L’Union européenne : invisible dans la crise

vendredi 3 avril 2020, par Peter Wahl

L’Europe est devenue l’épicentre de la crise du Covid-19. Toutefois, l’Union européenne joue un rôle pour moins minime dans sa gestion. La crise révèle que les ressources politiques, financières, législatives et culturelles les plus importantes sont toujours entre les mains des États-nations. L’UE, qui gère une crise qui n’en finit pas depuis 2008, est confrontée à des temps encore plus rudes.

223 412 cas confirmés d’infections et 13 535 décès ont été recensés au sein de l’UE alors que l’écriture de cet article se terminait au matin du 26 mars. Les média parleront à peine de ces chiffres. Parce qu’au contraire du PIB ou des indicateurs du même acabit, qui font la fierté de l’UE, ces chiffres racontent une histoire sombre. En particulier lorsqu’on les compare à la Chine, qui semble dans le même temps avoir pris le contrôle de la situation (81 738 cas, 3 291 décès - tout en comptant trois fois plus d’habitant.e.s que l’UE). Et le pire reste à venir. La suffisance occidentale hautaine qui a accompagné le déclenchement de l’épidémie et la gestion de la crise en Chine prend sa revanche. Une telle chose est impossible ici ! - est l’illusion collective des classes dominantes et de leurs médias. C’est seulement lorsque la pandémie a échappé à tout contrôle en Lombardie qu’il est devenu évident qu’un tsunami nous arrivait dessus. Mais du coup un temps précieux avait déjà été perdu. C’est avant le déluge qu’on construit l’arche.

Les services de communication de la Commission européenne étaient encore occupés à s’en prendre à Boris Johnson alors que les négociations du Bexit approchaient, une frénésie monstre s’est déclenchée parmi les États membres. Les frontières ont été fermées de manière unilatérale. C’est la première fois depuis la fin de la Second Guerre mondiale que des mesures issues de l’arsenal de l’état d’urgence ont été adoptées, laissant de profondes marques dans l’espace public, l’économie et les libertés individuelles. Parallèlement, d’énormes mesures d’aides étaient annoncées et le Président français, sans perdre la face, a profité de l’occasion pour mettre à la poubelle son projet de réforme néolibérale du système de retraites qui avait suscité une résistance spectaculaire depuis des semaines.

Après le terrorisme islamiste et la crise du capitalisme financier en 2008, le côté sombre de la mondialisation nous a à nouveau frappé.e.s de toutes ses forces. Cependant, l’UE, qui a toujours été l’un des acteurs les plus actifs de la mondialisation, apparaît comme l’un des perdants probables de la présente crise. Pourtant, une fois de plus, il apparaît évident que ses structures, ses instruments et ses procédures de décision ne sont que des constructions de paille qui se sont depuis longtemps montré incapables de faire face aux défis les plus grands de notre temps, sans parler de gérer une épidémie aussi extraordinaire que la présente pandémie.

En finir avec les illusions sur l’UE

Sans surprise, les partisan.e.s de « Plus d’Europe » se plaignent avec amertume que Bruxelles ait été laissée de côté dans la gestion de la crise du Covid-19 : « Quand la situation se dégrade, les égoïsmes nationaux en Europe sont toujours plus forts que n’importe quel appel international à la solidarité » écrit de manière symptomatique Martina Meister dans Die Welt (20 mars 2920, p. 3).
Mis à par la pertinence de parler de l’UE et de l’Europe de manière équivalente, les idées fausses fondamentales qui saturent tant de débats autour des politiques européennes se sont révélées une fois de plus, à savoir que l’UE est un État tout comme les États-Unis, la Chine, l’Inde ou la Russie, et qu’elle dispose des marges de manoeuvre correspondantes. Toutefois, il doit être sans cesse souligné que l’UE n’est pas un État mais une entité sui generis, une construction singulière, un objet politique hybride en matière de souveraineté. Elle est constituée de deux éléments de base, d’une part une alliance d’États-nations - qui n’a rien de spécial et existe ailleurs - et d’autre part, des éléments supranationaux tel que le marché unique ou les soit-disant politiques communautaires dans les secteurs de l’agriculture ou du commerce.

Cette combinaison conduit à une construction hybride et complexe, qui n’avait à l’origine vocation qu’à être une phase de transition qui aboutirait à l’établissement d’un véritable État territorial, les États-Unis d’Europe. Il apparaît désormais évident que rien ne sortira de cette vision. L’intégration est au pojnt mort, et les stratégies divergentes dominent aujourd’hui. Les Britanniques sont partis, les divisions internes entre Est et Ouest, le Sud et le Nord s’accroissent, la France et l’Allemagne, les membres et les non-membres de la zone euro, petits et grands États, favorables ou anti-immigration, les contributeurs nets et les bénéficiaires, etc ; Les tensions internes et les forces centrifuges se renforcent. Dans cette situation, cette nouvelle crise s’invite en catastrophe en haut de l’agenda politique.

De plus, la politique de santé ne relève pas des compétences communautaires, c’est-à-dire qu’elle ne fait pas partie des compétences supranationales de l’UE. A l’inverse, elle reste du ressort de chacun des États membres. Toutefois, cela n’empêche en aucun cas Bruxelles de recourir à d’autres leviers d’action pour s’immiscer indirectement dans la gestion des systèmes nationaux de santé, par exemple, par le biais de la politique de la concurrence. Ainsi, par le passé, une pression à la privatisation des services de sécurité sociale a été exercée avec constance, et ce faisant a marchandisé la santé. Il va sans dire que ni l’UE ni le capitalisme ne sont responsables de l’apparition du Covid-19. Mais l’incapacité des systèmes de santé ravagés à faire face à une pandémie de l’ampleur de celle que nous connaissons actuellement est à mettre en lien avec le capitalisme néolibéral que l’UE a promu de toutes ses forces.

Le retour en grâce de l’État-nation

Cette crise signe le retour en grâce de l’État-nation. Il apparaît évident que les ressources financières, juridiques, politiques et culturelles les plus importantes sont toujours entre ses mains. L’affirmation selon laquelle la mondialisation a rendu l’État-nation obsolète a une fois de plus été démentie par les faits.

On peut ne pas aimer l’État-nation, néanmoins, il faut reconnaître en toute honnêteté qu’aucune autre forme de socialisation de grande ampleur n’a à ce jour été découverte qui aurait une telle capacité de transformation de la société. De plus, jusqu’à aujourd’hui, c’est la seule forme de socialisation qui rende la démocratie parlementaire et l’État-providence possible. En d’autres termes, il accomplit tout ce que l’UE n’est pas en mesure d’offrir.

Par ailleurs, l’objectif de l’UE n’est pas de dépasser l’État-nation comme beaucoup de fans de l’UE issu.e.s de la gauche libérale et de la gauche du spectre politique voudraient nous faire croire. L’objectif d’apparence noble des États-Unis d’Europe est de le reproduire sous la forme d’une grande puissance. L’épidémie de Covid-19 elle-même nous en fournit une illustration frappante. Alors que s’exprime d’un côté des plaintes quant au manque de solidarité, de l’autre, là où la Commission détient des pouvoirs, comme en matière de politique commerciale, Bruxelles a décrété une interdiction stricte d’exportation de respirateurs et d’autre matériel médical nécessaire à la lutte contre le virus. Laissons « les autres » s’occuper de leurs problèmes - l’UE d’abord ! En conséquence, la Serbie par exemple, le voisin européen de l’UE et candidat à l’adhésion s’est vu obligé de se tourner vers la Chine pour obtenir de type de matériel.

Il va sans dire que l’État-nation comporte également des dangers. Il s’agit d’un État et il est donc intrinsèquement porteur de pouvoir et de domination. Cela est particulièrement périlleux lorsque le pouvoir de l’État de gouverner la société est couplé à la croyance dans la supériorité de ses propres intérêts aux dépens des autres. En d’autres termes, là où l’idéologie nationaliste rentre en ligne de compte, cela devient dangereux. Mais il ne s’agit en rien d’une fatalité. Tous les États-nations n’ont pas été à l’origine de deux guerres mondiales et assassiné six millions de juifs et de juives.

Oublions le pacte de stabilité ! Le temps des « mesures non conventionnelles » est venu

Bien que l’État-nation soit l’acteur le plus important du dénouement de la présente crise, cela ne signifie pas que toute coopération internationale soit superflue. Au contraire, elle est plus importante que jamais. Et pas seulement en matière de crise du Covid-19, mais également en ce qui concerne les enjeux climatiques et environnementaux globaux, les relations économiques internationales, assurer la paix, etc.

Mais pour ce faire, nous devons devons nous libérer de la camisole de force du supranationalisme et rompre avec le sentier de dépendance au néolibéralisme qui nous est imposé par l’UE. La problématique demeure de savoir si l’épidémie fera advenir le changement de paradigme en matière de politique économique trop longtemps différé.

D’une manière ou d’une autre, la pandémie de Covid-19 va mener à une dure récession. Ses conséquences économiques se feront sentir pour longtemps encore. Il était par conséquent bienvenu que quelques uns des États membres, et notamment les poids lourds tels que l’Italie, la France et l’Allemagne, se soient montrés volontaires et aient annoncé des mesures importantes de sauvetage. Il est clair que les critères de Maastricht peuvent ainsi être jetés aux oubliettes pour le moment, tout comme le pacte de stabilité. Par conséquent, la Commission a désormais officiellement suspendu le pacte de stabilité. La probabilité que ce que zombie bizarre fasse un retour après la crise apparaît plutôt mince.

La BCE a également adopté un programme d’urgence pour la zone euro qui s’élève à 750 milliards d’euro, dont la somme va sans aucun doute être accrue. Nous allons pouvoir observer comme la banque centrale met à disposition des fonds qui paraîtront sans limite. Pour ce faire, la monnaie n’a même pas besoin d’être imprimée puisque tout est maintenant numérique. Pour leur part, les pays non membres de la zone euro ont commencé à faire usage de leur souveraineté monétaire pour mettre en oeuvre de vastes programmes de sauvetage.

Il reste à voir si le MES (mécanisme européen de stabilité), qui a pour fonction de d’empêcher les défauts souverains dans la zone euro, va également être mobilisé. Son allocation de fonds est conditionnée à l’application de politiques d’austérité. D’un autre côté, le MES n’appartient pas au système de régulation de l’UE et a été créé par un accord purement intergouvernemental et pourrait de ce fait, être facilement modifié.

L’interventionnisme étatique va donc connaître une renaissance inattendue, du fait d’un fondamentalisme de marché sur la défensive. Une question stimulante consiste à se demander si cela peut être renversé lorsque la crise sera terminée. Ces temps-ci, on peut entendre maintes déclarations telles que « Et après la crise - c’est certain - le monde ne sera plus comme avant ». Ce serait bien, assurément, mais comment peut-on en être si sûr ? La citation précédente est extraite d’une entrevue avec le ministre des Finances allemand, Peer Steinbrück dans l’hebdomadaire Spiegel en date du 29 septembre 2008. Depuis, nous avons constaté que pas grand chose n’avait changé. Mais peut-être que cette fois, nous pouvons nous en sortir différemment et la poésie de Bertolt Brecht datant de 1952 s’avèrera enfin fausse : La mémoire humaine en matière de souffrance endurée est étonnamment courte".

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