Faire cotiser tous les salaires versés
Depuis le gouvernement de Balladur en 1993, les politiques d’exonérations de cotisations sociales n’ont jamais cessé.
Depuis le 1er janvier 2019, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et le crédit d’impôt de taxe sur les salaires (CITS) ont été transformés en baisse pérenne de cotisations sociales. Cette baisse est de 6 points du taux de cotisation patronale d’assurances maladie-maternité-invalidité-décès en dessous de 2,5 Smic.
Les heures supplémentaires et complémentaires des salariés sont exonérées de cotisations sociales salariales d’assurance vieillesse-veuvage et de retraite complémentaire dans la limite de 11,31 %. Existe aussi une déduction forfaitaire patronale pour heures supplémentaires : 1,50 % de déduction forfaitaire par heure supplémentaire ou 10,50 € par jour de repos auquel il est renoncé [1].
Les estimations d’exonérations de cotisations sociales sont de l’ordre de 75 milliards € par an, dont 17 milliards concernent les cotisations vieillesse. Cela représente un potentiel de cotisations sociales supplémentaires pour toutes les branches de la Sécurité sociale. D’autre part, les cotisations vieillesse disparaissent au-dessus du plafond de la Sécurité sociale.
En ce qui concerne l’assurance vieillesse, ces 17 milliards couvriraient largement le défit annoncé [2].
Faire cotiser les primes
Le président Macron a instauré une « prime de partage de la valeur ajoutée » dite « prime Macron ». Son montant moyen annuel en 2022 était de 710 €. Il est bien en deçà du plafond possible (3 000 €, et 6 000 € en cas d’accord d’intéressement dans l’entreprise ou si l’entreprise compte moins de 52 salariés). Y ont eu droit 700 000 personnes.
Montant total de cette prime : 710 x 700 000 = 497 millions €.
Faire cotiser l’intéressement, la participation, l’épargne salariale
Les sommes versées au titre de l’intéressement sont soumises à la CSG et à la CRDS, mais pas aux autres cotisations sociales (donc pas à la cotisation vieillesse). Mais elles sont soumises à l’impôt sur le revenu si elles sont perçues immédiatement. Si elles sont placées dans un plan d’épargne salariale (PEE, PEI, PER…), elles en sont exonérées dans la limite du plafond de la Sécurité sociale (30 852 € en 2022).
Elles ne peuvent pas dépasser 20 % du total des salaires versés par les entreprises pour un plafond annuel de 32 994 €. Le montant moyen de l’intéressement est de 1 702 €.
La participation aux bénéfices de l’entreprise est plafonnée pour chaque salarié à 75 % du plafond de la Sécurité sociale. Son montant moyen est de 1 409 €.
Environ 9,5 millions de salariés ont accès à au moins un dispositif d’intéressement, de participation ou d’épargne salariale pour un montant moyen de 2 440 € [3].
Montant total de ces rémunérations : 2 440 € x 9,5 millions = 23,180 milliards €.
Soumises au taux de cotisation vieillesse de 28,1 %, elles procureraient 6,514 milliards €, soit la moitié du déficit retraite prévu dans 10 ans.
En ajoutant les 17 milliards absents de cotisation sur les salaires et 6,514 milliards de cotisation sur les autres formes de rémunération, on aurait 23,6 milliards de rentrées dans la CNAV, en dehors même des suppléments qui pourraient être réunis sur les primes dans la fonction publique. De quoi combler près de deux fois le déficit annoncé.
Faire cotiser les dividendes ?
Selon les comptes de la nation établis par l’Insee dans les Tableaux économiques d’ensemble de 2019 (dernière année avant le Covid-19) et de 2021, la valeur ajoutée des sociétés financières et non financières se répartit ainsi :
Les profits distribués potentiels (ENE – investissement net) sont de 172,4 – 58,9 = 113,5 milliards en 2019, et de 168,2 – 57,8 = 110,4 milliards en 2021. Si on appliquait le taux de cotisation vieillesse de 28,1 %, ce sont respectivement pour les deux années 31,9 et 31 milliards qui s’ajouteraient au montant traditionnel des cotisations.
Si certains craignaient que le poids des prélèvements sur les revenus du capital soient trop élevés, rappelons qu’ils échappent au barème progressif de l’impôt sur le revenu et relèvent du prélèvement forfaitaire unique (flat-tax) de 30 % (12,5 % d’impôt et 17,2 % de prélèvements sociaux).
La proposition de faire cotiser les dividendes, c’est-à-dire d’élargir l’assiette des cotisations sociales, est discutée dans Attac depuis l’origine de l’association mais elle ne fait pas consensus ni en son sein ni au sein du mouvement social, même si elle a progressé [4].
Trois arguments sont généralement présentés pour refuser cette proposition. Le premier au nom de la contributivité du système de retraites, un principe selon lequel la cotisation est une assurance auquel ne peuvent prétendre les non-cotisants. Le deuxième argument invoque le risque de rupture du lien entre cotisation et travail. Le troisième est la crainte d’une fiscalisation du financement de la protection sociale.
Dans les faits, le principe de contributivité comporte des effets pervers : il accentue les inégalités existant au sein du salariat au moment de prendre la retraite, surtout pour les femmes dont les carrières sont hachées ; et, dans les phases de régression salariale, ce qui aurait dû être du salaire devient du profit (les mécanismes de la plus-value absolue et aussi de la plus-value relative sont à l’œuvre) qui échappe à la cotisation. De plus, cette dernière incombe surtout aux entreprises de main-d’œuvre et peu aux entreprises très mécanisées relativement aux premières.
Le deuxième argument dénote d’une confusion de la notion d’assiette, qui est une pure convention de calcul pour appliquer un taux de cotisation, avec la source de tout prélèvement qui reste la valeur ajoutée nette par le travail [5]. D’ailleurs, les tenants du système capitaliste n’ignorent pas cela : poussés dans leurs retranchements, ils ne peuvent qu’en convenir [6]. L’idée principale de l’élargissement de l’assiette des cotisations sociales est donc qu’il ne rompt pas le lien entre le travail et la cotisation ; simplement, il accroît la masse salariale et son poids relatif dans la valeur ajoutée nette par un déplacement du curseur au sein de celle-ci.
Le dernier argument concernant le risque de fiscalisation du financement de la protection sociale est le plus important. Mais ce risque ne réside pas sur le canal par lequel passent les sommes destinées à payer la protection sociale (canal des impôts via le budget de l’État ou canal des cotisations via la Sécurité sociale) car un euro d’un côté est toujours égal à un euro de l’autre. Plus important est de distinguer le stade auquel le prélèvement est effectué : un éventuel élargissement de l’assiette des cotisations se situerait au niveau de la répartition primaire des revenus entre travail et capital, alors que la fiscalité intervient ultérieurement sur la redistribution. De ce fait, l’élargissement de l’assiette aux dividendes n’aurait rien à voir avec l’impôt sur les bénéfices qui est prélevé après que la répartition primaire a eu lieu ni avec une « taxe sur les super-profits ».
En revanche, le risque existe de destituer encore davantage les organisations des travailleurs de tout pouvoir de décision et de gestion de la Sécurité sociale. Ainsi, avec les ordonnances de 1967, sous l’égide du Général de Gaulle président (réforme dite Jeanneney), le dessaisissement des travailleurs de leur pouvoir fut enclenché avec l’imposition du « paritarisme » avec le patronat, indépendamment même de la définition de l’assiette des cotisations. Et ce dessaisissement atteint son sommet avec les lois de financement de la Sécurité sociale, votées chaque année par le Parlement, en amont du budget de l’État.
Au total, la définition de l’assiette des cotisations sociales n’est pas un problème économique mais politique. Traditionnellement en France, on exprime une préférence pour un système de type bismarckien (protection sociale payée par des cotisations proportionnelles aux salaires) par rapport à un système beveridgéen (protection sociale payée par l’impôt). Et, à l’appui du cette préférence, on remarque que, le plus souvent, dans les pays où existe le second système, la retraite collective ne couvre qu’une base minimale faible, les travailleurs les mieux rémunérés étant invités à la compléter par leur épargne capitalisée.
e constat est exact. Mais, le système par répartition de type essentiellement bismarckien comme en France n’est pas, par essence, à l’abri de la dérive par capitalisation. En effet, les mesures de défiscalisation de l’épargne retraite et, plus encore, la lente mais inexorable dégringolade des pensions collectives, consécutivement aux réformes passées et programmées, conduisent les titulaires de hauts revenus à souscrire à des plans d’épargne-retraite. La capitalisation rampante est le non-dit de toutes les réformes. Les sirènes en sa faveur font tout pour que l’on ignore ou oublie que la finance capitaliste ne produit rien et que, quel que soit le système de retraite, ce seront toujours les travailleurs qui produiront la part de valeur qui sera distribuée en pensions. En mars 2022, l’encours de l’épargne-retraite atteignait 280 milliards € [7]. Sans oublier l’encours de l’assurance-vie de 1 842 milliards € à la fin 2022 et qui tient lieu en France de capitalisation. Autrement dit, les riches cumuleraient retraites généreuses et rente capitalisée, tandis que les pauvres cumuleraient retraites dérisoires et petit boulot pour survire jusqu’au trépas…