Face à la pénurie de masques, un projet de coopérative de production

jeudi 16 avril 2020, par Attac France

L’usine Honeywell à Plaintel (Côtes-d’Armor) fait partie de ces sites qui ont fermé bien que rentables, entrainant le licenciement de 300 salariés. Ce scandale social se double, on le découvre aujourd’hui, d’un scandale sanitaire, puisque cette entreprise pouvait au moment de sa fermeture en 2018 produire 200 millions de masques de protection sanitaire par an. Dans l’entretien ci-dessous, Serge Le Quéau, militant d’Attac et de Solidaires 22 revient sur un projet né au début de la crise du coronavirus, consistant à reprendre cette entreprise sous la forme d’une coopérative et à faire redémarrer la production de masques.

Cet entretien sera également publié dans "Un virus très politique", la série de livres en ligne publiés par les éditions Syllepse que nous remercions.

Le 26 mars dernier vos avez dénoncé ce qui constituait à vos yeux un scandale d’État, la fermeture de l’usine Honeywell à Plaintel (Côtes-d’Armor). Pourquoi cette accusation ?

La pandémie du coronavirus partie de Chine s’est développée à travers toute la planète à grande vitesse. Elle n’a évidemment pas épargné notre pays. Très vite, nous nous sommes aperçus, comme tout le monde, que les stocks d’équipements de protection sanitaire (masques, vêtements de protection, etc.) dont disposaient les autorités publiques pour protéger la population, étaient totalement dérisoires. Face à la pandémie virale, nous faisons face à une dramatique pénurie de masques.

Face à cette situation, nous nous sommes souvenus qu’il existait dans notre département (les Côtes d’Armor) une usine de fabrication de masques et de vêtements de protection sanitaires, une usine dont les capacités de production étaient énormes. Située à Plaintel, elle pouvait en effet produire 200 millions de masques par an, près de 20 millions par mois. Elle était équipée de huit machines ultra-modernes capables, pour certaines, de produire 4000 masques à l’heure. Or, cette usine avait été fermée en fin 2018 par le groupe multinational américain Honeywell.

En tant qu’organisation syndicale interprofessionnelle, Solidaires 22 a repris contact avec les ancien.es salarié.es de l’usine ainsi qu’avec les responsables des sections syndicales CGT et CFDT. L’objectif était d’obtenir des informations sur les raisons avancées par Honeywell pour justifier la fermeture de son usine. Nous voulions aussi comprendre pour quelles raisons, fin 2018, il n’y avait pas eu, ou très peu, de réactions des autorités locales et nationales pour s’y opposer. Nous voulions aussi comprendre pourquoi les appels à l’aide des sections syndicales CGT et CFDT de l’usine de Plaintel, adressées au Président de la République, Emmanuel Macron, et au ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, étaient restés lettres mortes.

C’est au cours de cette enquête que nous avons découvert ce qui n’avait jamais été révélé avant la publication de notre communiqué de presse du 26 mars dernier. Non seulement Honeywell avait délocalisé sa production de masques en Tunisie et en Chine, non seulement cette firme avait bénéficié d’aides publiques considérables et sans contreparties, mais elle avait en outre vendu et fait détruire ses machines de fabrication de masques auprès un ferrailleur !

Une fois bien informés, nous avons voulu mettre en lumière et rendre public l’ampleur du désastre, au point de vue sanitaire mais aussi économique et social, que représente la fermeture de l’usine de production de masques de protection sanitaire de Plaintel.

L’Union syndicale Solidaires est implantée dans un grand nombre d’hôpitaux et d’EHPAD de la région. Nous connaissons parfaitement les risques qu’encourent les personnels soignants de ces établissements, s’ils ne disposent pas de moyens de protection adéquats. Nous nous sentons donc pleinement concernés et ne pouvions pas ne pas agir.

De plus, pour Solidaires, la fermeture de cette usine représente un condensé édifiant de tout ce que le capitalisme financier international, soutenu par des politiques néolibérales peut produire comme horreur, comme absurdité, comme aveuglement. L’histoire de l’usine de Plaintel doit faire ouvrir les yeux aux dirigeants politiques et administratifs. De l’argent public a été dépensé pour casser des capacités humaines et matérielles de production de haut niveau, sur le territoire national, dans un domaine touchant à la sécurité sanitaire de tous. Les responsables des pouvoirs publics disaient, il y a quelques mois seulement : « Garder cette usine n’est pas un enjeu d’intérêt public. Laissons faire les lois du marché ! Si, un jour, nous avons besoin de ces matériels, nous les importerons de Chine ou de Tunisie ! » Nous avons vu le résultat de cette confiance aveuglément placée dans le marché global. La France manque toujours de masques, plus de deux mois après le début de la crise.

Notre communiqué intitulé « Que se cache-t-il derrière la fermeture du l’usine Honeywell de Plaintel ? Un scandale d’État ! » a obtenu un succès retentissant. En quelques jours, plus de 45 000 personnes l’ont lu sur la page Facebook de Solidaires Côtes d’Armor ; 1100 personnes l’ont également partagé et commenté (dont plusieurs personnalités associatives) et politiques qui l’ont largement diffusé sur les réseaux sociaux. Puis les médias régionaux et nationaux s’en sont emparés, que se soit la presse écrite ou audiovisuelle, en lui donnant un écho qui a dépassé nos frontières. Même des média russes et japonais en ont parlé !

Vous proposez la création d’une société coopérative industrielle qui reprendrait les activités. Pourquoi une coopérative et non pas la nationalisation qui permet d’avoir la garantie de l’État ?

Dans le communiqué du 26 mars, nous proposions de relancer la production de masques et de vêtements de protection sanitaire en créant un Etablissement Public d’intérêt Commercial (EPIC) ou d’une Société Coopérative (SCOP). Dès le départ, nous avons pensé à créer une Société Coopérative d’intérêt Collectif (SCIC), un modèle juridique dont nous connaissions bien l’originalité du statut, avec ses collèges multiples (salarié.es, collectivités territoriales, usagers-clients bénéficiaires). Mais nous voulions laisser la proposition ouverte. Parallèlement à ces discussions internes à Solidaires 22, nous avons rapidement pris contact avec des militants avec qui nous travaillons habituellement, notamment Attac, la Confédération Paysanne ainsi que des associations environnementales et de l’économie sociale et solidaire.

Assez rapidement, la SCIC est bien apparue comme étant la structure la plus adaptée à la situation. L’outil SCIC existe depuis 2001. Il n’a malheureusement pas suffisamment été promu et utilisé. Il n’existerait seulement aujourd’hui que 2000 SCIC en France. Créer une SCIC permet en effet d’associer tous les acteurs du territoire régional, à commencer par les salarié.es, et de les impliquer dans un projet de relocalisation de production industrielle. La SCIC permet d’ouvrir le capital social à un large spectre d’acteurs : les structures « acheteuses » des acteurs sanitaires et médico-sociaux, les secteurs d’activité grands consommateurs, etc. Elle peut aussi impliquer les acteurs collectifs ou citoyens régionaux désireux d’agir et soutenir un projet.

Le statut EPIC (entreprise d’État) pourrait répondre aussi à l’enjeu. Mais il nous parait moins adapté à l’impératif de prise en charge collective du projet. Il semble aussi plus lourd à porter, car la décision de création ne peut être prise qu’au niveau national (de l’État), donc loin du territoire concerné par la relance de l’activité industrielle. Nous pensons qu’il était imprudent de compter seulement sur l’État pour prendre en charge un tel projet et le mener à bien.

Nous doutons aussi que cette initiative puisse être réellement portée par l’équipe gouvernementale aujourd’hui au pouvoir : elle n’a jamais été sensible aux alertes répétées des salariés quant aux risques de la casse des services publics et de la mondialisation économique et financière. Les déclarations récentes du Président Macron laissent penser qu’il pourrait y avoir une ouverture dans le domaine de la santé. Mais pour ce qui est de la production industrielle, il faudra sans doute faire encore beaucoup d’efforts pour changer le logiciel qui guide sa pensée économique.

Comment concevez-vous table ronde que vous avez demandée au préfet ? Qu’en pensent les ex-salariés de la boite ?

Les ex-salarié.es de l’entreprise attendent avec impatience la tenue de cette table ronde, car elle permettra de réunir tous les acteurs concernés par le projet afin de connaître précisément le positionnement de chacun : les salariés et leurs organisations syndicales, les représentants des collectivités territoriales (la région Bretagne, la Communauté d’agglomération de Saint-Brieuc, le Conseil départemental des Côtes d’Armor), les services déconcentrés de l’État (comme la DIRECCTE et la DREAL etc..), les parlementaires déjà impliqués dans le projet... Si toutes les collectivités territoriales citées ont pris officiellement position pour soutenir le projet, le président de la Région Bretagne, Loïg Chesnais-Girard, est allé plus loin ; il a missionné officiellement Guy Hascoët, ancien secrétaire d’État à l’économie sociale et solidaire du gouvernement Jospin pour qu’il explore les possibilités de relance d’un site de production industriel de masques et publie un rapport. Le Préfet pourra donc réunir la table-ronde dès qu’il connaîtra la position officielle du Ministre de l’Économie et celle du gouvernement, sur notre projet de création d’une SCIC.

Dans la situation actuelle de crise sanitaire quelles sont les réactions à votre proposition ?

Au départ, tous les salarié.es licencié.es de l’usine Honeywell de Plaintel ont accueilli très favorablement la proposition de Solidaires. Ils nous même remercié d’avoir révélé au grand jour le scandale de la fermeture de leur usine et de l’avoir sorti de l’oubli. Ensuite la CFDT, par l’intermédiaire de ses structures départementales et régionales, est montée au créneau, y compris dans la presse, pour dénigrer notre proposition. Selon elle, cette initiative amènerait les ex-salariés d’Honeywell au casse-pipe et les bercerait d’illusions. No comment ! Par contre, le président du conseil départemental des Côtes d’Armor, Alain Cadec, a accueilli favorablement notre proposition, sous réserve que la région Bretagne s’engage à ses côtés.

Ce qui a été déterminant pour faire mûrir l’idée auprès des élus, ce fut l’intervention enthousiaste et convaincante de Guy Hascoët, ancien député et conseiller régional, que nous avions contacté sur les conseils avisés d’un militant de la Confédération Paysanne, René Louail. C’est Guy Hascoët qui a convaincu les élus du département et de la région de la faisabilité du projet sur le plan humain, technique et financier si, au préalable, il y avait une participation active des salarié.es et un soutien politique fort et une dynamique citoyenne derrière le projet. Quand ce sont des syndicalistes de Solidaires qui proposent des alternatives impliquant une appropriation collective des moyens de production, il est compréhensible que des élus de gauche comme de droite, biberonnés par la pensée néolibérale depuis plus de trente ans, se méfient, dans un premier temps. Quand c’est un ancien ministre qui le fait, cela a l’avantage de les rassurer.

A ce jour, le projet est toujours dans sa phase de construction. Des groupes de travail informels se sont déjà constitués et travaillent en bonne intelligence. Un ancien directeur de l’usine, Jean-Jacques Fuan, s’est également engagé et apporte son expertise précieuse dans le montage du dossier. L’Union syndicale Solidaires des Côtes d’Armor participera évidemment à son élaboration, consciente de toutes les difficultés qui vont se présenter et qu’il faudra surmonter. Mais nous gardons en mémoire la fameuse devise « on ne perd que les combats que l’on ne mène pas ».

P.-S.

Le 13 avril 2020.
Propos recueillis par Christian Mahieux

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