Décryptage des propositions « climat » de la Commission européenne pour le chapitre « Commerce et développement durable » du TAFTA

mercredi 13 juillet 2016, par Amélie Canonne, Maxime Combes

Après avoir révélé lundi 11 juillet, avec l’Aitec, le chapitre « Énergie et matières premières » proposée par l’UE, nous divulguons aujourd’hui le volet « Climat » que la Commission européenne propose d’insérer dans le chapitre « Commerce et développement durable » du futur traité. Se limitant à reconnaître l’Accord de Paris sans préciser comment il sera pris en compte dans l’application du TAFTA, ces dispositions « climat » sont surtout utilisées pour introduire plus de libéralisation dans le secteur de l’environnement.

Background

Les négociations de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis ont démarré en juillet 2013 sans considération d’objectifs autres que la libéralisation du commerce et de l’investissement entre les deux ensembles.

Le commerce, l’investissement et l’environnement font l’objet de régimes juridiques internationaux distincts mais de façon générale, les accords de commerce et d’investissement sont dotés de moyens d’application, et d’instruments de contentieux bien plus puissants que la plupart des accords multilatéraux sur l’environnement.

D’abord la Charte des Nations unies, mère du droit international contemporain, ne fait aucune référence à l’environnement, et a fortiori encore moins au climat. Les déclarations de Rio (en 1992), Johannesburg (2002) puis Rio (2012) – instruments de « soft law » - ont construit la notion de Développement durable en droit international. Mais elles ont cédé aux institutions économiques internationales telles que l’OCDE, le FMI, la Banque mondiale ou l’OMC la primauté de l’impératif de « développement » - lire « développement économique », conditions de tous les droits humains selon elles.

Selon cette approche, le marché protège intrinsèquement l’environnement : d’une part la libéralisation du commerce des biens et des services énergétiques (incitation à la compétitivité, suppression des droits de douane, assouplissement des contraintes réglementaires, convergence des standards...) profite à l’environnement en réduisant les coûts des énergies propres, d’autre part la protection de l’environnement et du climat suscite l’innovation, qui stimule la compétitivité.

Nombre d’instruments internationaux dédiés à la protection de l’environnement incluent d’autre part des dispositions rappelant la nécessité de le faire sans créer de distorsions au commerce mondial (interdictions unilatérales de la production et/ou du commerce de certaines espèces ou substances, expropriations indirectes, violation des règles internationales sur la propriété intellectuelle, sur les subventions, sur le contenu local...), et sans contrevenir aux accords multi- et bilatéraux sur le commerce et l’investissement.

Inversement, si les accords de l’OMC ne s’expriment pas directement sur l’environnement et le climat – hors article XX qui mentionne la possibilité d’exceptions en cas de chocs écologiques spécifiques, de plus en plus d’accords bi- ou plurilatéraux s’intéressent au sujet dans une perspective similaire : l’insertion de chapitre, ou dispositions dites « Développement durable », qui renvoient à la fois aux dimensions sociales et environnementales du commerce et de l’investissement. En somme le supplément d’âme inventé par les promoteurs de la libéralisation du commerce pour la rendre socialement acceptable. On constate toutefois que ces clauses s’en tiennent à l’optionnel et à la bonne volonté, sans jamais être dotés des instruments d’application nécessaires ; elles ne circonscrivent jamais la mise en œuvre de la libéralisation commerciale aux engagements internationaux pris par les parties dans le domaine des droits au travail, de la protection de la faune et de la flore, de la limitation des pollutions (maritimes, fluviales, atmosphériques...) ou encore de la lutte contre le changement climatique.

C’est dans ce contexte que s’inscrit le texte présenté ici.

En réalité, le mandat de négociation dont dispose la Commission européenne ne comporte aucune mention relative à la lutte contre les dérèglements climatiques. Mais l’UE tend à insérer des clauses sociales et environnementales dans un nombre croissant de ces traités, depuis le milieu des années 2000 : ce fut le cas avec la Corée du Sud (chapitre 13), le Pérou et la Colombie (Titre IX), Singapour (chapitre 13), l’Ukraine (chapitre 13), ou avec le Canada (chapitres 22 et 24).

La campagne populaire contre les mécanismes d’arbitrage d’investissement (ISDS) a en outre mis en lumière le profond déséquilibre introduit par l’accord en matière de « justiciabilité » des droits : aux entreprises un mécanisme puissant d’application de leurs privilèges, sans aucun équivalent dans le domaine des droits sociaux et environnementaux.

C’est en réponse à ces critiques que la DG Commerce de la Commission a présenté son chapitre « Commerce et développement durable » en novembre 2015... qui ne référait toujours pas au problème climatique.

La demande forte d’une partie des États membres d’obtenir, dans le cadre du TTIP, la libéralisation des importations de gaz américain vers l’UE en a motivé d’autres à demander l’inclusion, dans le chapitre Développement durable, d’une partie spécialement dédiée au climat et mentionnant explicitement l’Accord de Paris parmi les références en terme d’action environnementale internationale.

Le présente constitue donc la partie « Climat » que l’UE propose d’introduire au chapitre « Commerce et développement durable » [1] déjà publié.

Format

Le document, qui doit être intégré dans un chapitre qui compte 17 pages et 21 articles, comporte 2 articles, l’un avec 5 alinéas pour faire en sorte que le « commerce favorise de faibles émissions et un développement résilient au changement climatique » et l’autre avec trois point portant sur la « protection de la couche d’ozone et les mesures relatives aux hydrofluorocarbures ».

Le contenu

Si les alinéas 1 et 2 reconnaissent l’urgence de lutte contre les dérèglements climatiques et « l’importance » de l’Accord de Paris, tout comme la responsabilités des parties engagées dans la négociation du TAFTA en la matière, il n’est pas précisé la manière dont les engagements et objectifs visés par l’Accord de Paris – notamment son article 2 visant à contenir le réchauffement climatique en deçà de 2 °C et idéalement 1,5 °C – seront pris en compte dans l’application des dispositions de libéralisation du commerce transatlantique, et notamment dans le secteur de l’énergie.

Dans son alinéa 3, les parties reconnaissent la contribution positive du commerce en faveur de la transition vers une économie bas-carbone et un développement résilient face au changement climatique, sans que l’on ne sache sur quelles études et quelles données cette assertion, infondée, s’appuie.

Ce sont les alinéas 4 et 5 qui ont une vocation opérationnelle. A l’alinéa 4, la Commission européenne propose que les parties s’engagent fermement à « faciliter et promouvoir le commerce des biens et services », notamment « en réduisant les barrières non-tarifaires » : au nom du climat, la Commission souhaite donc étendre le commerce et la libéralisation de celui-ci dans le secteur de l’environnement. Elle propose également de finaliser et mettre en œuvre l’Accord sur les biens environnementaux négocié en catimini depuis juillet 2014 par l’Union européenne et seize autres pays et qui vise explicitement à libéraliser le secteur dans la perspective d’une intégration de l’accord dans le giron de l’OMC.

Enfin, l’alinéa 5 exige des parties qu’ils restreignent « les distorsions au commerce » qui pourraient subvenir par la mise en place de « dispositifs de soutien public » en soutien d’une « économie bas-carbone, sûre et soutenable ». Si l’objectif visant à « progressivement mettre fin aux subventions aux énergies fossiles » est mentionné, c’est à la condition « d’assurer la sécurité et l’offre de carburants » et de « l’accompagner de mesures sociales ».

Éléments d’analyse et d’appréciation

Devant être intégrées au chapitre « commerce et développement durable », les dispositions relatives au climat n’occuperaient qu’une place limitée dans ce chapitre, qui est par ailleurs largement déclaratif, sans obligations contraignantes et sans régime de sanction en cas de non-respect des dispositions prévues.

Là où les chapitres portant sur les objectifs et mécanismes de libéralisation du secteur de l’énergie sont précis, contraignants et soumis à un régime de sanction (voir notre analyse), les propositions de la Commission européenne en matière de climat sont largement déclaratives lorsqu’il s’agit de mentionner l’Accord de Paris et les implications qu’il génère sur le contenu même du TAFTA.

Exemple : d’un côté, le libre-accès aux systèmes de transport de gaz et d’électricité « doit être assuré », tandis que de l’autre il n’est proposé que de « reconnaître » l’importance de l’accord de Paris. En matière de climat, il est proposé de « coopérer » et de « partager des informations », quand il s’agit « d’établir » et de « mettre en œuvre » la libéralisation du secteur de l’énergie. Du poids des mots utilisés dépend la puissance normative appliquée au secteur considéré : il n’y a pas photo.

La véritable incitation introduite dans les propositions de la Commission en matière de climat concerne la libéralisation du commerce des biens « environnementaux » (composants de panneaux solaires et systèmes éoliens, filtres à eau et air, convertisseurs de produits chimiques, turbines, pompes et centrifugeuses impliquées dans le retraitement des eaux et carburants, mais aussi balais, bennes à ordures et matériels de nettoyage divers...).

L’environnement et le climat sont un marché pour les entreprises à l’export. L’UE nous le rappelle dans sa proposition. Elle réaffirme également que l’appui au « développement d’une économie bas-carbone » doit « limiter les distorsions au commerce ». Elle omet donc de s’attaquer à l’essentiel :

  • l’existence d’accords ultra-contraignants sur la propriété intellectuelle, qui empêchent les transferts de technologies de long terme vers des collectivités locales et des communautés qui pourraient ainsi développer des filières technologiques domestiques, reposant sur les connaissances et savoir-faire locaux,
  • les contraintes posées dans d’autres chapitres de l’accord, de même que dans l’accord « TRIMS » de l’OMC, privant les pouvoirs publics de soutenir les filières locales de production de ces biens et services, au détriment des opérateurs internationaux.

Quand une contrainte est énoncée, c’est donc pour justifier la libéralisation du commerce au nom du climat, dont les règles doivent primer sur les objectifs climatiques.

L’appel à la disparition des subventions aux énergies fossiles est guidé par la rationalité de marché. Le texte n’établit pas cet impératif par principe ; il appelle à la suppression des « subventions inefficaces », en tenant compte des « considérations d’approvisionnement ». La possibilité d’échapper à cette recommandation est donc ouverte alors que l’arrêt immédiat des soutiens publics aux énergies fossiles (10 millions de dollars par minute dans le monde selon le FMI [2]) devrait relever de l’obligation légale immédiate pour tous les gouvernements engagés par l’Accord de Paris.

Résultat : aucune clause ne protège, de façon explicite et juridiquement efficace, le droit et le pouvoir discrétionnaire de régulation des États et des collectivités publiques dans le domaine de la lutte contre les dérèglements climatiques.

Les pouvoirs publics sont privés de leviers d’action essentiels pour respecter les engagements pris lors dans le cadre de la COP 21 et de l’Accord de Paris.

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