Contribution d’Attac à la mission parlementaire sur les « profits exceptionnels dégagés pendant la crise »

lundi 3 octobre 2022, par Attac France

Nous publions ici notre contribution à la mission-flash de la commission des finances de l’Assemblée nationale sur « les entreprises pétrolières et gazières et celles du secteur du transport qui ont dégagé des profits exceptionnels durant la crise ». L’occasion de revenir sur les positions d’Attac et celles de l’Alliance écologique et sociale, à laquelle participe Attac, qui a publié une note sur le sujet le lundi 26 septembre.

Cette mission a été lancée par la Commission des finances de l’Assemblée nationale, elle est codirigée par Manuel Bompard (LFI) et David Amiel (Renaissance). Prévue pour durer un mois, cette mission présente ses conclusions en octobre, soit juste avant le début du projet de loi de finances.

Si son périmètre est restreint (elle se limite à quelques secteurs d’activité et aux seuls profits dégagés pendant la crise), cette mission était toutefois l’occasion de revenir lors de l’audition du 27 septembre sur les positions portées par l’Alliance écologique et sociale et sur les positions d’Attac.

La présente contribution, qui reprend certains éléments de la note de l’Alliance écologique et sociale, a été élaborée sur la base du questionnaire de la « mission flash » parvenu aux organisations quelques jours avant l’audition du 27 septembre 2022.

Quelle définition pertinente des « profits exceptionnels » ?

Nous reprenons en les développant les points développés dans la note de l’Alliance écologique et sociale [1] ». La définition la plus simple est la suivante : « Profit considérable, au-dessus des profits habituels » (Larousse). Elle permet donc de définir une approche permettant d’évaluer les superprofits, ce que les comptes de résultats des entreprises ne déterminent effectivement pas sur un strict plan comptable.

On peut également parler de « profits excédentaires » comme la commissaire européenne à l’énergie elle-même, Kadri Simson, l’a évoqué. Ces profits ne sont pas dus à une stratégie d’innovation ni à un investissement mais s’apparentent davantage à un effet d’aubaine provoqué par les circonstances (crise, guerre, inflation…). Les anglo-saxons évoquent le terme très parlant de « profits tombés du ciel » (« windfall profits »).

En la matière, les données relatives aux entreprises du CAC 40 sont suffisamment parlantes.

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L’écart entre le résultat net moyen et le résultat de l’année 2021 s’élève à 69,67 milliards d’euros. L’année 2022 devrait confirmer cette tendance à la réalisation de superprofits : avec 72,8 milliards d’euros de bénéfice net cumulé, le CAC40 devrait dépasser le montant record de profits dégagés en 2021 : « c’est 23 % de plus qu’au premier semestre 2021, 53 % de plus qu’au premier semestre 2019, et plus de quatre fois les bénéfices réalisés dans la première moitié de 2020, en pleine première vague de la pandémie de Covid-19 [2] ».

TotalEnergies aurait ainsi plus que doublé son bénéfice au deuxième trimestre avec plus de 10,4 milliards d’euros. ArcelorMittal a bénéficié de la hausse des prix de l’acier et atteint près de 8 milliards d’euros. Engie a plus que doublé son bénéfice, à 5 milliards d’euros. Le secteur énergétique n’est pas le seul concerné ; LVMH, Kering et L’Oréal ont vu leurs bénéfices cumulés grimper de plus de 36 % par rapport au premier semestre 2021.

Quelle taxe possible ?

L’année 2021 étant déjà passée, il s’agit de taxer les superprofits de 2022, ce qui nécessite une adoption du dispositif dans un projet de loi de finances rectificatif pour 2021. S’agissant des options en présence pour une taxe se déclenchant en cas de superprofits, on peut identifier la mise en œuvre d’une taxe sur les « superbénéfices » et une taxe sur les ventes.

1/ Une taxe sur les « superbénéfices » ?

Un profit annoncé au niveau d’un groupe constitué de plusieurs entités qui, pour certaines, sont logées dans des pays où la fiscalité est basse, voire dans des paradis fiscaux, ne signifie donc pas que ce profit global soit imposé en France à l’impôt sur les sociétés (IS). Les prix de transfert (des transactions intra-groupe) sont par exemple mobilisés par les groupes qui ont organisé leurs différentes implantations pour loger leurs bénéfices là où ils seront le moins imposés.

Les entreprises implantées en France déclarent tous les ans un bénéfice taxable à l’IS en France. Les données de la DGFiP sur la période 2015-2019 montrent une hausse de ce bénéfice taxable et du chiffre d’affaires des entreprises [3]. Elles montrent également une déconnexion entre l’évolution du bénéfice et celle du chiffre d’affaires et une forte concentration de ces deux masses. Entre 2015 et 2019, le bénéfice taxable a augmenté de 63,14 milliards d’euros, soit une hausse de 41,67 %, et le chiffre d’affaires a augmenté de 476,9 milliards d’euros, soit une hausse de 6,72 %. Et au sein du décile supérieur, entre 2015 et 2019, le bénéfice taxable a augmenté de 39,65 milliards d’euros, soit une hausse de 31,62 % tandis que le chiffre d’affaires a augmenté de 435,99 milliards d’euros, soit une hausse de 6,47 %.

En 2020, les 2,63 millions d’entreprises, imposées tant à l’impôt sur les sociétés (IS) qu’à l’impôt sur le revenu, ont déclaré un résultat fiscal de 91 milliards d’euros (voir annexe). Parmi elles, 7.300 entreprises ont dégagé un résultat fiscal de 39,4 milliards d’euros, soit 43,48 % du résultat fiscal global. L’IS payé par ces 7.300 entreprises représente 52,87 % du rendement brut de l’IS (avant les restitutions de crédit d’impôt). En leur sein, les 300 plus grandes entreprises ont dégagé 24,61 % du résultat global de l’ensemble des entreprises et l’IS qu’elles paient représente 30 % du rendement brut de l’IS. Ce dernier est donc très concentré sur les plus grandes entreprises, ce qui s’explique puisqu’elles concentrent l’essentiel des bénéfices.

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Si une partie des bénéfices est déclarée en France, une autre ne l’est pas. Certains groupes paient peu d’IS en France. Le cas de TotalEnergies est éclairant : le groupe n’a payé aucun IS en France entre 2012 et 2015 ni en 2020 et 2021. Et ce, alors que l’entreprise y a installé son siège et qu’elle y réalise 21 % de son activité, qu’elle y emploie 35 % de ses effectifs et qu’elle y loge 44 % du capital social de toutes les entités juridiques du groupe. La question se pose par conséquent de savoir si le bénéfice constitue-t-il une assiette pertinente.

Un renforcement du contrôle fiscal apporterait une partie de la solution au problème du rendement, celui-ci étant forcément affecté par l’évitement de l’impôt. En effet, si l’IS est concentré sur les plus grandes entreprises, celles-ci mettent de longue date en œuvre des stratégies d’optimisation fiscale, souvent agressive, voire de fraude. Bien que conséquent, le bénéfice taxable en France ne correspond donc pas au bénéfice réel généré par l’activité réalisée sur le territoire. Faute de « taxation unitaire » (voir ci-dessous), ces pratiques se poursuivront, au détriment du rendement d’IS et, mécaniquement, d’une éventuelle taxe assise sur les profits.

Pour combattre un tel évitement de l’impôt, la stratégie pourrait alors être de procéder à des vérifications sur les prix de transfert notamment, afin de déterminer si une partie d’entre eux sont frauduleux et, par conséquent, réintégrer au bénéfice taxable en France les bénéfices logés artificiellement dans les paradis fiscaux. Pour ce faire, les déclarations « pays par pays » et de « prix de transfert », obligatoirement déposées par les multinationales auprès des services fiscaux, pourraient être utilement exploitées. Une telle taxe sur les « superbénéfices » doit évidemment s’accompagner d’une stratégie de contrôle de la part de la DGFiP pour vérifier le respect des obligations déclaratives et la réalité des prix de transfert. Les contrôles opérés en la matière permettront de montrer que la base devant être imposée en France est en réalité plus large que celle qui y est déclarée.

Quoi qu’il en soit, une taxe de ce genre mérite d’être pérennisée pour être activée lors de réalisation de « superprofits ». Le principe serait alors simple : en cas de superprofit, la taxe serait applicable, mais elle ne le serait pas en cas de « profits normaux » ou, bien évidemment, de déficit.

En matière d’imposition des bénéfices, la meilleure solution reste cependant l’instauration d’une taxation unitaire, une proposition qui trouve un écho certain dans le débat sur la taxation des superprofits dont on rappellera ici le principe [4] :

- 1 La taxation unitaire considère les parties de la multinationale comme une entité unique qui réalise un certain bénéfice au niveau mondial. Cela rend inopérante la création de filiales dans les paradis fiscaux, pour y loger une partie des profits du groupe via les manipulations des prix de transfert.

- 2 Le bénéfice mondial est ensuite réparti entre les pays où la multinationale réalise son activité. Cette répartition est basée sur trois facteurs : le travail, les actifs immobilisés, les ventes.

- 3 Dans chaque pays, la multinationale est taxée sur la part de bénéfice mondial affectée au pays, au taux prévu par sa loi nationale. Outre le surplus mécanique de recettes qui en découlerait, un tel dispositif permettrait par ailleurs de taxer au même taux effectif les bénéfices d’une multinationale et ceux d’une PME, mettant ainsi fin à une trop longue injustice.

Telle que définie ci-dessus, la taxation unitaire (un projet plus ambitieux que celui relatif à l’imposition minimale des multinationales proposé par l’OCDE) n’existe cependant pas [5]. Une taxation sur les superprofits peut toutefois faire avancer cette question, en étant par exemple calculée non seulement sur le bénéfice déclaré en France mais également sur celui qui est déclaré dans des pays à fiscalité basse voire nulle.

2/ Une taxe sur les ventes ?

La question d’une autre assiette, mieux localisable que le bénéfice, est donc posée pour calculer une taxe qui serait déconnectée de toute notion de « profit » dans son calcul, mais qui serait mise en œuvre lorsqu’une entreprise dégagerait des superprofits. Cette assiette pourrait être constituée des ventes [6] (et, pour les institutions financières, du produit net bancaire [7]) ou de la valeur ajoutée (brute ou nette, suivant la possibilité de déduire les amortissements), un solde intermédiaire de gestion très regardé puisqu’il mesure la performance économique des entreprises. Plus large que le bénéfice, cette assiette permettrait d’appliquer un taux plus faible qu’une taxe sur les bénéfices, pour un rendement qui pourrait être similaire.

Se pose là également la question d’un dispositif pérenne, qui se déclencherait automatiquement lors de la réalisation de « superprofits », mais qui n’empêcherait pas une hausse du résultat des entreprises, dans certaines limites. Ces limites présentent l’avantage d’inciter les entreprises à ne pas augmenter leur prix puisque, avec une hausse qui pénaliserait les ménages mais nourrirait des superprofits, l’entreprise serait assujettie à la taxe. Cette rétroaction positive constitue le caractère incitatif de la taxe qui, à terme et après une éventuelle mise en œuvre pour un rendement possible à court terme de 10 à 20 milliards d’euros, pourrait prendre progressivement le pas sur l’objectif budgétaire afin de contenir toute hausse anormale des prix.

Quid des autres pays européens visant à créer une fiscalité sur les profits exceptionnels ?

L’Italie, l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, le Royaume-Uni, la Hongrie, la Grèce ou encore la Roumanie ont décidé d’appliquer une taxe sur les superprofits des grandes entreprises. Les taxes mises en œuvre ou en projet répondent à un objectif commun, taxer les superprofits dans un contexte de forte inflation, tout en présentant des différences liées notamment aux tissus économiques des pays concernés.

L’Italie est le pays précurseur : en mars 2022, une taxe de 10 % (contestée par les entreprises), réévaluée à 25 % durant l’été, a été instaurée pour un rendement espéré de 10 milliards de dollars qui serviront à financer des aides pour les entreprises et les ménages.

Il en va ainsi du Royaume-Uni, où le gouvernement conservateur précédant l’actuel a décidé d’appliquer une taxe exceptionnelle de 25 % aux compagnies pétrolières, qui concernera donc les compagnies britanniques opérant en mer du Nord, théoriquement taxées à 40 % sur leurs bénéfices (65 % désormais) pour un rendement d’environ 6 milliards d’euros.

En Espagne, le gouvernement socialiste a créé 25 % de taxe supplémentaire sur les superprofits des compagnies pétrolières ou gazières, et des banques pour un rendement espéré de 7 milliards d’euros.

Quelle analyse de la proposition de la Commission européenne ?

Les premières analyses montrent que la France devrait être très peu concernée par ce dispositif. En effet, le mix électrique est encore fortement dépendant du gaz (20 %). Or, ce sont souvent les centrales à gaz qui déterminent le prix sur les marchés. Le tarif de l’électricité se retrouve donc de fait dépendant du coût de ce carburant, dont les prix flambent [8]. Les producteurs d’électricité nucléaire ou renouvelable profitent de cette envolée des tarifs sans que leurs coûts de production n’aient évolué. Ils dégagent ainsi des « superprofits ».

La Commission européenne propose de mettre à contribution de la manière suivante.

- 1 une contribution de solidarité sur les bénéfices de producteurs d’hydrocarbures au taux de 33,3 % minimum (les États pouvant aller plus loin) sur les bénéfices de l’année dépassant de 20 % la moyenne triennale 2019/2020/2021.

- 2 un plafonnement du revenu des opérateurs des centrales nucléaires et renouvelables qui équivaut à un prélèvement au taux de 100 % des bénéfices dégagés au-delà de 180 euros le MWh puisque les bénéfices seront prélevés.

Ce dispositif pourrait être décidé à la majorité qualifiée puisque le terme « contribution » notamment pourrait échapper au principe d’une décision « fiscale » réclamant l’unanimité. La Commission espère récupérer 142 milliards d’euros pour l’UE (25 milliards d’euros pour la contribution et 117 pour le plafonnement). Cette proposition européenne de taxation des superprofits se concentre sur le secteur énergétique, et épargne donc les autres « profiteurs de crise » comme les entreprises du fret maritime [9] ou encore le secteur bancaire.

Quels effets sur les choix de localisation d’activité, d’investissement et d’emploi et quelle estimation des recettes fiscales qui seraient générées en faveur de l’État français ou des États membres de l’Union européenne ?

Quelle que soit l’assiette retenue (« superbénéfices » ou ventes), une taxe sur les superprofits doit représenter une part substantielle des « superprofits ». Sur la base d’un taux plus élevé sur les superbénéfices que sur les ventes (cette assiette étant plus large), un rendement de 10 à 20 milliards d’euros est parfaitement réaliste.

En matière d’investissement et de localisation, la multiplicité des déterminants, la structure et le poids réel de l’impôt sur les sociétés et la tendance à la relocalisation exprimée dans un contexte de pandémie et de crise environnementale sont des éléments majeurs à prendre en compte. La question de l’impact potentiel d’une taxe sur les superprofits sur les choix de localisation d’activité, d’investissement et d’emploi doit en effet être mise en perspective.

Il faut donc avant tout rappeler les données suivantes.

- En 2019, soit avant la baisse du taux de l’IS à 25 %, selon l’OCDE, l’IS français représentait 2,2 % du PIB en France contre 3 % dans l’ensemble des pays de l’OCDE. L’écart apparemment spectaculaire entre cette réalité et la comparaison traditionnellement effectuée en matière de taux nominaux provient notamment des dépenses fiscales qui grèvent le rendement de l’impôt sur les sociétés. Le crédit impôt recherche, d’un coût de près de 7,4 milliards d’euros en 2022 (source : PLF 2022) et l’existence de régimes dérogatoires expliquent l’essentiel de cet écart. Une autre raison souvent ignorée est l’étroitesse de la base due à la possibilité de déduire du bénéfice imposable des amortissements, ce qui favorise l’investissement. D’autres pays n’offrent pas autant de déductions possibles du bénéfice comme l’Allemagne notamment.

- En outre, les travaux menés sur les taux d’imposition à partir des liasses fiscales et des bénéfices fiscaux taxables déclarés en France, sont biaisés en raison des montages mis en place par les entreprises multinationales. Le jeu des prix de transfert, et leur éventuelle manipulation, leur permet en effet de localiser une partie de leurs bénéfices dans des pays qualifiés de « pays à fiscalité privilégiée » au sens de l’article 238A du Code général des impôts (CGI) [10].

De manière générale, les déterminants des investissements ne se résument pas au taux d’imposition des bénéfices.

- Des travaux de la Banque de France rappellent utilement que : « Une entreprise décide d’investir dans un projet si sa rentabilité anticipée excède son coût. La décision d’investissement repose donc sur deux éléments distincts : d’une part, une estimation des bénéfices futurs liés à cet investissement (facteur de « demande », ce qui rappelle que la question des revenus, en particulier des salaires et des pensions de retraite, est déterminante pour le débouché des entreprises) et, d’autre part, une évaluation de son coût de financement (facteur « d’offre »). Les conditions d’accès au financement externe (crédit ou émission de titres) constituent également un déterminant de la décision d’investissement et in fine de la dynamique de l’investissement au niveau macroéconomique [11] ». La Banque de France pointe ici le niveau des revenus pour que les entreprises aient des débouchés. Un enjeu oublié dans les politiques promouvant la modération salariale.

- Plus précisément, France stratégie soulève un paradoxe exprimé en ces termes : « Selon Eurostat, le taux d’investissement des sociétés non financières (SNF) est élevé en comparaison européenne : en 2015, il atteint 23 % contre 20 % environ en Allemagne et en Italie. Depuis 1995, il est par ailleurs en légère hausse et s’établit à un niveau supérieur à sa moyenne de long terme. Toutefois, la contraction de la base industrielle en France, plus forte que dans les autres pays européens, reste peu expliquée, tout comme ses conséquences sur l’investissement et sa structure d’une part ou encore sur la compétitivité d’autre part. [12] ». Les travaux de l’organisme montre que plusieurs raisons pourraient expliquer ce paradoxe : l’amélioration des conditions de financement, la sensibilité de l’investissement en biens manufacturés au taux de profit, la sensibilité de l’investissement en TIC au coût du capital, tout cela « alors que la demande jouerait sur l’investissement en biens manufacturés et dans une moindre mesure sur l’investissement en TIC », ce qui renvoie là aussi à la question des revenus, une dimension trop souvent occultée dans le débat économique. On ne peut donc pas démontrer que l’impôt sur les bénéfices est la cause de ce paradoxe tel qu’il est ici exprimé.

- Le Conseil d’analyse économique avait estimé qu’en raison des nombreux facteurs publics en France (financés par l’impôt), la France pouvait parfaitement présenter un taux d’impôt sur les sociétés supérieur à la moyenne des autres pays voisins et concurrents (que le CAE évalue dans son rapport à 6 points) [13].

- Les facteurs favorisant l’investissement ne se résument pas aux impôts et sont multiples : l’environnement politique, les débouchés, la qualité de la main d’œuvre, le système de santé, la qualité des infrastructures, etc.

Les « remises » de TotalEnergies sont-elles efficaces pour redistribuer une partie des bénéfices ?

Les mesures mises en œuvre par le gouvernement ont un coût pour les finances publiques. Selon le Haut conseil des finances publiques, « L’estimation du coût du bouclier énergétique sur l’électricité et le gaz s’est ainsi accrue respectivement de 8,9 Md€ et 3,5 Md€ par rapport à la LFI. La remise de 15 centimes hors taxes à la pompe en vigueur depuis le 1er avril qui serait progressivement remplacée par une aide ciblée à partir de la fin de l’été pèserait sur la dépense publique à hauteur de 7,6 Md€. L’aide mise en place au profit des entreprises grandes consommatrices d’énergie coûterait 3 Md ». Si le consommateur bénéficie de ces mesures, le contribuable les paie via l’impôt et un système fiscal injuste et déséquilibré.

La ristourne supplémentaire de TotalEnergies peut être analysée comme un geste au profit des consommateurs, qui s’empresseront donc de se fournir dans ces stations et d’offrir au groupe concerné un avantage comparatif qu’il retrouvera dans son chiffre d’affaires. Difficile donc à ce stade d’affirmer que ce geste constitue une forme de partage des bénéfices du groupe.

Les dispositifs mis en œuvre ne remplacent donc pas une taxe sur les superprofits, bien au contraire. Celle-ci permettrait de mettre à contribution les grandes entreprises (qui présentent au surplus un taux réel d’imposition des bénéfices inférieur au PME et qui bénéficient pleinement de la baisse des impôts dits « de production » [14]) dans l’effort budgétaire qui, actuellement, pèse lourdement sur les ménages.

Quelle évaluation des pratiques fiscales des entreprises étudiées et leur degré de transparence ?

Les prix de transfert constituent en théorie le prix des biens et des services qui se vendent entre ces entités d’un même groupe. Les sommes en jeu sont particulièrement élevées : les transactions intra-groupes représentent, selon les années et les estimations, entre 30 et 60 % de l’ensemble du commerce mondial. Ceci signifie que la manière dont sont organisées les multinationales (avec des entités présentes dans des paradis fiscaux) et dont sont « facturées » les ventes de biens et de services revêt un enjeu financier et fiscal d’autant plus colossal que ces transactions portent tout à la fois sur des ventes « traditionnelles » (ventes de biens, prestations de conseils, etc.) mais également sur des transactions portant sur les actifs immatériels (brevets, marques). Ces derniers peuvent représenter 50 à 70 % de la valeur d’une entreprise (ils ont évolué en moyenne de 15 % en 1974 et près de 85 % en 2015), ils ont connu un véritable essor avec le succès des entreprises intensives en capital immatériel reposant sur leur capacité à orchestrer des réseaux mondiaux et, plus largement, sur la numérisation de l’économie et la propriété intellectuelle.

Les prix de transfert doivent en théorie être déclarés à l’administration fiscale par les plus grandes entreprises. Il reste cependant à dresser un bilan qui porterait sur les éléments suivants. Les entreprises concernées ont-elles respecté leurs obligations déclaratives ? Comment les déclarations sont exploitées par l’administration fiscale ? Combien de contrôles menés, pour quels résultats et quels « profils » d’entreprises et de prix de transfert ? Quelles améliorations à apporter, notamment en matière de coopération internationale ou de moyens juridiques ?

Éléments relatifs aux investissements des entreprises dans la transition écologique et énergétique

Quelle évaluation du niveau d’investissement dans la transition écologique et énergétique des entreprises des secteurs étudiés ?

Quelques remarques préalables sur le périmètre et les ordres de grandeur. Que qualifie-t-on de « vert » à partir du moment où la Commission européenne a inclus le gaz fossile dans la liste des investissements durables de l’UE ? Rappelons que, les obligations dites « vertes » ne représentent en réalité qu’une petite part du marché obligataire mondial (2 %). Selon le rapport Banking On Climate Chaos 2021, les 60 plus grandes banques mondiales ont accordé 3.393 milliards d’euros de financements aux entreprises du secteur des énergies fossiles entre 2016 et 2020. Les banques européennes restent orientées vers les énergies fossiles. Il existe cependant un réel risque de crise majeure puisque ces actifs fossiles peuvent devenir des « actifs échoués » en perdant de la valeur et de la liquidité. En effet, le respect de l’Accord de Paris entraînera une baisse importante et continue de l’utilisation des énergies fossiles. On pourrait donc assister à un « remake » de la crise des subprimes, laquelle s’est transformée en crise mondiale systémique.

Sur les entreprises concernées, l’exemple de TotalEnergies montre que les énergies fossiles demeurent au cœur de la stratégie, laquelle évolue vers un développement d’autres formes d’énergies et tout cela, avec une dimension « financiarisation de l’économie » inchangée. En matière de stratégie industrielle, TotalEnergies et le groupe indien Adani ont annoncé un partenariat dans l’hydrogène vert (une molécule utilisée pour stocker de l’énergie qui n’émet pas de carbone lorsqu’elle est produite à partir d’électricité renouvelable).

Toutefois, il faut noter qu’au-delà de l’affichage d’une diversification, le pétrole et le gaz représentent près de 90% des revenus de TotalEnergies. L’enveloppe d’investissements annuels que le groupe dédie aux énergies « bas carbone » a certes été augmentée de 460 millions d’euros à plus de 1,3-1,8 milliard d’euros mais cela reste modeste au regard des moyens du groupe. L’objectif de Total énergies est de réaliser, à l’horizon 2040, 15 à 20 % de son chiffre d’affaires à travers la vente d’électricité à bas carbone, ce qui nécessitera une évolution rapide qui ne semble pas s’engager. Patrick Pouyanné a d’ailleurs reconnu que le groupe devra accélérer et dépasser les plus de 1,3-1,8 milliard d’euros d’investissements annuels pour atteindre ces objectifs. Le récent accord entre TotalEnergies et le Quatar sur le gaz naturel de 1,5 milliard de dollars relativise fortement le discours d’une réorientation stratégique du groupe vers les énergies « vertes ».

Quelle utilisation des « profits exceptionnels » aux regards des enjeux écologiques et énergétiques ?

Le rapport du collectif « Alliance écologique et sociale, Plus jamais ça ! » livre des pistes touchant à la rénovation de immeubles ou à la restauration collective qui ont le mérite d’être visibles, de lier les enjeux sociaux et écologiques et de présenter une forte probabilité d’être comprises et consenties par la population [15].

Quel bilan des actions entreprises, depuis 2020, en faveur du pouvoir d’achat des Français, de la transition écologique, de la sécurisation des approvisionnements de la France par les entreprises des secteurs étudiés.

Chacun s’accordera à dire qu’il fallait prendre des mesures sur le pouvoir d’achat. Celles-ci méritent un examen particulier que l’on peut résumer ainsi.

- La priorité a été donnée à des dispositifs d’allègements fiscaux inégalement répartis et au refus d’augmenter durablement les salaires et pensions de retraites (les revalorisations de la valeur du point d’indice des fonctionnaires, des pensions de retraite et des prestations sociales sont inférieures à l’inflation [16]).

- Certains dispositifs sont concrets pour les consommateurs, comme la remise à la pompe.

- Les dispositifs de type « prime » sont peu utilisés : la prime dite « Macron » a vu son plafond certes augmenté mais, outre qu’elle ne constitue pas une hausse de salaire durable, le bilan de sa première mouture est peu reluisant : à peine 1 salarié sur 5 en a bénéficié et pour un montant modeste (à peine plus de 500 euros). Ce qui jette le doute sur l’efficacité de la « prime de partage de valeur », d’autant que sa philosophie demeure d’éviter toute hausse de salaire pour que les revenus des salariés dépendent de dispositifs ponctuels et variables qui ne contribuent pas au financement de la Sécurité sociale.

Soulignons enfin l’importance des aides publiques, non conditionnées pour la plupart, accordées aux entreprises. En 2007, les 6.000 aides publiques aux entreprises représentaient 65 milliards d’euros, financés à 90% par l’État. Pour 2018, le ministère du budget donne le chiffre de 140 milliards d’euros. Les aides ont explosé durant la crise Covid. Les quatre principales d’entre elles – activité partielle, fonds de solidarité, prêts garantis par l’État et reports de cotisations sociales – mobilisaient 206 milliards d’euros à la fin mars 2021, soit 9 % du PIB français [17]. Ces aides [18] ont nourri le résultat des entreprises : selon l’INSEE, « le taux de marge des sociétés non financières (SNF) s’est établi à un niveau particulièrement élevé sous l’effet combiné des dispositifs de soutien, renforcés depuis le quatrième trimestre 2020 (Fonds de solidarité notamment), et de la baisse des impôts sur la production [19] ».

Annexe

Evolution du bénéfice taxable en France (montants en millions d’euros, source : DGFiP)

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Evolution du chiffre d’affaires des entreprises réalisé en France (montants en millions d’euros, source : DGFiP)

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Notes

[1Voir le site du collectif : https://plus-jamais.org/actualites/

[2Observatoire des multinationales, « Superprofits du CAC 40 : que disent les chiffres ? », 19/09/2022.

[3DGFiP statistiques, « L’impôt sur les bénéfices des entreprises en 2020 », n°06, mai 2020.

[4Selon le FMI, les gouvernements perdent au moins 500 milliards de dollars par an en raison de ces transferts. Pour l’économiste Gabriel Zucman – membre de l’Icrict (la commission indépendante pour une réforme internationale de l’impôt sur les sociétés), environ 40 % des bénéfices réalisés à l’étranger par les multinationales sont transférés dans des paradis fiscaux par ce biais.

[5Attac France et Attac Allemagne, « Pour une taxation unitaire pour lutter contre l’évasion fiscale des multinationales », 15/07/2019.

[6Notamment de l’addition des principaux comptes de classe « 7 » : 70 (ventes de produits, de prestations de services et de marchandises), 73 (produits nets partiels d’opérations de long terme), 74 (subventions d’exploitation), 75 (autres produits de gestion courante), 76 (produits financiers), 77 (produits exceptionnels) et 78 (reprises sur amortissements et provisions).

[7Soit les produits composés des intérêts et des commissions, hors intérêts sur créances douteuses mais y compris les dotations et reprises de provisions pour dépréciation des titres de placement ainsi que les plus ou moins-values sur titres.

[8Christian Chavagneux, « Les superprofits vont-ils être vraiment taxés en France ? », 15/09/2022.

[9A titre d’exemple, CMA-CGM a dégagé plus de 14 milliards de dollars de bénéfices pendant les six premiers mois de l’année 2022, soit presque autant que sur toute l’année 2021, année au cours de laquelle les profits avaient déjà explosé par rapport aux années précédentes.

[10Extrait de l’article 238A du CGI : « les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l’État ou le territoire considéré si elles n’y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus dont le montant est inférieur de 40 % ou plus à celui de l’impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont elles auraient été redevables dans les conditions de droit commun en France, si elles y avaient été domiciliées ou établies ».

[11Anne Duquerroy et Clément Mazet-Solihnac, « Blocnotedeleco de la Banque de France », 20/10/2020.

[12France stratégie, « Le paradoxe de l’investissement des entreprises françaises », 06/02/2018.

[13Rapport du CAE, « Concurrence fiscale et croissance équitable », 2005.

[14Moins de 10.000 entreprises, les plus grandes, ont capté 66 % des gains de cette baisse (source : Assemblée nationale, compte rendu de la séance du 14 novembre 2020).

[15Voir le site du collectif : https://plus-jamais.org/actualites/

[16Avec au surplus une perte due à l’inflation antérieure, soit 9,5 % pour les fonctionnaires par exemple, due à l’inflation cumulée entre février 2017 et juillet 2022.

[17Source : rapport d’étape du comité de suivi et d’évaluation des mesures de soutien financier aux entreprises confrontées à l’épidémie de Covid 19, avril 2021.

[18voir le répertoire officiel

[19INSEE, « Résultat des entreprises », conjoncture française, 6 octobre 2021.

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