Une fois de plus, tout pour la finance mais des salariés et une action publique spoliés
Les élus du personnel ont dénoncé, en le décrivant par le menu, le système mis en place par General Electric (GE) et ses conséquences multiples. En résumé, en faisant remonter les bénéfices générés de facto par l’activité de GE Belfort, le schéma mis en place organise l’appauvrissement du site en créant artificiellement une situation de déficit, les bénéfices étant transférés en Suisse et au Delaware… Les élus du personnel ont démontré que sur la période 2016-2019, il y a eu une minoration artificielle (des bénéfices du site de Belfort) de 555 millions d’euros.
La méthode ? Elle consiste notamment à facturer des redevances pour lui permettre d’utiliser des brevets parfois issus de sa propre activité de Belfort, mais transférés dans les autres entités du groupe, parfois tout simplement tombés dans le domaine public ! Une spoliation aggravée par le fait que certains de ces brevets proviennent de GE Belfort, c’est-à-dire suite à une activité de recherche réalisée par les salariés de Belfort qui ont parfois donné lieu au versement d’un crédit d’impôt recherche… Octroi d’un crédit d’impôt puis déduction à tort de redevances du bénéfice imposable : une double peine pour les finances publiques et pour les salariés qui voient leur entreprise, donc leur emploi et leur rémunération, frauduleusement menacés.
L’intersyndicale a identifié les circuits d’évasion fiscale suivants :
- 1/ Les redevances de marque transférées au Delaware (US)
- 2/ Les redevances de technologie transférées en Suisse
- 3/ Les marges sur les pièces détachées produites à Belfort mais enregistrées en Suisse
- 4/ Le passage du statut d’entrepreneur à celui de sous-traitant : le fonds de commerce a été cédé gratuitement à l’entité suisse, ce qui appauvrissait le site de Belfort, considéré depuis comme une « unité de fabrication sous contrat » ou « prestataire » de filiales suisses de GE, lesquelles réalisent par conséquent les ventes et encaissent les sommes correspondantes.
Une évasion fiscale aux conséquences multiples
Disons-le simplement : il s’agit d’une spoliation planifiée. Ce type de schéma est malheureusement classique. Nombreuses sont les multinationales qui se livrent à ces pratiques, ce qui a de quoi laisser pantois devant l’ampleur de ce fléau. Pour un « GE », combien d’autres non identifiés ? Le fléau est d’autant plus préoccupant qu’avec l’essor de la propriété intellectuelle (qui représentait 84 % de la valeur des entreprises en 2017 contre 17 % en 1975), il s’est largement amplifié et sophistiqué.
Ce dépeçage planifié a des conséquences très directes sur les salariés puisque ce déficit artificiel a été utilisé pour modérer les salaires, nuire aux dispositifs d’intéressement, baisser les investissements et justifier des suppressions d’emplois. Au final, depuis le rachat de l’usine de turbines de Belfort à Alstom en 2015 et sur la période 2016-2019, General Electric aurait fait échapper 97 % des bénéfices de l’entreprise générés notamment par l’activité de vente des turbines à gaz, désormais assurée par l’entité suisse. Trois contrats représentent ainsi une fuite de 555 millions d’euros, sachant que les montants pourraient globalement atteindre 800 millions d’euros de bénéfices transférés vers la Suisse et l’État américain du Delaware. Pour les caisses de l’État, le manque à gagner pourrait atteindre entre 150 et 300 millions d’euros. Des recettes qui seraient précieuses et utiles pour financer les services publics et investir dans la transition écologique et la réduction des inégalités de toutes sortes. Un contrôle fiscal serait en cours. « Bercy » a démenti avoir validé le montage de GE sans pour autant convaincre puisque certaines informations font état d’un protocole passé entre GE et Bercy...
Les intérêts des salariés de GE Belfort et de la population se retrouvent donc. C’est tout l’intérêt de l’action intentée par les élus du personnel. Pour Attac, il était naturel et nécessaire de soutenir cette action, en appelant à de nouvelles initiatives pour faire en sorte non seulement que cette plainte aboutisse, mais qu’elle serve d’exemple pour en finir avec l’évasion fiscale. Car des solutions existent pour la circonscrire, elles se nomment par exemple « taxation unitaire mondiale », « registre des bénéficiaires effectifs », « renforcement des effectifs des administrations fiscales, judiciaires et spécialisées », « reporting public pays par pays », « renforcement des obligations déclaratives » ou encore « coopération internationale et échange automatique d’informations » pour ne citer qu’elles. Notre rapport « Fraude fiscale, sociale, aux prestations sociales : ne pas se tromper de cible » réalisé avec l’Union syndicale Solidaires (avec le soutien de plusieurs organisations : AC !, CGT chômeurs, CGT Finances et Solidaires Finances Publiques) y revient longuement.
Il y aura des suites….
Des élus locaux ainsi que certains sénateurs ont demandé des explications à Bruno Le Maire, Ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique et envisagent de créer une commission d’enquête sur cette affaire. De leur côté, les organisations syndicales de GE n’ont pas l’intention d’en rester là : de nouvelles initiatives devraient être prises dans les prochains mois, avec évidemment le soutien actif et résolu d’Attac.