).

L’impôt doit être prélevé sur les bénéfices nets pour l’année 2019. Il pourrait constituer un impôt supplémentaire si les impôts sont déjà déterminés et payés pour 2019, afin de combler la différence entre le taux d’imposition effectif en 2019 et le taux d’imposition de 35 %. Il pourrait subsister sur les bénéfices réalisés en 2020 sur les acteurs financiers spéculatifs et les industries fossiles, pour faire face à l’urgence climatique persistante.

L’impôt doit être prélevé de préférence avant le versement des dividendes sur les bénéfices de 2019 et les bénéfices du 4e trimestre (T4). Ou avant que les dividendes sur les bénéfices du premier trimestre 2020 ne soient versés par les sociétés financières qui ont déjà versé tous les dividendes, y compris les dividendes trimestriels du quatrième trimestre. L’impôt pourrait être payé en bloquant les bénéfices et en ne versant pas de dividendes et en ne rachetant pas d’actions en 2020. Quelques régulateurs financiers et même quelques investisseurs ont déjà appelé à ne pas payer de dividendes ni à racheter des actions ou à octroyer des bonus.

Les personnes à imposer dans le secteur financier devraient être en particulier celles qui ont contribué et profité des investissements et des transactions financières à court terme et spéculatives, ainsi que celles qui ont reçu des dividendes et bénéficié de rachats d’actions :

  • les banques internationales trop grandes pour faire faillite (voir la liste du Conseil de stabilité financière (CSF) de toutes les banques internationales d’importance systémique (BIIS) et les BIS nationales : pour les dérogations, voir ci-dessous) ;
  • les grands gestionnaires d’actifs, tels que BlackRock, Vanguard, State Street, Pimco, Amundi, et d’autres qui ont réalisé des bénéfices supérieurs à 500 millions de dollars ;
  • les fonds spéculatifs, les traders à haute fréquence (THF), les algorithmes de trading automatisés, les fonds de capital-investissement et autres acteurs spéculatifs ;
  • les marchés boursiers qui perçoivent des commissions de la part des opérateurs spéculatifs (THF, traders algorithmiques) pour leur permettre d’être proches des serveurs informatiques de la bourse.

Les banques ne pourraient être dispensées de l’impôt de survie au Covid-19 qu’à la stricte condition qu’elles constituent leurs réserves de capital pour faire face à la sortie de la crise du Covid-19. Les conditions sont les suivantes : elles doivent prouver qu’elles bloquent leurs bénéfices (pas de dividendes, pas de rachat d’actions, pas de bonus, pas d’évasion fiscale) pour accorder des prêts aux PME à un taux d’intérêt de 0 %, pour annuler les prêts irrécouvrables des PME ou des travailleurs indépendants ou des clients qui sont frappés par les retombées économiques du Covid-19, et pour financer (la conversion pour plus) d’activités soutenables sur le plan social et environnemental. Les grandes banques américaines ont déjà annoncé qu’elles retarderaient volontairement les rachats d’actions, mais sans conditions ni renoncement aux dividendes.

Les grandes entreprises et les sociétés cotées en bourse qui ont réalisé d’énormes bénéfices (par exemple, plus de 500 millions de dollars), qui ont des taux d’imposition peu élevés, qui ont versé des dividendes et racheté des actions, devraient également être imposées sur les bénéfices réalisés en 2019. Leurs actionnaires et opérateurs sont souvent des fonds d’investissement et autres investisseurs à (très) court terme mentionnés ci-dessus, qui font pression pour des bénéfices toujours plus élevés et votent souvent contre les résolutions en faveur de pratiques plus responsables sur le plan social et environnemental lors des assemblées annuelles des sociétés. Il n’était pas rare que les profits reposent sur des méthodes d’exploitation sociale et environnementale de la part des entreprises, ainsi que sur des pratiques d’évasion fiscale. Les inégalités et le changement climatique en sont la conséquence. Les fonds publics et les revenus des travailleurs n’ont pas été suffisants pour faire face à une crise sanitaire et économique telle que celle provoquée par le coronavirus.

Les bénéfices des entreprises inférieurs à 500 millions de dollars pourraient être exonérés d’impôts à condition qu’ils soient utilisés pour conserver les travailleurs et maintenir les chaînes d’approvisionnement durant la période du coronavirus. Après la crise sanitaire, si des bénéfices sont réalisés en 2020, ils ne devraient pas être destinés aux actionnaires, mais à la transition vers une production/des services décarbonné(e)s L’impôt devrait cibler en particulier l’industrie fossile et les entreprises qui fraudent notoirement le fisc (BigTech).

Les individus fortunés ou les bureaux de gestion de patrimoine pourraient également voir leurs impôts portés à 35 % en 2019, quel que soit le régime fiscal dont ils relèvent.

Afin qu’il soit aussi simple que possible et qu’il soit introduit rapidement, l’impôt de survie au Covid-19pourrait relever des autorités fiscales nationales.

Les pays développés devraient accepter d’allouer une partie des recettes de ce prélèvement aux pays en développement touchés par le Covid-19. Il a été révélé qu’« en deux mois seulement, les investisseurs ont vendu plus de 80 milliards de dollars d’actions et d’obligations en provenance des marchés émergents, ce qui en fait la plus importante sortie de capitaux jamais enregistrée », ce qui a entraîné une énorme dépréciation de la monnaie, des pics d’endettement et des importations coûteuses. La coopération internationale ne fonctionne pas bien pour le moment (G20, ONU) mais une partie des recettes devrait être transférée à l’ONU (aide inconditionnelle) et au FMI (allégement inconditionnel de la dette) avec le soutien du G20.

En l’absence d’une décision au niveau international d’introduire un impôt de survie au Covid-19 et sa répartition, une pression publique et politique adéquate doit être exercée pour que les pays soient disposés à introduire cet impôt, bilatéralement si nécessaire. Une campagne publique mondiale et un travail de sensibilisation pourraient lancer le processus.

Autres mesures urgentes contre les profits socialement inutiles

  • Une interdiction universelle de la vente à découvert : Afin d’éviter les profits en 2020 dus à la spéculation, des mesures visant à mettre fin aux pratiques de pari à la baisse sur les marchés financiers (d’actions, d’obligations, de fonds négociés en bourse (FNB), etc.) devraient être prises de manière coordonnée au niveau mondial. Cela pourrait également permettre d’éviter la vente à découvert d’actions ou d’obligations de sociétés qui s’abstiennent à juste titre de racheter des actions et de verser des dividendes. De nombreuses autorités financières (par exemple, les pays du G20 comme l’Indonésie, l’Italie, la France, l’Espagne et l’Inde) ont déjà (en partie) introduit une telle interdiction de manière unilatérale. Parier sur la baisse des prix, qui est une stratégie et un outil typiques des fonds spéculatifs, renforce l’effondrement et la volatilité excessifs des marchés, ainsi que les problèmes connexes interdépendants du système financier. Des fissures apparaissent déjà dans les parties les moins visibles du système financier, de sorte que les autorités financières doivent intervenir. La FED américaine a maintenant décidé de racheter des FNB sur les conseils de BlackRock !
  • Une taxe sur les transactions financières (TTF) : Étant donné que les banques centrales et les gouvernements dépensent de l’argent pour stabiliser les marchés financiers, une taxe peu élevée devrait être introduite sur chaque transaction sur les marchés financiers, en particulier pour décourager les traders à court terme à haute fréquence et spéculatifs (autre possibilité : plus ils effectuent de transactions ou plus la volatilité est élevée, plus la taxe est élevée). Les recettes pourraient être utilisées pour les dépenses de santé des gouvernements, pour financer des activités socialement et écologiquement soutenables (y compris le soutien aux plus pauvres, des salaires plus élevés pour ceux qui ont des « rôles essentiels » dans la société telles que les infirmières, les pays en développement et la lutte contre le changement climatique). Bien qu’une TTF soit politiquement paralysée depuis de nombreuses années, voire que les propositions soient édulcorées, ces circonstances exceptionnelles et les mesures de soutien financier officielles pourraient la justifier.
  • Une interdiction totale des opérations à destination des paradis fiscaux (y compris celles effectuées dans l’UE) devrait être envisagée au niveau international. En 2018, les Pays-Bas comptaient 14 000 boîtes aux lettres (entreprises non résidentes) et un bilan de plus de 4 000 milliards d’euros, soit plusieurs fois leur PIB avec des entrées d’IDE plus importantes que celles des États-Unis et de la Chine. La volonté politique mondiale a jusqu’à présent fait défaut pour s’attaquer pleinement à toutes les pratiques d’évasion fiscale, malgré de récents efforts. Toutefois, étant donné que des sommes exceptionnelles d’argent public sont nécessaires et que les banques centrales enregistrent en général les transactions vers les paradis fiscaux, il convient d’étudier comment faire appliquer et introduire rapidement une interdiction des transactions vers les paradis fiscaux. En outre, une taxe pourrait être prélevée sur les fonds transférés en retour depuis les paradis fiscaux.
  • Les pays en développement pourraient eux-mêmes introduire des taxes sur les flux de capitaux sortants à court terme et spéculatifs comme une forme de contrôle judicieux des capitaux. Par le passé, le Chili a taxé les investissements sortants qui quittaient le pays avant la première année.

Les propositions ci-dessus sont un moyen de s’assurer que non seulement les gouvernements et les banques centrales fournissent un soutien financier et s’endettent, mais aussi et surtout ceux qui ont bénéficié financièrement de manière disproportionnée d’années de politique monétaire accommodante et de réglementation laxiste. Elles portent sur des mécanismes essentiels qui ont engendré des inégalités qui ont rendu de nombreuses personnes vulnérables et le budget des gouvernements trop faible pour faire face rapidement aux besoins financiers à la suite du coronavirus. La proposition d’un impôt de survie au Covid-19 peut, et doit, faire partie d’une campagne grand public.

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