Le séparatisme des riches, on en parle ?

lundi 21 septembre 2020, par Raphael Pradeau

Confronté à une crise économique, sociale et sanitaire, Emmanuel Macron et le gouvernement ont choisi de faire diversion en orchestrant une campagne contre le « séparatisme », qui stigmatise les immigrés et les personnes de confession musulmane. Pourtant, une multitude de travaux montre que le séparatisme aujourd’hui, se trouve du côté des très fortunés. Chaque année un peu plus, ils font sécession du reste de la société.

La situation sanitaire se dégrade, les plans sociaux se succèdent, les inégalités et la pauvreté augmentent, le dérèglement climatique montre chaque jour ses effets... mais Emmanuel Macron et son gouvernement préfèrent pointer du doigt les « séparatistes » en alimentant les fantasmes islamophobes. Or, qui sont les vrais séparatistes ? Une multitude de travaux documentent comment les plus riches font sécession, à la fois spatialement, fiscalement, économiquement et sur le plan écologique !

Spatialement, les riches cultivent l’entre-soi et leurs comportements conduisent à une « ghettoïsation par le haut »

De nombreux travaux sociologiques mettent en évidence un processus de ségrégation résidentielle par le biais du prix élevé des habitations dans les quartiers favorisés. Cette barrière à l’entrée par les prix permet l’entre-soi résidentiel et un voisinage homogène, recherché notamment pour la socialisation des enfants. Plutôt que de stigmatiser les musulmans, Emmanuel Macron devrait s’attaquer à cette ségrégation spatiale qui renforce les inégalités dans la mesure où elle conditionne l’accès équitable à des ressources diverses comme l’école, la possibilité d’avoir un emploi, les lieux de détente et de loisirs...

Dès 2004, l’économiste Eric Maurin mettait ainsi en évidence une « ghettoïsation par le haut » [1], les élites mobilisant toutes leurs ressources pour se mettre à l’écart. Les cadres supérieurs « s’accaparent désormais des pans entiers de l’espace urbain, notamment les centre-villes, les beaux quartiers et les zones les plus proches des principaux équipements ».
Les sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon Charlot ont également montré comment les familles les plus aisées sont « regroupées dans quelques quartiers bien délimités », où « elles cultivent un entre-soi ». Ils estiment qu’« aucun autre groupe social n’est ainsi confiné dans un ghetto, doré et volontaire » [2], allant parfois jusqu’à se murer dans des hameaux totalement privés, comme la villa Montmorency dans le XVIe arrondissement parisien.
L’INSEE confirme ces analyses : dans les quartiers pauvres « les choix de localisation résidentiels sont plus subis que dans [dans les quartiers riches], certains auteurs ayant pu parler pour les quartiers les plus riches d’autoexclusion. » « Dans certaines villes se développe ce qui est souvent qualifié d’ "entre-soi" à savoir un habitat spatialement séparé des populations riches » [3].

Cela conduit à la perte de mixité sociale : Eric Maurin explique qu’« au fur et à mesure qu’elles gagnent en importance, les classes supérieures repoussent les classes moyennes vers les périphéries, des communes et des quartiers entiers perdant peu à peu leur dernier semblant de mélange social ». Selon Eric Maurin, le « fait que Français et étrangers n’habitent pas les mêmes voisinages représente aujourd’hui l’une des formes les plus extrêmes de la ségrégation territoriale ». Or les « ghettos d’immigrés » ne sont pas le résultat d’une volonté de ces populations ou d’une logique communautariste, mais s’expliquent par le fait que ces populations ne peuvent habiter ailleurs.
Le Conseil d’analyse économique, rattaché au Premier Ministre, notait ainsi en 2004 que si les plus pauvres et les immigrés vivent entre eux, ce n’est pas volontairement : « En France comme ailleurs, des phénomènes cumulatifs de fuite des familles aisées en direction des quartiers riches ont pu également renforcer l’isolation spatiale des familles pauvres ». Ainsi, « lorsque l’on s’intéresse au logement social, il apparaît que la population immigrée a une probabilité plus élevée d’accéder à un logement social situé dans une zone périphérique défavorisée » [4].

Ce séparatisme spatial se traduit notamment par une ségrégation scolaire. « Non seulement la mixité sociale a fortement reculé au plan géographique au cours des trente dernières années, avec une concentration des CSP+ dans le cÅ“ur des grandes métropoles, mais cette ségrégation sociale s’est accompagnée d’une ségrégation scolaire renforcée, avec un choix de plus en plus fréquent des catégories favorisées pour l’enseignement privé » selon la fondation Jean Jaures [5], qui note que, dans les écoles privées, « la proportion des enfants de familles favorisées y est désormais deux fois plus importante (36 %) que dans le public (19 %) ».
Alors qu’Eric Maurin dénonçait « l’impuissance des politiques successives à enrayer le phénomène » de ghettoïsation, Emmanuel Macron préfère faire diversion en stigmatisant les populations vivant dans ces quartiers.

Fiscalement, les riches font sécession en échappant à l’impôt

Il est largement démontré que l’évasion fiscale est un sport de riches. Gabriel Zucman a ainsi mené une étude dans les pays scandinaves, où il montre que si, en moyenne 3 % des impôts dus ne sont pas acquittés en raison de l’évasion fiscale, plus on est riche et plus cette part augmente, jusqu’à s’élever à 30 % pour les 0,01 % des ménages les plus aisés [6] !

Cette triche, dramatique, s’illustre notamment par la pratique des passeports dorés. Alors que partout dans le monde, les frontières se ferment pour les migrants et les réfugiés, elles restent largement ouvertes pour ceux qui peuvent payer, puisque plus de 165 pays proposent des visas dorés. Les plus riches peuvent ainsi acheter des visas – ou même acquérir la citoyenneté – dans des pays tels que le Portugal ou Chypre, moyennant paiement comptant ou un investissement important dans le pays [7]. En novembre 2018, des militants d’Attac avaient ainsi manifesté contre la tenue du « Salon international de l’émigration et de l’immobilier de luxe » à Cannes, qui met en vedette la pratique des visas dorés, nouvel outil pour favoriser l’évitement fiscal [8].
La fondation Jean Jaures considère que l’exil fiscal est le « stade ultime de la sécession des élites », qui « constitue une illustration paroxystique de ce séparatisme social développé depuis une trentaine d’années dans une partie des couches les plus favorisées de la population française » [9].

Alors que les discours de la macronie tente de faire passer certaines parties de la population pour de « mauvais français », voire des ennemis de l’intérieur, la fondation Jean Jaures explique que le « processus de séparatisme social [...] se traduit également par le fait que le sentiment de solidarité, mais aussi de responsabilité à l’égard de l’ensemble de la société – qui incombe traditionnellement aux élites selon le principe de l’adage « Noblesse oblige » – s’étiole progressivement. De nombreux membres des catégories les plus favorisées éprouvent aujourd’hui davantage d’affinités avec les personnes d’autres pays de niveau social équivalent qu’avec leurs concitoyens plus modestes. Pour une partie de l’élite sociale, le cadre national est aujourd’hui obsolète et le lien au pays n’est plus fondamental. C’est dans ce contexte que l’on peut analyser la très forte hausse des expatriations ». C’est bien « l’attrait pour un environnement économique et fiscal plus avantageux [qui] semble être pour les catégories favorisées un puissant moteur incitant à l’expatriation », comme en témoigne la forte proportion d’expatriations en Suisse ou au Luxembourg.

Les riches multiplient donc les dispositifs pour échapper à l’impôt, bien aidés par les banques et cabinets d’affaires. Plutôt que de lutter contre cette sécession des riches, le gouvernement a au contraire multiplié les cadeaux fiscaux, en transformant l’ISF en IFI, en instaurant la « flat tax » ou encore en supprimant l’ « exit tax » [10]. L’INSEE confirme que les 5% des français les plus aisés sont les grands gagnants des politiques fiscales menées par le « Président des riches », tandis que les plus pauvres ont vu leur pouvoir d’achat altéré par la baisse des APL.

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 [11]

Economiquement, les riches sont les profiteurs de la crise

Un récent rapport d’Oxfam [12] montre que certaines entreprises multinationales et leurs actionnaires sont les grands profiteurs de la crise actuelle. En effet, ce n’est pas la crise pour tout le monde : 32 entreprises, parmi les plus grandes multinationales de la planète, devraient enregistrer en 2020 une hausse spectaculaire de leurs bénéfices, soit 109 milliards de dollars de plus que leur bénéfice moyen réalisé au cours des quatre années précédentes. Une large partie de ces bénéfices a été reversée à de riches actionnaires, alimentant les inégalités mondiales. Les 25 milliardaires les plus riches du monde ont ainsi vu leur richesse augmenter de 255 milliards de dollars entre la mi-mars et la fin mai, soit une augmentation moyenne de 10 milliards de dollars. Le seul Jeff Bezos pourrait, avec les bénéfices qu’il a réalisés pendant la crise, verser une prime 105 000 dollars aux 876 000 personnes employées par Amazon dans le monde, y compris les quelques 10 000 salariés en France, tout en restant aussi riche qu’il l’était avant la pandémie de coronavirus.

Le cas des Mulliez est également choquant. Alors que la fortune de la famille Mulliez est estimée à 26 milliards d’euros en 2020 et que le taux de rentabilité d’Auchan, enseigne phare des Mulliez [13], a bondi de 79 % au premier semestre 2020, le groupe Auchan vient d’annoncer la suppression de 1 475 postes en France. Pourtant Auchan a touché 500 millions d’euros de crédit d’impôt compétitivité emplois (CICE) ces sept dernières années. L’entreprise a par ailleurs été épinglée dans le scandale dit des « Malta Files » : en domiciliant à Malte ses activités d’assurance, ce sont près de 8 millions d’euros d’impôts qui ont échappé à l’État français pour l’année 2017 [14].

Ecologiquement, les riches ont un mode de vie incompatible avec la lutte contre le dérèglement climatique

Dans « Comment les riches détruisent la planète » [15] Hervé Kempf montre comment une classe dirigeante prédatrice et cupide fait obstacle au changement de cap qui s’impose urgemment : à la fois directement, « par les puissants leviers – politiques, économiques et médiatiques – dont elle dispose et dont elle use afin de maintenir ses privilèges ». Mais aussi, indirectement, « par ce modèle culturel de consommation qui imprègne toute la société et en définit la normalité ». Le fondateur de Reporterre dénonce ainsi la « consommation outrancière de yachts, d’avions privés, de résidences immenses, de bijoux, de montres, de voyages exotiques, d’un fatras clinquant de dilapidation somptuaire » [16]. Il explique ainsi que les 10 % les plus riches sur ce globe comptent pour 45 % des émissions mondiales de dioxyde de carbone, ou qu’en France, chaque personne appartenant aux 1 % les plus riches émet plus de 200 tonnes de gaz à effet de serre par an, contre 6 par personne en moyenne [17].
Dans un rapport publié ce lundi, Oxfam estime qu’entre 1990 et 2015 les 1% les plus riches sont responsables à eux seuls de 15 % des émissions cumulées, soit deux fois plus que la moitié la plus pauvre de la population mondiale [18] !
Le séparatisme spatial est aussi lié à un racisme environnemental. Ce sont les quartiers populaires qui subissent les nuisances et pollutions des usines ; ni les incinérateurs, ni les usines Seveso ou autres se trouvent dans les quartiers riches." [19].

N’en déplaise aux islamophobes, les vrais séparatistes, ce sont les riches ! Face au projet ignoble du gouvernement, Attac va multiplier dans les prochaines semaines des actions pour ne pas laisser stigmatiser injustement une partie de la population et mettre en évidence là où se situe le véritable séparatisme.

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