Au Canada et au Québec, on connaît trop bien ces poursuites « démocraticides », l’ALÉNA ayant permis « à des entreprises américaines et mexicaines de lancer 39 poursuites contre le Canada. Plusieurs ne sont toujours pas réglées. Le Canada a perdu ou réglé hors cour six de ces poursuites, ce qui nous a coûté près de 200 millions de dollars en compensations, ainsi que des millions supplémentaires en frais juridiques », indique le Réseau québécois sur l’intégration continentale sur son site Web, en lien avec le rapport Marchander la démocratie, publié en septembre 2016. Nombreux sont ceux qui estiment qu’il faut y mettre fin.
Les Wallons et consorts ont mis du plomb dans l’aile de ce système et pourront refuser de ratifier l’AÉCG – et ainsi bloquer sa ratification par la Belgique – si, entre autres, les juges des tribunaux d’arbitrage ne sont pas désormais impartiaux, choisis et payés par les États, tel que convenu lors des négociations des derniers jours. Cela semble cependant insuffisant. Il faut mettre fin à cette justice parallèle qui fait prévaloir le droit des multinationales sur celui des États de règlementer dans l’intérêt public, et qui accorde plus d’avantages aux compagnies étrangères qu’aux entreprises locales.
La fronde menée par la Wallonie a aussi conduit au fait que la conformité du mécanisme de RDIE avec les traités européens devra être évaluée par la Cour de justice de l’Union européenne. N’importe quel État responsable et démocratique attendrait d’ailleurs ce jugement avant de signer l’AÉCG. Étrangement, la Commission européenne a refusé de rendre publiques des analyses à ce sujet. ClientEarth, un organisme européen d’avocats engagés, la poursuit pour obtenir la réponse. Ici, au Québec, le professeur George Lebel, dans une lettre parue dans Le Devoir du 25 octobre 2016, attirait l’attention sur ces 300 000 Allemands qui contestent en cour la constitutionnalité de l’AÉCG (l’avocat Rocco Galati la conteste aussi au Canada). La décision ne sera rendue que dans quelques années, mais « on voit difficilement comment l’accord envisagé pourra survivre […]. Enfin, en attendant le jugement définitif, toutes les mesures adoptées devront être réversibles, c’est-à-dire pouvoir être annulées sans aucune conséquence », écrit-il. C’est majeur et cette démarche risque aussi de nuire à l’entrée en vigueur du mécanisme de RDIE.
C’est dire qu’il faut relativiser le discours victorieux des promoteurs de l’AÉCG. Ils portent toujours l’odieux de négociations menées sans transparence, de tactiques de pression déloyales et démesurées, et de privilégier des intérêts privés avant l’intérêt public. Le ministre-président wallon Paul Magnette l’a éloquemment exposé à la face du monde dans son discours du 16 octobre 2016, qu’on peut qualifier d’historique. Son courage politique n’aura peut-être pas permis la grande victoire qu’on souhaiterait contre l’AÉCG (bien que ça reste à voir), mais il a permis d’ouvrir un nouveau chapitre capital dans la lutte contre les droits abusifs accordés aux entreprises dans les traités de libre-échange. Une lutte menée par un vaste front de mouvements sociaux et d’élus mobilisés en faveur d’ententes commerciales internationales qui soient respectueuses des droits humains, de l’environnement et de la démocratie.
Catherine Caron, rédactrice en chef adjointe à la revue Relations et membre du CA d’Attac-Québec, signe ce texte en collaboration avec Claude Vaillancourt, président d’Attac-Québec. Article paru sur le blog de la revue Relations.