[NOTE] Pour un choc de solidarité

vendredi 22 mai 2020, par Christiane Marty, Pierre Concialdi, Thomas Coutrot

Le choc économique brutal consécutif à la crise sanitaire nécessite des mesures urgentes. Au-delà, il impose aussi de réinscrire la question de la répartition des ressources dans un cadre global avec le double objectif : d’une part établir un socle commun d’égalité aux ressources les plus nécessaires et, d’autre part revenir à un niveau écologiquement soutenable de nos consommations.

1. Des mesures d’urgence sociale

L’urgence sociale grandissait dans notre pays bien avant la crise sanitaire, notamment sous l’effet des politiques d’austérité menées depuis plus de 30 ans. Celles-ci se sont fortement durcies avec le gouvernement actuel, en particulier à l’égard des populations les plus démunies, touchées de plein fouet par diverses mesures : baisse des APL, réforme de l’assurance chômage, quasi-gel du salaire minimum, « sacrifice » des services publics de santé et d’éducation, réduction des pensions de retraite....

Le choc économique consécutif aux mesures de confinement a eu des conséquences brutales sur l’activité, avec une baisse de l’activité évaluée à environ un tiers. Celle-ci se concentre sur certains secteurs et, par conséquent, sur les revenus de certaines catégories sociales. On estime qu’environ 35 % des actifs ont subi une baisse, partielle ou totale, de leurs revenus d’activité. Artisans et commerçant.es (67%) ; ouvrier.es (48%) et employé.es (34%) sont les plus touché.es.

Pour les précaires et les pauvres d’hier, comme pour celles et ceux que la crise sanitaire frappe le plus durement aujourd’hui - ce sont en partie les mêmes - des mesures d’urgence sociale sont nécessaires. Le gouvernement déploie des centaines de milliards d’aides pour « la survie des entreprises ». L’urgence sociale commande d’avoir des politiques au moins aussi ambitieuses pour assurer une vie décente et préserver la santé physique et psychique de ces populations en grande difficulté. L’objectif de ces mesures d’urgence est de desserrer la contrainte budgétaire qui pèse sur ces ménages, ce qui peut passer par deux grands types de mesure :

  • une action sur les revenus, afin d’atténuer le choc de la baisse des revenus d’activité ;
  • une action sur les dépenses des ménages, afin de leur permettre de faire face aux dépenses indispensables et atténuer ainsi les tensions budgétaires.

Pour les catégories les plus pauvres, le gouvernement a annoncé le 15 avril une aide ponctuelle. Mais celle-ci comporte 3 types de limites :

  • limites de son champ d’application : elle ne concerne quasiment pas les jeunes de moins de 26 ans, souvent en intérim, en CDD ou autoentrepreneurs, et donc particulièrement frappés par les pertes d’emploi : ils restent à ce jour exclus du bénéfice du RSA ;
  • elle ne concerne pas tous les allocataires de minima ni tous les bénéficiaires de l’allocation logement ;
  • limite de son montant : son montant est faible, équivalent en moyenne pour les allocataires des APL à la perte cumulée consécutive à la baisse uniforme de 5 € décidée en août 2017 ;
  • limite de sa durée : elle est ponctuelle, alors que le confinement aura duré au moins deux mois et que ses conséquences sur les revenus risquent de se faire encore sentir pendant plusieurs mois.

Par ailleurs, la crise sanitaire a démontré aux yeux de toutes et tous le caractère vital de certaines professions, souvent majoritairement féminines, marquées par les bas salaires, le temps partiel contraint et la précarité. Les métiers du soin des autres et de l’environnement, jusqu’ici peu considérés et mal rémunérés (soignant.es, enseignant.es, aides à domicile, assistantes maternelles, caissières, éboueurs, égoutiers, agent·es d’entretien…), apparaissent désormais comme indispensables entre tous. Il est impossible de différer la reconnaissance et la revalorisation de ces professions, tant du point de vue des salaires que des conditions de travail (notamment le droit de passer à temps plein) et de l’élaboration de parcours professionnels.

A court terme ces constats imposent de procéder à un relèvement général d’au moins 10 %, dans un premier temps, de tous les minima sociaux, du salaire et de la retraite minimum, et à l’octroi du droit au RSA pour les jeunes de moins de 26 ans. Non seulement il faut acter la suppression définitive de la réforme en cours des APL, de l’assurance chômage et des retraites, mais il faut décider un élargissement des droits permettant à tous les demandeurs d’emploi de bénéficier d’une indemnisation.

Plus généralement, le gouvernement a mis en place certaines mesures de soutien aux revenus, principalement à travers le chômage partiel pour les salarié.es. Pour les indépendant.es, il a allégé temporairement et en partie le paiement de certaines de leurs cotisations sociales et de certains loyers. Ces mesures restent insuffisantes pour au moins trois raisons.

En premier lieu, parce que les personnes sans-papiers et/ou celles qui travaillent sans être déclarées se trouvent exclues des mesures de soutien. Ces personnes doivent pouvoir bénéficier d’une aide d’urgence en fonction de leur nombre d’enfants et autres personnes à charge. La situation ne fait que souligner la nécessité d’une régularisation définitive des sans-papiers, alors que le gouvernement se contente de prolonger de trois mois les titres existants.

Ensuite, parce que la compensation de la perte de revenus reste partielle, qu’elle ne concerne pas tous les salarié.es et qu’elle exclut les indépendant.es. Pour ces dernier.es, des mesures de soutien des revenus analogues au chômage partiel sont nécessaires. Cette allocation temporaire de soutien pourrait être calculée, comme pour les indemnités journalières en cas de maladie des indépendant.es, sur la base du revenu annuel moyen des trois dernières années et être encadrée par un plancher et un plafond.

Enfin, parce que compte tenu de certaines dépenses contraintes, la perte de revenus se répercute directement et intégralement sur le budget disponible pour subvenir à d’autres besoins essentiels, comme l’alimentation, ce qui risque de placer certains ménages dans des tensions budgétaires insupportables. Dans la mesure où les dépenses fixes de logement représentent l’essentiel (les deux tiers) de ces dépenses contraintes, un moratoire des loyers et autres charges liées au logement (électricité, gaz,…) est nécessaire.

Avec la crise sanitaire, plusieurs pays ont déjà mis cette mesure en œuvre, s’appuyant sur un fonds de garantie et d’aide au paiement de ces charges de logement. En Espagne, un moratoire a été mis en place sur les mensualités de remboursement des prêts immobiliers pour les ménages, travailleurs et indépendants en situation de « vulnérabilité économique » et qui ont subi une baisse de leurs revenus. L’Italie a suspendu le remboursement de certains prêts immobiliers et bancaires. En Allemagne, le Parlement a adopté fin mars une loi qui interdit pendant deux ans les expulsions pour des loyers qui seraient impayés entre avril et juin. Ce moratoire court pendant deux ans : c’est donc seulement en juin 2022, si ces loyers n’ont pas été payés, que les propriétaires pourront demander l’expulsion.

2. Bâtir un socle minimum d’égalité : un monde socialement soutenable

Avec la mise en place des mesures de confinement, s’est posée la question du maintien de certaines activités nécessaires ou essentielles. C’est l’occasion de débattre largement de la question des politiques permettant à chacun.e d’accéder à un minimum décent pour satisfaire ces besoins essentiels afin de bâtir un socle commun d’égalité.

Dans une société encore largement marchande, cet accès passe par un minimum de revenus. Certaines des mesures précédentes y répondent (relèvement des minima sociaux et du salaire minimum). La possibilité d’accès à un emploi décent (au moins au salaire minimum) pour chacun.e en constitue aussi un des éléments. Pour de nombreuses femmes, la possibilité de se maintenir en emploi et à temps plein, malgré la présence d’enfants en bas âge ou de proches en perte d’autonomie, suppose le développement de services publics d’accueil de la petite enfance et de la dépendance.

Plus largement, la satisfaction - au moins minimale - des besoins nécessite d’avoir accès à certains services indispensables. Le développement des services publics (de santé, d’éducation, de logement,...) peut y contribuer de façon décisive. L’accès à certaines consommations (pour l’eau ou l’énergie) est tout aussi indispensable et devrait être organisé par les pouvoirs publics afin de permettre à toute la population d’avoir accès à une consommation minimum, indépendamment de ses revenus. La tarification progressive (gratuité pour une consommation de base par personne, tarif progressif ensuite) a une double vertu sociale et écologique : elle contribue à redistribuer les richesses et à réduire la surconsommation de ressources. Sa mise en œuvre devient une urgence.

Dans un monde aux ressources limitées, il n’est pas possible de permettre à chacun.e d’avoir accès à un minimum décent sans poser des limites à l’inégalité des ressources. Le projet d’un socle commun d’égalité doit donc nécessairement s’accompagner de mesures visant à plafonner l’accès aux revenus et donc aux ressources de consommation. Le plafonnement des hauts salaires (instauré temporairement par Raymond Barre en 1976) ou la mise en place de taux élevés d’imposition au-delà d’un certain revenu constituent à court terme des mesures nécessaires pour accompagner la construction de ce socle commun d’égalité à travers le développement des politiques précédentes. Ceci ne constituant qu’un des aspects d’une nécessaire refonte de la fiscalité dans un sens redistributif et écologique.

3. Vers un niveau de consommation soutenable : un monde tout simplement vivable

La réduction brutale des activités économiques a eu des effets rapides sur les niveaux de pollution. Il s’agit là d’un signe qui peut être mobilisateur pour accélérer la prise de conscience de la nécessité de réduire nos consommations pour aller vers un monde soutenable. Mais on ne peut pas non plus écarter l’hypothèse d’un surcroît de consumérisme, rendu encore plus désirable par la révélation de sa fragilité. L’urgence écologique n’a aucunement disparu, notamment en raison de l’effet de long terme des émissions de gaz a effet de serre (GES) accumulées depuis bien longtemps.

Cette menace impose, non seulement de réduire globalement nos consommations, mais aussi d’en réduire fortement l’empreinte écologique. Même avec un niveau de consommation qui se situerait pour tou.tes les habitant.es des pays développés au niveau du minimum décent, l’empreinte écologique de ces consommations resterait – dans l’état actuel de leur mode de production - bien supérieur (de près de 40%) à ce qui serait nécessaire pour contenir le volume des GES dans des limites soutenables.

Personne ne peut prétendre aujourd’hui avoir de solutions « clés en mains » pour affronter ce problème urgent. C’est en mobilisant à la fois l’expertise concrète des citoyen·nes et les savoirs « experts » que l’on peut espérer apporter des réponses à ce problème.

L’expertise concrète citoyenne porte d’abord sur l’identification de leurs besoins, de ce qui est nécessaire. La période de confinement nous a amenés, peu ou prou, à réfléchir à cette question qui avait déjà fait auparavant l’objet de délibérations collectives dans certains travaux, notamment ceux menés par l’Observatoire National de la Pauvreté et des Exclusions Sociales sur les budgets de référence. Cette délibération doit être désormais engagée à une échelle plus large afin, en résumé, de faire plus précisément le tri entre le superflu et le nécessaire.

L’expérience citoyenne porte aussi sur les conditions concrètes qui permettent au quotidien de satisfaire ces besoins. Dans le monde capitaliste, nombre de ces besoins ont été colonisés, en quelque sorte, par les désirs, ce qui impose de les satisfaire d’une façon étroitement contrainte par l’offre capitaliste marchande. Celle-ci impose des consommations superflues, d’une part, et y répond par des productions qui sont loin d’être compatibles avec les exigences écologiques, d’autre part. Des initiatives sont déjà prises au niveau local pour proposer des solutions alternatives. Il est nécessaire de les encourager et d’en tirer, collectivement, les enseignements en s’appuyant également sur les savoirs « experts » ou techniques disponibles.

Tout cela ne se fera pas bien sûr sans une profonde remise en cause des processus de décision et des rapports de force qui les gouvernent actuellement. Promouvoir la démocratie économique, sociale et politique est une des conditions indispensables à la réalisation de cette transition nécessaire.

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