La décision d’abandonner le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (NDDL), annoncée le 17 janvier 2018 par Edouard Philippe, aurait pu incarner la conversion écologique du macronisme. Il n’en est rien. Présentée comme « une décision exceptionnelle pour une situation locale exceptionnelle », l’annonce n’a pas été justifiée par l’impératif climatique, la protection de la biodiversité ou la préservation de terres agricoles, autant d’arguments pourtant au cœur de la mobilisation citoyenne contre le projet d’aéroport, mais totalement absents du discours du Premier ministre.
Fruit du rapport de force institué par les opposant-e-s, la décision du gouvernement, aussi judicieuse soit-elle, ne saurait donc matérialiser la dimension « écologique » qu’Emmanuel Macron a souhaité donner à son début de quinquennat en obtenant le ralliement de Nicolas Hulot, écologiste le plus apprécié dans l’opinion publique, et en se présentant comme le meilleur rempart international face au négationnisme climatique incarné par Donald Trump. L’abandon de l’aéroport doit être porté au crédit d’un vaste mouvement de résistance qui est parvenu à durer, sous des formes diverses, depuis plus de 40 ans. Il a tour à tour articulé, alterné ou associé recours juridiques, contre-expertises citoyennes, mobilisations de masse, solidarité avec les paysan.ne.s, les syndicats de salarié.e.s (y compris du secteur de l’aviation), occupations légales, occupations illégales, résistance, etc.
Un succès historique
Les pouvoirs publics n’ont pas réussi à diviser l’arc de force des opposant-e-s, entre celles et ceux dit-e-s « légitimes » et les dit-e-s « radicaux » qu’ils voulaient expulser manu militari. L’occupation de la zone par ses paysan-e-s et habitant-e-s historiques et, depuis 2009, par de nouveaux occupants en est un élément décisif : leur capacité collective à s’inscrire dans la (très) longue durée est également le fruit de cette diversité qu’il fallait entretenir et préserver. C’est une victoire contre les divisions qui accompagnent généralement des mouvements dotés d’une aussi grande diversité : s’il ne faut pas éluder les nombreux et nécessaires débats qui animent les opposant-e-s, y compris dans cette phase nouvelle où se discute l’avenir de la zone, à chaque fois que cela fut nécessaire, les opposant-e-s ont su faire front commun pour marquer des points. Un succès historique car c’est aussi une défaite pour les puissantes forces politiques et économiques qui défendaient ce projet.
Pour les mouvements écologistes impliqués dans cette lutte emblématique, c’est une victoire comme il y en a peu eu ces dernières années : à eux d’en saisir toute la portée et de constater que le seul travail de plaidoyer auprès des pouvoirs publics n’aurait pas permis de gagner. La seule ZAD, isolée de ses soutiens, n’aurait pas non plus pu empêcher la construction de l’aéroport. Puisse cette victoire conduire à ce que les stratégies et méthodes de mobilisation s’adaptent à cette diversité d’approches et de pratiques militantes qui en a fait la force.
Ce qui s’est joué à NDDL dépasse largement l’opposition au projet d’aéroport. En re-situant le projet d’aéroport dans « son monde », un monde dans lequel le béton l’emporterait irrémédiablement sur la biodiversité, les opposants à l’aéroport ont doté l’ensemble de celles et ceux qui bataillent contre des projets d’un autre temps d’une victoire contre ce monde-là. Cette victoire fait désormais partie de notre patrimoine commun. À nous de la protéger pour donner de la force et du courage à celles et ceux qui se mobilisent contre des projets devenus les symboles d’un monde dépassé et à dépasser.
Du vent dans les voiles
De Strasbourg à Rouen en passant par Lyon et Saint-Etienne, les opposants aux projets autoroutiers l’ont tous exprimé : la victoire à NDDL leur donne du vent dans les voiles. La simple évocation d’une ZAD entre Lyon et Saint-Etienne fait frémir les partisans de l’autoroute A45, cette deuxième autoroute parallèle à la première qui relierait les faubourgs des deux villes. Au point que la presse quotidienne régionale veille pour déceler l’installation de potentiels « zadistes » et que le maire de Saint-Etienne s’en inquiète à chacune de ses sorties publiques.
La simple idée d’une potentielle ZAD contre un projet d’infrastructures est aujourd’hui un atout pour les opposant-e-s. C’est aussi une des leçons de NDDL : le droit environnemental existant ne suffit pas. Trop faible, mal respecté, il ne permet pas d’empêcher des projets qui mettent en danger la biodiversité et les zones humides. Le gouvernement et les pouvoirs publics ont devant eux deux options : 1/ se crisper et militariser la construction de nouvelles infrastructures décriées ; 2/ reconnaître que NDDL illustre la faiblesse intrinsèque des réglementations environnementales et les renforcer. Sous Macron, la deuxième option semble malheureusement d’ores et déjà écartée. Le gouvernement ne vient-il pas en effet de signer un décret qui offre la possibilité aux préfets, dans certaines régions, de ne pas respecter des réglementations environnementales en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire1. La mesure n’a pas fait grand bruit en dépit de ses impacts potentiellement dévastateurs. Au nom de la simplification des normes et de l’efficacité, le gouvernement a fait un joli cadeau aux aménageurs et lobbys économiques soucieux de passer outre les réglementations existantes. La dérogation aux normes existantes va-t-elle devenir la règle ?
Ce ne serait pas si étonnant si l’on considère certains éléments récents : Emmanuel Macron a annoncé vouloir abaisser les normes environnementales en matière de construction de logements ; Nicolas Hulot a confirmé et défendu la construction d’une nouvelle autoroute à Strasbourg contre l’avis du Conseil national de protection de la nature ; une exemption a été introduite dans la loi d’interdiction d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures pour poursuivre l’exploitation du gaz soufré à Lacq en dépit d’une crise sanitaire extrêmement grave2...
Vers la relance du tout autoroutier et le démantèlement du service public ferroviaire ?
Rien n’indique en effet une farouche volonté de revoir les politiques d’aménagement et d’urbanisme pour donner la priorité à la protection de l’environnement et à des investissements soutenables. Ainsi, dans le cadre de la future loi de programmation des infrastructures de transport, le gouvernement pourrait entériner une véritable relance autoroutière sous couvert d’amélioration des infrastructures existantes : contournement autoroutier de Strasbourg (GCO) et de Rouen (A133 et A134), aménagement de la route centre Europe atlantique (RCEA) en Allier et en Saône-et-Loire (A79, N7O, N79 et N8O), achèvement de l’axe Rouen-Orléans dans l’Eure-et-Loir (A154), autoroute Castres-Toulouse, autoroute A31bis (doublement de l’axe Toul-Nancy-Metz-Luxembourg), contournement d’Arles (A54), autoroute A63 au sud de Bordeaux, etc.
Au même moment, le gouvernement prépare l’ouverture à la concurrence du réseau ferré français et envisage de délaisser les petites lignes en confiant leur rénovation et leur entretien aux Régions et collectivités territoriales, qui n’auront pas les moyens de les assurer. Après l’abandon progressif des trains de nuit – avec des mobilisations locales qui se poursuivent pour en sauver certains – c’est l’ensemble du système ferroviaire français qui serait mis à rude épreuve, la grande vitesse étant toujours privilégiée au détriment des trains du quotidien dans les zones moins urbanisées que la région parisienne.
À écouter les ministres du gouvernement ou les élus de La République en Marche, les enjeux de mobilité des années à venir seront résolus par le déploiement du numérique, du télé-travail et du véhicule électrique. Dans leur rêve de transformer le pays en une « start up nation », il suffirait que les usagers répartissent leur temps de travail – et donc leur besoin d’utiliser les infrastructures de transport – différemment pour régler à la fois les problèmes de congestion de certains axes routiers et ferroviaires et les besoins grandissants en modes de transport efficaces. Un peu léger pour penser des mobilités soutenables dignes du 21e siècle.
Défendre la ZAD pour construire une alternative
Relocaliser les emplois pour limiter les besoins de déplacement ? Transférer les déplacements de personnes et de marchandises vers le rail et les transports collectifs ? Repenser notre rapport au travail, à la production, à nos façons d’habiter, de vivre ensemble, d’être au monde et de faire face au dérèglement climatique et à l’effondrement de la biodiversité ? Autant de questions qui ne trouvent pas de réponse dans les politiques de Macron et de son gouvernement. Là aussi, les acquis du mouvement de lutte contre l’aéroport de NDDL et la ZAD peuvent nous aider.
Les opposant-e-s n’ont cessé de tenter d’apporter des réponses à ces défis, en recensant l’ensemble des espèces menacées par le projet, en mettant en avant le déséquilibre total du rapport de force entre béton et tritons et en créant des agencements subtils entre les différents usages de la ZAD. La nature n’y apparaît plus comme un espace neutre, que des élus peuvent décider d’aménager à leur guise et qu’il est possible de reconstituer quelques kilomètres plus loin, par le truchement de la compensation biodiversité ; pas plus qu’elle n’est un élément externe que des militants peuvent défendre depuis une position surplombante – un glissement dont rend compte si superbement le slogan « nous ne défendons pas la nature, nous sommes la nature qui se défend ».
Depuis la ZAD s’inventent et s’expérimentent des réponses à des questions aussi essentielles pour notre avenir commun que : comment vivre, comment penser, comme s’aimer, comment s’opposer, comment construire, comment détruire, comment rêver, comme tester, comment tâtonner, comment faire société. Bref : comment rester (ou redevenir) humains dans un monde qui s’approche de plus en plus du chaos ? Aujourd’hui, plus que jamais, il est donc essentiel de défendre la ZAD.