Que sont les impôts sur la production ?
La définition de ces impôts a donné lieu à des débats. Il était par exemple évident que le mouvement patronal souhaitait qu’elle soit la plus large possible afin de remettre en cause les impôts des entreprises de manière globale pour bénéficier de baisses importantes.
Pour l’INSEE [2], les impôts sur la production « englobent tous les impôts que les unités légales supportent du fait de leurs activités de production, indépendamment de la quantité ou de la valeur des biens et des services produits ou vendus. Ils peuvent être dus sur les terrains, les actifs fixes, la main-d’œuvre occupée ou certaines activités ou opérations. Ils recouvrent pour l’essentiel la taxe sur les salaires, les versements compensatoires liés au transport, la contribution économique territoriale (qui remplace la taxe professionnelle depuis 2010), les taxes foncières et la contribution sociale de solidarité des sociétés ».
Un récent rapport de l’Assemblée nationale [3] définit les impôts sur la production par défaut, en ces termes : « la fiscalité de la production, c’est l’ensemble de la fiscalité directe des entreprises à l’exception de l’impôt sur les sociétés, lequel taxe les bénéfices ».
Plus précisément, ils sont constitués des impôts qui concernent directement la production et l’importation de marchandises et de service ainsi que l’emploi de main-d’œuvre ; qui s’appliquent à l’utilisation de terrains et des biens utilisés dans le processus de production et qui sont dus quels que soit le résultat (bénéfice ou déficit) réalisé par l’entreprise. Ceci exclut notamment l’impôt sur les sociétés, calculé sur le bénéfice, mais aussi la TVA qui reste neutre pour les assujettis et ne constitue pas une charge au sens comptable du terme (même si on peut s’interroger sur la question de la TVA qui ne peut être déduite dans le cas des non-assujettis) et qui est supportée par les consommateurs.
Le rapport de l’Assemblée nationale, précité, note que « sur la période 2000-2019, les impôts de production sont relativement stables en proportion de produit intérieur brut (PIB), aux environs de 3,1 à 3,2 % ». Leur structure a cependant évolué avec la suppression de la taxe professionnelle et son remplacement par la contribution économique territoriale (CET), elle-même composée de plusieurs impôts, notamment la contribution foncière des entreprises (CFE) et la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Cette réforme, mise en œuvre pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, présentait un certain mérite, celui de moderniser la base foncière des entreprises (la valeur locative sur laquelle cet impôt est assis a été actualisée même si cette opération lourde a engendré des frustrations dans les services chargés de réaliser sa révision) et de tenir mieux compte de la performance économique des entreprises avec la CVAE. Mais même en ajoutant les contributions spécifiques (IFER, TASCOM), la CET procure un rendement global inférieur à celui de l’ancienne taxe professionnelle.
Le débat actuel
Après avoir engagé dés le début du quinquennat une baisse du taux nominal de l’impôt sur les sociétés (qui devrait atteindre 25 % en 2022 sans que son assiette déjà étroite ne soit élargie), Emmanuel Macron et son gouvernement ont manifestement décidé de procéder à une seconde vague d’allègement des impôts dus par les entreprises. Les arguments utilisés ne varient guère, il s’agit évidemment de renforcer la compétitivité des entreprises et l’attractivité fiscale de la France. La crise que le monde traverse sert ici d’alibi supplémentaire : le gouvernement justifiera sa décision par la nécessité de relancer l’activité économique et d’aider les entreprises.
Pour le Conseil d’analyse économique [4], organisme rattaché au Premier Ministre, « L’analyse économique enseigne que les impôts sur la production sont les plus nocifs en raison des distorsions qu’ils engendrent tout au long de la chaîne de production. Contrairement à l’impôt sur les bénéfices ou la TVA, les impôts sur la production affectent directement les décisions des entreprises en termes de choix des modes de production et de prix et peuvent donc pénaliser leur productivité et leur compétitivité ».
Le terrain a donc été préparé, les impôts de production sont sur la sellette. Il serait cependant faux de considérer que les impôts sur la production forment un tout qui ne tient aucunement compte de l’activité des entreprises. Ces impôts sont en effet divers et obéissent à des logiques différentes de l’impôt sur les sociétés, mais ne peuvent être jugés comme totalement déconnectés des capacités contributives des entreprises. Prenons ici trois exemples.
La CVAE comporte ainsi un barème progressif déterminé en fonction du chiffre d’affaires (soit notamment des ventes), elle et est assise sur la valeur ajoutée, autrement dit sur l’un des principaux soldes intermédiaires de gestion de l’entreprise. Schématiquement, la base de calcul à la CVAE est déterminée ainsi : produits à retenir diminués des charges imputables. La CVAE tient donc compte de l’activité des entreprises, de leur « richesse créée ».
La C3S est pour sa part calculée au taux de 0,16 % sur le chiffre d’affaires (là aussi, notamment des ventes) après un abattement de 19 millions d’euros. Un peu plus de 21 000 entreprises en sont redevables. Elle est donc également liée à l’activité des entreprises.
S’agissant de la CFE, la valeur qui sert de base au calcul de l’impôt est déterminée selon une grille tarifaire précise déterminée selon une méthode comptable basée sur le prix de revient des immobilisations (sols, terrains, constructions, installations foncières).
Les conséquences d’un allègement
La décision de baisser de 20 milliards d’euros ces impôts en deux ans pose plusieurs questions.
- La première porte évidemment sur le manque à gagner budgétaire : sur les 77 milliards d’euros payés par les entreprises au titre de ces impôts, près de 50 milliards sont affectés aux collectivités territoriales et près de 20 milliards à la sécurité sociale. S’il faut attendre de connaître le contenu des mesures et les compensations envisagées par le gouvernement, un allègement de 20 milliards d’euros touchera probablement les collectivités territoriales et/ou la sécurité sociale et l’État.
- La deuxième porte sur la compensation que l’État annoncera certainement. Ces mécanismes de compensation pèseront sur les comptes de l’État. Mais il est également à craindre que cette compensation soit calculée au moment de la décision sans prendre les effets des dynamiques à l’œuvre de sorte qu’au fil des années, cette compensation n’évolue pas alors qu’un maintien des impôts se serait traduit par une évolution des recettes (par exemple au gré de la hausse progressive des bases de la CFE). C’est cette logique qui avait prévalu aux modalités de compensation des coûts des compétences transférées aux collectivités locales au début des années 2000. L’évolution des besoins avait ensuite nécessité une hausse des impôts locaux, la compensation ayant été calculée au jour du transfert de compétence.
- La troisième concerne les conséquences de ce manque à gagner sur les politiques publiques. Le gouvernement parie sur une compensation procédant de la relance que ces allègements permettraient : moins de prélèvements impliquant selon lui davantage d’embauche donc de ressources fiscales et sociales et davantage de compétitivité donc un impact positif sur l’impôt sur les sociétés. Or, outre que ces effets restent à ce stade purement théoriques, ils ne peuvent se mesurer que sur le long terme. Entre-temps, le manque de ressources aggravera les comptes publics et justifiera une austérité budgétaire accrue, ce qui annulera les effets théoriques/potentiels, provoquera des dégâts sociaux et plombera la transition écologique.
- La dernière touche une fois de plus le consentement à l’impôt : un nouvel allègement des entreprises pourrait nourrir non seulement le rejet de la politique fiscale d’Emmanuel Macron (puisqu’il ne fera que poursuivre une stratégie déjà fortement contestée) mais également le rejet de l’impôt en tant que tel, surtout si, dans le même temps, on assiste à la hausse de certains prélèvements sur fond d’austérité.
Une baisse des impôts de production pose donc de sérieux et multiples problèmes. Reste donc à déterminer s’il faut défendre les impôts sur la production actuels ou porter une réforme de ces impôts mais aussi du système fiscal en général, laquelle viserait à procurer un niveau de recettes adapté aux enjeux de la période et, le cas échéant, à réformer la structure de ces impôts.
C’est évidemment sur cette voie qu’il faudrait s’engager, en sécurisant le niveau des recettes publiques dans un contexte de hausse des besoins sociaux et environnementaux et en orientant la fiscalité vers ses objectifs premiers et dans le respect de ses principes fondamentaux (tenir compte des facultés contributives, etc). De ce point de vue, si le besoin de justice fiscale et sociale est plus que jamais légitime et vivement exprimé, le pouvoir a une nouvelle fois décidé de passer outre.