La politique migratoire en question : réalités et enjeux
La question migratoire est-elle une affaire individuelle de « migrants » et d’« aidants humanitaires à ces migrants » ? Ou à l’opposé, ne pose-t-elle pas la question d’une citoyenneté universelle collective à mettre en place dans le respect des droits humains fondamentaux ? Dans cette perspective, comment s’y prendre alors pour construire une feuille de route permettant d’atteindre cet objectif au croisement de tous les domaines qui sont sources de migrations au quotidien ?
Cinq caractéristiques des « migrations forcées »
1/ Le migrant forcé à l’exil et en quête de refuge est une personne qui fuit une situation pour lui invivable, justifiant aide et solidarité. Si la décision de partir est individuelle, elle est motivée par une situation contraignante de nature collective. Les migrations contraintes sont le fruit d’une conjoncture évènementielle, identifiable aux motifs de l’octroi du statut des réfugiés dans la Convention de Genève de 1951 auxquelles s’ajoutent les diverses situations génératrices d’une rupture de la vie au pays (conflit armé, oppression, crise économique, pratique culturelle réprouvée, catastrophe environnementale, insuffisance alimentaire ou famine, endettement illégitime subi…).
2/ La personne contrainte à l’exil espère un retour possible dans son pays une fois la situation stabilisée et les droits humains respectés, notamment les droits à la sécurité, à l’éducation, au logement, à la santé, au travail, à la liberté de circuler, de penser et de s’exprimer, qui sont définis dans les conventions internationales.
3/ Qu’elle soit homme, femme ou adolescent-e la personne migrante emporte avec elle - et porte en elle - le poids d’une histoire passée et présente, d’une exigence de sauvegarde, d’un potentiel de renaissance, d’une espérance de (sur)vie, d’un projet plus implicite qu’explicite. Elle s’ouvre de fait sur une interculturalité inévitable (langue, codes, droit, vie sociale), si possible porteuse d’émancipation dans les pays de destination où il faudra s’insérer. C’est à cette insertion qu’il faut travailler en lieu et place de l’exclusion.
4/ Agrégeant toutes les personnes déracinées dans le monde, migrants internationaux contraints et déplacés internes forcés, les données du HCR indiquent une progression constante sur la dernière décennie (+ 82% entre 2010 et 2020). Hors déplacés environnementaux et sans compter les mouvements spontanés des campagnes vers les villes, les flux migratoires sud/nord ne concernent qu’une très petite minorité des personnes déplacées dans le monde, la très grande majorité des migrant-es cherchant refuge dans un pays voisin du leur. Notre pays n’accueille quant à lui qu’une petite partie des personnes exilées en quête d’un ailleurs vivable qui cherchent un refuge en Europe. Présumé « pays fondateur des droits de l’Homme », la France est en fait un des moins respectueux de ces droits.
5/ Les pays de l’UE, les États-Unis et les puissances néocoloniales dominantes se concurrencent pour imposer leurs intérêts économiques et financiers nationaux sans la moindre vision universaliste nécessaire pour penser les questions migratoires dans l’intérêt général. Dans un système économique mondialisé sous sa forme ultralibérale de la course au profit, d’un libre échange généralisé, de la domination des marchés par de puissantes firmes multinationales, cette concurrence engendre et entretient le déchirement des tissus sociaux et culturels locaux, des tensions et conflits avec les guerres qui en résultent, des détériorations climatiques et environnementales… autant de faits déclencheurs de flux de migrants à la recherche d’un hypothétique refuge. Là sont les causes des drames que vivent les migrants, forcés à l’exil, une blessure qui révèle l’inhumanité de ce système économique et politique.
Cette politique néolibérale mondialisée est ainsi au croisement de toutes les causes profondes de l’exil : menaces sur la planète (écologie et environnement), accroissement des inégalités, financiarisation croissante de l’économie et assujettissement par la dette, détérioration des équilibres sociaux (racisme et négations des identités culturelles), discriminations au sein des peuples (colonisation) et des populations (classes sociales, genres), captation par les puissants d’un pouvoir politique imposé aux populations (détournement de la démocratie), conflits engendrant des guerres (géostratégie, politique dominatrice des États).
Aux frontières d’une Europe de plus en plus cadenassée, les pouvoirs publics effectuent un tri impitoyable entre deux catégories de personnes : les demandeurs d’asile éligibles au statut de réfugié selon les critères limitatifs de la convention de Genève 1951 et tous les autres en quête d’un refuge regroupés sous le terme générique de « migrants ». Cette dénomination catégorielle n’est en fait qu’un fourretout de causes diverses contraignant à l’exil vers des régions moins inhospitalières : rupture d’un lien traditionnel oppressant, insécurité alimentaire et parfois famine, pratique familiale réprouvée mais difficile à prouver, dégradation climatique et environnementale rendant impossible la vie sur place, impossibilité d’accéder au système souhaité d’éducation scolaire, assujettissement à une dette illégitime, etc. Triés après des voyages pleins de risques et jonchés de décès anonymes, certains de ces « migrants » sont choisis par les autorités frontalières pour leur utilité en Europe, les autres étant parqués dans l’attente de leur refoulement en mer ou à terre avec un devenir plein d’incertitudes et de précarité (lire « Le rejet des personnes contraintes à l’exil qui viennent à nous : un déni d’humanité » par Claude Calame, revue Lignes n°72, 2024).
En France, dans le langage courant, ces migrants sont affublés de qualificatifs statutaires impersonnels et réducteurs censés caractériser leurs situations : gens d’ailleurs, nomades itinérants sans attaches à un territoire, une culture ou une communauté humaine, étrangers, demandeurs d’asile déboutés, dublinés, apatrides, sans-papiers, clandestins sans droits ni titres, personnes en séjour illégal,… toutes désignations administratives discriminatoires qui les contraignent à un parcours du combattant pour simplement exister avec un titre de séjour.
En réalité, la qualification juste des migrant.e.s est toute autre : elle est socioéconomique, il s’agit de travailleurs, soit une main-d’œuvre potentiellement disponible, paramètre d’ajustement de la croissance de l’économie néolibérale, valeur d’usage professionnel à exploiter, donc variable utilitaire. Selon le FMI, 34 % des ouvriers de l’industrie mondiale travaillaient dans un pays du sud en 1950, 53 % en 1980, 79 % en 2010, la « main d’œuvre mondiale » effective ayant quadruplé de 1980 à 2005. « Prolétaires de tous les pays unissons-nous » reste donc bien un appel d’actualité !
La classe des travailleurs internationaux, classe mondialisée et donc émiettée, contrainte de se déplacer partout dans le monde pour mieux vivre, sert aujourd’hui de variable d’ajustement à l’élargissement de l’accumulation du grand capital international et à la concentration de son pouvoir : celui du 1% des nantis qui possèdent 99 % des richesses économiques dans chaque pays et à l’échelon planétaire, celui de ses représentants installés à la tête des pouvoirs d’États, celui des pouvoirs médiatiques acquis par l’argent, celui que confère l’outil régalien de répression policière et militaire sur la société, celui d’un néocolonialisme maitre de la production planétaire via les firmes multinationales, celui d’une domination de la nature génératrice des dérèglements climatiques et environnementaux, celui de l’étouffement de la diversité culturelle des peuples non perçus comme un possible enrichissement collectif à respecter et valoriser....
« Aujourd’hui, plus que jamais, il est insensé de parler d’immigration en faisant abstraction de ces catalyseurs des déplacements de populations que sont le colonialisme, l’impérialisme et le néolibéralisme.... Alors que les personnes déplacées par les ravages du néolibéralisme et de l’impérialisme sont représentées comme des menaces démographiques et que l’on entrave sans relâche leur mobilité, le capital, lui, est libre de traverser toutes les frontières, à l’image d’une production et d’une consommation transnationales » (Harsha Walia, Démanteler les frontières contre l’impérialisme et le colonialisme, Lux Editeur 2015)
Loi « asile et immigration » : réalités factuelles et mensonges politiciens sur les migrations
Les intentions cachées de la loi
Ce qui se cache dans l’esprit de la ‘loi de la honte’ Macron-Darmanin-Ciotti et derrière le pacte européen sur l’asile et la migration, c’est une lutte des classes possédantes pour trouver de nouvelles sources d’accumulation et la possibilité de choix d’une main d’œuvre appropriée à sélectionner. Mais elles se heurtent à des populations travailleuses qui partout tendent à s’émanciper.
La poussée des régimes autoritaires et identitaires sur tous les continents est la traduction de la crainte de ces classes possédantes de ne pas y parvenir sans un durcissement répressif de leur arsenal politique. Le renouveau des conflits colonialistes de conquêtes territoriales pour l’accès aux ressources clé provoque de gros déplacements de populations ; la dégradation violente en cours du climat les démultiplie. Le verrouillage des frontières devient alors stratégique.
Au niveau de l’UE, dans la même logique néolibérale, le Pacte européen sur la migration et l’asile adopté aussi le 20/12/2023 renforce les contrôles aux frontières, autorise les États membres à s’affranchir du droit à l’asile et ouvre la porte à de multiples violations potentielles d’autres droits tels que le « principe de non refoulement des migrants ».
Ce ne sont pas les peuples qui craignent les immigrations (ils en sont les produits !) contrairement à ce qu’affirme une pression médiatique tendancieuse. Ce sont les politiciens néolibéraux qui déroulent le tapis rouge à ce matraquage médiatique pour créer une opinion favorable à leurs visées répressives sur fond d’ententes électoralistes. On y trouve les palinodies d’un président de la République incompétent qui prétend faire “en même temps” tout et son contraire ; et aussi les turpitudes médiatiques de son ministre de l’Intérieur qui, surtout soucieux de son image de marque et de son avenir personnel, présente le côté attractif de son projet ("on va régulariser des sans-papiers dans des métiers en tension et les intégrer") mais en masque la réalité moins avouable (“on va exclure plus et plus vite tous les autres dont on n’a pas besoin’’). Derrière ce double jeu, il y a la volonté d’ajuster à chaque époque la ‘main-d’œuvre utile au pays d’accueil’ tout en piétinant sans vergogne les droits humains fondamentaux des autres travailleurs migrants dont il n’a pas l’usage.
C’est là une logique colonisatrice à connotation raciste qui perdure : hier « tirailleurs » importés des colonies pour « défendre la patrie » en guerre, aujourd’hui « boucs émissaires » d’une prétendue invasion !
Des contrevérités économiques et sociales flagrantes : à contrecarrer
Dans son livre Immigration : le grand déni (Seuil 2023, p. 9), François Héran décrit la raison d’être et le processus d’utilisation des contrevérités outrancières brandies. Il s’agit de grossir exagérément les flux migratoires en s’appuyant sur une pression médiatique intense activant les peurs de “perdre son identité“ du fait de l’arrivée massive d’étrangers indésirables. Puis de faciliter ainsi les aboiements d’une extrême droite exigeant alors plus de contrôle de l’immigration jugée intolérable, une réduction drastique de son volume, et même sa suppression totale pourtant totalement illusoire.
Cela permet aux tenants du néolibéralisme de se présenter comme protecteurs de la société contre l’arrivée prétendument considérable mais jugée néfaste de migrants (« l’invasion ») et de justifier à la fois la « fermeté » (le choix de la main-d’œuvre utile et le rejet de celle qui ne l’est pas) et la pérennité d’une politique socioéconomique (« l’ouverture ») exploitant à foison l’armée de réserve utile de travailleurs internationaux qui restent sans papiers.
C’est ce que s’emploient méthodiquement à faire le gouvernement et l’UE avec leurs lois “asile et immigration’’.
Il est donc utile de procéder au moins à quelques rappels rectificatifs tordant le cou aux contrevérités fantasmagoriques des droites extrêmes, nauséabondes et dangereuses pour la démocratie et notre objectif du “vivre ensemble”. Cela même si corriger ces outrances revient à rester sur le terrain idéologique de l’adversaire, au lieu de déboucher sur l’indispensable projet politique d’une société alternative à construire hors de la logique néolibérale dominante actuelle.
Non, il n’y a pas de menaces d’envahissement du pays par une grande vague migratoire, ni aujourd’hui ni demain ;
Non, la France n’est pas un territoire généreux, attractif, créateur d’appels d’air, puisque n’ayant même pas pris sa part de l’accueil des migrants en proportion de son PIB et sa population comparés à ses voisins de l’UE ;
Oui, les « premiers de corvée » qui occupent des métiers indispensables au fonctionnement de notre société sont en grande partie - et même en majorité - des travailleurs immigrés, engagés dans des métiers dont les natifs ne veulent pas ; et il suffirait d’une grande grève coordonnée des travailleurs des Travaux Publics qui préparent les chantiers des JO pour qu’on découvre en quoi les immigrés y sont importants !
Non, les migrants ne plombent pas les finances publiques ; au contraire, leurs apports au bilan les rendent bénéficiaires ;
Non, il n’y a pas un eldorado mythique qui attire toujours plus de migrants contraints à l’exil comme le prétendent les droites extrêmes en citant la couverture prétendument trop généreuse de notre modèle social ; il y a seulement la quête d’un refuge ;
Non, l’AME (Aide Médicale d’État) n’est pas un cadeau fait aux migrants, elle est l’expression d’un droit humain fondamental à la santé. Elle ne représente que 0.4% du budget de le Sécurité Sociale. Cette maigre aide est réservée aux travailleurs sans papiers, sans assurance sociale, et sans ressources suffisantes. La complexité du dossier administratif à instruire est telle que nombreux sont ceux et celles qui n’y ont pas recours.
Non, il n’y a aucun lien probant entre l’insécurité et l’immigration. Les statistiques montrent que la police vise plus souvent les migrants visibles que les autres populations (contrôle au faciès, vérifications sauvages d’identité, fréquence plus grande de gardes à vue lors de ces vérifications au motif de petits larcins qui ne sont dus qu’à la plus grande précarité et pauvreté des gens contrôlés, telle l’invalidité de certains titres de transport utilisés, ce qui fausse la comparaison et l’interprétation des chiffres).
Loi Macron-Darmanin-Ciotti-Le Pen : la « loi de la honte »
Pour faire passer ce texte de loi, le pouvoir a fait toutes les compromissions possibles avec les idées des droites extrêmes sur le dos des personnes étrangères. La Défenseure des Droits a souligné la « gravité majeure [du projet de loi] pour les droits fondamentaux » de ces personnes, alors qu’il ne résout en rien les problèmes concrets qu’elles vivent au quotidien, ajoutant au contraire une panoplie d’obstacles dans leur parcours d’inclusion-insertion en France.
Pourquoi une loi de plus sur le sujet, la 28e en 33 ans, encore plus discriminatoire que les précédentes au plan administratif à l’égard de certaines catégories de populations étrangères ? Historiquement, la traite esclavagiste avait déjà inventé le « code noir », puis la colonisation « le code de l’indigénat », et récemment le néolibéralisme « le code CESEDA » pour organiser la ségrégation entre personnes bénéficiant de droits et d’avantages reconnus et d’autres, les "dominés", n’y ayant pas accès.
Ce qui est inscrit dans la nouvelle loi Darmanin-Macron n’est que la prolongation de ces politiques coloniales sur le territoire hexagonal et dans les territoires d’outre-mer : l’aggravation des mesures discriminatoires à l’égard de populations "boucs émissaires" à exclure plutôt qu’accueillir, le renforcement des inégalités sociales qui sont meurtrières pour les personnes précarisées mais profitables pour les nantis, et surtout la banalisation d’un ordre politique fascisant attentatoire aux libertés fondamentales en prélude à une instauration prochaine plus formelle par la voie électorale en 2027.
Les épisodes successifs récents tracent en effet la voie délibérément suivie par les tenants du néolibéralisme et précisent la trajectoire voulue de leur politique à venir : sociale (répression des revendications des gilets jaunes), autoritaire (l’imposition par la force sans débat de la loi sur les retraites), financière (récupération budgétaire du ‘quoiqu’il en coute’ sur la population et précarisation de la population par l’inflation), environnementale (neutralisation de la lutte écologique sur ‘’les Bassines’’), raciste (discrimination de quelques 700 000 sans-papiers principalement issus des anciennes colonies françaises auxquels on refuse le droit administratif d’exister légalement tout en les exploitant sans scrupules), économique (creusement des inégalités et accroissement de la pauvreté), colonialiste (immigration choisie dans notre seul intérêt économique de pays riches), répressive (violences ciblées sur les jeunes révoltés des banlieues), antidémocratique (menaces de dissolution des associations contestataires jusqu’à la remise en cause de la LDH elle-même).
Discriminatoire et violente, la nouvelle loi "asile et immigration", bien loin d’apporter un début de réponse aux problèmes sociaux réels de la population étrangère, n’est en fait qu’un prétexte politicien pour invisibiliser ces problèmes tout en les accentuant.
Voici la liste des principaux marchandages nauséabonds négociés entre 14 parlementaires d’une commission mixte paritaire agissant hors débat parlementaire mais avec validation par l’éxécutif :
La fin du droit du sol
Cette mesure met fin à un principe pourtant fondamental en France, depuis le XIVe siècle. Il s’agit ainsi de remettre en cause l’automaticité de l’accès à la nationalité pour un mineur né de parents étrangers sur sol français : celui-ci devrait manifester sa volonté d’acquérir la nationalité entre l’âge de 16 ans et 18 ans.
Le rétablissement du délit dit « de séjour irrégulier »
Par cette mesure, il s’agit de rétablir le séjour irrégulier comme un délit. Supprimée en 2012, elle signifie indirectement que le simple fait d’être né dans un autre pays et de ne pas avoir de titre de séjour en règle constituera un délit en France !
De ce fait, les personnes en situation dite irrégulière pourraient être placées en garde à vue et devraient payer une amende. Il existe pourtant déjà aujourd’hui en France un principe de retenue administrative pour cette catégorie d’étrangers, qui permet aux autorités d’interroger une personne lorsqu’elle l’estime nécessaire, avant un placement motivé en rétention. Rappelons qu’il existe quelques 700 000 travailleurs « sans papiers », susceptibles d’être arrêtés pour un tel « délit ».
Le renforcement de la déchéance de nationalité
Cette déchéance s’appliquerait aux binationaux coupables d’un meurtre sur des personnes détentrices de l’autorité. En réalité, le retrait de nationalité (tout comme le retrait de titre de séjour) existe déjà dans la loi : une personne ayant été naturalisée peut tout à fait se voir retirer dans certains cas sa nationalité française.
Le durcissement du regroupement familial
Cette mesure s’attaque au droit des personnes étrangères à vivre en famille, créant des inégalités considérables entre citoyens français et étrangers. L’accès au regroupement familial, dont la procédure déjà très contrôlée relève du parcours du combattant, devrait être durci par l’imposition de conditions de ressources financières aux demandeurs, ainsi qu’une assurance maladie pour les proches basés dans le pays d’origine mais susceptibles de rejoindre le sol français. De même, les personnes concernées devraient justifier, « par tout moyen », d’une connaissance de la langue française « lui permettant au moins de communiquer de façon élémentaire
», sans que l’on ne sache bien le niveau que cela recouvre.
Des prestations sociales conditionnées… à la durée de présence en France
Avec ce texte de loi, les personnes étrangères devront attendre cinq ans pour pouvoir prétendre aux allocations familiales ou aux APL. Les travailleurs verront ce délai ramené à deux ans et demi, sauf pour l’APL, pour laquelle un délai de carence de trois mois a été inscrit dans la dernière version du texte ! Nombreuses sont les voix qui se sont élevées pour dénoncer là une forme de « préférence nationale ».
L’exclusion de l’hébergement d’urgence
La remise en cause du titre de séjour « étudiant »
Les étudiants étrangers devront apporter la preuve préalable d’une caution financière pour la délivrance d’un titre de séjour étranger. Celle-ci serait « restituée à l’étranger lorsqu’il quitte la France à l’expiration du titre de séjour » ou en cas de renouvellement du document d’identité ou de changement de statut. Seuls les étudiants « modestes » au parcours dit « exceptionnel » pourraient en être exonérés. Même la conférence des présidents d’universités a marqué son opposition à une telle mesure. La majoration des frais d’inscription pour les étudiants étrangers a elle aussi été adoptée.
Un débat annuel sur des quotas migratoires
L’idée est d’avoir chaque année au Parlement des débats chiffrés sur l’immigration (quotas) de façon à faire valoir que la France « contrôle » toujours davantage l’immigration. Il s’agit là d’une réponse à donner à l’imaginaire fantasmagorique de la « submersion migratoire » sans cesse brandi par l’extrême droite comme épouvantail malgré les preuves statistiques indubitables de son inexistence en France.
Des restrictions d’accès au titre de séjour « étranger malade »
L’accès à ce titre, visant à accorder le séjour à des personnes particulièrement malades présentes en France, sous le contrôle de l’Office français de l’immigration et l’intégration (OFII) et d’un collège de médecins en charge d’étudier chaque dossier, est entravé dans le texte : le titre de séjour « étranger malade » serait délivré « sous réserve de l’absence d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire » et surtout que « cette prise en charge ne soit pas supportée par l’assurance maladie ». Les frais de santé resteront donc désormais à la charge des intéressé.es, même avec l’octroi du titre de séjour
Les sans-papiers méprisés de nouveau réduits à une main d’œuvre corvéable sans droits
La seule mesure présentée à l’origine comme « humaniste » par la majorité visait à régulariser une partie des travailleurs sans papiers évoluant dans des métiers en tension et sélectionnés sur des critères limitatifs. Le titre de séjour étant temporaire et renouvelable sous conditions, la mesure était déjà critiquée comme « utilitariste » par ceux qui y voyaient le moyen d’exploiter une main-d’œuvre volontaire et corvéable pour « remplir des trous » puis s’en débarrasser lorsque le métier n’est plus en tension ou que le travailleur change de domaine d’activité.
Elle a été vidée de sa substance. Le titre de séjour salarié sera systématiquement délivré « à titre exceptionnel ». Le pouvoir discrétionnaire du préfet de régulariser ou pas est maintenu dans la lignée de la circulaire Valls. Ce choix se veut une réponse idéologique à l’épouvantail fantasmagorique de « l’appel d’air » brandi par l’extrême droite.
Autre mesure adoptée qui sera génératrice d’une précarité accrue : la suppression des réductions tarifaires attribuées aux travailleurs sans papiers et sans ressources leur permettant d’accéder aux transports en commun.
Une réforme de l’Aide Médicale d’État annoncée dès 2024
L’AME ne représente que 0,4% des dépenses de la Sécurité sociale, son objectif étant d’apporter les soins médicaux indispensables aux étrangers présents en France mais en situation administrative irrégulière et sans couverture sociale. Il était envisagé de la supprimer au profit d’une aide médicale d’urgence avec un forfait annuel limitatif dont le montait aurait été fixé par la suite. Devant la levée de boucliers contre cette disposition anti sociale et discriminatoire, il a été décidé de renvoyer la réforme de l’AME à une autre loi prévue en 2024.
A l’opposé de telles mesures, il convient de rappeler qu’à la stigmatisation tendancieuse des immigrants, la société civile et ses associations opposent la volonté de leur assurer un accueil digne et des voies d’insertion durable dans notre pays, cela en rappelant aussi que seule la mise en échec du système néolibéral dominant le monde créera les conditions d’une coopération avec des avantages réciproques à partager entre pays de départ et d’arrivée de ces migrations.
Feuille de route pour bâtir une société écosocialiste proposant une politique migratoire alternative
Un autre monde est possible
Un programme politique altermondialiste d’une société doit viser à supprimer les causes des migrations contraintes et toutes les discriminations qui les accompagnent, promouvoir la liberté de circulation pour tou.te.s, assurer le développement par une coopération entre les pays visant la recherche d’autonomie avec avantages réciproques reconnus, et garantir l’amitié entre les peuples dans le respect de leurs diversités culturelles, particulièrement entre Nord et Sud. Cela doit se fait dans le respect des conventions internationales :
Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 (article 13 sur la mobilité) ;
Convention européenne des droits de l’homme de 1950 (article 8 sur le respect de la vie privée et familiale) ;
Convention de Genève de 1951 sur les réfugiés ;
Convention internationale sur l’élimination de la discrimination raciale (ONU) de 1965 ;
Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ONU), de 1966 et 1989, signé par 168 États ;
Convention relative aux droits de l’enfant (CIDE) de 1989 ;
Convention internationale sur la protection de tous les travailleurs migrants et membres de leur famille (OIT) de 1990 (cette convention permet de protéger les migrants dans le pays d’accueil. Aucun état occidental ne l’a signée) ;
Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières (« Pacte de Marrakech ») de 2018.
Six orientations clés pour enclencher la marche vers un modèle global de société alternative accueillante
L’accueil inconditionnel déjà mis en place dans des municipalités hospitalières, qui revient à reconnaitre un devoir d’hospitalité au même titre qu’un devoir d’asile.
L’accès égal pour toutes et tous aux droits, civils, politiques, économiques, sociaux, culturels, fondant l’égalité des humains, migrants ou pas, et leur légitime exigence de dignité.
Le refus de toutes les discriminations, racistes, de genre, d’origine de la personne ou autres, doit être le fondement de toute politique publique.
Le droit de vivre et travailler dans le pays de son choix et de ne pas être contraint.e de le quitter du fait des destructions environnementales, de l’injustice sociale de la domination économico-financière d’autres pays, d’un modèle de développement néocolonial imposé de l’extérieur aux populations locales par la dette.
La liberté de circulation et d’installation, d’aller et revenir, expression de l’égalité en droit de tou.te.s de se déplacer librement et de s’établir, au bénéfice d’une protection sociale universelle.
La « citoyenneté de résidence » sur un territoire de vie et de travail, impliquant l’élargissement du droit de voter et d’être élu.e, principe fondamental de la vie démocratique en société.
Les bases d’une politique migratoire alternative de transition
Au vu des réalités actuelles et de l’existence incontournable des mouvements migratoires, la société altermondialiste devra mettre en exergue le respect des droits humains et les principes du « vivre ensemble » qui s’y attachent :
justice sociale et réduction des inégalités, dans les pays et entre pays ;
résolution des conflits par la recherche d’accords fondés sur le respect des droits des peuples et non sur l’existence de rapports de force défendant essentiellement des intérêts nationaux, d’ordre économico-financier ;
coopération économique entre pays et peuples visant un codéveloppement partagé avec recherche d’avantages réciproques en lieu et place de l’échange inégalitaire actuel et du pillage des ressources naturelles.
Les nombreuses initiatives de la « société civile » montrent qu’accueil et insertion des migrants sont possibles, à l’opposé des politiques répressives de fermetures des frontières, justifiant le slogan « altermondialistes, donc solidaires des migrant.e,s et réfugié.e.s ».
Elles montrent aussi qu’au-delà de l’entraide humanitaire dans notre monde globalisé, se pose la question de la promotion d’une société nouvelle qui agisse contre les causes des migrations contraintes pour les supprimer tout en favorisant les échanges humains interculturels.
Une autre politique est donc nécessaire dès maintenant. Elle passe par une transition progressive de rupture avec les points clés de l’ordre dominant établi, à mettre en échec à tous les niveaux géopolitiques pertinents (locaux et globaux) et dans la durée (court, moyen et long termes), dans une perspective écosocialiste.
Changer d’avenir, c’est aussi savoir regarder les mouvements migratoires comme une légitimité, une opportunité, un atout et une richesse au bénéfice de tous. Une politique migratoire doit notamment être ouverte à la citoyenneté de résidence, favoriser l’intégration, penser l’identité comme une construction collective excluant les discriminations, se tourner vers un avenir mutualisé et non le prolongement d’un passé destructeur.
Quelques mesures significatives à court terme pour initier une feuille de route à moyen et long terme
Abroger le délit de solidarité ;
Sécuriser les parcours migratoires ;
Développer des politiques d’accueil/insertion dès l’arrivée ;
Faire respecter par les instances les droits fondamentaux des étrangers et ne pas dépendre du bon vouloir des préfets ;
Abolir toute rétention administrative et fermer les centres de rétention administrative (CRA) ;
Instaurer une citoyenneté universelle de résidence ;
Abroger le règlement Dublin III ;
Passer d’une pseudo « aide au développement » à un réel co-développement favorisant l’autonomie des peuples.
En complément, quelques lectures pour démonter les préjugés, combattre les fausses informations, développer une autre vision des migrations, construire la feuille de route collective d’une société débarrassée de l’idéologie néolibérale :
La Cimade, Lutter contre les préjugés sur les migrants, 2016
Ritimo, Répondre aux préjugés sur les migrations, 2017.
Utopia, Migrations. Idées reçues et propositions –- Préface de François Gemenne, 2019
États Généraux des Migrations, Combattre les idées fausses sur les migrants, réfugiés, exilés et étrangers, 2021.