Pourtant la plupart de ces niches ne concernent qu’un nombre réduit de particuliers ou d’entreprises, au point que même Joël Giraud, rapporteur général du Budget (issu du groupe La République En Marche), fustige des « mesures adoptées uniquement pour faire plaisir à des copains », bénéficiant aux « gens aux revenus importants, ceux qui peuvent s’offrir les services d’un avocat fiscaliste » [1].
De fait, ces niches posent une réelle question d’égalité devant l’impôt : d’une part, il faut connaître leur existence pour en bénéficier. D’autre part, elles bénéficient majoritairement aux catégories les plus aisées et aux plus grandes entreprises. Elles constituent ainsi des détournements de l’argent public vers les plus riches, au détriment du financement des services publics ou d’investissements pour la transition écologique et la justice sociale.
1. Où se trouve l’argent ?
Il existe 474 niches fiscales, qui représentaient un coût de 99,4 milliards d’euros en 2019 selon la Cour des Comptes [2], auxquels s’ajoutaient 20 milliards de Crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) - devenu une baisse pérenne de cotisations sociales pour les entreprises.
Même si une étude exhaustive de ces niches serait nécessaire, les dix niches les plus importantes représentaient la moitié du coût total de l’ensemble des niches en 2019 [3], soit 50 milliards d’euros.
De plus, entre 2013 et 2019, l’État a dépensé au titre du CICE et du Crédit d’impôt recherche (CIR) respectivement 110 et 40 milliards d’euros. Créés au prétexte de diminuer le chômage et d’inciter à des investissements dans la recherche privée, ces transferts d’argent public profitent principalement aux entreprises du CAC40 qui, dans le même temps, versent des dividendes chaque année plus importants (le montant total versé en 2019 est le plus important depuis treize ans) [4]. Il n’existe aucune preuve de l’efficacité de ces mesures [5]. Allons-nous donc continuer de financer avec de l’argent public les actionnaires les plus riches ?
2. Comment le récupérer ?
Le CICE a été remplacé par des baisses pérennes de cotisations sociales, ce qui le fait sortir de la liste officielle des niches fiscales. Cependant, le rétablissement du régime tel qu’il était avant 2012 rapporterait aisément plus de 20 milliards d’euros par an.
L’application de crédit d’impôt, au même titre que celle du CIR, doit être refusée aux entreprises qui versent des dividendes cette année. Nous proposons également de sanctionner les entreprises du CAC40 ayant bénéficié du CICE et du CIR sans avoir significativement investi, embauché ou augmenté leurs dépenses de recherche ces trois dernières années : elles doivent rembourser les aides reçues.
Les dispositifs visant à l’encouragement des investissements locatifs (dispositifs Scellier, Pinel, Denormandie) ont un coût annuel d’environ 2 milliards d’euros [6], alors que leur utilité est très limitée, et qu’ils ne profitent qu’aux plus riches des particuliers. Ainsi le dispositif Pinel coûterait deux à trois fois plus cher qu’un logement social comparable [7].
Moins connu du grand public, le régime « mère-fille » permet à une entreprise de bénéficier d’une exonération d’impôt sur les sociétés sur les dividendes reçus par ses filiales, en contrepartie d’une réintégration de 5% du montant dans le résultat fiscal de la société mère. Ce dispositif est particulièrement intéressant pour les holdings. Il coûte environ 5 milliards d’euros par an au budget de l’État [8], et concerne principalement les grands groupes.
D’autres niches pourraient non pas être supprimées, mais revues à la baisse : par exemple, le crédit d’impôt emploi à domicile, qui coûte 4,5 milliards par an au budget de l’État. Il permet aux particuliers de réduire leur impôt sur le revenu de 50% des dépenses de services à la personne, dans la limite de 12 000€. Plusieurs études ont montré que ce crédit bénéficie principalement aux 10% les plus riches, et que d’autre part, une baisse du plafond de la réduction d’impôt entraînerait une baisse très limitée sur la création d’emplois [9]. De fait, la baisse du plafond concernerait essentiellement les 10% les plus riches, les autres bénéficiaires de ce crédit d’impôt étant loin d’atteindre ce plafond de 12 000€ de dépenses d’emploi à domicile.
De plus, d’autres dispositifs analogues viennent réduire les ressources de l’État alors que non seulement leur utilité est nulle, mais que de plus ils sont nocifs pour la planète :
- Les exonérations sur les énergies fossiles : 11 milliards d’euros de remboursements et exonérations de taxes concernent la consommation des énergies fossiles en 2019, ce qui avantage les secteurs polluants tout en grevant le budget de l’État.
- Les exonérations sur l’électricité : 1,3 milliards d’euros qui subventionnent les plus gros consommateurs d’électricité en France (industries, etc) au détriment de la sobriété énergétique.
- Les exonérations de taxe carbone pour les grandes entreprises : en supprimant l’exonération de taxe carbone pour les 1400 sites industriels les plus polluants du pays - ces sites étant soumis au marché carbone européen- ce sont au bas mot, 2 à 3 milliards d’euros qui pourraient rentrer dans les caisses de l’État [10].
3. Quel montant à récupérer ?
On peut aisément récupérer un montant de plus de 33 milliards d’euros, en ne visant que 4 niches fiscales : CICE, dispositifs d’encouragement de l’investissement locatif, régime “mère-fille” des entreprises et crédit d’impôt emploi à domicile. A cela s’ajoutent environ 4 à 5 milliards répartis entre le non-versement des CICE et CIR pour les entreprises versant des dividendes cette année et le remboursement par les entreprises du CAC40 ayant profité de ces crédits d’impôts sans créations d’emplois et/ou investissements dans la recherche.
Avec la suppression des exonérations sur les énergies fossiles et électrique, ce sont donc 45 milliards d’euros par an qui sont abandonnés sans contreparties, voire qui se font au détriment de notre futur commun. Ces chiffres pourraient bien sûr être largement revus à la hausse avec une étude exhaustive des niches fiscales et autres exonérations et avantages non justifiables.
Nous demandons donc au gouvernement de supprimer ces niches fiscales injustes et antiécologiques et d’étudier l’ensemble des mesures dérogatoires au régime général d’imposition.