Gaz de schiste et démocratie

lundi 16 septembre 2013, par Jacqueline Balvet

Ce jeudi 5 septembre 2013, s’est tenue une matinée bien dense au Parlement Européen à l’initiative des eurodéputés verts, après la rencontre de la veille organisée par les Amis de la Terre Europe et Food and Water Europe. Ces deux temps d’échanges, avec des réprésentants d’une dizaine de pays d’Europe, nous ont permis d’avoir une vision en direct des luttes et mobilisations en cours dans les différents pays.

Pour les Pays-Bas, Geert Ritsema (Mileu defensie), s’est attaché à démontrer l’impact positif des mobilisations qui ont conduit les responsables politiques à prendre des décisions condamnant la fracturation hydraulique : c’est ainsi qu’il y a désormais 53 collectivités locales et 3 provinces « fracking free ».

Pour les États-Unis, John Amstrong (Frackaction.com) a fait état des moratoires dans l’État de New- York, à Pittsburg, à Buffalo, et des 170 municipalités des USA déclarées « fracking free ». L’Allemagne est en attente d’une loi interdisant la fracturation. La région de Cantabrie (Espagne) l’a interdite récemment (avril 2013) ainsi que 150 municipalités de Catalogne.

Rappelons également que c’est grâce aux mobilisations importantes de 2011 que le Parlement français a voté la loi Jacob en juillet 2011, loi qui interdit la fracturation hydraulique. Cependant, force est de constater que les mobilisations n’ont pas toujours les mêmes effets. A entendre les témoignages des camarades de Balcombe au Royaume-Uni (malgré les campements, les manifestations rassemblant une très grande majorité de la population locale, il y a eu des répressions violentes, une députée arrêtée, et aucune décision à l’encontre des intérêts de la société Cuadrilla), ceux des roumains (en Roumanie, 8 000 manifestants, 9 000 signataires d’une pétition), ceux des polonais (dans le sud-est de la Pologne - Zurawlow, manifestations, 100 jours d’occupation d’un site, 32 arrestations), on constate que la population a bien souvent du mal à se faire entendre.

Comment accepter ces pratiques alors que le critère politique pour un État pour intégrer l’Union Européenne est qu’il y ait « des institutions stables garantissant la démocratie, l’État de droit, le respect des minorités et leur protection » . Est-ce vraiment appliqué dans les pays sus-cités ? N’a-t-on pas clairement devant nos yeux la démonstration que les gouvernements n’ont plus la main sur l’organisation de la démocratie dans leurs pays, qu’ils écoutent davantage les sociétés transnationales que les populations, occultant à celles-ci toute décision ?

C’est d’ailleurs ce que dénonce Josh Fox dans son film Gasland II : conflits d’intérêts avérés entre l’administration des USA et les sociétés pétrolières, pots de vin, décisions d’octroi de permis prises dans une totale opacité. Nous constatons les mêmes pratiques en France, avec ministres et députés directement liés à l’industrie, ainsi que le signalait Delphine Batho dans une récente interview
http://www.reporterre.net/spip.php?article4502

Et les craintes ne peuvent que se confirmer à voir les négociations qui s’engagent entre les USA et l’Union Européenne (partenariat transatlantique sur le commerce et l’investissement), allant dans cette même direction, celle de faciliter tous les projets des sociétés transnationales : c’est ce qui est prévu avec l’outil « investisseur – État » qui permettra aux sociétés transnationales de porter plainte auprès d’un État ou d’une collectivité territoriale qui prendrait des décisions risquant d’entraver leurs profits futurs : Chevron et les autres auront des tapis rouge devant eux pour forer là où ils l’auront décidé.

Le cas de la France est emblématique : le 24 septembre, nous saurons si l’instance politique la plus haute (le Conseil Constitutionnel) a succombé aux desiderata de la société pétrolière Schuepbach en décidant d’abroger la loi Jacob, permettant ainsi aux pétroliers de forer légalement, dès le lendemain, partout où les 57 permis sont valides.

La démocratie est en très mauvaise posture .

Assisterait-on à l’avènement d’une nouvelle ère « démocratique » ? Une démocratie que nos gouvernants modèlerait sur l’exploitation sans limites de ces nouvelles ressources énergétiques fossiles que sont les hydrocarbures non conventionnels ? Ainsi que l’analyse très justement Timothy Mitchell*, ce nouvel ordre social nécessite, pour fonctionner, que les négociations et décisions soient prises de manière opaque et fluide. Opaques et fluides comme le sont les hydrocarbures non conventionnels dans le sous-sol et les pipe-line.

Face à ce bouleversement prévisibles des démocraties occidentales, les mouvements sociaux sont plus que jamais nécessaires pour affirmer que les populations n’accepteront jamais une telle régression des droits humains, et pour affirmer l’exigence d’une véritable transition énergétique, basée sur la seule sortie de crise possible : celle d’une réduction drastique des consommations énergétiques allant vers un 100% renouvelable.

Karina Vopel, membre de la direction générale énergie à la Commision européenne, présente ce 5 septembre, a bien noté cette exigence des populations, affirmant, en réponse aux témoignages exprimés, que les gouvernements étaient à l’écoute des populations et que la commission s’attacherait à construire très rapidement un cadre approprié, permettant de bloquer toute exploitation du sous-sol ayant un impact environnemental inacceptable pour les populations.

Ne lâchons pas la pression, tant auprès des États que de l’Union Européenne et exigeons le droit des peuples à se faire entendre, ici et ailleurs.

* Carbon Democracy, Timothy Mitchell, La Découverte, août 2013 (version française)

Jacqueline Balvet
Attac France
le 15 septembre 2013

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