La Coop des masques n’aurait pas dû mourir

vendredi 21 octobre 2022, par La Coop des masques

Nous sommes au début de la huitième vague de la pandémie de Covid-19 et la Coop de Masques est en dépôt de bilan. Comment en est-on arrivé là ?

Au début de la pandémie de Covid-19, l’État voulait créer une capacité de production de masques qui nous garantisse une autonomie sanitaire. Les prévisions de commandes de masques ont été la base des prévisions des producteurs qui se sont lancés dans cette activité ainsi de ceux qui les ont financés, dans le public comme dans le privé.

Finalement, le taux d’importation de masques (principalement depuis la Chine) dans les appels d’offre publics est passé de 95% avant la période Covid à 97 % entre Septembre 2020 et l’été 2021, d’après le syndicat des producteurs de masques français. Cette situation fait suite à des épisodes précédents ou un soutien de l’État a encouragé le développement d’unités de production partout en France. Le cahier des charges introduit en février 2022 afin de favoriser les producteurs français en recommandant l’application d’une clause imposant la production des masques et matières premières en Europe n’a pas transformé le comportement des acheteurs qui ont toujours pour principal critère le prix et non l’origine de la production ou la qualité.

Les masques importés ne sont pas contrôlés par les services des douanes faute de moyens, ce qui place les producteurs français en position de désavantage concurrentiel sur leur propre marché puisqu’ils font l’objet de contrôles minutieux et longs pour commercialiser. Qui demande si les masques commercialisés dans les supermarchés et sur Amazon sont bien aux normes ? Qui s’interroge sur les conditions de travail dans les usines ? Qui souhaite connaître l’empreinte environnementale des masques au cours du cycle de vie du produit ? Nous n’en savons jamais que ce que nous en disent les services de communication des entreprises concernant les engagements des entreprises en terme de responsabilité sociale et environnementale.

Un silence complice s’est imposé. Les producteurs français de masques sont en forcés de casser les prix pour tenter de concurrencer les prix de ces masques importés tout en maintenant leur exigence de normes qualité, sur un marché limité dont les prévisions de croissance sont finalement faibles. Cela laisse très peu de marge pour innover et investir dans des masques ou d’autres équipements de production plus durables. Notamment, les machines de metblown qui ont été achetées avec des aides d’État sont finalement un désavantage concurrentiel puisque rien ne permet de valoriser la production locale et les circuits courts, que les capacités de production de melt sont désormais trop nombreuses en France et Europe et que ceux qui achètent directement leur metblown en Chine le paient moins cher puisque le cours du metblown s’est effondré. En accordant un prêt d’honneur aux entreprises qui souhaitaient acquérir les fameuses machines, le prêt a finalement représenté le baiser de la mort, endettant durablement les entrepreneurs qui se basaient sur les prévisions de croissance du marché et sur le cahier des charges des commandes d’État qui devaient correspondre à la production locale, durable. Les services de l’État ont bien misé sur ce cahier des charges, ils l’ont même imposé en proposant de compenser le surcoût au niveau hospitalier. Mais les acheteurs des différentes structures publiques et privées ont l’autonomie budgétaire. Pour des structures publiques comme les hôpitaux et les universités qui sont mises à mal par des budgets d’austérité depuis des années, chaque centime compte. Lorsque des commandes sont possibles, il faut toujours choisir le moins disant. Les habitudes sont prises, les commandes se font hors de France. L’on pourrait penser que les masques ne sont jamais qu’un produit secondaire dans notre stratégie industrielle. Mais, comme le souligne Nicolas Dufourcq, le directeur général de la BPI, dans son ouvrage La désindustrialisation de la France, 1995-2015 qui vient de paraître. Il écrit : « Qu’est-ce que le déficit commercial ? Un déplacement de fonds propres, une tranche de capital des Français transférée vers l’étranger pour créer des emplois là-bas plutôt qu’ici. Rien qu’avec notre voisin (allemand), 80 milliards d’euros par quinquennat désormais. C’est le prix du drame dont ce livre est le récit. » [1] Après sept ans de réflexion, en 2022, le drame s’amplifie malgré les investissements publics qui ont été consentis durant la pandémie et qui vont imposer aujourd’hui de nouveaux sacrifices aux contribuables et aux services publics afin de compenser les déficits. La Coop de Masques a été créée pour réparer l’erreur de la fermeture de l’usine de Plaintel par le groupe Honeywell qui a délocalisé en 2018 dans une période de force majeure où équiper la population de masques était une priorité nationale. Aujourd’hui, la guerre en Ukraine, le coût de l’énergie ont-ils changé les priorités alors qu’une huitième vague pandémique s’annonce et que nos approvisionnements sont menacés par l’incertitude sur le commerce mondial ?

En précipitant le dépôt de bilan de la Coop de Masques comme tant d’autres structures qui n’ont pas remporté d’appels d’offres, certains semblent croire qu’il faut choisir les meilleurs du marché. Cela suppose de sélectionner les sous-traitants les moins chers mais aussi de mettre un terme à des expériences locales et coopératives qui ne sont pas compétitives en termes de prix. Cela devient une erreur de chercher à introduire de la coopération et de la solidarité dans le secteur du sanitaire et social. Parce que les masques sont vendus quelques centimes de plus que des masques importés de Chine, c’est l’échec. La responsabilité individuelle des entrepreneurs, du conseil d’administration et des salariés est mise en cause. Ils ont commis l’erreur de croire que les aides de l’État souhaitaient réindustrialiser la France et réguler le marché dans un secteur essentiel pour la santé des personnes et la vie du pays. Ils n’ont pas imaginé qu’après tous ces efforts, seul le prix compterait pour les clients et que l’État les laisserait choisir et non l’autonomie stratégique de la France face aux pandémies ? Si demain la Chine ne livre pas ses quelques 1,7 millions de masques à la Préfecture de police de Paris, ses 5 millions de masques aux armées et au moins autant à la Région Hauts de France qui n’a pas inclus la clause de préférence européenne dans son appel d’offres malgré les rappels du syndicat des producteurs de masques français, cela promet de nouveaux pugilats sur les tarmacs.

Alors que les aides publiques à destination des entreprises se chiffrent à au moins 157 milliards d’euros par an, ce qui en fait le premier poste du budget de l’État [2], l’incohérence de la politique des achats en France fait, ce n’est pas seulement la Coop de Masques qui est menacée, c’est toute la filière française de production de masques, c’est la démocratie sanitaire et c’est aussi la croyance qu’il est possible de mettre un terme à la désindustrialisation de la France. La coop de Masques représente l’espoir d’une réindustrialisation de la France, d’une pluriactivité dans une région comme la Bretagne qui peine à transformer sa mono-activité agro-industrielle et une vraie démocratie sanitaire fondée sur la confiance grâce à un marché régulé.

La Coop de Masques n’aurait pas dû mourir. Elle avait une utilité sociale et des structures comme celle-là toujours au principe d’intérêt général.

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