A-t-il employé la bonne stratégie ? N’est-il qu’une victime des dirigeants européens et du revirement du premier ministre Alexis Tsipras ? Que ferait-il aujourd’hui ?… Pendant plus de deux heures, samedi 14 octobre, Yanis Varoufakis a répondu à nos questions ainsi qu’à celles des économistes Aurélie Trouvé et Cédric Durand, dans le cadre d’un débat organisé par Mediapart et les éditions Les Liens qui libèrent à Paris. Retour sur cette rencontre avec celui qui a défrayé la chronique européenne en 2015, en trois parties.
Dans les coulisses secrètes de l’Europe (Edwy Plenel, Amélie Poinssot)
Interviewé par la journaliste de Mediapart Amélie Poinssot, Yanis Varoufakis revient sur le bras de fer qui a opposé le gouvernement Syriza aux différents dirigeants européens tout au long du premier semestre 2015. Il insiste sur la « duplicité » de Michel Sapin, alors ministre français des finances, a contrario de l’« ouverture d’esprit » d’Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie mais limité à un second rôle. « Dans cette galerie de personnages, il y en a un qui n’était pas hypocrite, c’est le ministre allemand des finances Wolfgang Schäuble, explique Yanis Varoufakis. Il m’a expliqué qu’il fallait imposer ce programme à la Grèce – programme catastrophique – et que c’est la Troïka qui allait être chargée de cette mission. (...) Michel Sapin et François Hollande ont en réalité permis à la Troïka de venir à Paris. Vous ne l’avez peut-être pas remarqué, mais la Troïka est déjà présente à Paris. » Le retrait de Wolfgang Schäuble du prochain gouvernement allemand n’est pas de bon augure, selon l’ancien ministre grec, qui assure que la politique économique européenne va empirer avec le nouvel exécutif allemand.
Quant à la restructuration de la dette publique grecque promise par les Européens depuis la conclusion de ce programme d’austérité à l’été 2015, Yanis Varoufakis estime qu’elle va de facto être restructurée, puisqu’elle n’est « pas remboursable ». « La question est de savoir si cette dette sera restructurée avant ou après la mort de la Grèce », dit-il.
« Nous avons un champ de possibles extraordinaire si nous, démocrates européens, agissons de façon transnationale pour prendre des mesures liées à ce qu’il faut faire pour réparer l’Europe », assure pourtant l’ancien ministre des finances du gouvernement Tsipras, qui assume complètement son rôle d’outsider pendant la gestion du dossier grec à Bruxelles et assure qu’il était impossible de trouver un allié politique au sein de l’Eurogroupe.
Que faire de l’Europe ? Le positionnement économique de Yanis Varoufakis (Edwy Plenel, Aurélie Trouvé, Cédric Durand)
Dans ce deuxième plateau, Yanis Varoufakis est interpellé par les économistes Aurélie Trouvé – également porte-parole d’Attac – et Cédric Durand.
Aurélie Trouvé, tout en félicitant Varoufakis d’avoir tenté « un compromis sans compromission », rappelle qu’il a aussi conduit son gouvernement à un « échec cuisant pour la gauche européenne et la gauche grecque » et interroge la stratégie qu’il a adoptée. Elle lui demande s’il n’aurait pas pu prendre dès février 2015 des mesures fortes, comme la mise en place d’un contrôle des capitaux ou la mise en œuvre d’une monnaie parallèle. Elle relève en outre un certain nombre de contradictions dans l’attitude de l’ancien ministre par rapport à des convictions de gauche affichées.
Yanis Varoufakis décline les critiques. Sur le contrôle des capitaux : « Ce n’était pas notre mandat, nous n’avons pas été élus pour cela. » Sur la monnaie parallèle : « Cela aurait pris trois mois pour le mettre en place et Tsipras ne m’a pas permis de l’activer. » Sur ses convictions : « Pour la Grèce je visais un retour d’un État progressiste, où l’on s’occuperait des malades et des affamés »…
Cédric Durand rappelle de son côté que « cette bataille de Grèce a été vitale pour tous ceux qui étaient engagés, politisés, et qui s’intéressaient aux questions économiques et sociales dans toute l’Europe » et qui se sont retrouvés « effondrés » en juillet 2015, lorsqu’un nouveau mémorandum d’austérité a été conclu. L’économiste assure qu’il faut donc être prêt à recommencer, mais sans répéter les mêmes erreurs. « Pour qu’il y ait un compromis possible, il fallait que les négociateurs en face soient convaincus que la Grèce préférait la sortie de l’euro à une capitulation », explique l’économiste sur la base d’un schéma de la théorie des jeux que Varoufakis développe dans son ouvrage. La stratégie de Varoufakis n’est donc « pas cohérente » avec cette démonstration, puisqu’il n’a pas voulu brandir la menace de la sortie de la zone euro.
Face à cette interpellation, Yanis Varoufakis maintient avoir choisi la bonne stratégie et réaffirme son hostilité au scénario du Grexit : sa priorité, dit-il, était de trouver un accord à l’intérieur de la zone euro. Tirant les leçons de l’expérience de 2015, l’ancien ministre des finances prône aujourd’hui pour Athènes la politique de la chaise vide à l’Eurogroupe et propose que le gouvernement prenne des mesures économiques sans attendre une hypothétique négociation. « Il ne faut surtout pas répéter ce qui s’est passé en 2015 », dit-il.
Le cinéma est politique. Rencontre entre Yanis Varoufakis et Costa-Gavras
Rencontre entre l’ancien ministre et celui qui s’apprête à le transformer en héros de cinéma. Costa-Gavras envisage en effet de tourner un film autour de ce bras de fer de 2015. « Je veux parler de l’émotion que j’ai eue en lisant ce livre, par son personnage principal – c’est quand même un personnage de film, il n’y a aucun doute – et puis aussi par le drame des Grecs face à une Europe à laquelle nous avons tous rêvé, à laquelle nous rêvons toujours, et qui a mis ce peuple par terre. »