Commission parlementaire de l’Assemblée Nationale Attac-France – 11 juillet 2023

lundi 9 octobre 2023, par Attac France

Le 10 mai dernier, l’Assemblée nationale a créé une commission d’enquête sur « la structuration, le financement, les moyens et les modalités d’action des groupuscules auteurs de violences à l’occasion des manifestations et rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023. »

Sur la page du site de l’Assemblée Nationale consacrée à cette enquête parlementaire, une photo illustre l’imaginaire qui a traversé l’esprit des commanditaires de l’enquête : un petit groupe de manifestant·es masqué·es et vêtu·es de sombre, s’en prennent à une voiture renversée. L’exposé des motifs de cette enquête prend comme point de départ les manifestations de Sainte Soline de mars dernier ainsi que d’autres événements antérieurs. L’heure est grave : « Ces faits ont en commun la violence radicale et l’entretien d’un climat insurrectionnel. Au regard de leur gravité pour notre République et pour les forces de sécurité qui la protègent et face aux questionnements qu’appellent ces éléments de structuration manifeste, il apparaît indispensable de faire toute la lumière sur les conditions et les moyens par lesquels des activistes et groupuscules organisent et conduisent ces mobilisations ultraviolentes, en interrogeant notamment leurs sources de financement et leurs liens avec les partis politiques institués. »

Alors que se multiplient depuis plusieurs années les alertes quant aux restrictions des libertés publiques et aux violences politiques, des parlementaires cherchent à déceler la menace intérieure qui fait trembler la République. Nul ne sait pour le moment quelles seront les préconisations des parlementaires à l’issue de cette commission d’enquête, mais nul doute que l’arc Renaissance-Horizons-Républicains-Rassemblement National sera à même de fourbir de nouvelles armes législatives contre les militant·es.

Attac France a été auditionnée par cette commission parlementaire (voir vidéo), dont les travaux sont encore en cours, et un questionnaire nous a été adressé. Nous reproduisons ci-dessous la déclaration liminaire prononcée lors de notre audition ainsi que les réponses aux questions qui nous ont été adressées.

Déclaration liminaire faite lors de l’audition devant la commission d’enquête

Attac est une association née il y a 25 ans qui lutte pour la justice fiscale, écologique et sociale. Créée à la suite d’un édito d’Ignacio Ramonet dans e Monde Diplomatique ("Désarmons les marchés financiers") en 1998, Attac a dès ses origines rassemblé syndicats, associations, titres de presse et personnalités. Par le biais de nos comités locaux, nous sommes présent·es sur l’ensemble du territoire français. Nous tirons nos ressources des cotisations de nos adhérent·es et des dons de particuliers.

Nous nous pensons comme un outil au service des mouvements sociaux, en articulant action, réflexions et analyses, par le biais d’ouvrages, de rapports ou encore de notes consacrées au système économique, social et politique auquel nous nous opposons et aux alternatives que nous pouvons lui opposer. Notre expertise est d’ailleurs reconnue.
Ce système, capitaliste et néolibéral, est producteur d’injustices, d’inégalités et destructeur du vivant, et il nous semble urgent d’en changer.

Par nos actions, nous cherchons donc à transformer ce système, en résistant aux politiques en place, et en promouvant des alternatives. Notre slogan depuis nos débuts reste le même : « Un autre monde est possible ».

Nous nous revendiquons de la désobéissance civile car nous sommes convaincu·es qu’il existe des urgences et un état de nécessité (Article 122-7 du code pénal) qui légitiment d’agir aussi en dehors du cadre légal pour transformer ce dernier et le mettre au service d’impératifs sociaux et écologiques, en somme au service du bien commun. En l’état « l’ordre public » qu’il faut protéger devrait d’abord concerner le vivant, les écosystèmes, les droits sociaux, la démocratie...

En réponse aux défaillances de l’État et à l’inaction gouvernementale, l’action citoyenne, élément central qui garantit le bon fonctionnement d’un régime démocratique est plus que nécessaire.

Notre consensus d’action est clair : nous excluons toute violence qui s’exercerait à l’encontre de personnes. En revanche, nos actions peuvent entraîner des dégradations légères de biens publics ou privés.

Notre association a été reconnue comme menant des campagnes d’intérêt général par la justice en 2018 sur le paiement de l’impôt et l’évasion fiscale, et cette décision a légitimé notre usage de la désobéissance civile en indiquant que notre action s’inscrivait dans le cadre de la liberté d’expression et de manifestation.

Nous nous revendiquons également de l’éducation populaire et cherchons à faire vivre des horizons émancipateurs. Nous faisons notre possible pour mettre en cohérence nos principes tels qu’ils apparaissent dans nos statuts, nos orientations validées en assemblées générales et notre fonctionnement que nous voulons aussi horizontal et inclusif que possible.

Nous sommes d’autant plus étonné·es d’être convoqués devant cette commission d’enquête parlementaire. Et d’ailleurs, en quelle qualité sommes-nous entendu·es ? Au regard du questionnaire préalable qui nous a été adressé, le doute subsiste. Est-ce en notre qualité d’expert·es ? Notre objet social n’est pourtant pas de produire de l’expertise sur la doctrine du maintien de l’ordre. Est-ce en tant que mouvement social partie prenante des contestations couvertes par la période (16 mars-3 mai 2023) qui intéresse cette commission ? Le présent dispositif pourrait laisser penser que nous sommes convoqué·es parce que nous sommes des opposant·es politiques.

Alors certes, nous assumons tout à fait ce statut : nous nous opposons au projet porté par le pouvoir macroniste depuis 2017. Nous avons d’ailleurs publié un bilan à charge du premier quinquennat dans un livre publié en 2022.

Mais notre présence aujourd’hui et l’orientation des questions qui nous ont été adressées, dans un contexte où des mouvements contestataires sont dissous par le gouvernement, font craindre que toute manifestation d’opinions divergentes de celles de la majorité soit d’emblée discréditée car qualifiée de « violente », de « radicale, d’« extrémiste », d’« anti-républicaine » ou même de « terroriste ». Ce serait une grave dérive autoritaire. Combattre les idées de son opposition par la répression n’est pas digne d’un gouvernement qui se revendique de la démocratie. Malheureusement, ces six dernières années, les attaques à l’encontre des libertés publiques ont été nombreuses. À tel point que François Molins, procureur général près la Cour de Cassation, parle de « risque de mithridatisation face aux restrictions des libertés publiques ». La mithridatisation est le "fait d’ingérer des doses croissantes d’un produit toxique afin d’acquérir supposément une insensibilité ou une résistance vis-à-vis de celui-ci". A force de réduire le périmètre de la démocratie, prenons garde à ne pas nous habituer à l’autoritarisme. François Molins rappelle également que l’État de droit se définit par la garantie des libertés fondamentales (d’expression, de manifestation, de réunion et d’association) et met en garde contre les « procès en terrorisation » de l’action politique et syndicale. L’usage de l’expression « éco-terrorisme » par un ministre du gouvernement est à cet égard pour le moins inquiétant.

Cette commission d’enquête nous inquiète donc. Non pas tant pour le devenir de notre association que sur ce qui préoccupe les parlementaires. Il y aurait pourtant bien d’autres violences à évoquer que celles qu’on retrouve dans les questions de la commission : les violences commises contre les migrant·es qui fuient leurs pays ; les violences sexuelles et sexistes qui touchent les femmes ou les minorités sexuelles ; les violences qui touchent les populations les plus pauvres, à qui l’on réduit les allocations chômage et qui ne trouvent plus dans l’État social les moyens d’être protégés ; les violences qui touchent les jeunes des quartiers populaires ; ou encore les destructions du vivant par le productivisme et l’agro-industrie...

La liste serait trop longue et une commission parlementaire n’y suffirait pas. Mais puisque nous avons été convoqué·es, nous sommes prêt·es à répondre à vos questions.

I. Le déroulement des manifestations et rassemblements du 16 mars au 2 mai 2023

1. Pouvez-vous indiquer les manifestations et rassemblements auxquels votre association a participé, ou appelé à participer, entre le 16 mars et le 3 mai 2023 ?

  • Toutes les manifestations appelées par l’intersyndicale : 16 mars, 23 mars, 28 mars, 6 avril, 13 avril, 1er mai
  • 25 mars : manifestation "Non à la loi Darmanin, pour une politique migratoire d’accueil", dans le cadre du collectif UCIJ
  • 25 et 26 mars dans les Deux-Sèvres : "Pas une bassine de plus"
  • Rassemblements dans différentes villes le 14 avril à l’occasion de la décision du conseil constitutionnel à propos de la réforme des retraites
  • Rassemblements dits « casserolades » le 17 avril et le 24 avril, 1 an. Comme dans les cas précédents, cet appel à se retrouver devant les mairies ou lors des visites des ministres, a été diffusé dans de nombreuses organisations et réseaux militants, dont Attac.

2. De manière générale, les violences commises entre le 16 mars et le 3 mai 2023 constituent-t-elles selon vous un phénomène nouveau ou s’inscrivent-elles dans le sillage de mouvements ayant pu émailler l’histoire sociale et politique du pays, notamment dans la phase antérieure à la pacification des manifestations ?

Les violences lors des manifestations ne sont pas un phénomène nouveau, et l’histoire française est marquée par de tels phénomènes. Cela dit, dans la période contemporaine, on constate que les violences policières lors des manifestations ont connu une croissance importante. En 2016, Amnesty International remarquait d’ailleurs que le droit de manifester était déjà menacé, à la fois par les pratiques policières et l’usage disproportionné et arbitraire de la force par les forces de l’ordre, et à la fois par le détournement des mesures de l’état d’urgence de 20151.

Les violences policières se sont radicalisées lors du mouvement des Gilets Jaunes. Un décompte réalisé pendant un an signale 860 cas, vérifiés et documentés, de violences policières durant les mobilisations de "gilets jaunes", entre les mois de décembre 2018 et juin 20192.

On a pu constater des évolutions des pratiques des forces de l’ordre qui vont de plus en plus au contact des manifestant·es, utilisent des armes de manière offensive comme les LBD et des grenades qui contiennent du TNT, les GLI-F4 classées comme armes de guerre, interdites depuis 2020 car jugées dangereuses en raison d’un nombre trop important de mains arrachées, remplacées par les GM2L classées elles aussi comme armes de guerre et jugées également dangereuses ; leur dangerosité impose un lancer en cloche qui est insuffisamment respecté.

Les violences commises lors de cette séquence ont entrainé des réactions des Nations unies, du Défenseur des droits ou encore du Conseil de l’Europe qui se sont tous inquiétés de l’usage excessif de la force en France et des restrictions que cela entraîne sur le droit pour les personnes de manifester pacifiquement.
L’Observatoire national des street-medics et secouristes volontaires estime qu’entre fin 2018 et début 2020, 30 000 personnes ont été blessées par le maintien de l’ordre ; 30 personnes ont été éborgnées, 5 personnes ont eu la main arrachée, et une personne, Zineb Redouane, est décédée après avoir été heurtée par une grenade lacrymogène à Marseille. On pourrait ajouter d’autres exemples, notamment la mort de Rémi Fraisse en octobre 2014.

Ces quelques exemples pourraient être mis en regard d’autres épisodes plus lointains de notre histoire sociale et politique, et on verrait que cette violence contre les manifestant·es n’est pas nouvelle ; néanmoins, les dernières années ont été marquées par un regain de la force et de la violence dans les pratiques de maintien de l’ordre.

3. D’après vos observations sur le terrain, quel est le profil des personnes ayant commis des violences ou ayant prêté assistance aux auteurs de violences ?

a) Dans quelle mesure les actions violentes commises en marge des manifestations et rassemblements ont-elles essentiellement été le fait d’individus isolés et/ou de groupuscules ?

Notre association a pour objet :

  • de produire et communiquer de l’information, de promouvoir l’éducation populaire et de formuler des propositions
  • et pour appuyer ce travail intellectuel, de mener des actions de tous ordres en vue de la reconquête, par les citoyen·nes, du pouvoir que la sphère financière exerce sur tous les aspects de la vie politique, économique, sociale et culturelle dans l’ensemble du monde. (extraits de nos statuts).

Nos actions sont organisées pour être visibles, bon enfant, pacifiques et basées sur des messages de fond procédant d’analyses étayées, elles s’inscrivent dans les mouvements sociaux contemporains. Il ne nous appartient donc pas de commenter des assertions extérieures à notre objet social, d’autant plus que la question posée ici semble plutôt relever de la compétence de la police ou des services de renseignements.

b) Pourriez-vous décrire leurs comportements en marge et dans les manifestations ayant donné lieu à des actions violentes ?

Comme nous venons de l’expliquer, il ne nous appartient pas d’émettre un avis sur des questions qui relèvent de la compétence de la police ou des services de renseignements.

c) Des membres de votre association ont-ils été pris à partie et/ou victimes de comportements considérés violents de la part de ces individus ou groupuscules ? Le cas échéant, des plaintes ont-elles été déposées ?

Non.

d) Des membres de votre association ont-ils été pris à partie et/ou victimes d’un usage considéré excessif de la part des forces de l’ordre ? Le cas échéant, des plaintes ont-elles été déposées ?

A l’occasion des manifestations de Sainte-Soline, nos militant·es :

  • ont fait part des contrôles excessifs sur pour se rendre sur les lieux de la manifestation
  • ont subi à l’arrivée du cortège pacifique une pluie de grenades lacrymos ou d’autres type d’armes.
  • Ont exprimé un grand sentiment d’insécurité lié à l’usage excessif de ces armes de guerre par les forces de l’ordre présentes en masse
    Certain·es sont revenu·es "traumatisé·es" par la disproportion entre leurs intentions et la répression dont ils et elles ont fait l’objet.

D’autres manifestations ont donné lieu à des problèmes du même ordre. Par exemple le 13 avril, lors d’une manifestation parisienne, des gaz lacrymogènes ont empoisonné notre cortège auquel participaient des enfants très jeunes. On a retrouvé le même scénario dans d’autres villes, par exemple lors des manifestations du 1er mai.

On parle des problèmes qu’on rencontre dans nos cortèges et ceux d’autres organisations, mais cette expérience d’un usage inconsidéré de la force de la part des forces de l’ordre est une expérience devenue hélas banale pour des très nombreux manifestants en France.

Peu de plaintes sont déposées car il s’agit de démarches lourdes qui ont très peu de chances d’aboutir, notamment parce que les violences commises par les forces de l’ordre sont anonymes, et quel la plupart du temps, l’obligation légale depuis 2014 de rendre visible le RIO (référentiel des identités et de l’organisation) est très peu respectée par les forces de l’ordre. Cela a d’ailleurs conduit en mars dernier des syndicats et associations à saisir le Conseil d’État afin de sommer le gouvernement pour qu’il fasse respecter cette obligation.
Ainsi, s’engager dans des démarches juridiques contraignantes, avec peu d’espoir de les voir aboutir, tend à limiter les plaintes de la part des manifestant·es. Et puis, cela pose de la question du niveau auquel il faudrait s’adresser. Contre qui porter plainte ? Les forces de l’ordre qui font usage de LBD, de gaz lacrymogène, de grenades ? La chaine de commandement de la police ? Les préfets ? Le ministre de l’Intérieur ?

4. Pour quelles raisons votre association a-t-elle participé à la manifestation organisée à Sainte-Soline le 25 mars 2023 ?

Comme toujours pour Attac, la première raison est une raison "de fond". Les mégas bassines font l’objet de critiques qui n’ont pas été entendues par les pouvoirs publics et qui n’ont jamais fait l’objet d’un réel débat public. La lutte contre les méga-bassines, qui représentent une technique d’accaparement de l’eau au service d’un système agro-industriel dépassé, est engagée depuis plusieurs années, notamment grâce au travail mené par le collectif Bassines Non merci et la Confédération Paysanne. Mais depuis deux ans, la préfecture des Deux-Sèvres interdit systématiquement les manifestations, met la pression sur les éventuel·les manifestant·es et sur les habitant.es : interdiction des rassemblements, contrôles de la circulation, utilisation d’hélicoptères les jours précédant les manifestations, techniques de surveillance illégales : caméras et traceurs GPS pour surveiller les opposants…

Cela constitue ni plus ni moins une façon de criminaliser préventivement les opposant·es à ces mégabassines et d’empêcher que le débat démocratique se mène, débat qui nécessiterait à minima un moratoire sur les projets en cours.

Il nous semble choquant qu’un gouvernement ait tenté d’empêcher un mouvement populaire de se rassembler à l’appel de plus de 200 organisations syndicales, politiques, paysannes et environnementales. Vu la légitimité du message, il nous semblait d’autant plus important de contribuer à cette mobilisation, car c’est ce genre d’évènement qui permet de mettre la question de l’eau, de sa gestion, de ses usages, et de son accaparement, au centre du débat public.

a) Son interdiction par l’autorité préfectorale a-t-elle donné lieu à débat quant à la conduite à tenir ?

Pour les raisons que nous venons d’évoquer, l’interdiction par la préfecture des Deux-Sèvres ne nous a pas fait changer d’avis quant à la nécessité de manifester ; la désobéissance civique peut s’impose pour des motifs légitimes dès lors que l’État nous empêche d’agir. Par ailleurs, il nous semble évident qu’il s’agit là d’interdictions politiques, pour empêcher les opposant·es de se faire entendre, ce que nous ne pouvons accepter. Là où cela donne lieu à discussion, c’est que nous prévenons nos adhérent·es et sympathisant·es des risques encourus, à la fois juridiques et par rapport aux forces de l’ordre. A eux et elles ensuite de décider du choix à faire quant à la participation à la manifestation.

b) Quelles raisons vous ont-elles mené à considérer opportun d’y participer, en dépit de la nature contraventionnelle de cette participation ?

Les bassines sont des ouvrages de stockage d’eau pour l’irrigation. Ce sont des cratères de plusieurs dizaines d’hectares en moyenne, recouverts de bâches plastiques. Elles sont alimentées par des pompes qui vont chercher l’eau de bonne qualité dans les sols et les nappes phréatiques.

Face aux pénuries d’eau en été, la solution trouvée par les agro-industriels et le gouvernement est de construire ces bassines pour pomper de l’eau en hiver et la stocker. Une minorité d’exploitations a le privilège d’être connectée à la bassine et de bénéficier de cette eau pour irriguer les cultures l’été, alors que le reste du territoire subit le manque d’eau et doit s’adapter aux restrictions préfectorales.

On assiste donc ainsi à une privatisation de l’eau pour le bénéfice d’une petite minorité (5-6%) des agriculteurs de la zone concernée. De plus, la construction des bassines est financée à plus de 70 % par de l’argent public, notamment par l’Agence de l’Eau, elle-même en partie financée par une taxe prélevée sur les factures des usagèr·es de l’eau.

Les bassines servent à irriguer de grosses exploitations productivistes, tournées vers l’exportation, telles que le maïs, gourmand en eau, utilisé pour l’élevage industriel. Cette agriculture utilise par ailleurs des intrants ayant un impact sur la qualité de l’eau.

Alors que les sécheresses s’étendent désormais sur toute l’année et sont aggravées par le changement climatique, les mégabassines incarnent la poursuite d’un système agricole destructeur, qui encourage le gaspillage des ressources (20% de l’eau des mégabassines s’évapore…)

Depuis de nombreuses années, Attac s’engage pour la défense du vivant et des écosystèmes, pour un partage équitable des ressources, pour une sobriété dans les usages des ressources naturelles. Il nous semble donc évident de nous retrouver dans la lutte contre les mégabassines, aux côtés des paysan·nes de la Confédération Paysanne (un de nos membres fondateurs) notamment.

5. Comment expliquez-vous les violences qui se sont produites à Sainte-Soline entre une partie des manifestants et les forces de l’ordre ? Quelle est votre lecture des faits ? Quelles précautions avaient été prises, à votre connaissance, pour assurer la sécurité des manifestants ?

La stratégie de la tension entretenue par la préfecture et le Ministre de l’Intérieur a été un facteur majeur de ces violences, notamment dans les semaines précédant le rassemblement. Le refus d’ouvrir un dialogue sur la gestion de l’eau et les mégabassines incite certains participant·es à se tourner vers d’autres moyens que les manifestations traditionnelles. Par ailleurs, l’usage disproportionné, injustifié et indiscriminé de la force avec du matériel et une stratégie de guerre qui ont coûté 5 millions d’euros pour défendre un cratère vide [5015 grenades utilisées en deux heures, soit environ une par seconde ; utilisation d’armes de guerre avec 89 grenades de désencerclement de type GENL, 40 dispositifs déflagrants ASSR ; des policiers armés de LBD (81 tirs) sur les quads (comme les BRAV-M sur les motos dans les villes)...3], n’ont fait qu’attiser la tension déjà palpable les jours précédents.

Clairement la défense des biens matériels a primé sur la sécurité des personnes. L’objectif était clair : empêcher l’accès à la mégabassine, quel que soit le coût humain. Le résultat est connu : 200 personnes blessées dont 40 gravement, deux personnes qui ont passé plusieurs semaines dans le coma à l’issue de la manifestation. Heureusement que cela a pu être limité grâce aux précautions prises de la part des organisateurs pour assurer une sécurité des manifestant·es et une prise en charge des personnes blessées. Alors que du côté des forces de l’ordre, le rapport de la Ligue des Droits de l’Homme montre une politique offensive et dangereuse et pointe la responsabilité de l’État pour non-assistance à personne en danger.

6. Madame Yamamoto, vous avez été contactée par le journal Le Point le 27 mars 2023 à la suite des événements de Sainte-Soline. L’article publié le 5 avril dernier comporte cette phrase : « L’association [Attac] ne fabrique pas de cocktails Molotov, bien entendu, mais elle conçoit que ses alliés du moment le fassent, partant du principe que “ les formes d’actions sont complémentaires” et qu’“il faut respecter la diversité des tactiques” mises en en œuvre par “des personnes déterminées” ». Confirmez-vous les propos qui vous ont été attribués par le journal Le Point ?

Il s’agit là une interview, pas une note ou un rapport de l’Association, et la tournure de l’article ne restitue pas l’esprit de ce que j’ai voulu exprimer. Attac envisage la diversité des tactiques comme un principe qui a parcouru l’histoire des luttes et des conquis sociaux qui s’est réalisé par différentes méthodes revendicatives. Cela ne constitue pas un appel à la violence, et d’ailleurs le consensus d’action d’Attac est non-violent. On doit par ailleurs rappeler la légitimité de la désobéissance civile qui est une méthode de revendication politique protégée et garantie par le droit international. A ce sujet, Michel Forst (rapporteur de l’ONU sur la protection des défenseurs de l’environnement) dénonce « une dérive vis-à-vis du droit international » et « une méconnaissance des textes internationaux qui légitiment la désobéissance civile »4 de la part du gouvernement français.

II. Les conditions du maintien de l’ordre

7. Selon le journal Le Parisien, des membres de votre association ont participé à un rassemblement le 30 mars 2023 à Paris afin de dénoncer des « violences policières ».

Ce rassemblement faisait suite aux mobilisations à Saint-Soline. A ce moment-là, deux personnes étaient dans le coma, l’une d’entre elles a failli mourir. A cela s’ajoutaient les propos de Gérald Darmanin et d’autres responsables politiques quant aux menaces que feraient courir les manifestant·es. Tout cela justifiait pleinement ce rassemblement, au vu de ce que nous avons dit précédemment sur le traumatisme provoqué par ce qui s’est passé à Sainte-Soline.

a) Pourriez-vous décrire les faits imputables aux forces de l’ordre qui pourraient relever de ce type d’agissements ? Dans quel contexte ces faits ont-ils été observés ?

Nous avons en partie répondu à cette question, en évoquant notamment l’usage de LBD et de grenades de désencerclement GLI-F4 qui ont blessé de nombreux manifestants durant ces dernières années. Par ailleurs, le recours à certaines brigades, en particulier la BRAV-M, participe à faire monter les tensions durant les manifestations, ce qui a d’ailleurs conduit des milliers de personnes à demander leur dissolution, comme cela avait le cas pour les voltigeurs après la mort de Malik Oussekine en décembre 1986.
Dans la période couverte par l’enquête, nous pouvons donner quelques exemples non exhaustifs :

  • 21 mars : Un policier a roulé à moto sur la jambe d’un manifestant à Paris.
  • 22 mars : Un marin-pêcheur de 22 ans s’est fait casser le nez à coup de matraque à Rennes.
  • 23 mars : Un syndicaliste de Sud Rail père de 3 enfants a été éborgné par une grenade de désencerclement en arrivant à Opéra lors de la manifestation parisienne. Il a perdu son œil.
  • 23 mars : Une AESH mère de 2 enfants a eu le pouce droit arraché par une grenade de désencerclement à Rouen.
  • 23 mars : Un homme a été amputé d’un testicule après avoir été touché par un tir de LBD-40 à Paris.

Tous ces actes ne sont pas seulement dénoncés par les manifestants et les organisations militantes. Depuis plusieurs années, et encore plus dans la période très récente, la France est rappelée à l’ordre quant aux techniques de maintien de l’ordre.

Ainsi la Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatovic, a condamné l’usage excessif de la force par les forces de l’ordre françaises dans les manifestations contre la réforme des retraites : « Les actes de violence sporadiques de certains manifestants ou d’autres actes répréhensibles commis par d’autres personnes au cours d’une manifestation ne sauraient justifier l’usage excessif de la force par les agents de l’État »5. Allant dans le même sens, le 15 juin dernier, des experts de l’ONU, membres du conseil sur les droits humains ont déposé un rapport qui incrimine la France pour son usage des gaz lacrymogènes et des grenades assourdissantes pour disperser les foules, munitions que seule la France utilise en Europe pour des opérations de maintien de l’ordre public. Ce rapport s’alarme du nombre de personnes blessées et de la gravité des actes de violence, ainsi que du « manque de retenue dans l’usage de la force contre des membres de la société civile qui réclament leur participation légitime aux processus de prise de décision concernant leur avenir, l’accès aux ressources naturelles, la protection des droits de l’Homme, la dignité et l’égalité serait non seulement antidémocratique, mais aussi profondément inquiétant pour la protection de l’État de droit ».

Comme cela avait été fait en 2019, ce rapport appelle le gouvernement français à entreprendre une révision complète des stratégies et pratiques de maintien de l’ordre.

b) Pourriez-vous préciser les moyens offensifs et défensifs employées par les forces de l’ordre ? Pourriez-vous préciser les circonstances dans lesquelles ces moyens ont été employés ? Qu’est-ce qui, selon vous, constitue un usage abusif de la force ?

On ne peut pas préciser TOUS les moyens offensifs, mais au-delà des grenades de désencerclement, des LBD, on pourrait aussi évoquer les arrestations arbitraires : la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté dénonce dans un rapport de mai 2023, des gardes à vue « dépourvues de base légale » et s’inquiète d’une « banalisation de l’enfermement » à titre préventif et l’« instrumentalisation » de la garde à vue à des fins de maintien de l’ordre. Le 16 mars, sur 292 gardes à vues prononcées à Paris suite aux manifestations seules 9 ont donné lieu à un déferrement. Soit 283 gardes à vues levées sans poursuites, classées sans suite pour infraction insuffisamment caractérisée ou absence d’infractions7, mais donc 283 inscriptions au fichier du Traitement d’antécédents judiciaires (TAJj) sans aucun fondement.

On pourrait aussi évoquer les effets des gaz lacrymogènes utilisés de nombreuses fois lors de l’arrivée des cortèges, y compris en présence de très jeunes enfants. Rappelons qu’en 2020, l’Association française de Toxicologie-Chimie a publié un rapport intitulé Le Gaz lacrymogène CS, effets toxiques à plus ou moins long terme8 qui dénonce des « effets néfastes évidents à plus ou moins long terme sur la santé et bien connus officiellement pour les militaires et les forces de police ». Les conséquences sur le long terme des gaz lacrymogènes sont très peu étudiées en France alors qu’elles sont abondamment documentées à l’étranger. En 2017, une revue de 31 études a montré que 1,3% des personnes exposées aux gaz lacrymogènes souffraient de dommages permanents. Et certaines personnes sont plus vulnérables aux effets de ces gaz, comme les enfants, les personnes âgées, les personnes asthmatiques ainsi que les femmes enceintes. Autant de profils présents dans les cortèges des manifestations contre la réforme des retraites.

8. D’après vos observations, quel jugement porter sur le schéma national de maintien de l’ordre ?

a) Quel a pu être l’impact de sa mise en œuvre dans le déroulement des manifestations et des rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 2 mai 2023 ? Dans quelle mesure a-t-il pu contribuer à la prévention ou à l’éclatement des violences ?

b) Les évolutions introduites dans le schéma national du maintien de l’ordre permettent-elles de favoriser une mise à distance entre les forces de l’ordre et la foule ?

Selon l’Observatoire parisien des libertés publiques, la nouvelle version du schéma national de maintien de l’ordre de 2021 innove de plusieurs façons. Il restreint les possibilités de documenter les pratiques de maintien de l’ordre puisqu’il introduit la notion de la notion de « journalistes reconnu·es par le ministère de l’intérieur », qui sont les seul·es concerné·es par droit de circuler librement, de se maintenir après l’attroupement et de porter des équipements de protection. Par ailleurs, la qualité d’observateur·ice est totalement absente du nouveau schéma, en contradiction manifeste avec l’arrêt du Conseil d’État du 10 juin 2021, qui rappelait pourtant la possibilité pour les observateur·ices de rester après les ordres de dispersion.

Ensuite, il élargit les possibilités de recours aux nasses pendant les manifestations. Alors que le Conseil d’État avait censuré les dispositions du premier Schéma, qui n’encadraient pas suffisamment les cas dans lesquels cette technique de maintien de l’ordre pouvait être mise en œuvre, le SNMO prévoit désormais l’encerclement « pour prévenir ou faire cesser des violences graves et imminentes contre les personnes et les biens ». Ce critère est suffisamment large et imprécis pour permettre l’encerclement préventif de toute manifestation. On notera que le SNMO de 2020 prévoyait uniquement de recourir à l’encerclement aux fins de contrôle ou d’interpellation des personnes, ou de prévention d’une poursuite des troubles à l’ordre public : les finalités sont donc amplement élargies par rapport à des dispositions annulées pour leur imprécision.

Enfin, Le SNMO reste inchangé sur divers points problématiques :

  • Interpellations des manifestant·es au sein du cortège, ce qui entraine des tensions et criminalise les manifestant·es.
  • Possible recours à des drones.
  • Utilisation d’armes classées « armes de guerre », malgré les nombreuses blessures occasionnées par ces armes et le constat répété d’un usage disproportionné.

En tout état de cause, le schéma national de maintien de l’ordre ne contribue pas à la mise à distance des forces de l’ordre et des manifestant·es, et les pratiques montrent que depuis quelques années, les pratiques vont de plus en plus dans le sens d’un contact et d’un encadrement des manifestations très rapproché des manifestant·es. Le SNMO échoue donc à prévenir les violences à l’encontre des manifestant·es.

9. Le droit du maintien de l’ordre a connu plusieurs évolutions récentes (loi du 10 avril 2019 visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors de manifestations, actualisation du schéma national du maintien de l’ordre en 2021, décret du 19 avril 2023 sur l’utilisation des drones). Quel bilan faites-vous de ces nouveaux textes ? Ont-ils modifié vos modalités d’action ?

Ce sont des lois sécuritaires qui restreignent les libertés publiques, notamment les libertés d’expression et de manifestation, et qui compromettent la capacité de l’opposition politique de jouer son rôle. Rappelons que la présence et la reconnaissance de l’opposition politique sont garanties par la Constitution qui lui reconnait un rôle indispensable au bon fonctionnement d’un régime démocratique car elle permet la représentation de l’ensemble du corps social, de maintenir un contre-pouvoir et de proposer une alternative politique. Or, ces lois créent un climat de suspicion, de stigmatisation et d’intimidation des mouvements sociaux, et l’application de ces mesures dans ce climat favorise une répression indiscriminée et disproportionnée qui a pour conséquence d’entraver l’action de l’opposition politique.

L’impact de ces lois a des effets concrets sur les formes prises par les mobilisations : la question de la sécurité des militant·es et sympathisant·es prend d’autant plus de place dans nos activités et induit une augmentation des dépenses (matériel de protection, frais d’avocat, amendes...) ; cela provoque bien souvent du découragement ou un renoncement de mener des actions ou de participer à des manifestations, par peur des violences9. Cela conduit donc à entraver nos actions, directement (possibilités d’arrestations arbitraires, menaces d’arrestations arbitraires…) et à long terme (multiplication des procès, frais de justice…)

Pour autant, cela n’a pas modifié nos modalités d’action, mais nous les effectuons dans un contexte qui n’est pas le même qu’il y a quelques années, et qui peut être anxiogène.

10. Un rassemblement devient un attroupement, au sens du code pénal, lorsqu’il est susceptible de troubler l’ordre public. Selon vous, la distinction entre ces deux notions est-elle comprise par les manifestants ? Conviendrait-il de la réformer ?

Il serait malvenu de prétendre nous exprimer au nom de l’ensemble des manifestant·es (ou d’un·e manifestant·e moyen·ne si ce profil existe et a un quelconque sens sociologique). Nous ne sommes donc pas en capacité de répondre à cette question. Notons cependant que la notion de « troubles à l’ordre public » est utilisée de manière variable et extensive, ouvrant la porte à l’arbitraire10.

11. Le dispositif des sommations vous semble-t-il suffisamment compréhensible pour les manifestants ? Quelles évolutions estimez-vous possibles sur le terrain ? Plus précisément, la mise en place de panneaux de signalisation et de hauts parleurs vous semblent-ils adaptés ?

Encore une fois, l’objet social d’Attac n’est pas de produire une expertise sur les techniques de gestion des foules protestataires et encore moins des recommandations à ce sujet.

Il nous semble cependant que cette question passe à côté du problème, qui n’est pas celui d’une mauvaise compréhension par les manifestant·es des dispositifs de sommation, mais celui d’un usage disproportionné de la force et de la multiplication des interdictions de manifester, et de la nécessité d’une refonte profonde de la doctrine du maintien de l’ordre.

Les outils utilisés par les forces de l’ordre allemandes (haut-parleurs ou écrans LED géants pour informer la foule), notamment lors des dispersions des manifestations, se sont accompagnés d’une remise en question du schéma du maintien de l’ordre en misant sur une politique de désescalade des pratiques violentes, alors qu’en France on assiste à un processus de judiciarisation du maintien de l’ordre qui aggrave les tensions.

12. À la lumière des manifestations auxquelles votre association a participé, que pensez-vous des interpellations effectuées par les forces de l’ordre au sein ou en marge des cortèges, et, de façon plus générale, du traitement judiciaire des personnes interpellées ?

Plusieurs de nos adhérent·es ont subi des violences et des arrestations arbitraires. Nous sommes donc particulièrement attentif·ves aux analyses sur le sujet, qui nous permettent d’affirmer que les interpellations sont en majorité indiscriminées, disproportionnées et violentes, comme nous l’avons expliqué plus haut.

13. Quelles mesures vous semblent nécessaires pour améliorer les conditions du déroulement des manifestations au vu de l’expérience des manifestations et rassemblements intervenus du 16 mars au 3 mai 2023 ?

Encore une fois ce n’est pas notre objet social, nous ne sommes en mesure de faire des recommandations, mais il est certain qu’une volonté de désescalade des violences policières est souhaitable, ce qui nécessite un changement de doctrine fondamental de la part des gouvernements mais aussi de nourrir une autre culture au sein de l’institution policière. Au vu des plus récentes enquêtes sur le sujet, on en est très loin.

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