Lors de son allocution du lundi 13 avril, Emmanuel Macron avait surpris en annonçant vouloir « annuler massivement la dette » des pays africains pour leur venir en aide. Dès le 15 avril, interviewé par RFI, il rétropédalait en se limitant à proposer « un moratoire sur les intérêts de la dette africaine ». Ce même jour, lors d’une réunion des ministres des finances du G20 et des gouverneurs des Banques centrales, ce n’est finalement qu’une suspension partielle et provisoire du paiement du service de la dette de 77 États parmi les plus pauvres qui a été décidée. Pas de quoi pavoiser puisque cette bouffée d’oxygène temporaire sera immédiatement suivie d’une aggravation du poids de la dette et des remboursements à moyen terme. Pour Attac France, et les membres de la plateforme « dette et développement »,« un moratoire sur la dette des pays pauvres ne sera pas suffisant » et de véritables annulations des dettes sont nécessaires pour permettre aux pays du Sud de faire face à la crise.
Dans le communiqué final des ministres des finances du G20 et des gouverneurs des Banques centrales de ce 15 avril, on ne trouve nulle trace de l’annonce d’Emmanuel Macron d’une « annulation massive des dettes africaines ». La suspension qui a été décidée est à la fois partielle et provisoire. Partielle parce qu’elle ne porte que sur 12,8 milliards € du total de 30 milliards € environ des remboursements attendus en 2020. Provisoire parce que cette suspension ne porte que sur les remboursements prévus jusqu’à fin 2020, même pas un an. Ces remboursements prévus en 2020 ne sont pas annulés, mais seulement suspendus : ils devront être payés en 2022, échelonnés sur trois ans et un surcoût pourra s’appliquer, via de nouveaux intérêts. Ce sont donc les intérêts des créanciers qui sont préservés en priorité au détriment des pays pauvres et leurs populations.
Cette suspension du paiement de la dette va sans doute être une bouffée d’oxygène à court terme pour nombre de ces pays qui dépensent généralement plus pour le paiement de leur dette que pour leur santé. Certains dépensent plus de 25 % de leurs recettes (respectivement 42 et 39 % pour l’Angola et le Ghana) pour payer le service de la dette. L’augmentation continue de la dette de nombreux pays pauvres (+ 147 % entre 2008 et 2018 pour l’Afrique subsaharienne, 583 milliards de dollars) a réduit d’autant les faibles marges de manœuvres budgétaires dont disposent les pays pauvres, compliquant d’autant toute réaction à la hauteur de la crise sanitaire alors que leurs systèmes sanitaires sont la plupart du temps fragiles et peu développés.
La crise économique mondiale va également considérablement affaiblir les capacités budgétaires des pays pauvres : le prix des matières premières s’effondre sur les marchés mondiaux (-12% pour le cacao, - 22% pour le coton, -21% pour le cuivre, -50% pour le pétrole) réduisant d’autant les entrées fiscales pour des États aux maigres ressources. Pour faire face à cette situation, le FMI a mis 50 milliards de dollars : Gabon, Ghana, Madagascar, Rwanda, Sénégal, Tunisie, Togo ont déjà contracté de nouveaux prêts. Si le FMI se vante d’avoir accordé à 25 pays très pauvres un allègement de la dette sur six mois à hauteur de 215 millions de dollars (une goutte d’eau), il est surtout en train d’aggraver l’endettement d’une majorité d’autres pays pauvres. Et la Banque Mondiale appelle déjà ces pays à préparer des réformes pour encourager la reprise économique. Son laïus néolibéral classique.
La bouffée d’oxygène à très court terme offerte par les pays du G20 risque donc de s’accompagner d’une aggravation du poids de la dette à moyen terme. Par leurs refus d’annuler purement et simplement tout ou partie de la dette des pays pauvres, les institutions financières internationales et les pays riches sont en train de leur concocter un avenir de dettes et de plans d’ajustements structurels. Ce n’est pas une fatalité. Plus de 200 organisations du monde entier, dont Attac France, appellent ainsi dans une déclaration récente à « un jubilé de la dette pour lutter contre la crise sanitaire et économique du Covid-19 » et exige des mesures d’une ampleur bien plus importante : l’annulation de tous les paiements de dette extérieure en 2020 et des financements additionnels d’urgence qui ne créent pas de nouvelles dettes.