Accords UE-Singapour, quels enjeux ?

mardi 12 février 2019, par Maxime Combes

Les accords entre l’Union Européenne et Singapour ne sont pas secondaires. Les enjeux sont mêmes considérables, tant du point de vue climatique, environnemental, social, commercial, financier, que de la possibilité pour la Commission de s’en servir d’exemples pour promouvoir de nouveaux traités bilatéraux avec le Vietnam, la Chine, la Malaisie, la Birmanie ou les Philippines, et de tenter de relégitimer les mécanismes de règlements des différends Investisseurs–États (ISDS et autres).

Les 12 et 13 février, le Parlement européen est amené à se prononcer sur trois accords entre l’UE et Singapour : un accord commercial, un accord de protection des investissements et un accord-cadre de partenariat et de coopération. Suite à une décision de la Cour de Justice de l’UE qui a jugé que l’accord négocié était un accord mixte – exigeant donc une ratification de chacun des États-membres – la Commission européenne a décidé de dissocier, pour la première fois, l’accord de libéralisation du commerce et l’accord de protection des investissements. Pour que l’accord d’investissement entre en vigueur, il devra donc être ratifié par l’ensemble des États-membres.

Sur Singapour :

Ces accords ne sont pas anecdotiques car Singapour est à la fois un paradis fiscal notoire, un régime autoritaire ne respectant pas certaines libertés publiques, la principale plaque tournante commerciale et financière entre la zone Pacifique et l’Europe :

  • un paradis fiscal : Singapour est cinquième de l’index qui classe les États selon leur opacité financière et leur niveau de coopération avec des autorités administratives ou judiciaires étrangères ; il est régulièrement cité dans les 10 paradis fiscaux les plus influents de la planète ;
  • un enfer social : Singapour n’a pas ratifié les conventions 87 et 111 de l’OIT sur la liberté d’association et d’organisation, et sur les discriminations, et c’est un des pays les plus inégalitaires d’Asie ;
  • un régime autoritaire : dirigé par la même famille depuis son indépendance (1965), Singapour limite considérablement les droits les plus élémentaires tels que la liberté d’expression, d’association, de manifestation, etc.
  • un enfer climatique : deuxième infrastructure portuaire mondiale (derrière Shangaï), troisième raffineur mondial, Singapour a été l’un des opposants les plus déterminés, lors de la COP 21, à ce que les émissions de gaz à effet de serre du transport maritime soient limitées et couvertes par l’Accord de Paris.
  • un paradis pour les multinationales : Singapour est la porte d’entrée pour les multinationales européennes vers l’Asie ; plus de 10 000 entreprises européennes y sont installées ; avec 256 milliards d’euros en 2016, Singapour est en tête des investissements européens en Asie et c’est de loin le premier partenaire commercial de l’UE au sein de l’ASEAN (Indonésie, Malaisie, Philippines, Thaïlande, Viet-Nam, Cambodge, etc) : 100 milliards d’euros d’échanges annuels de biens et services ;
  • un paradis pour millionnaires : Singapour dispose de l’un des produit intérieur brut à parité de pouvoir d’achat (PPA) les plus élevés au monde et affiche une des plus fortes concentration mondiale de millionnaires rapportés à la population totale ;

Sur les accords de commerce et d’investissement :

L’objectif poursuivi par la Commission et les États-membres est clair : accroître un peu plus les flux commerciaux et financiers entre les pays asiatiques et les pays européens, sans aucune prise en compte de l’impact sur le climat, l’environnement, l’emploi et la situation sociale de chacun des pays :

  1. la très grande majorité des droits de douane entre les deux parties disparaîtront d’ici à cinq ans : l’objectif est d’accroître les flux de marchandises et de services entre les deux parties ;
  2. les chapitres « développement durable » ne sont pas contraignants et ne seront pas de nature à contribuer à l’amélioration de la protection de l’environnement, du climat ou des droits sociaux ; ils ne peuvent être mobilisés dans le cadre d’arbitrages Investisseurs-États ; les règles commerciales et d’investissement priment sur le reste ;
  3. les chapitres sur la protection de la propriété intellectuelle constituent une menace immédiate pour la disponibilité de médicaments génériques abordables et pour la protection des semences paysannes, par exemple ;
  4. il n’est prévu aucune régulation des flux de capitaux pour se prémunir de l’instabilité financière ;
  5. le droit des investisseurs est renforcé au détriment du droit à réguler des pouvoirs publics en entérinant un nouveau mécanisme de règlement des différends Investisseurs-États (ICS - pour Investment Court System) ; la définition des investisseurs et investissements couverts par ce mécanisme est extrêmement large (investissements de portefeuille, obligations, droits de propriété intellectuelle, etc) alors que de telles protections ne sont pas déterminantes pour attirer des investisseurs, selon plusieurs études ; il n’y a pas de limite aux compensations qui peuvent être octroyées aux investisseurs devant un tribunal d’arbitrage ; aucune garantie sur l’absence de conflits d’intérêts en cas de procédure d’arbitrage ; les effets dissuasifs attendus pour limiter l’introduction de régulations progressistes ne sont pas pris en compte ; aucune garantie que les obligations internationales des États (environnement, règles sociales, droits humains) prévalent sur le droit des investisseurs ; les investisseurs peuvent contester les décisions prises par des collectivités territoriales (fort risque d’effet dissuasif) ;

En résumé :

Ces accords avec Singapour ne sont donc pas secondaires, pour au moins trois raisons :

  • ils préfigurent de futurs accords de commerce et d’investissement entre l’UE et l’Asie du Sud-Est ;
  • Singapour est un paradis fiscal notoire, plaque tournante commerciale et financière entre la zone Pacifique et l’UE ;
  • ils renforcent les droits des investisseurs et des acteurs financiers, en leur donnant le droit de contester les règles et les décisions de justice qui visent à protéger la santé et les citoyens contre le changement climatique.

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