Beaucoup d’indignation pour un peu de peinture
L’action menée par Attac ce samedi 3 juillet a suscité de nombreuses réactions indignées : un secrétaire d’État (Clément Beaune), la présidente de la région Île-de-France (Valérie Pécresse), les maires de Paris (Anne Hidalgo), Reims (Arnault Robinet) et Cannes (David Lisnard), des députés (Aurore Bergé, Marie Lebec, Bruno Questel) et même... Alexandre Benalla ont réagi pour dénoncer ce qu’ils nomment des « dégradations » et du « vandalisme », voire un « saccage ». Avant d’expliquer le sens de cette action, d’abord quelques précisions sur le mode d’action utilisé.
Attac mène des actions spectaculaires mais qui n’entraînent pas de dégradations durables. Ainsi, les activistes d’Attac ont aspergé les vitrines de la Samaritaine avec de la gouache noire diluée avec de l’eau. C’est une peinture que les tous parents connaissent bien puisqu’elle est largement utilisée par les enfants. Elle n’est pas polluante et se nettoie très facilement. D’ailleurs, la façade de la Samaritaine a été nettoyée quelques minutes après la fin de l’action et n’en garde aucune trace. Mais alors, pourquoi s’en prendre à Bernard Arnault et LVMH ?
Des profiteurs de la crise
Tandis que la pauvreté, le chômage et les inégalités explosent, que les étudiant·e·s font la queue pour bénéficier d’une aide alimentaire, ça n’a pas été la crise pour tout le monde.
Cette action visait tout d’abord à dénoncer l’enrichissement indécent des milliardaires pendant la crise. Comme nous l’avons montré dans une note rédigée avec Oxfam, à partir des données du magazine Forbes, la richesse des milliardaires français a augmenté de 68% depuis 2020. Au 1er juin 2021, ceux-ci totalisent 492 milliards d’euros de patrimoine, soit près d’un cinquième du produit intérieur brut français. Bernard Arnault, première fortune de France, a vu ses avoirs personnels augmenter de 62 milliards d’euros ([Note] L’indécent enrichissement des milliardaires français pendant la pandémie).
De plus, malgré la crise, les entreprises du CAC 40 ont versé 51 milliards d’euros à leurs actionnaires, soit une augmentation de 22 % des dividendes en 2020 ; elles battent des records de valorisation boursière et s’apprêtent une nouvelle fois à verser des dividendes massifs alors qu’elles profitent toujours d’un soutien inconditionnel et sans contreparties sociales ou écologiques des pouvoirs publics.
C’est le cas du groupe LVMH qui va verser 3 milliards d’euros de dividendes à ses actionnaires en 2021, soit une hausse de 25 % par rapport à l’année précédente. Cela représente 1,5 milliard d’euros pour la seule famille Arnault qui détient la moitié des actions du groupe ! Pourtant, le groupe a profité du chômage partiel payé sur fonds publics en France au sein de Sephora et des médias Les Echos et Le Parisien, ainsi qu’en Italie et en Allemagne (notamment pour Bulgari, Christian Dior et Louis Vuitton), mais aussi de la baisse des impôts de production et du rachat d’actifs par la Banque centrale européenne. Cela n’empêche pas LVMH de diminuer ses effectifs mondiaux de 7,8 % en 2020, soit 13 000 emplois, dont 888 en France [1].
Dans le même temps, le gouvernement fait des économies sur le dos des plus précaires, en « réformant » les APL et les allocations-chômage, tout en préparant une nouvelle tentative de reculer l’âge légal de départ à la retraite. Nous pensons, au contraire, que ce sont aux multinationales et aux milliardaires qui se sont enrichis de façon indécente pendant la crise de payer. Et ce d’autant plus qu’ils ont largement bénéficié des cadeaux fiscaux du gouvernement depuis le début du quinquennat : transformation de l’ISF en IFI, création du Prélèvement Forfaitaire Unique, baisse de l’impôt sur les sociétés et des impôts de production... C’est aussi cela qui explique la bonne santé financière de LVMH et l’explosion de la fortune de Bernard Arnault.
Il est donc inadmissible de vouloir faire payer la crise aux plus fragiles, pendant que les grandes entreprises versent des dividendes records, et que les milliardaires s’enrichissent à un rythme insensé. D’autant plus que LVMH et Bernard Arnault ne payent pas leur juste part d’impôt.
Des spécialistes de l’évasion fiscale
- 27% des filiales de LVMH se situent dans des paradis fiscaux, le plus fort taux du CAC 40 !
- Cela représente 305 filiales dans des territoires considérés comme des paradis fiscaux et judiciaires.
- Le récent scandale #OpenLux a ainsi montré que LVMH détient 24 filiales au Luxembourg, la 2e entreprise française la plus présente après BNP.
- Quant à Bernard Arnault, qui se donne régulièrement le beau rôle en se montrant charitable, il ferait mieux de payer sa juste part d’impôt. Il a été épinglé dans de nombreux scandales d’évasion fiscale, comme les #ParadisePapers en 2017.
- La Cour des comptes a également montré comment Bernard Arnault et LVMH utilisent la fondation Louis Vuitton comme un outil d’optimisation fiscale leur ayant permis d’économiser 518 millions d’euros d’impôts :
- Début 2021, le scandale #OpenLux a révélé que Bernard Arnault possède 31 sociétés au Luxembourg (en plus des 24 filiales de LVMH dans ce paradis fiscal). « Sur les trente et une holdings identifiées par Le Monde, à peine trois ont une activité identifiable. Quelque 634 millions d’euros de participations ne sont pas traçables à partir des comptes de ses sociétés ».
Nos propositions
Pour faire face aux coûts de la crise sanitaire et répondre aux urgences sociales et écologiques, Attac propose deux taxes exceptionnelles :
- une sur le patrimoine des 1 % les plus riches ;
- une sur le bénéfice exceptionnel réalisé par les multinationales pendant la crise.
Attac demande également :
- l’abandon de la réforme des allocations chômage ainsi que celle des retraites ;
- de revenir sur les cadeaux fiscaux faits aux plus riches (ISF, prélèvement forfaitaire unique) ;
- que soit menée une vraie politique contre l’évasion fiscale, notamment en instaurant la taxation unitaire des multinationales afin de mettre fin aux transferts artificiels de bénéfices dans les paradis fiscaux.
Pour en savoir plus :
- Taxation des multinationales : le point sur le taux minimal de 15 % et la répartition des bénéfices
- [Note] L’indécent enrichissement des milliardaires français pendant la pandémie
- Impôts : idées fausses et vraies injustices