Lutte contre la fraude fiscale : des annonces, mais à quand un véritable plan global ?

mardi 9 mai 2023, par Attac France

Le gouvernement a annoncé des mesures visant à combattre la fraude fiscale. Il veut envoyer le signal qu’il s’attaque aux riches et aux grandes entreprises et ainsi corriger le tir : il avait en effet tout d’abord annoncé des mesures touchant à la fraude aux prestations sociales et consistant à durcir les conditions d’accès à certaines d’entre elles, comme le « minimum vieillesse » par exemple. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres...

Des enjeux lourds

Rappelons les enjeux. La fraude fiscale concerne l’ensemble des impôts et taxes : elle représente au moins 80 milliards d’euros de pertes de recettes fiscales par an. Elle plombe notamment le financement des politiques publiques et mine le consentement à l’impôt. Elle est à distinguer de la fraude sociale qui regroupe la fraude aux cotisations sociales et la fraude aux prestations sociales. La fraude aux cotisations sociales, issue du travail et/ou de revenus non déclarés représente, selon les estimations, entre 8 et 20 milliards d’euros de manque à gagner pour les recettes sociales. La fraude aux prestations sociales ne représente que 2 à 3 milliards d’euros.

C’est donc peu de dire que la fraude fiscale représente un enjeu majeur, de loin plus important que la fraude aux prestations sociales, mise si souvent en avant par les pourfendeurs du modèle social.

Des mesures du gouvernement : trompe l’œil et effet d’annonce au programme

Le renforcement du service d’enquêtes judiciaires des finances, s’il constitue une bonne nouvelle pour ce service spécialisé, constitue en réalité un redéploiement d’emplois puisque les suppressions d’emplois se poursuivent au sein de l’administration fiscale et des douanes. La Direction générale des finances publiques va en effet subir 3.000 suppressions d’emplois d’ici 2027 et 700 emplois ont été supprimés entre 2022 et 2024 au sein des douanes.

Il est intéressant de voir que le ministre reconnaisse dans son discours que la fraude fiscale des plus riches et des plus grandes entreprises est importante. Mais entre le discours et la réelle portée des annonces, il reste beaucoup à faire.

Concernant la volonté de contrôler « tous les deux ans » les cent plus grandes capitalisations boursières, Attac est tentée de mettre le gouvernement au défi. En réalité, la plus grande prudence (pour ne pas dire méfiance) est de mise. Les plus grandes entreprises ne sont en effet jamais intégralement contrôlées tant le nombre et la complexité des opérations, des régimes fiscaux applicables, des filiales, etc, est important. Un contrôle « au fond » des plus grandes entreprises impliquerait un renforcement des moyens humains, juridiques et technologiques que le gouvernement refuse d’engager puisqu’il réduit le budget et les effectifs alloués à l’administration fiscale.

Il en va de même sur la hausse du nombre de contrôles des gros patrimoines, présentée comme favorisant le contrôle des ultra-riches. Compte tenu de la complexité des montages et des procédures applicables, le gouvernement ne pourra être crédible sur ce sujet qu’à la condition là encore de stopper les suppressions d’emplois dans l’administration fiscale pour engager un véritable renforcement et non un redéploiement comme il entend le faire. A titre d’exemple, la baisse du nombre d’examens de la situation fiscale personnelle, c’est-à-dire du nombre de contrôles des comptes bancaires des riches ménages (2.404 en 2021 contre 4.166 en 2008), laisse craindre que cette hausse ne relève que d’une hausse du nombre de contrôles formels et non « au fond ». Si ces contrôles sont effectués sur la seule base des dossiers détenus par l’administration fiscale constitués de ce que les contribuables ont déclaré, le risque est qu’ils soient peu efficaces. Les contrôles des plus gros patrimoines et des montages internationaux mérite plus et mieux.

Puisque le ministre prétend créer « 1 500 effectifs supplémentaires » dédiés à la lutte contre la fraude fiscale d’ici 2027, Attac le prend au mot. Le contrôle fiscal commence dans les travaux de gestion des dossiers, c’est-à-dire à l’accueil, dans le traitement des déclarations ou encore dans les renseignements donnés quotidiennement aux contribuables et aux entreprises, puisque ce travail de gestion aide à détecter d’éventuelles anomalies. Il se poursuit dans la recherche du renseignement, puis dans les opérations de contrôle proprement dites. Il ne s’achève qu’après le recouvrement effectif des sommes dues, y compris après le traitement des éventuelles réclamations. Notre message est simple : pour que vos mesures soient crédibles et efficaces Monsieur le Ministre, renforcez l’ensemble de ces missions et commencez par stopper les suppressions d’emplois !

Quant à la création d’un organisme chargé d’évaluer la fraude fiscale, Attac rappelle qu’elle y était favorable, sous certaines conditions : une composition avec des personnalités qualifiées d’origines diverses, un accès à l’ensemble des données utiles aux travaux, du temps pour mener les travaux et une totale indépendance.

Le contrôle fiscal et les solidarités, affaiblies comme rarement

Attac se félicite que l’on parle de lutte contre la fraude fiscale. Il est néanmoins difficile de croire que le gouvernement veut se donner tous les moyens de la combattre compte tenu de la politique qu’il met en œuvre (mesures de faveur fiscale ciblées sur les plus riches et les grandes entreprises, affaiblissement du service public, etc). 3.000 à 4.000 emplois ont été supprimés depuis la fin des années 2000 au sein des services de contrôle et depuis 2018, une profonde réorientation du contrôle fiscal a été engagée. Les mesures contenues dans la loi « pour un État au service d’une société de confiance » (Essoc) de 2018 ont opéré un revirement consistant à faire du contrôle fiscal une forme d’audit, voire de prestation de service, aux objectifs éloignés de sa raison d’être : une contrepartie du système déclaratif au service de l’intérêt général.

Le gouvernement annoncera bientôt des mesures en matière de « contrôle social ». Celui-ci a été durci : le nombre de contrôles et de radiations de chômeurs a en effet progressé. Par ailleurs, le gouvernement souhaite travailler les bénéficiaires du RSA dans la très droite ligne du discours dénonçant l’assistanat. Il serait plutôt inspiré de reprendre l’une des promesses d’Emmanuel Macron faite durant la campagne électorale de 2022 : assurer en priorité une solidarité à la source, c’est-à-dire faire en sorte que toutes les personnes ayant droit à une prestation sociale la perçoive. Car tel n’est toujours pas le cas : le taux de non recours de l’ensemble des prestations sociales et des minima sociaux se situe aux environs de 30 %, parfois plus. Chaque année, ce sont ainsi près de 10 milliards d’euros qui ne sont pas versés à des personnes y ayant droit.

En mars 2022, un rapport d’Attac et de l’Union syndicale Solidaires, soutenu par AC !, la Cgt chômeurs, la Cgt finances publiques et Solidaires finances publiques a montré, chiffres en mains, qu’une tendance de fond était à l’oeuvre : la baisse des effectifs dans l’administration fiscale s’est bel et bien traduite par un affaiblissement du contrôle fiscal tandis que le « contrôle social » se durcissait. Le plan du gouvernement ne la modifie pas. Pour être cohérent, il eut fallu d’une part, annoncer un renforcement global de l’ensemble des moyens, humains, juridiques et matériels et changer d’orientation et d’autre part, porter un discours offensif à l’international. On en est bien loin.

En matière de « fraude aux finances publiques », une véritable pédagogie citoyenne et une priorisation des enjeux s’imposent donc plus que jamais. L’évasion fiscale, entendue au sens large (fraude fiscale et optimisation dite « agressive ») nécessite d’autres mesures tant au plan international (avec la mise en œuvre d’une véritable taxation unitaire par exemple) qu’au plan national.

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