Pourquoi est-il urgent et nécessaire de rénover l’ISF ?

vendredi 22 mai 2020, par Attac France

Le gouvernement refuse tout « retour » d’un impôt sur le patrimoine des plus fortunés [1]. Il est donc essentiel de répondre à ses arguments et à ceux des opposants à cette proposition.

Article initialement publié sur notre blog Mediapart

 

Parmi les mesures de justice fiscale proposées par Attac figure la proposition d’instaurer une contribution sur le patrimoine des plus aisés et l’instauration d’un impôt de solidarité sur la fortune (ISF) rénové, deux propositions structurellement très proches. La première se veut une mesure d’urgence, la seconde, intervenant dans un second temps, destinée à être durable. Mais en réalité, quelque soit le vocable, rien n’interdit de créer rapidement un impôt durable sur le capital.

Pourquoi cet impôt ?

Le terme « ISF » revient en force dans le débat public, rappelant que l’ISF « d’avant », quoique d’un rendement symbolique, a été supprimé par Emmanuel Macron. Cette transformation de l’Impôt de Solidarité sur la Fortune en Impôt sur la Fortune Immobilière, emblématique du début de quinquennat du Président des riches, s’inscrit dans une logique d’ensemble comprenant également la baisse progressive du taux de l’impôt sur les sociétés (qui sera ramené de 33,3 % à 25 % en 2022) et la mise en œuvre du prélèvement forfaitaire unique (lequel impose les revenus financiers et les plus-values financières au taux proportionnel et non plus au barème progressif de l’impôt sur le revenu).

La logique d’ensemble est celle d’une comédie dramatique en trois actes : favoriser la distribution de dividendes, les imposer au taux proportionnel et de ne plus imposer le stock de capital financier. Une véritable machine à nourrir la finance et les inégalités, coûteuse puisque les pertes budgétaires globales sont estimées à environ 5 milliards d’euros par an.

Faut-il parler d’ISF ou de contribution ?

L’ISF était un impôt imparfait mais hautement symbolique. Invoquer cet acronyme peut certes faire référence au « monde d’avant » alors qu’il faut se projeter vers « l’après ». Il véhicule cependant une réelle charge symbolique, rappelée par les Gilets jaunes récemment, qui est très parlante pour une population de plus en plus mécontente de l’injustice fiscale. Parlons donc ici d’ISF « rénové ».

Comment a été calculé le rendement de cette proposition ?

L’INSEE chiffre la part du patrimoine détenue par les 1 % des ménages les plus riches (16 % du patrimoine total des ménages), leurs dettes, la part de leur patrimoine constituée de l’habitation principale et celle qui relève de leur patrimoine professionnel. Il est donc possible de déterminer l’assiette globale (qui comprendrait donc l’ensemble du patrimoine financier) sur laquelle cet impôt s’appliquerait, puis, à partir d’un taux moyen, d’en évaluer le rendement global. Les 10 milliards d’euros de rendement possible estimés par Attac correspondent par ailleurs aux estimations de Thomas Piketty et de Gabriel Zucman.

Pourquoi l’ISF « rénové » serait plus pertinent que l’ancien ISF ?

Comme de nombreux impôts, l’ISF faisait l’objet d’optimisation et de fraude. Un ISF rénové ne comporterait pas autant de « niches » que l’ancien (comme l’exonération prévue par le "pacte Dutreuil" de l’ancien ISF par exemple) et l’exonération du patrimoine professionnel serait moins large. Enfin, l’abattement sur la résidence principale ne s’exprimerait plus en pourcentage de la valeur mais en montant. Par conséquent, une demeure d’une valeur de 10 millions d’euros serait imposée sur 9,5 millions (avec un abattement à 500 000 euros) et non plus sur 7 millions (comme cela était le cas avec l’ancien abattement).

L’assiette de cet impôt en serait élargie et le rendement augmenté grâce à un barème progressif. Accessoirement, plusieurs contribuables qui ne payaient que quelques centaines d’euros avec l’ancien ISF pourraient même en être exonérés.

Détestons-nous les « riches » ?

Personne ne déteste les riches : nous voudrions même que l’immense majorité de la population le soit plus. Par cette proposition, il s’agit de rééquilibrer le système fiscal, de permettre une réduction des inégalités, de dégager des ressources pour que l’action publique réponde aux urgences sanitaires, sociales et écologiques, et de renforcer le consentement à l’impôt. Ce faisant, le système fiscal respecterait mieux le principe édicté à l’article 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen selon lequel « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »

Mais, si personne ne déteste les riches (qui, comme tout le monde, bénéficient des services publics), cela ne les empêche pas de contribuer en raison de leur facultés. Et, ainsi, de mieux respecter l’immense majorité, moins riche voire pauvre, qui supporte de longue date un système fiscal très faiblement progressif.

Un ISF rénové ferait-il fuir les « riches » ?

L’idéal serait d’instaurer un ISF à l’échelle de l’Union européenne pour éviter toutes les « fuites » qui, avec l’ancien ISF, concernaient majoritairement des pays membres de l’UE. Mais il faut préciser qu’elles étaient cependant très peu nombreuses.

Les données fournies par la Direction générale des finances publiques montrent ainsi qu’en moyenne, entre 1997 et la fin de l’ISF, ce sont 0,2 à 0,3 % des redevables de l’ISF qui quittaient le territoire chaque année (pour des raisons fiscales mais aussi personnelles, professionnelles, etc). Le comité d’évaluation de la fiscalité du capital [2] précise par ailleurs à propos du patrimoine des « exilés fiscaux » que « ce montant d’actif net imposable des redevables de l’ISF partant chaque année reste faible si on le compare à l’actif net de l’ensemble des redevables de l’ISF : il en représente environ 0,3 % entre 2004 et 2010, 0,5 % de 2011 à 2013, 0,4 % en 2014 et 2015. Cette part redescend à 0,2 % en 2016 et à un minimum de 0,1 % en 2017. » Certains redevables reviennent également après quelques années passées à l’étranger et paient à nouveau de l’ISF. Selon le comité d’évaluation, « sur la période 2004-2016, l’ISF payé par les redevables de retour en France a oscillé entre 0,05 % et 0,21 % des recettes d’ISF ». Pour une vision complète, il aurait aussi fallu mesurer le nombre d’étrangers aisés s’installant en France et payant l’ISF. L’impact de « l’exil fiscal » lié à l’ISF sur les recettes budgétaire est donc particulièrement marginal, ce qui rejoint d’ailleurs pleinement l’analyse dressée par Solidaires Finances Publiques en 2010 et 2012 [3].

Aucune étude ne fait par ailleurs ressortir d’impact négatif sur l’investissement. Ce qui s’explique aisément : lorsqu’un redevable quitte le territoire, la perte théorique maximum pour l’économie se réduit à son patrimoine financier puisque le patrimoine immobilier reste sur le territoire. Or, une partie de ce patrimoine financier reste investie en France. Sachant par ailleurs que les plus fortunés qui résident en France n’investissent pas que dans l’économie française. Par ailleurs, tous ne sont pas des investisseurs : les départs des spéculateurs n’est pas une mauvaise nouvelle.

Pas une solution miracle mais une idée légitime et nécessaire

Certes, instaurer un ISF qui dégagerait 10 milliards d’euros de recettes par an ne suffira pas et ne constitue pas une solution miracle. C’est pourquoi Attac propose d’autres mesures de justice fiscale, pour un montant de 128 milliards d’euros par an.

Mais, dans la période, une telle rentrée serait utile. Outre des recettes supplémentaires, un ISF rénové présente au moins deux autres avantages : il donne un outil de réduction des inégalités patrimoniales (les plus importantes), ce qui est une fonction essentielle de l’impôt ; il envoie le signal que la fiscalité est moins injuste, ce qui constitue un début de réponse à un sentiment qui pèse lourd dans la crise démocratique que nous connaissons.

Notes

[1Bruno Le Maire a exclut tout remise en place de l’ISF, estimant que cela serait « de la pure démagogie ».

[2Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital, Premier rapport, France Stratégie, octobre 2019.

[3Rapports sur les expatriations fiscales de 2010 et de 2012.

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