Les OGM agricoles, aberration économique et écologique

jeudi 26 février 2004, par Attac France

Fruit de plusieurs millénaires de travail des paysans et de l’évolution de la vie sur terre, le patrimoine génétique n’appartient à personne et ne doit appartenir à personne. A l’heure de la mondialisation néolibérale, la faculté des êtres vivants à se reproduire par eux-mêmes dans le champ du paysan est considérée comme un obstacle au commerce par l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Peu à peu, pour ne pas provoquer de vives réactions de l’opinion, tout se passe comme s’il fallait en finir avec cette intolérable concurrence déloyale dont pâtiraient les multinationales de l’agro-chimie. La reproduction doit devenir leur monopole, quand bien même la production serait assurée par le paysan ! [ 1 Augmenter les rendements, améliorer la productivité, résoudre le problème de la faim dans le monde, réduire la pollution, telles sont les promesses des OGM agricoles... Pourtant, après presque dix ans de culture commerciale de plantes OGM, et en dépit d’énormes pressions pour les faire accepter, seuls 3 pays les cultivent en masse. Aucune des promesses n’a en réalité été tenue [ 2 . Aux États-Unis, la culture de plantes OGM a fait perdre 12 milliards de dollars au secteur agricole [ 3 Le surcoût des semences OGM n’est pas compensé par une augmentation équivalente des revenus de l’agriculteur. La facilité de culture initialement constatée laisse la place à d’insurmontables problèmes : apparition de « mauvaises » herbes tolérantes aux herbicides les plus puissants et d’insectes résistants aux plantes OGM censées les tuer... Le gouvernement britannique a lancé une vaste étude pour faire accepter les OGM. La publication, en octobre 2003, de ses résultats révèle des impacts essentiellement négatifs sur l’environnement et un intérêt économique nul [ 4 ]. Ils obligent Margrot Wallstorm, commissaire à l’environnement de l’Union européenne, à réagir : les firmes « ont essayé de mentir aux gens et de leur imposer les OGM. (...) Quand elles parlent de nourrir les affamés, pourquoi n’ont-elles pas commencé par de tels produits ? Nourrir les actionnaires, oui, mais pas les autres » . Réussir à accroître encore le rendement et la productivité grâce aux OGM aggraverait la surproduction chronique rencontrée au Nord comme au Sud. Bientôt, le café, le cacao, les bananes... seront issus de plantes OGM. Le prix de ces matières premières baissera, puisqu’il est déterminé par le marché contrôlé par quelques multinationales (Kraft, Nestlé, Unilever, BSN...). Déjà, la plupart des producteurs ne parviennent plus à vivre de leur travail, alors que les prix de vente au détail dans les grandes surfaces restent stables... Qui empoche la différence ? Au Nord, les crises agricoles s’enchaînent, mais le contribuable compense via d’énormes subventions [ 5 ]. Au Sud, les conséquences sont tragiques : les OGM destinés à l’exportation remplacent les cultures vivrières qui peuvent nourrir les populations locales ! Les seuls « avantages » avérés sont ailleurs :
-  la coexistence de l’agriculture conventionnelle, paysanne ou biologique, avec une agriculture transgénique est impossible : selon un rapport de l’UE destiné à rester secret, mais dévoilé par Greenpeace [ 6 ], le coût (jusqu’à 41 % du prix de revient) de la séparation des filières, à la charge de ceux qui n’utilisent pas les OGM, les condamne à la faillite... Cela s’est déjà produit au Canada où le colza OGM omniprésent a interdit toute culture de colza non transgénique [ 7 ;
-  l’achat d’une semence OGM oblige à acheter au même fournisseur les pesticides nécessaires à sa culture. Ceux qui en ont déjà cultivé s’aperçoivent que revenir en arrière est très difficile, sinon impossible ;
-  après Terminator, qui programmait la stérilité, voici les technologies de restriction de l’utilisation des ressources génétiques des plantes et animaux (GURTS) [ 8 ]. Mieux encore, à la demande de l’industrie des OGM, le brevet est peu à peu détourné de sa vocation initiale ! Une simple découverte devient, en effet, brevetable alors qu’auparavant, seul un procédé technique nouveau issu d’une invention pouvait l’être. Signé en 1994, l’ADPIC [ 9 oblige chaque pays membre de l’OMC à intégrer ces nouvelles règles dans sa législation. C’est le but de la directive 98/44 [ 10 adoptée par l’Union européenne, mais non encore transposée en droit national dans plusieurs pays. Décrire un ADN existant depuis des millénaires peut dorénavant suffire à breveter un gène, une molécule et même une partie isolée du corps humain ! Détenir un tel brevet donne le pouvoir :
-  d’interdire ou d’autoriser, aux conditions de son choix, l’usage ou la fabrication d’un produit ou d’un gène, quel que soit le procédé employé [ 11 ] ;
-  de limiter le partage des connaissances et la liberté de la recherche ;
-  de renforcer la place des multinationales au détriment des pays du Sud : obtenir et entretenir un brevet pendant sa durée de vie coûte en frais administratifs et juridiques entre 100 000 et 500 000 dollars dans les pays développés. Contester un brevet coûte en moyenne 1,6 million de dollars [ 12 ] ;
-  de s’approprier le vivant ; de faire de la plante ou de l’animal sa chose grâce à une manipulation génétique. Pas seulement d’un individu, mais de l’ensemble d’une variété ou d’une espèce, descendance comprise. Avec la directive 98/44 plus personne n’a le droit de faire se reproduire un animal ou de conserver le grain récolté pour le semer l’année suivante, sauf à payer la licence correspondante. Ce qui était un droit universel devient une exception accordée sous conditions aux agriculteurs. Jusqu’à quand ? Déjà, en Amérique du nord, Monsanto engage des détectives privés pour faire respecter ses brevets, « cesse » de vendre des semences pour imposer un contrat léonin intitulé « Semez la technologie, récoltez les profits ». [ 13 De fait l’agriculteur n’achète plus des semences, il achète un droit d’utilisation annuel ;
-  de légaliser le pillage des pays du Sud (environ 80 % de la biodiversité s’y trouve). Par exemple, les Indiens connaissent l’usage médical de la piprine (extraite du poivre) depuis des millénaires, mais seule une entreprise américaine peut en assurer la commercialisation grâce à son brevet. L’intérêt particulier prime sur le bien commun. La demande européenne étant inexistante, rien ne justifie les OGM agricoles. Reste l’argument du retard technologique et commercial sur les États-Unis. Pourtant, même du point de vue néolibéral, il ne tient pas la route : ne disposant pas de vastes territoires aussi favorables à la culture d’OGM que les États-Unis, l’Europe ne pourra pas rivaliser avec eux sur ce terrain. Pour accroître sa compétitivité et ses parts de marchés, l’Europe a tout intérêt à renforcer son domaine d’excellence : une agriculture de qualité, sans OGM, compatible avec les besoins et souhaits de la population mondiale. L’évaluation d’une telle technologie ne peut relever que d’un contrat social, au terme d’un large débat démocratique [ 14 . L’Europe, n’a pas profité du moratoire pour l’organiser. En France, les initiatives en ce sens ont été étouffées [ 15 ]. Pour plus de détails voir la note précédente. En septembre 2003, les députés européens ont donc approuvé, sans être en mesure de décider en connaissance de cause, une directive sur la traçabilité et l’étiquetage des OGM dans le but de lever le moratoire. Résultat : malgré des avancées incontestables, le compte n’y est pas ! La responsabilité [ 16 ]des fabricants d’OGM a été « oubliée ». En cas de catastrophe ce sera encore à la collectivité de payer pour tenter de réparer les dégâts pendant que les multinationales empocheront les bénéfices des activités à l’origine du préjudice. Un produit qui contient plus de 0,9 % d’OGM devra être étiqueté. Mais le seuil technique de détection est de 0,1 %. Cet écart ne permettra pas de garantir l’existence de semences sans OGM ! Si la démocratie n’avait pas été bafouée, nos élus aurait peut-être pu prendre connaissance de la consultation de 20 000 Britanniques. Ses résultats montrent que « plus les gens prenaient connaissance du dossier, plus leur sentiment de réticence voire d’hostilité à l’égard des OGM augmentait » [ 17 ], ou un résumé en français à la page 7 du document référencé à la note 4. 93 % sont persuadés que la commercialisation des OGM est motivée par des intérêts financiers plutôt que par l’intérêt général. Dorénavant, 54 % sont opposés aux cultures au Royaume-Uni. Au nom du libéralisme, on déréglemente et détruit les monopoles publics ; on organise la législation sur les brevets pour permettre aux multinationales de l’agro-chimie et de la grande distribution de développer des monopoles privés et faire de la vente forcée au prix fort ; on impose une technologie contraire à la liberté d’entreprendre et de consommer, de contrôler la chaîne alimentaire et la politique sanitaire. Tout cela pour augmenter les valorisations boursières, bénéfices et dividendes des multinationales. Cette accumulation des richesses consacre la main mise de la finance sur le politique, sur la vie.

Notes

1 Lire à ce sujet l’article de Jean-Pierre Berlan, directeur de recherche à l’Inra, http://www.france.attac.org/a829 2 Lire le dossier sur les OGM du numéro de novembre 2003 de La Recherche . 3 Lire le résumé en français réalisé par la Fédération nationale de l’agriculture biologique (FNAB) de l’étude de la Soil Association : http://www.agrisalon.com/fnab170902.doc . 4 Lire absolument la page 8 de « Quel débat sur les OGM » de la Fondation Sciences Citoyennes (FSC) disponible sur http://www.sciencescitoyennes.org . Les résultats complets des 3 études se trouvent sur http://www.defra.gov.uk/environnement/gm/fse/index.htm , http://www.gmsciencedebate.org.uk/report/pdf/gmsci-report1-pt1.pdf et http://www.number-10.gov.uk/su/gm/ex_summary.htm 5 Lire les dossiers et communiqués de la Confédération paysanne sur http://www.confederationpaysanne.fr 6 Lire le rapport « Co-Existence in European Agriculture » sur http://www.eu.greenpeace.org.downloads/cross/green8Review2002.doc 7 Lire le témoignage de Marc Loiselle, agriculteur canadien au procès en appel des 10 de Valence sur http://www.saskorganic.com , et le rapport sur l’avenir de la biotechnologie dans l’alimentation de la Société royale du Canada sur http://www.rsc.ca 8 Sur les GURTS, lire la page 12 du rapport CGRFA-9/02/REP de la FAO, disponible sur http://www.fao.org/ag/cgrfa/docs9.htm 9 Cf. article 27,3b de l’Accord sur les droits de propriété intellectuelle liés au commerce (ADPIC). Comme l’AGCS, c’est l’un des accords négociés au sein de l’OMC. 10 Lire le texte complet de la directive 98/44 sur le site de l’Union européenne. Lire plus particulièrement les article 5, 8, 9 et 11. 11 Lire Maurice Cassier et Jean-Paul Gaudillère, « Le génome : bien privé ou bien commun », Biofutur , n° 204, octobre 2000, et, « le brevet des gènes humains », La Recherche , n° 341, avril 2001, pages 76 à 79. 12 Cf. http://www.inra.fr/Internet/Produits/BBT/2001/avril2001/Cadrejournal.htm 13 Lire « Quand le piège des OGM se referme » de la commission OGM d’Attac : http://www.france.attac.org/au462 14 Cf. « Quel débat sur les OGM » de la FSC (note 4) ; Bruno Latour, Politiques de la nature , La Découverte, Paris, 1999 ; Michel Callon, Pierre Lascoumes et Yannick Barthe, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique , Seuil, Paris, 2001. 15 Par exemple, le rapport dit des « 4 sages » sur http://www.infOGM.org/article.php3?id_article=280 16 Pour une analyse de cette directive, lire le n°45 d’InfOGM sur http://www.infOGM.org 17 Lire http://www.gmpublicdebate.org/docs/GMNation _finalReport.pdf

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