Geneviève Coiffard-Grosdoy est une militante active depuis des années dans la lutte contre l’aéroport et pour la Zad. À plus de 70 ans, elle souhaite partager ses questionnements et son expérience.
Après la très belle victoire collective de l’abandon du projet d’aéroport, nous avons vu réapparaître sur la Zad un déploiement policier hallucinant, porteur de la volonté de vengeance et de la rage de détruire de ceux qui se sont sentis bafoués par le fiasco de l’opération César de 2012.
Nous voici donc depuis des semaines confrontés à l’omniprésence des « bleus », de leurs camions et de leurs blindés. Ils doivent assurer le « retour à l’État de droit », en l’occurrence la destruction de dizaines d’habitats « illégaux » car sans permis de construire (aucune construction ne pouvait en obtenir après la concession à Vinci). La semaine prochaine risque de voir se produire une nouvelle attaque sur certains lieux de vie de la Zad.
Dans la diversité des références politiques, idéologiques… des habitant.es de la Zad, certains voient principalement l’État - et ses « forces de l’ordre » - comme l’ennemi à abattre. D’autres s’attachent, pour assurer la pérennité de la Zad, à la défense des lieux de vie en s’opposant à l’avancée d’engins de destruction, avec différents choix faits par « quartiers » ou lieux (creusement de tranchées sur les routes et chemins, érection de barricades, défense de ces mêmes barricades par feux, jets divers…). D’autres encore résistent en s’interposant physiquement de manière non-violente (par centaines comme on a pu le voir par exemple aux 100 noms). Tous essuient des tirs de milliers de grenades variées (11.000 la première semaine, dont 8.000 lacrymos)… des gazages quasi à bout portant, des bousculades, des chutes… et des blessures, parfois très graves, principalement par éclats de grenades.
Certains choisissent l’interposition physique face aux gendarmes, ce qui peut sembler dérisoire ou suicidaire : ce n’est pourtant jamais inutile puisque, a minima, cela fixe des effectifs qui ne sont donc pas disponibles ailleurs. Pour les personnes qui le pratiquent, ce n’est pas un baroud d’honneur face à des destructions inévitables : c’est le moyen d’affirmer notre engagement pour la pérennité de la Zad : les centaines de personnes habitantes, mais aussi voisines plus ou moins proches, agglutinées les unes aux autres, qui ont entouré les 100 noms le 9 avril ne criaient pas « défendons les 100 noms » mais « les 100 noms revivront » : elles l’ont crié jusqu’à l’extinction de voix, en larmes, et ce n’était pas seulement la faute des lacrymos… C’est la possibilité de poursuite de l’aventure collective Zad qui est ici défendue
Cependant, quels que soient les choix faits, le temps peut être très long et l’attente éprouvante… Attente de sommations, de charges ou de gazages… d’interpellations très probablement inéluctables après refus de sommations… La rage nous envahit, la peur – y compris celle de flancher personnellement - est à fleur de peau, parfois la panique, par exemple après avoir vu précédemment des tirs de gendarmes mobiles complètement à l’aveugle. La crainte de blessures, par éclats de grenades par exemple, est légitime car le risque est très réel. Mais elle devient positive si elle nous permet d’organiser la protection.
Quels constats, quels repères peuvent éventuellement aider dans ces circonstances ? Nous n’osons jamais les partager. Et sans doute faudrait-il le faire… Risquons-en une première approche.
Sur l’État
On peut se redire que nous ne sommes pas (encore ?) dans une dictature (militaire, fasciste...) où nous risquons les assassinats politiques, les meurtres déguisés en suicides, les disparitions… Ne nous y trompons pas. Nous sommes « seulement » confrontés à un État prétendument « démocratique », au service des puissants, qui assume, lorsqu’il se sent menacé si peu que ce soit, de prendre des risques énormes de « bavures », comme la mort de Rémi Fraisse, les meurtres dans les commissariats… nous le démontrent. Et je ne parle pas des rejets à la mer des migrants.
Sur la police
Les militaires (dont les gendarmes), et autres CRS sont des instruments du pouvoir d’État (et il se trouve que ce sont aussi des personnes, même derrière leurs équipements de robocop). On peut se (re)dire qu’ils ont la possibilité « au nom de la loi » d’avoir « recours à la force » pour nous contraindre, nous maîtriser, nous interpeller. Mais ils n’ont pas le droit, pour ce faire, de nous massacrer, de nous casser, et nous devons le garder en tête. Nous savons cependant que certains bleus ou noirs mettront beaucoup plus d’énergie que nécessaire pour nous contraindre, pire encore que certains y prendront plaisir. Et il vaut mieux verrouiller son imaginaire pour ne pas se laisser envahir et suffoquer par cette réalité insupportable, si elle nous submerge. En gros, on peut essayer de se dire que, pour ce qui suivra un refus d’obtempérer, le plus probable est que ce ne sera pas câlin, mais largement supportable...
Encore une fois, pas d’erreur sur la cible, il n’est pas pertinent de viser les gendarmes en leur retournant leurs grenades par exemple, car c’est l’État qui choisit armes et munitions…, les mêmes que celles qu’il emploie contre les sans papiers, les migrants, les grévistes, les jeunes dits « des quartiers » dont la zad se déclare solidaire. Et c’est bien à l’État qu’il faut renvoyer les douilles de grenades.
Propositions sur la conduite à tenir
Il existe bien des situations , mais dans tous les cas, il faut essayer que l’attente soit la moins passive possible. Voici des propositions, par exemple, dans une situation tendue et une probable charge de gendarmes mobiles avec lacrymos contre un grand groupe, comme on a pu le vivre à plusieurs reprises dans la journée du 15 avril :
- Prendre soin de soi et de son binôme, se protéger. Le fonctionnement en binômes affinitaires est essentiel ; c’est lorsque les choses se gâtent que sa nécessité apparaît, pour ne jamais laisser isolée une personne qui peut se retrouver potentiellement en difficulté !
- Vérifier la proximité de son binôme, avoir si besoin avec lui un échange rapide.
- Choisir avec lui, si c’est possible, sa position face aux gendarmes, celle où on peut se sentir le moins mal : il n’est pas forcément nécessaire d’être au contact ou presque, l’important c’est l’ensemble du groupe et les personnes de l’arrière sont tout aussi nécessaires que celles du premier rang.
- Vérifier sa propre tenue : pas de jambes et bras nus, pantalon épais (y penser avant !), lacets bien noués (préférer les grosses chaussures aux bottes si l’état du sol le permet, les grenades génèrent de nombreuses blessures aux orteils), fermetures éclair fermées, pas de sangles ou filets flottants, rentrer les capuches (pour éviter qu’une grenade ne s’y bloque), fermer les sacs à dos (même motif). Préparer écharpe et citron ou maalox. Pour ceux/celles qui l’acceptent, masque à gaz et lunettes : vu les améliorations sur les gaz qu’on nous balance, même si l’image des masques est désastreuse, enfiler un masque n’est plus un acte agressif, c’est un moyen supplémentaire pour la résistance, il faut se protéger pour durer. Certains (souvent des journalistes) utilisent des casques, des gilets de protection ou protège-dos de cavalier ou de motard (protection contre les chutes, les explosions de grenades). L’important est de se sentir à l’aise avec son équipement.
- Repérer la présence autour de soi des médics, d’une chorale, d’un accordéon, d’une batucada...
- Repérer la présence de journalistes, d’auto-médias, éventuellement leur parler.
- Repérer éventuellement la présence de militant.es qu’on sait plus expérimenté.es.
- Vérifier (si pas fait avant) qu’on a les numéro de la legal team, de la medic team,ou les demander.
- Repérer les possibilités d’évacuation (vers les champs environnants, par exemple), pour prévenir les paniques.
- Repérer les éléments cocasses, il y en a presque toujours ; le 15 avril, là ou j’étais, ces messieurs ont eu des soucis avec leurs engins d’arrosage : le malheureux bout de tuyau flapi qui essayait de cracher quelques gouttes nous a beaucoup fait rire et nous a semblé une image réjouissante de l’impuissance de l’État face à notre détermination…
- Si on en a le courage, admirer la nature avant qu’elle ne soit encore plus saccagée.
- Prendre soin des autres. Petit coup d’œil sur les voisins proches, et les inviter à faire eux-mêmes la vérification de leur tenue. Repérer la présence de personnes handicapées ou à mobilité réduite (il y en a sur toutes les manifs) qu’il faudra peut-être aider à reculer ou s’écarter.
- Se parler, çà peut aider.
- Observer. Il y a pas mal de choses utiles à repérer :
- l’identification des compagnies ;
- l’emplacement des gradés, des OPJ (officiers de police judiciaire), identification sur l’épaule ou brassard : il faudra peut-être les apostropher de vive voix, si gros problème...
- l’emplacement éventuel de caméras, et si elles filment ; se contraindre à visage le plus neutre possible si on se sait filmé ; se méfier de ses propos : leurs caméras ont des micros ultra-sensibles, qui captent les paroles de très loin. Repérer la présence de drones ;
- les gestes des bleus qui annoncent une accélération : baisser les visières, reprendre les boucliers…
- écouter les sommations (ce n’est pas toujours possible) pour savoir où on en est ;
- on peut aussi, après début de tirs, repérer les différents types de grenade, leur trajectoire, les éteindre dans certains cas particuliers.
- Être actif/active :
- décider si on se consacre à la prise d’image (si pas d’auto-média proche repérable) ; ne pas changer d’avis en cours de séquence ;
- scander des slogans adaptés à la situation ;
- éventuellement chanter (chants révolutionnaires, anti-militaristes, de la Zad… prévoir des minis carnets de chants) ;
- danser...
Outre leur utilité propre, ces activités allégeront l’angoisse générée par l’attente, car très souvent le déchaînement ne dépend pas de nous.
- Certain.es le tentent, personnellement je ne crois pas trop à la possibilité de « retourner » des gendarmes.
- Parmi les gestes possibles (à l’appréciation et la responsabilité de chacun) le lancer de boue ou de peinture sur visières et boucliers peut retarder les gendarmes, mais déclenchera en retour une augmentation des lancers de grenades, des charges ; ce qui doit se réfléchir, il n’est jamais pertinent de le faire n’importe quand et/ou n’importe où.
- En cas de contrainte physique individuelle ou concernant un très petit nombre de personnes : elle sera à peu près sûrement filmée, pas d’injures ni de coups, de pied en particulier, si on veut éviter les délits d’outrage et/ou de rébellion. On peut cependant faire le choix politique de les commettre volontairement selon situation, et de les assumer ensuite.
- Se faire confiance, en soi et aux autres : notre force collective est plus grande que nous ne le croyons ! Face aux moyens déployés contre nous, nous ne pouvons espérer de victoire « militaire », mais la puissance de notre résistance nous assurera à terme la victoire politique.
Article publié sur Reporterre le 12 mai 2018.
Article complet disponible en téléchargement ici
Pour aller plus loin, lisez « Comment j’ai été blessée sur la Zad ».