Ce vote fait de Chypre le premier pays de l’UE (mais peut-être pas le dernier !) où les parlementaires ont rejeté le CETA, un accord fort décrié par l’opinion publique mais qui est pourtant entré en vigueur en septembre 2017. Cette entrée en vigueur devait être provisoire, le temps que tous les pays européens ratifient l’accord. Elle se prolonge pourtant, sans date limite, tant le processus de ratification s’allonge dans de nombreux pays où les oppositions se font les plus fortes (Belgique, Pays-Bas, Italie ou encore en France). Ainsi, alors que la convention citoyenne pour le climat a appelé le gouvernement français à rejeter le CETA, Emmanuel Macron a écarté cette proposition d’un revers de la main. Sans pour autant inscrire la ratification du CETA à l’ordre du jour du Sénat, prolongeant une situation extravagante d’un accord entré en vigueur il y a trois ans mais toujours pas ratifié.
Au sein du Parlement chypriote, tous les partis d’opposition se sont opposés au CETA, et seul le parti de la droite qui gouverne l’a soutenu. Si l’absence de protection dédiée en faveur du fromage chypriote halloumi, souvent présentée comme la raison principale de cette opposition par les médias européens, a bien été l’un des arguments mobilisés par certains opposants, ce n’est pas la seule : les différents partis de gauche, écologistes et citoyens ont également justifié leur vote en raison du pouvoir transféré par le CETA aux entreprises multinationales ou des risques pesant sur les régulations sanitaires, agricoles et sociales.
Incertitudes pour la suite
La suite des évènements est très incertaine car jamais un État-membre de l’UE n’avait rejeté un accord de commerce et d’investissement. Théoriquement, si un État n’est pas en mesure de ratifier un tel accord, alors il doit le notifier à la Commission et au Conseil européens. De compétence mixte, c’est-à-dire à la fois européenne et nationale, l’application provisoire de l’accord doit être stoppée et l’accord remisé au placard des archives. Sur le plan pratique, puisqu’il y a là une situation exceptionnelle, et que des éléments de nature politique (puissance de l’État rejetant l’accord, situation de l’UE, etc) se mêlent de façon quasi inextricable à des éléments de nature juridique, le futur est néanmoins très incertain.
La Commission n’a en effet pas dit son dernier mot et tente déjà d’écarter le refus chypriote : afin d’obtenir le ralliement de certains partis d’opposition, Bruxelles pourrait ainsi négocier avec le Canada une protection supplémentaire et explicite du fromage halloumi sans avoir à rouvrir le texte du CETA. Une simple indication géographique protégeant l’halloumi pourrait sans doute être prise par le comité mixte du CETA, coprésidé par le ministre du Commerce international du Canada et le commissaire au commerce de l’UE et qui peut prendre des décisions dans le cadre des dispositions du CETA. Selon la presse, « des négociations sont déjà en cours avec Chypre », les délégations se relayant sur l’île pour « organiser un nouveau débat au Parlement ».
Le vote du Parlement chypriote est néanmoins un coup porté à la stratégie des États-membres et de la Commission européenne consistant à faire du CETA l’exemple de ces accords dits de « nouvelle génération » qu’il faudrait généraliser : le front du refus ne cesse de s’élargir contre cette expansion de la globalisation néolibérale et productiviste, comme le montre la possibilité d’un vote négatif aux Pays-Bas, en Belgique ou ailleurs. Charge aux organisations mobilisées contre le CETA, notamment en France, à se mobiliser et faire monter la pression pour obtenir d’autres votes négatifs contre le CETA.