Les dessous de la politique européenne en matière d’extractivisme

L’espace Écologie & Société d’Attac vient de publier le n° 10 de sa lettre, à retrouver intégralement ici.
Au menu : une analyse des politiques extractivistes dans l’Union européenne, une présentation de la loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture, et un retour sur la dernière rencontre nationale des Soulèvements de la Terre.

Pour l’Union Européenne et le monde capitaliste, nous devrions démultiplier les projets d’extraction minière pour répondre aux besoins de la prétendue « transition écologique ». Comme le souligne une étude récente, « l’exploitation minière est une industrie multimillionnaire. Investir dans celle-ci est risqué, mais les bénéfices peuvent être énormes. Ces avantages sont concentrés entre les mains de quelques-uns. Ces dernières années, les institutions internationales et du monde capitaliste en général, ont conclu qu’un certain nombre de minéraux sont essentiels à une transition verte qui rompt avec une économie basée sur les combustibles fossiles. Cette transition est basée sur le développement technologique et ne renonce pas à la croissance économique. C’est plutôt une nouvelle stratégie pour atteindre une croissance illimitée. Mais le développement technologique a une base matérielle. Ces minéraux critiques comprennent le lithium, le cuivre, le cobalt, le nickel, le graphite et les terres rares. » [1]

Pour mémoire l’extraction minière est l’industrie la plus polluante au monde du fait des quantités énormes de déchets toxiques qu’elle produit, des atteintes graves à la biodiversité, de la pollution des sols, de la consommation énorme d’énergie et d’eau, sans compter les atteintes aux droits des populations locales et les guerres souvent liées à cette industrie lucrative. Elle est par ailleurs responsable de 8 % des émissions de gaz à effet de serre !

Le pacte vert européen

L’Union Européenne s’est dotée en 2019 d’un « Pacte vert » défini par la présidente de la Commission Ursula von der Leyen comme "la nouvelle stratégie de croissance" de l’UE destinée à réduire les émissions de gaz à effet de serre, "tout en créant des emplois et en améliorant notre qualité de vie" ; l’un de ses objectifs est de réduire les émissions de gaz à effet de serre de l’UE d’au moins 55 % d’ici à 2030. Pour cela différentes politiques ont été mises en œuvre, notamment le développement des énergies renouvelables, l’interdiction de vente de voitures neuves thermiques à partir de 2035 dans les pays membres et toutes espèces de mesures pour assurer la « transition climatique » sans réduire la croissance économique. La présidente de la commission parle bien d’une « nouvelle stratégie de croissance ». L’idée est donc bien de produire autant d’énergie - voire plus - mais « décarbonée », de produire autant de véhicules individuels mais électriques, etc.

La loi européenne sur les matières premières critiques (Critical Raw Materials Act ou CRMA)

En mai 2024 l’union Européenne a mis en application la loi européenne sur les matières premières critiques (Critical Raw Materials Act ou CRMA), présentée comme outil indispensable pour assurer notre « transition climatique » [2].

L’objectif climatique est clairement affiché : « Pour réaliser la transition écologique de l’UE, il faudra renforcer la production locale de batteries, de panneaux solaires, d’aimants permanents et d’autres technologies propres. Un accès abondant à une variété de matières premières sera nécessaire pour répondre à la demande correspondante ».

C’est sûrement cet affichage « vert » qui a fait voter en masse les parlementaires européens pour cette loi, et pourtant...

« Du sang sur le green deal »

Une étude de novembre 2023 (juste avant l’adoption du CRMA par le parlement) publiée par l’Observatoire des multinationales (Paris) et Corporate Europe Observatory (Bruxelles), intitulée « Du sang sur le Green Deal », remet en question les beaux discours verts de l’UE. L’étude montre comment les industriels de l’aéronautique et de l’armement, et leurs alliés au sein de la Commission et dans les capitales européennes, ont fait pression avec succès pour s’assurer que de nouvelles mines seraient bientôt ouvertes sans aucune assurance à ce qu’elles servent effectivement à la transition climatique et même avec de forts risques que les métaux extraits servent à fabriquer des armes. Ils se sont notamment assurés que la liste officielle des minéraux critiques de l’UE inclurait bien l’aluminium et le titane, deux métaux essentiels à leurs intérêts mais d’une utilité limitée (surtout le titane) pour la transition climatique.

D’ailleurs la présentation du CRMA sur le site de l’UE inclut dans les objectifs de cette législation que les minerais seront aussi nécessaires pour « les chaînes de valeur industrielles : les matières premières non énergétiques sont liées à toutes les industries, à tous les stades de la chaîne d’approvisionnement pour les technologies stratégiques, telles que les technologies des secteurs de l’espace et de la défense et enfin pour les progrès technologiques et l’amélioration de la qualité de la vie qui dépendent d’un nombre variable et croissant de matières premières. »

« L’exploitation minière est une activité intrinsèquement sale, en Europe comme ailleurs, rappelle Lora Verheecke de l’Observatoire des multinationales. Nous avons besoin d’une véritable discussion politique sur la consommation européenne de matières premières critiques, et sur quelles utilisations doivent être priorisées. L’industrie de l’armement ne devrait pas bénéficier de passe-droit en se cachant derrière la nécessité de la transition énergétique. »

Bram Vranken, chercheur au Corporate Europe Observatory et expert du lobby européen de la défense ajoute : « L’industrie de l’armement fait pression depuis des années pour obtenir un accès plus facile aux matières premières. Elle utilise aujourd’hui de manière opportuniste l’urgence climatique pour obtenir enfin les soutiens publics et les dérégulations environnementales qu’elle souhaitait. Au lieu de rendre notre économie plus verte, le CRMA risque surtout d’augmenter les profits d’une industrie impliquée dans l’exportation d’armes dans le monde entier. » [3]

Pour les rédacteurices de cette étude, la loi européenne sur les matières premières critiques s’est transformée en « open bar » pour les industriels les plus polluants et les plus problématiques. Ils ont exercé un lobbying agressif pour s’assurer que les métaux qui les intéressent bénéficient du même soutien public et des mêmes dérégulations environnementales que ceux qui sont réellement utiles à la transition climatique.

Et ils concluent : « Prenant prétexte de l’urgence climatique, l’Union européenne a signé un chèque en blanc aux compagnies minières et à des industries problématiques, sans se poser les questions nécessaires sur quels sont les minerais réellement critiques, pour quelles utilisations et quels objectifs, et sans hiérarchiser et discriminer entre les utilisations. Cela ne peut que mettre en péril les objectifs climatiques de l’UE, en rendant le Green Deal à la fois plus coûteux, et moins populaire auprès des populations affectées par l’exploitation minière. Et cela ne rendra probablement pas non plus l’Europe plus sûre, puisque les métaux seront utilisés pour fabriquer des armes qui seront ensuite exportées dans le monde entier. »

Les matières premières critiques

34 matières premières critiques ont été recensées par le CRMA, et parmi elles une liste spécifique de matières premières stratégiques (en gras dans la liste) créée pour les matières dont la fourniture devrait augmenter de manière exponentielle, qui ont des exigences complexes en matière de production et qui sont donc confrontées à un risque plus élevé de problèmes d’approvisionnement : aluminium/bauxite/alumine ; charbon à coke ; lithium ; phosphore ; antimoine ; feldspath ; terres rares légères ; scandium ; arsenic ; spath ; fluor ; magnésium ; silicium métallique ; barytine ; gallium ; manganèse ; strontium ; béryllium ; germanium ; graphite ; tantale ; bismuth ; hafnium ; niobium ; titane métal ; bore ; hélium ; métaux du groupe platine ; tungstène , cobalt , terres rares lourdes, phosphorite , vanadium ; cuivre, nickel.

Cinq secteurs stratégiques sont identifiés par l’UE : les énergies renouvelables, l’électromobilité, l’industrie, les technologies de l’information et de la communication (TIC), l’aérospatial et la défense.

L’UE soutient que sans les matières premières critiques, la plupart des secteurs de la société cesseraient de fonctionner, car elles sont présentes dans de nombreux appareils de la vie quotidienne et dans des produits essentiels à l’économie de chaque État membre.

Aujourd’hui, un large éventail de technologies clés, des puces aux batteries, en passant par les smartphones et tous les appareils électroniques, repose sur les propriétés physiques uniques de certaines matières premières critiques.

Au cours des dernières années, les accumulateurs électriques au lithium ont envahi de nombreux objets, sous diverses formes. Les piles (accumulateurs non rechargeables) alimentent les cigarettes électroniques jetables, les cartes d’anniversaire musicales, les jouets, les babioles des marchés de Noël, les prothèses auditives, etc. Les batteries proprement dites (accumulateurs rechargeables) font fonctionner téléphones portables, ordinateurs, tablettes, GPS, montres connectées, outils électroportatifs, drones, trottinettes, vélos, motos et voitures, pour ne citer que les usages les plus répandus. Petit à petit tous ces objets ont été rendus indispensables au quotidien de toutes et tous, ce qui donne un argument de plus aux industriels et aux dirigeants européens pour rendre indispensable le développement de l’extractivisme à n’importe quel prix.

La géopolitique des matières premières critiques

Les matières premières critiques sont principalement achetées en dehors de l’UE. Celle-ci ne sera jamais autosuffisante, mais elle vise à diversifier son approvisionnement [4].

Actuellement, pour certaines matières premières critiques, l’UE dépend uniquement d’un seul pays.

  • la Chine fournit 100 % de l’approvisionnement de l’UE en terres rares lourdes ;
  • la Turquie fournit 98 % de l’approvisionnement de l’UE en bore ;
  • l’Afrique du Sud fournit 71 % des besoins de l’UE en platine.

La Chine est le premier fournisseur mondial pour la majorité des matières premières critiques, y compris la barytine, le bismuth, le gallium, le germanium, le magnésium, le graphite naturel, toutes les terres rares (lourdes et légères), le tungstène et le vanadium.

Bien que la Chine reste un fournisseur important de l’UE, un certain nombre de matières premières critiques proviennent des pays européens : par exemple, le charbon à coke et le cuivre de Pologne, l’arsenic de Belgique, le hafnium de France, le strontium d’Espagne ou le nickel de Finlande.

Pour réduire sa dépendance vis à vis des pays tiers, l’UE s’est fixé les objectifs suivants pour 2030 :

  • Les matières extraites doivent venir à 10 % au moins de l’UE, contre actuellement 3 %, ce qui implique nécessairement de relancer l’extractivisme en Europe ; les pays membres s’y emploient notamment la France en lançant son nouveau programme d’identification des ressources minérales françaises [5] et en lançant des projets comme celui d’Imerys dans l’allier pour l’extraction et la transformation de lithium. Les projets fleurissent dans toute l’Europe.
  • La transformation des ressources doit se faire au moins à 40 % dans l’UE.
  • Le recyclage de la consommation annuelle doit se faire au moins à 25 % dans l’UE.
  • Pas plus de 65 % de la consommation annuelle de l’Union doit provenir d’un seul pays tiers pour chaque matière première stratégique qui se trouve à un stade de transformation donné. Cela va exiger une multitude de nouveaux partenariats un peu partout dans le monde.

Pour y parvenir, l’UE intensifiera ses actions commerciales, qui comprendront :

  • un club des matières premières critiques pour tous les pays partageant les mêmes valeurs et désireux de renforcer les chaînes d’approvisionnement mondiales ;
  • le renforcement de l’Organisation mondiale du commerce ;
  • l’extension de son réseau d’accords de facilitation des investissements durables et d’accords de libre-échange ;
  • l’intensification de l’application de la législation pour lutter contre les pratiques commerciales déloyales.

La diplomatie des matières premières

Il est facile de voir qu’aujourd’hui un des enjeux majeurs des accords commerciaux est de garantir l’approvisionnement en matières premières de l’UE pour les secteurs évoqués ci-dessus.

En dehors des ALE classiques comme le Mercosur qui contiennent des clauses sur les matériaux critiques, d’autres types d’accords interviennent : accords sectoriels comme avec l’Afrique du sud concernant le Nickel, stratégie du « Global Gateway » qui vise selon l’ UE à « développer avec des pays du sud global des liens intelligents, propres et sûrs dans les domaines du numérique, de l’énergie et des transports, et à renforcer les systèmes de santé, d’éducation et de recherche dans le monde entier [6]. » C’est dans ce cadre qu’a été conclu l’accord avec le Rwanda [7].

Dans le cadre de sa « diplomatie des matières premières » l’UE a mis en place des partenariats stratégiques sur les matières premières critiques avec l’Argentine, l’Australie, le Canada, le Chili, la RDC, le Groenland, le Kazakhstan, la Namibie, la Norvège, le Rwanda, la Serbie, l’Ukraine, l’Ouzbékistan et la Zambie [8]. Elle utilise différents cadres de coopération établis aux niveaux bilatéral, régional ou multilatéral [9].

47 projets stratégiques

Le 25 Mars 2025, la commission Européenne a sélectionné 47 projets stratégiques visant à renforcer les capacités nationales en matière de matières premières stratégiques, répartis dans 13 États de l’UE : Belgique, France, Italie, Allemagne, Espagne, Estonie, Tchéquie, Grèce, Suède, Finlande, Portugal, Pologne et Roumanie. « Ils couvrent un ou plusieurs segments de la chaîne de valeur des matières premières, avec 25 projets comprenant des activités d’extraction, 24 de transformation, 10 de recyclage et 2 de substitution des matières premières. Les projets stratégiques couvrent 14 des 17 matières premières stratégiques énumérées dans la législation sur les matières premières critiques. Il s’agit notamment de plusieurs projets couvrant le lithium (22 projets), le nickel (12 projets), le cobalt (10 projets), le manganèse (7 projets) et le graphite (11 projets), qui bénéficieront particulièrement à la chaîne de valeur des matières premières des batteries de l’UE » [10]. Neuf de ces projets concernent la France (2 d’extraction, 5 de transformation et 2 de recyclage), dont le projet Emili d’Echassières dans l’Allier.

Ces projets seront soutenus financièrement par l’UE (22,5 milliards €), et conformément au CRMA, la procédure d’octroi de permis ne dépassera pas 27 mois pour les projets d’extraction et 15 mois pour les autres projets. À l’heure actuelle, les processus d’autorisation peuvent durer de cinq à dix ans. Les États sont invités à soutenir de la même manière.

Regarder de plus près cette loi européenne sur les matières premières critiques, nous permet de nous rendre compte que les gouvernements européens sont déterminés, et les enjeux géopolitiques énormes tant le monde capitaliste a besoin de croissance et donc de ce développement extractiviste. Cet examen met aussi très clairement en évidence que les projets faits ici n’enlèveront aucun projet ailleurs, il restera encore 90 % des besoins à satisfaire via les importations. La souveraineté énergétique de l’UE ne sera jamais atteinte, d’autant plus dans une dynamique de croissance des consommations.

Un article écrit par Marie-Paule Murail

J’agis avec Attac !

Je m’informe

Je passe à l’Attac !

En remplissant ce formulaire vous pourrez être inscrit à notre liste de diffusion. Vous pourrez à tout moment vous désabonner en cliquant sur le lien de désinscription présent en fin des courriels envoyés. Ces données ne seront pas redonnées à des tiers. En cas de question ou de demande, vous pouvez nous contacter : attacfr@attac.org