Accord Japon-Union européenne : un danger pour l’avenir

mardi 20 novembre 2018, par Jean-Michel Coulomb

L’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Japon, le JEFTA, doit être soumis à la ratification du Parlement européen au cours de la semaine du 10 décembre. Décryptage des enjeux.

Un processus de ratification bâclé

Après avoir négocié le JEFTA dans l’opacité la plus totale, allant même, jusqu’à ce jour, à ne publier le texte signé qu’en anglais, la Commission européenne et les États membres, sous emprise des lobbys d’affaire, ont poussé à ce que ce vote de ratification se tienne à tout prix avant les élections européennes.

Cette ratification du JEFTA ne doit de surcroît intervenir qu’au niveau de l’Union européenne et non au niveau des différents États membres car la partie concernant le tribunal d’arbitrage « investisseur contre État » (ISDS), qui l’aurait rendu de compétence mixte (donc nécessitant l’accord des Parlements nationaux), a été « fort opportunément » sortie du texte juste avant sa signature.

Une bombe à retardement : la coopération réglementaire

Ceci est d’autant plus dénonçable que le JEFTA comporte notamment un mécanisme de coopération réglementaire, piloté par un « Conseil de coopération réglementaire ». Par rapport à celui du CETA, accord signé entre l’UE et le Canada (qui lui doit obtenir l’accord des Parlements nationaux, prévu en France après les élections européennes), le « progrès » ne réside qu’en la dénomination de cet organe, moins hypocrite que celle du CETA (un simple « forum »). Mais comme celui du CETA, cet organe de coopération réglementaire du JEFTA sera maître de son agenda et dirigé par des hauts fonctionnaires nommés par la Commission européenne et le Japon, sans aucune barrière digne de ce nom vis à vis de potentiels conflits d’intérêts alors que leurs compétences les lient aux milieux d’affaires...

Le lobbying des entreprises transnationales est dûment reconnu et institué dans le mécanisme de la coopération réglementaire, mais les élus, européens comme des États membres, en sont exclus. Grace à la coopération réglementaire, les entreprises transnationales auront ainsi la faculté de proposer en amont leurs propres textes tout en filtrant les propositions qui ne leur conviendront pas : le JEFTA est un accord « vivant », évolutif, sans aucun contrôle ! Une bombe à retardement en forme de chèque en blanc !

Un accord pour éliminer toute entrave au commerce et à l’investissement

De façon générale, cet accord entre l’Union européenne et le Japon vise à éliminer toute entrave au commerce et à l’investissement. Bien sûr, comme tout accord de libre-échange digne de ce nom qui doit obtenir l’accord des élus et/ou des citoyens, les enjeux sociaux comme environnementaux et de santé sont évoqués. Mais ce ne sont que des leurres, car il est évoqué explicitement qu’ils ne doivent pas constituer des restrictions au commerce !

Un exemple ? Contrairement au CETA, le texte du JEFTA fait référence à l’Accord de Paris sur le climat (chapitre 16). Un progrès dont on pourrait penser qu’il est dû à la prise en compte des critiques formulées sur le CETA... Pourtant, une lecture attentive du texte de l’accord, et notamment de ses dimensions contraignantes, montre que celui-ci ne va pas au-delà de la déclaration de principe sur la prise en compte des considérations climatiques : « Rien dans cet accord n’empêche une Partie [UE ou État membre, Japon] d’adopter ou maintenir des mesures déclinant les accords multilatéraux sur l’environnement [par exemple, l’Accord de Paris] auxquels elle est Partie en s’assurant que ces mesures ne sont pas mises en œuvre d’une manière qui constituerait un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable contre l’autre Partie [Japon, UE ou État membre] ou une restriction déguisée au commerce » (article 16.4.5). In fine l’Accord de Paris est ainsi mis sous la coupe des termes du JEFTA !

Autre exemple, le droit du travail et plus généralement les droits sociaux (traités également dans le chapitre 16 de l’accord). Pour le même motif, empêcher toute entrave au commerce et à l’investissement, on utilise le même procédé : les engagements des État dans le cadre de l’Organisation internationale du travail (OIT) sont réaffirmés, mais ne peuvent contrevenir au droit commercial et d’investissement. Signalons que le Japon n’a pas ratifié deux des huit conventions fondamentales de l’OIT, celle sur l’abolition du travail forcé et celle sur la discrimination (emploi et profession). Cela illustre le niveau de considération des droits du travail par le Japon et augure donc de sa future propension à estimer, dans le cadre de la mise en œuvre du JEFTA, que les droits du travail dans l’UE sont des obstacles au commerce et à l’investissement,… Décidément ce fameux chapitre 16 devrait être rebaptisé « fourre-tout des bonnes intentions mises sous contrainte du commerce et de l’investissement ».

En ce qui concerne le principe de précaution, le JEFTA ne pose par contre aucun souci … si on peut dire : ce principe y est tout simplement passé sous silence ! Nul doute que cette absence pourra favoriser, par exemple, la remise en cause par le Japon de la directive OGM, notamment via le Conseil de Coopération Réglementaire, sachant que le Japon est le pays qui en autorise le plus dans la production et l’alimentation …

Et on pourrait également donner l’exemple de l’abaissement des protections pour l’e-commerce ou les services financiers, sans guère laisser de marges sérieuses pour des politiques plus localisées (cf. notamment article 8.11) et non sans impact dans tous les domaines (l’emploi par exemple), ou encore la très insuffisante protection des données personnelles (cf. par exemple article 8.63.2).

Un accord qui renforce la propriété intellectuelle au profit des multinationales

Qualitativement, par rapport au CETA, la grande « avancée », si l’on peut dire, du JEFTA concerne la propriété intellectuelle (chapitre 14). La protection de la propriété intellectuelle sous toutes ses formes, celles des créateurs culturels certes [1], mais surtout celles des grandes entreprises avec leurs brevets, copyright, marques, savoirs-faire, logiciels, matériels, etc. est très largement renforcée (avec une mention spéciale, cf. article 14.35, pour les produits pharmaceutiques et les produits chimiques agricoles !). Quant à la pilule - pour faire avaler l’ensemble des nuisances du traité - de la protection des indications géographiques, elle ne passe pas car la logique de qualité des produits (cahier des charges précis, terroir limité, procédés de fabrication très spécifiques, etc) est en soi incompatible avec une logique de massification et d’augmentation des exportations, en l’occurrence vers le Japon que sous-tend ce type d’accord.

Ce renforcement du droit de la propriété intellectuelle nuit gravement à la transparence dans le secteur industriel. Ainsi il sera d’autant plus difficile d’obtenir des révélations telles que celles qui ont mené au “Dieselgate” (scandale de triche généralisée aux contrôles pollution dans le secteur de l’automobile révélé en 2015). Du fait de l’évolution des législations et des réglementations qui risquent d’intervenir, par application de l’article 14.36.3, le JEFTA va en effet être un terreau propice pour rendre presque impossible, pour les organismes de régulation, d’obtenir des industriels ou des banques l’accès à leurs équipements informatiques et logiciels pour procéder à des audits de conformité avec les lois nationales, notamment celles qui concernent les domaines de la santé, de l’environnement, des services financiers.

Alors que les accords de libre-échange cherchent à faire sauter toutes les barrières qui gênent les transnationales, c’est l’inverse en ce qui concerne le domaine de la propriété intellectuelle : ces traités consolident celles existantes ou en érigent de nouvelles [2] ! La rhétorique propagandiste des « barrières à abattre » qui les accompagne apparaît ainsi pour ce qu’elle est : un oripeau idéologique qu’on agite quand cela avantage les intérêts des transnationales et qu’on met sous le tapis dans le cas inverse.

Se mobiliser contre le JEFTA

Face à ce traité, pratiquement établi dans la clandestinité et dont les conséquences risquent d’être désastreuses des points de vue social, sanitaire et écologique, il importe de montrer l’opposition la plus forte possible de la société civile.

Dans le cadre du « collectif Stop TAFTA » nous avons décidé d’interpeller les eurodéputés français.

Reprenez et diffusez largement autour de vous l’interpellation des eurodéputés français.

Pour plus d’informations, rendez-vous sur le site du collectif « Stop TAFTA »

Notes

[1Fondamentalement le Japon s’aligne sur les standards de l’UE (ce qui laisse donc la situation quasi inchangée pour les Européens).

[2Y compris en terme de stricts contrôles aux frontières (douane) pour faire respecter la propriété intellectuelle (article 14.51).

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