Le système de retraites par répartition créé en 1945 a constitué un progrès social majeur, en affirmant la solidarité entre les générations et en permettant de sortir progressivement de la misère les personnes après leur vie professionnelle. Par rapport à d’autres pays, notre système est plus protecteur car il permet d’assurer en moyenne un niveau de vie des retraité·es équivalent à celui de la population active.
Mais depuis des années, les gouvernements successifs s’attachent à détricoter méticuleusement notre système de retraites : réduire les pensions, dégrader la protection vieillesse par répartition et favoriser les alternatives privées, c’est à dire le système par capitalisation. Pour cela, ils jouent la carte de la dramatisation du déficit sur le ton de la catastrophe annoncée. No alternative ! Il faudrait baisser les retraites... pour les sauver !
Or les déficits ne menacent nullement la pérennité du système, et ils ne sont pas dus à une dérive des dépenses (partie 1).
Aujourd’hui, le gouvernement d’Emmanuel Macron tente d’instrumentaliser l’urgence financière pour justifier un choix inique : celui de repousser l’âge de la retraite à 64 ans et d’accélérer le passage de 42 ans à 43 ans de cotisation pour une retraite à taux plein (partie 2).
De telles mesures s’ajouteraient aux conséquences des réformes précédentes, qui ont dégradé le système de retraites (partie 3).
D’autres options sont pourtant possibles pour garantir des retraites justes et pérennes ! (partie 4)
Les fausses justifications du projet de réforme du gouvernement
L’urgence financière est le premier argument choc d’Emmanuel Macron pour imposer sa réforme des retraites. Pour sauver le système par répartition, dit déséquilibré financièrement, il faudrait porter l’âge légal de la retraite à 64 ans d’ici 2030 (trois mois par an à partir de septembre 2023) avec allongement accéléré de la durée de cotisation pour une retraite à taux plein.
Cet argument est contredit par le rapport 2022 du très officiel Conseil d’Orientation des Retraites (COR) : non seulement, la part des dépenses de retraite dans le PIB serait stable ou en diminution jusqu’en 2070 mais le solde du système de retraite accuserait un déficit minime d’ici 2032 (0,5 à 0,8 point de PIB). D’autant que les réserves totales du système de retraite sont à même de couvrir ces besoins conjoncturels de financement : elles s’élèvent à 8,3 % du PIB. Donc, pas d’urgence financière !
Le gouvernement explique par ailleurs que le but de la réforme des retraites est de financer d’autres investissements (éducation, santé, climat…) et même, plus récemment, de « rendre notre système plus juste » ! La seule solution pour dégager des ressources budgétaires serait ainsi de travailler plus longtemps. Le montant des économies atteindrait environ 9 milliards € à horizon 2027 (près de 20 milliards € en 2032).
Ce discours est trompeur : il amalgame le financement de la protection sociale assuré par les cotisations, et le financement des politiques publiques assuré par l’impôt. La prise en charge des dépenses d’avenir ne peut pas se faire en sabrant dans la protection sociale, mais en mettant à contribution les plus riches et profiteurs de crise (rétablissement de l’ISF, suppression de la flat tax, taxation des superprofits, lutte contre l’évasion fiscale...) et en renforçant la progressivité de l’impôt.
Repousser l’âge de la retraite à 64 ans se traduira par ailleurs par un supplément sur d’autres dépenses sociales (allocation chômage, invalidité, maladie ou minima sociaux), réduisant les « économies » réalisées par la réforme. La maigre marge budgétaire dégagée ne permettra même pas de financer des grands projets !
Quant à l’idée de dégager des ressources pour financer la pension minimum de 1200 € brut pour une carrière complète et de mieux prendre en compte la pénibilité, évoquée par le gouvernement, elle est aussi trompeuse. Déjà dans la loi de 2003 sur les retraites, l’article 4 fixait l’objectif d’assurer pour 2008 un minimum de pension de 85 % du SMIC net (carrière complète). Cet objectif n’a jamais été pris en compte.
De plus cette annonce est soumise à plusieurs conditions. Pour les carrières incomplètes (en majorité, des femmes), le minimum sera calculé en proportion de la carrière, il ne pourra être perçu qu’à l’âge de 67 ans (âge du taux plein) et seulement pour des carrières de plus de trente ans ! S’agissant de la pénibilité, rappelons que la loi travail Macron de 2017 a exclu la prise en compte de 4 facteurs de pénibilité majeurs (manutentions manuelles de charges, postures pénibles, vibrations mécaniques et agents chimiques dangereux) dans le compte professionnel de prévention (C2P).
Ces fausses justifications masquent les enjeux politiques de la réforme : réduire les dépenses publiques pour rassurer la Commission européenne, continuer de faire des cadeaux fiscaux aux plus riches et développer les retraites complémentaires par capitalisation, tout au moins pour les ménages qui le peuvent, en baissant fortement les pensions.
La retraite à 64 ans est une régression
« Puisqu’on vit plus longtemps, il faut travailler plus longtemps » répète Emmanuel Macron pour repousser l’âge de la retraite. Son argument est pourtant non fondé et injuste.
Injuste car reculer l’âge de la retraite au nom de l’augmentation de l’espérance de vie masque un fait pourtant essentiel : l’espérance de vie des 5 % les plus pauvres est inférieure de 13 ans à celle des 5 % les plus aisés chez les hommes et de 8 ans chez les femmes. Et à 35 ans, l’écart d’espérance de vie entre un ouvrier et un cadre est de 7 ans, et cet écart pour l’espérance de vie en bonne santé est de 10 ans.
Les seniors sont enjoints à « travailler plus »… alors même que les entreprises s’en débarrassent. La réforme va allonger la période de précarité que vivent de nombreuses personnes entre leur sortie de l’emploi et la retraite. Ainsi, 32 % des personnes nées en 1950 (37 % des femmes et 28 % des hommes) n’étaient plus en emploi l’année avant leur retraite. Ces personnes risquent donc d’être plus nombreuses et plus longtemps au chômage alors même que les possibilités d’emploi des chômeurs, des jeunes et des femmes seront réduites.
De plus, l’espérance de vie à la retraite a déjà diminué d’un an entre la génération 1950 et 1953 (de 25,8 à 24,8 ans) suite aux précédentes réformes. Les gains d’espérance de vie à 60 ans décélèrent avec une progression depuis 2014 de seulement 0,2 an par décennie pour les femmes et 0,6 an pour les hommes contre 1,5 à 2 ans par décennie avant. Ces gains devaient être partagés entre l’allongement de la vie active et celui de la retraite.
La baisse de la durée de carrière est aussi un constat inquiétant (40,5 ans pour la génération 1955 ; 38 ans attendus pour la génération 2000). L’objectif fixé pour une retraite à taux plein s’éloigne avec l’allongement de la durée de cotisation (41,5 ans pour la génération 1955 ; 43 ans pour la génération 1965). La baisse des pensions va s’intensifier (prorata des années travaillées, décote). Et la paupérisation des retraité·es va s’accélérer.
Les arguments du gouvernement sont loin de convaincre : travailler toujours plus est un choix de société que ne partageraient pas 68 % des Français·es qui souhaitent le retour d’un âge légal de départ à 60 ans, selon le sondage Ifop de début janvier.
Refuser cette réforme ne veut pas dire garder le système actuel
Dénoncer le projet gouvernemental ne signifie pas défendre le statu quo : depuis 1993 les réformes successives n’ont cessé de dégrader le système, amenant à terme le niveau de vie relatif des retraité·es à son niveau des années 80.
Compte tenu des réformes déjà engagées, le niveau de vie relatif des retraité·es va fortement baisser en moyenne dans les prochaines décennies. De même que les taux de remplacement et les pensions relativement aux revenus d’activité. Les pensions moyennes en absolu ont même déjà baissé depuis 2015 du fait des revalorisations inférieures à l’inflation. Le graphique suivant est explicite :
Entre 2018 et 2019 la pauvreté avait déjà progressé de 0,8 point pour les retraité·es. Cette augmentation est surtout portée par l’augmentation du taux de pauvreté des personnes âgées de 65 ans ou plus vivant seules, taux qui passe de 14,3 % à 15,9 % entre 2018 et 2019 et atteint même 16,5 % pour les femmes. Un.e retraité.e sur 10 a un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté.
De plus, les inégalités entre les femmes et les hommes, importantes, ne se réduisent que trop lentement : en 2020, la pension moyenne de droit direct (c’est-à-dire sans la réversion) de l’ensemble des femmes retraitées ne représente que 59,8 % de celle des hommes. Outre les salaires plus faibles et les carrières plus courtes des femmes, une des raisons tient au fait que le calcul de la pension pénalise plus fortement les carrières courtes et les périodes de temps partiel. Mais même en considérant les seules carrières complètes, la pension des femmes ne représente que 73,5 % de celles des hommes.
De manière générale, la paupérisation des retraité·es et futur·es retraité·es est un choix politique : celui du plafonnement de la part des dépenses de retraites à environ 14 % du PIB ce qui relève de l’obsession pour la baisse des dépenses publiques.
Alors que la part des retraité·es dans la population s’accroît, refuser d’augmenter la part de la richesse produite qui leur revient signifie programmer leur appauvrissement. C’est bien ce qui est anticipé par les projections et c’est bien ce qu’il faut revoir.
Améliorer le système de retraite
Afin de lutter contre la paupérisation des retraité·es et de rendre le système actuel de retraite par répartition plus juste, d’autres orientations sont possibles. Elles passent en premier lieu par des mesures de progrès social pour les salarié·es :
Pour accroître le volume des cotisations alimentant les caisses de retraite, il est urgent d’augmenter les salaires mis à mal par l’inflation et non la distribution de primes sans droits sociaux rattachés, d’instaurer l’égalité des salaires entre les femmes et les hommes et de revaloriser les métiers à dominante féminine. C’est une question de justice sociale puisque le partage de la valeur ajoutée entre salaires et profits s’est déformé en faveur des profits depuis les années 1980. Inverser cette tendance permettrait de mieux préserver le système de retraite par répartition.
La question de la réduction du temps de travail et d’un retour à la retraite à 60 ans se pose afin de travailler moins, et mieux, pour travailler tous et toutes. Le dérèglement climatique et la dégradation de la planète imposent en effet de reconsidérer la nature et le volume de la production. La réduction du temps de travail a longtemps caractérisé le progrès social. Elle permettrait un partage des tâches domestiques et parentales au sein d’un couple afin que les femmes ne soient plus contraintes de se retirer de l’emploi, lors de la naissance d’un enfant par exemple. Le progrès passe également par des droits nouveaux accordés aux salarié·es pour participer au choix et à la réorientation de la production et à l’amélioration des conditions de travail.
Une participation accrue des femmes à l’emploi dégagerait des ressources pour le système de retraite. Les marges d’amélioration sont importantes : la France figure au 25e rang des 38 pays de l’OCDE pour le taux d’emploi des femmes. Le maintien des femmes en emploi après une naissance passe par le développement de l’accueil de la petite enfance à coût abordable, un partage équilibré du congé parental et un congé de paternité allongé.
Un système de retraites plus juste suppose également des modifications dans le calcul des retraites et les cotisations :
Il est temps d’activer le levier de la hausse des cotisations vieillesse pour équilibrer le système de retraites. Pour les 25 prochaines années, il suffirait d’une hausse du taux de cotisation comprise entre 0,2 point et 1,7 point. Elle pourrait être prise en charge en grande partie par les employeurs et participer ainsi d’une augmentation des salaires. L’élargissement de l’assiette de cotisation aux profits distribués constitue une autre piste.
Pour endiguer la montée de la pauvreté chez l es retraité·es, il faut mettre l’accent sur la diversité des situations dans le calcul des retraites avec une meilleure prise en compte des carrières longues, de la pénibilité sans oublier celle, toujours occultée, des métiers à dominante féminine, des périodes à temps partiel et l’intégration des années d’études. Les pensions devraient aussi être indexées sur la valeur la plus forte entre l’inflation et le salaire moyen.
Conclusion
Reculer l’âge de départ à la retraite n’a rien d’une nécessité économique, mais relève d’un choix politique du gouvernement : le choix de l’injustice ! Améliorer le système des retraites n’est pas seulement souhaitable, c’est financièrement possible. Cela suppose un partage plus équitable des richesses. C’est un choix de société : renforcer un système public de retraite, c’est opposer à l’impératif de rentabilité et d’individualisme celui de l’émancipation, de la justice et de la solidarité !
Mobilisons-nous contre la réforme des retraites Macron !