Impôt sur les sociétés : il est temps d’avancer
Aux États-Unis, Joe Biden vient d’annoncer que le taux d’imposition des sociétés passera de 21 % à 28 % pour les profits réalisés sur le sol américain, alors que le Royaume-Uni a décidé d’augmenter son taux d’imposition des sociétés de 19 à 25 %. De plus, en proposant un taux minimal d’imposition sur les entreprises de 21 %, l’administration Biden donne un coup d’accélérateur aux discussions menées sous l’égide de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur l’imposition des multinationales. Ces discussions avaient jusqu’ici tendance à patiner, faute d’accord entre des États aux intérêts divergents.
Le projet discuté au sein de l’OCDE, toujours en attente de validation, repose à ce jour sur deux piliers. Selon le premier, la présence physique d’une entreprise dans un pays ne peut plus être retenue comme seul critère de référence en matière d’impôt sur les sociétés. Il vise à réallouer aux États où se trouvent les consommateurs une part des bénéfices générés sur leurs territoires, mais imposés dans des territoires à la fiscalité très basse via la pratique des prix de transfert ou le vide juridique dont profitent les activités numériques..
Le second porte notamment sur le taux minimum d’imposition, fixé jusqu’ici entre 12 et 13 % [2]. Avec un taux de 21 %, on est clairement au-dessus : la proposition de l’administration américaine est plus volontariste et plus rentable pour les États dont les recettes sont plombées par l’évasion fiscale des multinationales. Rappelons que, pour l’Independent Commission for the Reform of International Corporate Taxation (ICRICT) [3], « 40 % des bénéfices réalisés à l’étranger par les multinationales sont transférés dans des paradis fiscaux ». Le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII) évaluait pour sa part à 36 milliards d’euros le coût pour les finances publiques de la France du transfert artificiel des bénéfices dans les paradis fiscaux [4].
La proposition de l’administration Biden constitue un pas en avant mais ne résoudrait pas tout. Même diminuée, l’évasion fiscale aurait de beaux jours devant elle. Certains territoires pourraient y échapper. En outre, la répartition des bénéfices telle qu’elle est envisagée ne porte que sur une partie d’entre eux. Pour rendre l’imposition des sociétés conforme à la réalité économique et neutraliser l’évasion fiscale, une taxation unitaire est une absolue nécessité. Elle vise à taxer les multinationales dans les pays où elles réalisent leurs activités en les considérant comme une entité unique et non comme un ensemble d’entités indépendantes les unes des autres lesquelles, au nom du principe de pleine concurrence, se livrent à l’évasion fiscale grâce au jeu des prix de transfert, voire à de la fraude fiscale en les manipulant. L’imposition se ferait sur les bénéfices globaux consolidés des groupes multinationaux. Une clé de répartition entre les pays répartirait le bénéfice mondial consolidé. Elle pourrait s’appuyer sur les ventes réalisées, les emplois et les actifs immobilisés. Les États conserveraient la possibilité d’appliquer leur taux d’imposition sur la quote-part du bénéfice leur revenant. Avec des ressources substantielles à la clef : une bonne partie des 36 milliards d’euros de pertes annuelles évalués par le CEPII seraient « récupérables » [5].
Riches et profiteurs de la crise : pour une contribution durable...
La proposition du FMI résonne singulièrement avec les propositions formulées par Attac concernant l’instauration d’une contribution sur les 1% les plus riches et une seconde sur les multinationales qui ont réalisé des bénéfices durant la pandémie [6], soit une contribution à deux faces baptisée « Contribution au remboursement de la dette Covid (CRDC) »... Le FMI vise les bénéficiaires de la crise, preuve que l’action d’Attac sur les « profiteurs de la crise » est pertinente.
Dès le printemps 2020, Attac livrait des propositions de justice fiscale permettant, dans le contexte de la crise du Covid, de dégager des ressources publiques et de réduire les inégalités [7]. Nous y défendions notamment une contribution sur le patrimoine des 1 % les plus riches, une meilleure progressivité du système fiscal, l’instauration d’une taxation unitaire telle que rappelé ci-dessus et la mise en œuvre d’une véritable taxe sur les transactions financières. Ainsi, la revendication d’une taxe exceptionnelle sur les profiteurs de la crise n’est qu’une première étape d’une réforme en profondeur de la fiscalité destinée à ce que chacun paye sa juste part d’impôt.
Attac se félicite de voir que le débat fiscal évolue mais déplore qu’une fois de plus, le gouvernement français refuse toute réforme fiscale, s’entête à repousser l’instauration d’un impôt sur le patrimoine des plus riches et à poursuivre sa politique de baisse de l’imposition des entreprises. Et ce, alors que le bilan de la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune et de la création du prélèvement forfaitaire unique montre clairement qu’il n’y a pas eu d’effet sur l’investissement mais que les versements de dividendes ont explosé et se sont concentrées sur une minorité de contribuables fortunés. Suite aux dernières déclarations du FMI et de l’administration Biden, le gouvernement français semble bien isolé : va-t-il s’obstiner à vouloir faire payer la crise aux chômeurs ou aux allocataires des APL au lieu d’aller chercher l’argent dans les poches des profiteurs de la crise ?
La période nécessite de nouvelles orientations fiscales. Un véritable rééquilibrage du système fiscal passe notamment par : une taxation unitaire, un impôt sur le patrimoine des plus aisés, une meilleure progressivité du système fiscal, l’arrêt de la baisse de la fiscalité du capital et un véritable renforcement de la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales.
Signez la pétition demandant deux mesures d’urgence :
- une taxe sur le patrimoine des 1% les plus fortunés ;
- une taxe sur le bénéfice exceptionnel réalisé par les multinationales pendant la crise.